Éléments d’histoire des théories psych-soma

Éléments d’histoire des théories psyché-soma.

Ce panorama n’a évidemment rien d’exhaustif. Il met simplement en lumière quelques-uns des penseurs ayant nourri la conceptualisation, la réflexion clinique et/ou la pratique thérapeutique dans le champ large des problématiques psyché-corps. L.G.

Anton Mesmer

Pour Mesmer, le pouvoir thérapeutique du dispositif qu’il avait inventé tenait à ce qu’il appelait le magnétisme animal. Il l’expliquait par l’influence d’un fluide universellement répandu dont le corps éprouve les effets et dont les effets sont de nature curative. Le dispositif thérapeutique (appliqué en traitement collectif tant la clientèle de Mesmer était nombreuse) consistait en un baquet en bois de forme arrondie duquel sortaient des barres de fer coudées. Les patients étaient répartis autour du baquet, reliés entre eux par une corde et au baquet par les tiges de métal. Le magnétiseur, armé d’une tige de fer, invitait chacun à la concentration et à la communication. Les paroles du magnétiseur, le contact visuel et physique qu’il induisait, l’accompagnement sonore éventuel d’un piano forte ou d’un harmonica de verre (sorte d’orgue de verre inventé par B. Franklin), la présence de miroirs tapissant les murs de la pièce, et redoublant la liaison visuelle entre les patients, constituaient la scène thérapeutique à partir de laquelle des effets pouvaient être observés. La base conceptuelle du principe thérapeutique consistait dans le postulat d’un fluide universel véhiculé par les êtres vivants et susceptible de se déplacer, de se transférer d’un corps à un autre par le biais d’un aimant (et plus tard d’un simple contact avec le magnétiseur). La transmission produit un afflux d’énergie localement repérable dans le corps du patient et conduit à une crise, souvent de type convulsif, qui rétablit la circulation libre du fluide jusqu’alors bloquée dans/par l’organe malade. Pouvons-nous voir là l’origine de la conception thérapeutique de la catharsis, celle de l’affect « coincé » de Breuer et Freud, ou le principe de base de la bioénergie comme le suggère justement R. Roussillon (Roussillon, 1992) ?

Le concept inventé par Mesmer est une sorte de pendant au magnétisme physique, aux phénomènes électriques, qu’on a découvert empiriquement et dont, à l’époque, on ne connait pas davantage la nature. Auteur en 1766 d’un premier ouvrage intitulé « De l’influence des planètes sur le corps humain » publié à Vienne et inspiré des travaux de Newton sur les effets visibles (mouvements des planètes, marées, etc.) d’une force physique invisible (la gravité), il conteste la thèse de Maximilian Hell, jésuite pratiquant l’application de plaques aimantées sur le corps à des fins thérapeutiques. Au fluide magnétique minéral de Hell, il oppose un fluide magnétique animal, base conceptuelle du dispositif thérapeutique qu’il mettra en œuvre.

Arrivé à Paris en 1778, il publie son Mémoire sur la découverte du magnétisme animal en 1779 avec le soutien de son disciple Charles Deslon, docteur régent de la Faculté de Médecine et médecin personnel du Comte d’Artois. Les thèses principales de ce Mémoire sont les suivantes : un fluide physique subtil emplit l’univers, servant d’intermédiaire entre l’homme, la terre et les corps célestes, et entre les hommes eux-mêmes ; la maladie résulte d’une mauvaise répartition de ce fluide dans le corps humain et la guérison revient à restaurer cet équilibre perdu ; grâce à des techniques, ce fluide est susceptible d’être canalisé, emmagasiné et transmis à d’autres personnes, provoquant des « crises » chez les malades pour les guérir.

Pour Mesmer, le magnétisme animal est la capacité de tout homme à guérir son prochain grâce à un fluide naturel dont le magnétiseur serait la source, et qu’il diffuserait grâce à des passes, dites « passes mesmériennes », sur tout le corps.

