Anorexie et hyperactivité

Anorexie et hyperactivité

Pour citer les extraits de cette contribution :

Ohana Nicole Kac, « Chemins du fonctionnement anorexique. », Le Carnet PSY 9/2015 (N° 194), p. 36-41

Le fonctionnement psychique est toujours une énigme tant dans sa formation que par les chemins qu’il peut prendre, multiples, intriqués, croisés. Les anorexies ne peuvent s’envisager qu’au pluriel avec des tableaux et des comportements variés, c’est ainsi qu’on parle de conduites, de positions ou de solutions anorexiques, ou encore de processus, de logique anorexique, comme dans le cas des anorexies à poids strictement normal (Pr M. Whitelaw – Australie). Cependant, notre vision et notre compréhension des anorexies se sont considérablement modifiées ces dix dernières années et dans ce travail, nous nous interrogeons sur la rigidité, la mobilité ou encore la mobilisation de leur fonctionnement. Nous nous intéresserons aux anorexiques adultes, à distance des épisodes aigus et notre questionnement portera sur les défenses caractérielles et comportementales dans le temps et notamment dans celui de la thérapie. (…)

Nous sommes confrontés à un subtil enchevêtrement d’économie psychique, utilisant des solutions somato-psychiques, des défenses caractérielles, comportementales, tissant un maillage souvent très serré, comme une solution en suspens, temporaire, d’évitement des conflits psychiques. Différents courants coexistent mais ne cohabitent pas. Toutefois, cette « solution » peut se dégrader, se transformer, devenir inefficace ou bien dans les meilleures issues, trouver une voie vers une forme de sublimation.

Un levier de commande est toujours présent, c’est l’hyperactivité : elle peut prendre des visages très différents, à la fois symptôme et défense mais elle apparaît souvent paradoxale tant elle place et semble fixer la patiente dans un présent limité, dans une recherche de décharge ou jouissance immédiate, faisant partie intégrante de la carapace affective. Un autre levier est celui du contrôle, de la maîtrise.

Dès le début du travail analytique avec ces patientes, l’enjeu est de taille : il leur faut garder le contrôle or en même temps la peur d’être piégées dans un système qui peut leur apparaître sans issue va en limiter l’investissement. Le risque est de faire exploser l’armure, la cuirasse qui est souvent aussi leur armature constitutive.

Notre questionnement porte sur l’utilisation et la mobilisation de ces leviers, en vue d’une progressive reconquête narcissique afin que l’énergie déployée puisse se mettre au service de la vie et non de la destructivité.

Des mouvements contradictoires, avec des hantises de dépendance et de refus, mettent à l’épreuve la patiente comme le thérapeute, tous deux confrontés à des questions de quantités. Des transpositions, des déplacements même minimes du fonctionnement de ces patientes méritent d’être repérés et analysés pour aider à la recherche de « chemins » de traverse.

Anaïs et les comportements auto-destructeurs

Jolie jeune femme dans la trentaine, elle m’est adressée par un hôpital où l’on a traité son anorexie et tenté un groupe de parole pendant deux ans. Elle sait et sent que l’autodestruction est une impasse dangereuse et surtout une illusion. Anaïs est en demande, son avidité est à la fois émouvante et impressionnante : elle en veut, est presque « goulue ». Nous resterons plusieurs années en thérapie analytique.

Son histoire violente associait des comportements auto-destructeurs multiples, comme si elle avait besoin de tous les expérimenter : anorexie alternant avec d’impérieuses crises de boulimie ayant nécessité plusieurs hospitalisations, mais aussi scarifications, lacérations, drogues, alcool. Ces conduites autodestructives s’inscrivaient dans une fébrilité avec contraintes et défis permanents et dans une forme de « complaisance masochique ». Ses phrases étaient saccadées, son élocution rapide, laissant peu de « blanc », me donnant au début un effet de remplissage, comme si elle se gavait elle-même de paroles. Sa mise en danger concernait aussi sa vie sociale : squats dangereux, quasi-extrémiste dans ses engagements politiques, et même « expérimentation » du chômage malgré des propositions sérieuses de travail. « Je suis désœuvrée mais hyper- active … J’ai exploré tout ce dont j’avais peur et cela m’a permis d’anesthésier mes sentiments » disait-elle. Ces formes d’atteintes au corps sont comme des repères, des limites : se lacérer pour se ressentir, se sentir exister. Ce sont des comportements familiers qui lui permettent d’explorer les limites que peut supporter sa famille. Car c’est bien à sa famille qu’elle adresse son auto- destructivité, qu’elle vérifie qu’elle est aimée, que ses parents lui diront toujours : « même si tu as des problèmes, je t’aime ».

