Placebo, mode d’emploi

Placebo : mode d’emploi ?!

Note publiée par : Jean-Dominique Michel & Mark Robert Waldman

http://jdmichel.blog.tdg.ch/archive/2018/09/17/placebo-mode-d-emploi-294382.html#more

Quelle est la part de tout traitement qui relève de l’effet placebo ? La réponse, appuyée sur 15 ans de recherche, vous choquera probablement : au moins 30 à 40% de l’effet positif obtenu dépend intégralement de vos croyances et attentes positives, ainsi que celles de votre médecin.

Les co-auteurs du présent billet ont abordé en détail les incroyables pouvoirs de l’effet placebo, Mark dans son livre « Born To Believe » (non traduit en français) publié en 2003 et Jean-Dominique dans « Chamanes, Médiums, Guérisseurs, les différentes voies de la guérison », publié en 2011. Time Magazine a finalement consacré le mois dernier un dossier complet à ce sujet, incluant bien sûr le courant de recherches initié en 2009, qui montre que si vous donnez à un groupe de patients un flacon de substance inerte ET que vous l’étiquetez ouvertement comme « placebo », leurs problèmes de santé s’améliorent malgré tout plus rapidement ! On trouve d’ailleurs désormais sur Amazon ou d’autres sites de vente en ligne des pilules labélisées comme telles, et promettant à juste titre le soulagement de vos symptômes !

Ted Kaptchuk, professeur à la Faculté de médecine de Harvard et l’un des principaux chercheurs en la matière, commença par étudier les traitements d’acupuncture, mettant en lumière qu’ils sont globalement efficaces: Mais cela peu importe où vous plantez les aiguilles, ce qui ne soutient pas beaucoup l’hypothèse qu’il existerait des « méridiens » régulant la circulation de l’énergie vitale. Il découvrit aussi que si le médecin ou thérapeute faisait usage d’un ton de voix calme et chaleureux, l’efficacité du soin doublait – rien que cela !

Cette donnée spectaculaire est de plus en plus intégrée dans les stratégies de communication coopérative ainsi que dans la formation des soignants – nous l’avons-nous-même incluse dans nos formations au leadership et au travail d’équipe. Kaptchuk vient récemment de recevoir un financement de 2.5 millions de dollars de l’Institut national de la santé aux Etats-Unis pour répliquer sa recherche avec 270 patients souffrant du Syndrome de l’intestin irritable (SII).

Comment ça marche ?

Nous disposons aujourd’hui d’une grande masse de données, ainsi que de solides connaissances quant aux mécanismes de l’effet placebo. L’anthropologue de la santé Daniel Moerman a proposé il y a une quinzaine d’années qu’on parle plutôt « d’effet de sens », celui-ci étant normé, codifié et porté par des signifiants (mode d’ingestion, formes, couleurs, paroles et  attitudes du soignant) et des signifiés (espérance, compassion, écoute, soutien, aide, apaisement, renforcement, etc.)

On sait ainsi que des comprimés placebo de couleur froide (bleus) sont plus efficaces contre l’anxiété ou les douleurs que des comprimés de couleur chaude, l’inverse étant vrai lorsqu’on vise à obtenir un effet stimulant ou traiter la fatigue ou l’apathie.

Les capsules sont plus efficaces que les comprimés, les injections que les capsules ; et tout en haut de « l’échelle de puissance » on trouve… la chirurgie placebo. Les recherches conduites dans les années ’50 ont été arrêtées pour d’évidentes raisons éthiques, mais les expériences dont nous disposons, sur l’angine de poitrine ainsi que différents problèmes  du genou avaient montré que les opérations placebo (pour lesquelles les patients avaient été anesthésiés, incisés puis suturés, sans aucune autre intervention) montraient un résultat strictement comparable à la vraie chirurgie… De quoi faire de sacrées économies, si l’éthique le permettait !

L’effraction salvatrice et sanglante que constitue la chirurgie est évidemment la plus forte sur le plan symbolique des modalités utilisées en médecine. On voit donc émerger l’image complète : le « rituel » du traitement, la puissance symbolique de sa modalité, les sensations et sentiments qu’il provoque ainsi que la qualité de la relation avec le soignant dessinent une densité qui impacte de façon majeure et parfois décisive la santé du patient.

Présence, bienfaisance, puissance !

Deux conclusions en découlent : la première est que l’obsession matérialiste et « objectivante » de la médecine actuelle passe largement à côté de ce qui serait un levier essentiel pour aider les gens dans leurs problèmes de santé.

La seconde est que cela aide à comprendre l’indéniable efficacité de traitements comme l’acupuncture, la guérison énergétique ou les pratiques comme l’EFT (utilisant le tapotement de certains points du corps pour soi-disant libérer des émotions). En fait, ils s’avèrent utiles indépendamment de la « réalité » des méridiens, de l’énergie vitale ou de « pouvoirs spirituels ». La réponse est plutôt à trouver dans la manière dont le soignant traite la personne malade – le rituel de soins, le ton de la voix et l’expression du visage, la confiance et l’optimisme quant à une amélioration possible, la stimulation tactile ou sensorielle, et surtout la vertu sous-estimée d’être soigné en étant dans un profond état de détente et de réceptivité. C’est cela, avant tout, qui produit les meilleurs effets, qu’il s’agisse de médecine, de thérapie ou de coaching.

Si vous ajoutez la Pleine Conscience  – la seule pratique novatrice dont l’utilité a été vérifiée dans à peu près tous les domaines d’application- à l’équation (comme nous le faisons dans le NeuroCoaching), nous pouvons alors espérer apporter le plus d’aide et de réconfort face  aux difficultés de santé, qu’elles soient somatiques ou psychiques.  Plus rapidement, avec moins de traitements lourds ou inutiles, et sans tout ce charabia pseudo-scientifique qui encombre aussi bien la biomédecine que les pratiques alternatives de santé… tout en sachant que le charabia tend à renforcer l’effet placebo et l’efficacité thérapeutique !

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Références :

How Placebo Needles Differ From Placebo Pills? Chae Y, Lee YS, Enck P. Front Psychiatry. 2018 Jun 5;9:243.

Open-Label Placebo Treatment for Cancer-Related Fatigue: A Randomized-Controlled Clinical Trial. Hoenemeyer TW, Kaptchuk TJ, Mehta TS, Fontaine KR. Sci Rep. 2018 Feb 9;8(1):2784.

Open-label versus double-blind placebo treatment in irritable bowel syndrome: study protocol for a randomized controlled trial. Ballou S, Kaptchuk TJ, Hirsch W, Nee J, Iturrino J, Hall KT, Kelley JM, Cheng V, Kirsch I, Jacobson E, Conboy L, Lembo A, Davis RB. Trials. 2017 May 25;18(1):234.

Open-label placebo treatment in chronic low back pain: a randomized controlled trial. Carvalho C, Caetano JM, Cunha L, Rebouta P, Kaptchuk TJ, Kirsch I. Pain. 2016 Dec;157(12):2766-2772.

Arthroscopic Partial Meniscectomy versus Sham Surgery for a Degenerative Meniscal Tear, Sihvonen R. et al., New England Journal of Medicine, 2013 Dec, vol.369 n°26