En 1780, ayant plus de patients qu’il n’en peut traiter individuellement, Mesmer introduit la méthode de traitement collectif dite du baquet. C’est notamment lors de ces traitements collectifs que se manifestent des phénomènes contagieux de « crises magnétiques » au cours desquelles les femmes de la meilleure société parisienne perdent leur contrôle, éclatent d’un rire « hystérique », se pâment, sont prises de convulsions…

Pour aller plus loin :

Mesmer F.A. (1779). Mémoire sur la découverte du magnétisme animal. Editions Allia, 2006.

Chertok L. Stengers I. (1989). Le cœur et la raison. L’hypnose en question de Lavoisier à Lacan. Paris : Payot.

Roussillon R. (1992). Du baquet de Mesmer au baquet de S. Freud. Paris : PUF.

On doit à Heinroth, interniste et psychiatre autrichien d’avoir introduit les termes de « psychosomatique » en 1818 et de « somatopsychique » en 1828 : le premier terme exprimait la conviction de l’influence des passions sexuelles sur la tuberculose, l’épilepsie et le cancer, le second s’appliquait aux maladies où le facteur corporel modifiait l’état psychique.


Jean Charcot
fut également un des premiers à pratiquer la « psychosomatique », si nous pouvons employer ce terme qui n’était pas, en ce temps-là, très employé. Il avait une chaire de neurologie à la Salpêtrière, mondialement connue, et pratiqua l’hypnose sur les hystériques. Freud s’intéressa longuement à ses travaux pour les abandonner par la suite. Sous son influence, la maladie mentale commença à être systématiquement analysée, et l’hystérie, à l’étude de laquelle Charcot se consacra depuis 1870, fut distinguée des autres affections de l’esprit. Il met au point la description de la « grande hystérie » et complète cette description par le recours à l’hypnose, comme moyen de reproduire expérimentalement la crise hystérique. Les techniques d’induction hypnotiques rappellent les moyens utilisés par les magnétiseurs comme Mesmer.

Entre Mesmer et Freud, on peut voir dans l’hypnotisme la forme la plus évoluée du magnétisme mesmérien. Dans les mains de Charcot, c’est un moyen d’étude en vue de découvrir une base organique à l’hystérie.

Charcot décrit trois phases successives à ce qu’il a appelé le grand hypnotisme ou la grande névrose hypnotique :

– la léthargie, obtenue par compression des globes oculaires par exemple, elle se caractérise par l’occlusion des paupières, l’hypotonie des muscles et une vivacité des réflexes ostéotendineux.

– la catalepsie, s’obtient par l’ouverture des paupières du sujet, elle se caractérise par immobilité du sujet avec une hypertonie musculaire, abolition des réflexes ostéotendineux, une disparition de la volonté psychique et physique. Le sujet garde les yeux ouverts.

– le somnambulisme provoqué. Il est caractérisé par une hyperesthésie, une anesthésie à la douleur contraste avec une audition accrue, une très grande sensibilité aux odeurs et une hypermnésie. Les hallucinations visuelles sont intenses et précises.

Il montra que les sujets étaient « suggestionnables », qu’on pouvait leur faire accomplir des actes plus ou moins raisonnables. Utilisant l’hypnose comme moyen de traitement, Charcot induisait chez ses patientes une attaque hystérique qui répondait à ses normes. Charcot entreprit aussi d’étudier l’influence des métaux et des aimants sur les phénomènes hystériques : ce furent la métalloscopie et la métallothérapie.

Pour aller plus loin :

Barrucand D. (1967) : Histoire de l’hypnose en France. Paris, PUF


En 1891, Hippolyte Bernheim publie Hypnotisme, suggestion, psychothérapie.
Études nouvelles, qui équivaut au constat de décès de l’hypnotisme tel qu’il est conçu à la Salpêtrière : « L’état hypnotique n’est autre chose qu’un état de suggestibilité exaltée ». Le fait de base, c’est la suggestion, qui correspond à une faculté naturelle du cerveau humain, la crédivité. La suggestion « consiste dans l’influence provoquée par une idée suggérée et acceptée par le cerveau » ; elle exploite une disposition, l’idéo-dynamisme : « Toute idée acceptée tend à se faire acte ».

Pour aller plus loin :

Bernheim H. (1891). Hypnotisme, suggestion, psychothérapie. Édition Fayard, 1995.