De grandes études difficiles sont menées conjointement à ces comportements à risque mais un « drame » survient : son mémoire est refusé par le jury de fin d’études. Anaïs est profondément blessée, meurtrie, loin de ses exigences de réussite et de contrôle. Mais là encore, c’est comme si elle avait demandé à ses parents de lui dire : « tu peux rater, on t’aimera toujours ». Quand je lui dis « eh bien, c’est fait, vous avez vérifié ! », elle reste sans voix, pour une fois. Anaïs voulait être acceptée même en étant « mauvaise » et aussi être acceptée par son analyste contenante et dépositaire de toutes ses conduites à risque. Il nous fallait construire un cadre contenant dans lequel elle pouvait vivre ses expériences émotionnelles passées et présentes sans les évacuer ou s’en immuniser. En maltraitant son corps, c’était une part d’elle-même qu’elle punissait, la mauvaise part. Elle tentait ainsi de diminuer un sentiment très ancien et encore inconscient d’avoir commis un crime, notamment envers son frère aîné très jalousé qui avait failli mourir dans l’enfance. Ses vœux de mort, honteux et refoulés, faisaient retour dans la violence quasi-meurtrière qu’elle dirigeait contre elle-même. Son sentiment d’être un monstre quelque part la révoltait et ensemble nous tentions de relier sa violence à sa culpabilité inconsciente, tenue soigneusement à distance. Ses conduites et ses comportements avaient certes une allure auto-punitive mais peut-être aussi protectrice contre un risque non négligeable d’effondrement. Il fallait nous sentir en sécurité dans un contexte patent d’insécurité.

Dans les premiers temps, la thérapie rapide, tourbillonnante, nous emporte toutes les deux : elle comprend, elle « pige » vite (trop vite ?) et elle bouge, avance. En parlant d’elle, je me rends compte que j’utilise des termes dans le registre du comportement, de l’hyperactivité qui l’anime. Elle entraîne le travail analytique et moi aussi je vais vite (trop vite ?), comme si je répondais à son avidité et que je devais la laisser « mener » la cure à ce rythme. Mais progressivement les atteintes au corps se font plus rares et sont remplacées par une hyperactivité de pensée qui remplit l’air entre nous. Ses émotions la bouleversent, comme une boulimie de pensées et d’affects : « mes vomissements étaient une contre-émotion, je sens maintenant des gradients entre mes sentiments et mes émotions… et je parle, je parle beaucoup, mais différemment… ». Elle perçoit ces subtiles différences. Effectivement, une certaine fluidité dans les mots et dans le ton s’installe, parallèlement à la solidité du transfert de base. « Avant, je voulais être transparente, maintenant, je me sens plus légère » dit-elle avec émotion.

Mais environ 2 ans après le début de la thérapie, de brutales attaques du cadre vont survenir et ce de façon récurrente : elle déclarait vouloir arrêter la thérapie, mais il s’agissait d’une volonté et non pas d’un désir d’arrêter. Prendre un chemin de traverse comme une échappatoire, mais à quoi, à qui ? Arrêter la thérapie n’était-il pas un besoin, un moyen de fermer les entrées, de couper ce que je lui donnais à manger ? Vérifier son contrôle sur le cadre analytique comme elle le faisait auparavant sur son corps! Il lui fallait faire bouger le cadre. Lors de sa première séance, elle m’avait dit (ou prévenue) : « je n’ai jamais cherché de CDI, ni dans mon travail ni dans aucune de mes relations ». Notre travail analytique était-il un « CDD » ?! Comment interpréter ces tentatives de passage à l’acte qui étaient un moyen de mettre l’analyse et l’analyste à l’épreuve ?

J’oscillais entre découragement, impuissance et incompétence ! Et je m’interrogeais : sa recherche d’autonomie méritait-elle d’être laissée indépendante de mon propre désir de continuer la thérapie ? Le besoin d’Anaïs de maîtriser la réalité externe était à la mesure de son angoisse devant ses difficultés de maîtrise interne qui se révélaient au cours de la thérapie. Sa peur de ne plus être aimée, d’être abandonnée était bien sous jacente, il lui fallait trouver dans la réalité un moyen de lutter contre l’angoisse du « noyau tendre abandonnique » (C. Chabert) qui masquait peut-être la crainte d’un effondrement. La séparation qu’elle décidait faisait office de paravent : c’était elle qui abandonnait. Son fragile sentiment d’autonomie me faisait osciller entre l’idée de ne pas la garder dépendante de moi et l’évidence que sa problématique d’hyperactivité et de contrôle était bien présente, juste déplacée sur la thérapie, et sur ce soit-disant désir d’arrêter, ce dont elle convenait et qu’elle comprenait… pour un temps ! Toutefois, lorsque je lui dis que, même sans séances, je ne la « lâcherai pas », elle fut soulagée. Nous pouvions penser la séparation et les mots pouvaient remplacer le passage à l’acte… ou pas ! Quand la question revenait à nouveau, récurrente, parfois au bout de plusieurs mois, nous remarquions ensemble des « petites différences » : par exemple, avec un sourire complice, elle demandait « un break, comme chez les amoureux ». Cela devenait une séparation et non un abandon du travail analytique. Une autre perspective pouvait s’ouvrir : dans le transfert, Anaïs cherchait à quitter une mère, la mettre à distance et la garder comme objet interne. Mais peut-être ne lui fallait-il que de petites quantités à la fois, des quantités différentes également dans leur perception, par exemple avec des liens « élastiques » ?

Nous faisions un bout de chemin ensemble et elle pouvait imaginer ou prendre un chemin de traverse… pour un autre bout de chemin, un chemin qui pourrait peut- être la mener vers une récupération au moins partielle de ses capacités de vivre. Elle cherchait à mettre en place une forme d’autonomie, de liberté, comme une résistance narcissique anti-dépendance ou comme une solution défensive maniaque qui lui permettait de bloquer, de réguler à sa façon ses sentiments envers l’objet-analyste.

Comment expérimenter quelque chose autour de la dépendance, quelque part entre le possible et l’impossible ? Pourtant, on ne devient vraiment libre qu’en acceptant une certaine forme de dépendance et en sachant que le vide que l’on porte en soi ne pourra jamais être tout à fait comblé. Nous en étions encore bien loin mais le fonctionnement anorexique s’était modifié dans le comportement. Ce n’était plus un fonctionnement en « circuit fermé », selon l’expression de J.B. Pontalis. Les transpositions, les déplacements du fonctionnement anorexique dans la thérapie me paraissent importants à repérer et à souligner, notamment les difficultés d’adaptation aux changements, même minimes. Il nous faut à la fois garder confiance dans le travail effectué mais aussi trouver en nous suffisamment d’humilité pour respecter ce fonctionnement, ces comportements… en acceptant que peut-être nous ne puissions parfois que très modérément les modifier.

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L’hyperactivité professionnelle

L’hyperactivité, toujours présente, est soulignée par de nombreux auteurs qui soulignent son implication dans l’économie psychique des patientes et son analogie avec la façon dont la nourriture est ou a été vécue. On note, souvent dès la première séance, que ces jeunes femmes présentent leur hyperactivité avec enthousiasme, la rationalisent et la justifient. C’est comme s’il y avait une surdétermination qui pourtant reflète différents niveaux d’organisation. Un dénominateur commun pourrait être une fonction de remplissage avec création de « néo- besoins » (Joyce Mc Dougall), visant à une sorte de nouvelle régulation du fonctionnement psychique.