 

Sigmund Freud

Le concept de transfert permet à Freud de renvoyer dos à dos suggestion et persuasion et de s’interroger spécifiquement sur la relation thérapeutique. Il permet de dépasser l’opposition entre psychothérapie par la suggestion (Bernheim et Liébault) et psychothérapie par la persuasion (Dubois de Berne, Déjerine). Mais les liens qu’entretiennent psychanalyse, thérapies hypnotiques et psychothérapies par la persuasion (dont les TCC sont en partie héritières) sont loin d’être bien établis.

Freud conçoit les troubles psycho-somatiques comme des mécanismes de défense hors psyché.

Il s’agit de mécanismes de défense qui utilisent la voie corporelle comme voie d’écoulement de la pulsion. Il y a donc un lien étroit entre toutes atteintes corporelles et l’objet de la pulsion qui sera une partie du corps.

Pour Freud « La psychanalyse n’oublie jamais que le psychisme repose sur l’organique. » S’il n’a pas travaillé directement sur ce que nous appelons maintenant la psychosomatique, Freud avait bien compris le lien étroit existant entre le corps et le psychisme. Par exemple, dans « Le trouble psychogène de la vision dans la conception psychanalytique » (1910), texte écrit en l’honneur de Léopold Königstein, célèbre ophtalmologiste viennois, il souligne  que « Si un organe qui sert les deux pulsions intensifie son rôle érogène on peut s’attendre, d’une manière tout à fait générale, que cela ne se passera pas sans que son excitabilité et son innervation subissent des modifications qui se manifesteront par des troubles de la fonction d’organe qui est au service du Moi ». Nous retrouvons ce type de troubles de nos jours sous l’appellation contemporaine de troubles fonctionnels.

Mais si Freud montrait qu’il était conscient de l’existence de facteurs psychogènes dans les maladies somatiques, il réservait la psychanalyse au domaine des névroses. C’est peut-être la question des névroses actuelles dont l’étiologie est considérée comme somatique et non psychique qui annonce les approches psychosomatiques développées plus tard : « la source d’excitation, le facteur déclenchant du trouble se trouve dans le domaine somatique, tandis que dans l’hystérie et la névrose obsessionnelle, il est dans le domaine psychique ».

Pour aller plus loin :

Barrucand D. (1967) : Histoire de l’hypnose en France. Paris, PUF

Bioy, A. (2008). « Sigmund Freud et l’hypnose : une histoire complexe », Perspectives psychiatriques, 47-2, p. 171-184.

Despland Jean-Nicolas, « Suggestion, persuasion et transfert à l’aube de la psychanalyse », Psychothérapies, 3/2008 (Vol. 28), p. 155-164.

Freud S.  et Breuer J. (1895), Études sur l’hystérie. Paris, PUF, 1981.

Freud S. (1905). Traitement psychique (traitement d’âme), in : Résultats, idées, problèmes, vol. 1, 1890-1920. Paris, PUF, 1984, pp. 1-23.

Freud S. (1905). Fragment d’une analyse d’hystérie (Dora), in : Cinq psychanalyses. Paris, PUF, 1977, pp. 1-91 ; rééd. OCF-P, VI : 183-301, 2006.

Freud S., (1910). Le trouble de vision psychogène dans la conception psychanalytique trad. P. Cotet, Œuvres Complètes : psychanalyse, vol 10 (pp. 179-186) Paris, PUF, 1993.

Freud S. (1912). La dynamique du transfert, in : La technique psychanalytique. Paris, PUF, 1970, pp. 50-60 ; rééd. OCF-P, XI : 105-116, 1998.

 

G. Groddeck est sans doute un des précurseurs de l’idée de maladie psychosomatique. Il fut le premier à utiliser le terme de Ça qu’il emprunta à Nietzche et que Freud reprit.