L’hyperactivité s’étend sur plusieurs registres, parfois exclusifs, parfois associés, qui tous sont mis au service de la maîtrise du corps comme du fonctionnement psychique. Ce besoin impératif de contrôle qui s’étend à l’environnement immédiat, touche aussi l’environnement professionnel. Leur implication dans leur travail est une voie d’accès à la reconnaissance, dans une forme de « logique anorexique », système bien connu de ces patientes. « Excellente directrice d’équipe ! note le directeur d’une agence de communication, on peut toujours lui en demander plus ». Effectivement, elles réussissent souvent de façon remarquable sur le plan professionnel comme le remarque ce patron qui n’hésite pas à modifier et à repousser les limites du contrat de travail de sa « protégée », louant ses capacités remarquables d’organisation, de rigueur, de précision. Elles se sentent bien vivantes et très fortes ! Et la valorisation, « fierté narcissisante », renforce leur narcissisme bien fragile. Ce pourrait-il être une tentative de sublimation, une voie de sortie d’une logique infernale ? Mais on ne peut qu’en parler au conditionnel. Remarquables donc remarquées par les hiérarchies, cela renforce d’autant leur niveau d’exigence, entraînant souvent ces jeunes femmes dans une spirale infernale, dans l’hyperactivité et la maîtrise, encore et toujours plus. Elles travaillent avec acharnement et certaines vont jusqu’aux limites de leurs forces. N’y a-t-il pas un lien chez elles entre la brutalité de la décompensation d’un épisode anorexique et celle d’un burn-out qui menace ? L’hyperactivité intellectuelle, scolaire et sportive des anorexiques dans l’adolescence a depuis longtemps été remarquée. Chez les adultes, le déplacement sur le plan professionnel, mérite d’être souligné car ce déplacement est toujours valorisé et valorisant. Leur hyperactivité est source de rigueur, de précision avec un sentiment de perfection, une nécessité de rentabilité et donc d’exigences. On peut parler d’un « processus anorexique » renforcé par le sentiment d’être sur le bon chemin où compliments et récompenses font partie du processus.

Pourtant le danger est réel et c’est bien là tout le paradoxe. En dehors de l’épuisement, le risque d’une dégradation souvent brutale des relations sociales avec les membres d’une équipe ou des collègues, révèle des angoisses parfois térébrantes d’abandon. La violence fait retour dans cette dégradation, violence contre les autres mais avec le risque de la retourner contre soi, encore et à nouveau. Il y a là quelque chose d’irrésistible qui n’est pas sans rappeler la violence des « entrées et sorties » du corps de l’anorexique, les vomissements, les violentes crises de boulimie, les évacuations…

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Et c’est là le travail patient de la thérapie : relever, pointer des « intermédiaires » possibles. « Mon travail, c’est comme un roudoudou » me dit une patiente. On pense bien sûr au doudou de l’enfant, objet transitionnel qui incorporait l’environnement maternel. Mais son but est perverti : au lieu de libérer l’enfant du lien de dépendance à sa mère, il l’actualise dans le présent avec un soulagement qui n’est que temporaire et ne cache en rien la souffrance. Ces objets « doudou – roudoudou » entrent bien sûr dans le registre des auto-érotismes. Dans un registre oral : le roudoudou, un bonbon dans son coquillage dur comme un contenant cuirassé. Dans un registre sensitif : le signifiant doux, redoublé dans « doudou », dont l’image enveloppante et rassurante vient immédiatement à l’esprit, image d’objet transitionnel. Le registre de la répétition est immédiatement convié : on le cherche, le perd, le recherche, le trouve, mais change-t-il vraiment de signification, même minime ? Peut-il être chez l’anorexique, trouvé, créé, recréé, transformé ? Mais n’est-il pas parfois le prétexte à une répétition compulsive sans fin ? La clinique de l’anorexique fait souvent appel à des systèmes de pseudo protection et le corps est fréquemment utilisé comme expression et actualisation dans le soma de conflits insupportables. Les psychosomaticiens de l’Ecole psychosomatique de Paris ont bien mis en évidence l’importance d’une « économie psychosomatique » avec un court-circuit somatique. La décharge par la somatisation résulte de l’impossibilité de faire face à un conflit interne par la mentalisation : quand la voie de l’élaboration est débordée, les voies de décharge passent par des comportements ou par des somatisations qui peuvent prendre la forme de « maladies à crises » réversibles, souvent bénignes. C’est ce qu’a développé progressivement la patiente Claude, dans une succession de « petits bobos » comme elle les appelle mais qui vont progressivement modifier son équilibre psycho- somatique et lancer ses investissements dans d’autres directions. Les références à l’enfance et à l’infantile sont constantes et on ne peut qu’être frappé par leur grande fragilité narcissique, qu’il leur faut cacher à tout prix.