« Groddeck déploie ses idées au cours d’une série de lettres familières adressées à une de ses patientes, lettres pleines d’esprit, de poésie et de malice. […..] Il a été le premier à donner toute leur valeur aux hypothèses de Freud dans le domaine des maladies organiques. […..] Sa façon de procéder partait du principe que les maladies de l’homme étaient une sorte de représentation symbolique de ses prédispositions psychologiques et que, maintes fois, leur siège, leur modèle typologique pouvait aussi bien être élucidé avec succès par les méthodes freudiennes jointes aux massages et au régime que n’importe quelle névrose d’obsession. Il se refusait à accepter la division de l’esprit et du corps en deux compartiments ; pour lui c’étaient des modalités d’être différentes. Nous fabriquons nos maladies mentales et physiques de la même manière. De nos jours, cela semble un tel lieu commun que le lecteur trouvera difficile de concevoir combien cette attitude était originale quand elle fut exposée pour la première fois par Groddeck. » (Lawrence Durrell, préface au Livre du ça).

Groddeck est donc le premier analyste qui raisonna en termes de psychosomatique. Il pensait que le corps et l’esprit n’étaient pas deux entités distinctes, mais fonctionnaient très étroitement.

Il soignait et par une approche analytique et aussi par des moyens physiques, massage, cure, etc.

Pour aller plus loin :

Groddeck G. (1923). Le Livre du ça. Paris : Editions Gallimard, 1979.

Roustang F. ( 1976). Un destin si funeste. Paris : Editions Payot, 2009.


Les travaux de Ferenczi
peuvent aussi être considérés comme précurseur de la psychosomatique, plus spécifiquement à travers la notion de clivage auto-narcissique, en réponse à une tentative de guérison des traumatismes précoces. Ces traumas précoces sont le produit d’une confusion des langues entre parents et enfants. L’adulte se situe sur le versant de la passion, de la sexualité, pendant que l’enfant est lui sur le versant de la tendresse, ce que l’on pourrait traduire en termes plus contemporains comme une opposition entre lien sexuel et lien d’attachement. Les stimuli parentaux débordent les capacités de métabolisation de l’enfant, pouvant constituer un véritable traumatisme, menant vers le clivage du moi et le repli sur soi.

L’accès au trauma originel ne peut pas se faire, pour Ferenczi, par la technique usuelle. Puisque l’enfant de la confusion de langue ne possède pas de mots, son vécu est essentiellement corporel, et donc ancré à un niveau inconscient bien plus profond. Ferenczi préconise donc, au début de ses essais techniques, un accès par le corps, notamment par la relaxation et la respiration. Mais la relaxation ne se réduit pas à cela. Elle implique également une sorte de jeu dramatique entre l’analyste et le patient, où l’analyste essaye parfois de régresser au niveau où se trouve le patient quand il lui parle (par exemple, s’adresser au patient avec une voix très basse, presque un chuchotement, quand le patient, très détendu, se livre à un souvenir ancien ou au récit d’un rêve).

Pour aller plus loin :

Ferenczi S., Groddeck G. (1975). Correspondance, 1921–1933, Paris, Payot, 1975.

Ferenczi S., (1932). Confusion de langue entre les adultes et l’enfant. Paris : Payot, 2004.

Ferenczi S., (1990). Psychanalyse I, II, III, IV. Œuvres complètes. Paris : Payot.

 

W. Reich fut sans doute avec G. Groddeck le premier précurseur de l’approche psychosomatique. Ses travaux sur les cuirasses et les exercices d’assouplissement qu’il mit en place ouvrirent la voie à une nouvelle approche « La bioénergie » développée par Lowen Alexander.

Deux grands axes de réflexion caractérisent les travaux de Reich :  la Peste émotionnelle et Les Cuirasses musculaires et caractérielles.

Reich introduit dès 1933 cette notion de peste émotionnelle dans son ouvrage : « L’analyse caractérielle ». Il lui consacre le dernier chapitre du livre. Il la définit « sans nuance péjorative », écrit-il, « comme une biopathie chronique de l’organisme, conséquence directe de la répression, sur une vaste échelle, de l’amour génital ». Elle est contagieuse et poursuit-il, « elle a pris un caractère épidémique et, au cours des millénaires, aucun peuple n’en a été épargné ». Elle a le pouvoir de contaminer des masses entières, de corrompre des nations, de détruire des populations, mais reste incapable d’engendrer une seule mesure positive quand il s’agit d’améliorer la misère économique.

La peste émotionnelle, inculquée à l’enfant dès les premiers jours de sa vie, trouve son origine chez les individus dans la frustration génitale se manifeste dans ce qu’il nomme « les cuirasses caractérielles », ou dispositifs inconscients mis en place par les sujets pour neutraliser les difficultés qu’ils éprouvent à assumer, dans l’évolution des conflits, leurs besoins libidinaux face à la peur de la punition.

Le Moi y prend sa forme définitive tandis que les restrictions libidinales imposées par la société déterminent des changements qui se manifestent dans des positions personnelles et sociales rigides conduisant à des réactions immuables et automatiques, comme si la personnalité se revêtait d’une cuirasse, d’un blindage rigide capable d’absorber les coups portés contre elle par le monde extérieur et intérieur.

L’étendue de la cuirasse détermine ainsi le manque de capacité de l’individu à équilibrer son économie énergétique. Ces processus individuels sont ainsi à la racine collective de la peste émotionnelle. En effet, dès que l’on touche aux causes de la peste émotionnelle, on provoque inévitablement une réaction d’angoisse ou de colère.

L’action et la raison données pour justifier la peste émotionnelle ne s’harmonisent jamais. Le motif réel est toujours caché, remplacé par un motif apparent.

Lutter contre la peste émotionnelle de manière efficace, c’est restaurer la couche psychique profonde de l’homme, car dans les profondeurs vivent et travaillent la sexualité naturelle, la joie spontanée du travail, la capacité d’amour. Cette couche est le noyau biologique de la structure humaine, elle est inconsciente et redoutée, car en désaccord avec l’éducation autoritaire. Sa reconnaissance et son actualisation sont pourtant pour Reich, la seule manière de dominer la misère sociale. Lutter contre la misère sexuelle, supprimer les inhibitions, produire pour chacun une autorégulation conforme aux exigences de l’économie sexuelle, c’est permettre la restauration positive de la responsabilité de chacun face à la vie. Reich voit dans la suppression des maladies psychiques et de la sexualité asociale le facteur qui favorisera la déprise de la peste émotionnelle et la libération de l’énergie vitale emprisonnée.

Wilhelm Reich fut sans doute le premier, dans les années 1930, à introduire le concept d’«inconscient corporel» et à tenter d’identifier les traces physiques des douleurs psychiques. Les contractions musculaires engendrées par nos émotions, disait-il, mènent à la formation d’une « armure caractérielle » qui a pour but de nous préserver de la souffrance, mais qui a aussi comme conséquence d’empêcher la circulation de l’énergie.

La cuirasse musculaire est liée à un fonctionnement énergétique, lui-même lié à un trait caractériel. C’est la cristallisation des mécanismes psychiques dans des tensions corporelles figées, cuirasse qui, une fois formée, ne peut pas être atteinte par une approche purement psychologique et verbale.

Le corps a une mémoire qui retient sous forme de tensions, maladies, postures, des émotions et des traumatismes non résolus. Ceux-ci sont encapsulés dans un ensemble de contradictions musculaires, chroniques, développées pour survivre et qui sont l’inscription dans le corps des mécanismes psychologiques. Cela se manifeste par des symptômes biopathiques (Inaptitude ou impuissance à l’orgasme), par les troubles respiratoires qui lui font affirmer que  « l’inhibition de la respiration est le mécanisme fondamental de la névrose en général ».

La perception de la fonction du vivant et de ses manifestations bioénergétiques est déséquilibrée dans l’animal humain par l’existence d’une cuirasse caractéro-musculaire, fruit de la nécessité de défense de l’organisme face à l’agression de l’extérieur.

Pour résumé, on peut dire que la cuirasse caractérielle est une stratification par enkystement de toutes les expériences passées, de toutes les forces de défenses mises en place par le sujet . C’est la forteresse derrière laquelle chacun se retranche pour organiser ses résistances. Tout se passe comme si les expériences infantiles, les refoulements et les charges énergétiques qui leur sont liés formaient des dépôts dans l’être, l’entraînaient à réagir toujours de la même manière, lui interdisaient toute initiative.