Le caractère addictif des anorexies

Il semble que la dimension addictive de l’anorexie corresponde à une réalité psychique. Les troubles du comportement alimentaire associent toujours des épisodes boulimiques et des épisodes anorexiques. Leur survenue commune chez une même patiente souligne l’addiction à un état particulier, sans intervention d’un substitut ou d’un élément extérieur, c’est une « toxicomanie sans drogue ». Chez les adolescentes anorexiques, des psychiatres tentent même depuis quelques temps des traitements par des molécules comme le Baclofène®, utilisé pour traiter l’alcoolisme et certains résultats semblent prometteurs.

Nous sommes tous sujets à des conduites de fuites addictives (fumer, boire, manger, par exemple) à certains moments de notre vie lorsqu’il nous devient impossible de contenir ou de faire face à des conflits psychiques ou extérieurs, notre capacité d’élaboration est alors débordée. C’est une solution qui passe par le corps, comme le court-circuit psychosomatique. Mais le comportement addictif pose problème lorsque l’addiction devient une solution impérative voire la seule solution pour supporter la douleur psychique. On peut évoquer une « économie psychique de l’addiction ». Le pouvoir de l’addiction est augmenté par la dépendance qui entraîne toujours un mélange de plaisir et de déplaisir, d’insatisfaction. Le caractère addictif de la recherche d’un état particulier visant à abaisser le seuil de souffrance psychique présente certainement une similitude avec un objet transitionnel de l’enfance mais il y a un ratage dans le but : celui de se libérer du lien de dépendance à la mère. La nourriture, comme la drogue, ou l’alcool sont censées pallier, au moins pour un temps, une fonction maternelle fictive. Bernard Brusset évoque un processus auto-érotique plus ou moins désexualisé chez l’anorexique. Les objets addictifs sont des « objets transitoires » plutôt que transitionnels, il y a comme un « raté » du transitionnel, avec création de « néo besoins ». Maurice Corcos évoque une logique « d’auto-engendrement » dans l’anorexie. Mais peut-on transformer et ré-inclure ces objets transitoires dans une autre logique, celle des objets transitionnels qui ont réellement ce statut, à la fois inclure et se libérer de la mère ? L’anorexie ne met-elle pas en lumière l’addiction à un état, visant à réparer un self endommagé tout en maintenant une illusion d’omnipotence ? Les failles narcissiques de l’anorexique font appel aux images des états limites : le « moi-peau-passoire » (D. Anzieu), les conduites de caméléon, l’adoption d’un faux self (Winnicott), le narcissisme d’emprunt (A. Green). Il y a toujours une tentative de constitution d’un idéal du moi inébranlable, comme une cuirasse, une carapace qui protège du monde extérieur et la maîtrise anale de rétention comme d’évacuation est au premier plan. Ainsi, le comportement addictif à « disposition », peut ou non être utilisé dès qu’il y a menace, c’est-à-dire implication d’un échange avec le monde externe. Notamment dans la relation thérapeutique, ces défenses se rencontrent toujours et suscitent de grandes difficultés : la peur de l’avidité entraîne la limitation de l’investissement et les violents mouvements contradictoires qui animent nos patientes peuvent être la cause de nombreux échecs ou d’abandon du travail analytique. C’est un voyage analytique toujours très risqué ! (…)

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Quelques références bibliographiques

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