Reich commença à proposer des exercices d’assouplissement sur un tabouret qu’il mit au point. Plus tard de nombreux praticiens mirent en place des méthodes d’exercices pour libérer les tensions, notamment la MLC (de Marie Lise Labonté), mais c’est Alexander Lowen qui va le mieux mettre en forme tous les travaux de Reich avec la bioénergie.


Les psychiatres J. Pierrakos et Alexander Lowen, ex-patients et élèves de W. Reich,
ont poursuivi ce travail pour mettre au point une méthode thérapeutique utilisant encore davantage l’intervention physique que le préconisait Reich. Ils ont aussi donné plus de place à l’analyse de l’histoire personnelle. À la fin des années 1950, ils fondèrent ensemble un institut de recherches cliniques, devenu plus tard l’International Institute for Bioenergetic Analysis (IIBA).

Assez rapidement, Pierrakos a pris une autre voie pour concevoir la thérapie dite des Énergies primordiales (Core Energetics). Lowen, pour sa part, a toujours continué à explorer l’analyse bioénergétique et à l’enseigner. Il a beaucoup écrit sur le sujet et ses livres, dont une dizaine en français, ont été très populaires dans les années 1970 auprès d’une jeune population ouverte aux explorations psychiques.

Pour aller plus loin :

Lowen A. (1972). Depression and the body, 1972, Trad. française : La Dépression nerveuse et le corps, Tchou Ed., 1975.

Lowen A. (1967). The Betrayal of the Body, Trad. française : Le corps bafoué, Tchou Ed., 1976.

 

L’école de Chicago

C’est F. Deutsch, psychanalyste viennois émigré aux États-Unis, qui réintroduisit la notion de psychosomatique avec ses collègues : F. Dunbar, F. Alexander, M. Schur, T. Benedek, etc.

Alexander, élève et collaborateur de Ferenczi, a développé principalement aux États-Unis, au sein de l’École de Chicago qu’il a créée (1952), le courant de la médecine psychosomatique. Sa conception repose sur une approche dualiste du malade somatique associant un point de vue psychanalytique et un point de vue physiopathologique. La médecine psychosomatique s’est construite sur deux ensembles théoriques : la théorie de la névrose d’organe issue de la conception freudienne de la névrose actuelle postule que les émotions durablement réprimées sur le plan psychique sont véhiculées par des voies nerveuses autonomes jusqu’aux organes qu’ils modifient dans leur fonctionnement, dans un premier temps pour aboutir à des troubles fonctionnels puis dans un second temps à des maladies organiques. La théorie de la spécificité postule qu’à chaque émotion correspond un syndrome physiopathologique spécifique. Les travaux d’Alexander et de ses collaborateurs de l’École de Chicago, ainsi que d’autres auteurs nord-américains, ont abouti à l’édification de profils de personnalités reliés à un certain nombre de maladies somatiques, dites psychosomatiques. Si les conceptions du courant de la médecine psychosomatique sont critiquables du point de vue psychanalytique, les observations et travaux au sujet d’un certain nombre d’affections, tels l’asthme bronchique, l’ulcère gastro-duodénal ou l’hypertension artérielle gardent un grand intérêt historique et ont ouvert la voie aux travaux ultérieurs de psychosomaticiens, en particulier en France après la seconde guerre mondiale.

 

L’école de Paris

C’est en 1963 avec les travaux sur la pensée opératoire que la conception de Pierre Marty et de l’école française de psychosomatique qu’il fondât avec Michel Fain, Christian David et Michel de M’Uzan, voit le jour.

Contrairement à l’école de Chicago, qui cherchait un profil type de fonctionnement psychique dans une maladie donnée, les pères fondateurs de l’école de Paris se sont intéressés au fonctionnement mental, ce qui a conduit à la description de la pensée dite opératoire.

La pensée opératoire est un concept qui lie le concret, le factuel et l’actuel. Elle peut s’associer chez certains patients à une carence fantasmatique qui aboutit au triptyque :  Pensée opératoire, carence fantasmatique, désorganisation somatique.

C’est avec deux de ces ouvrages parus en 1976, « Les mouvements individuels de vie et de mort » et en 1980, « L’Ordre psychosomatique » que la théorie de Pierre Marty va s’élaborer.

Marty prône l’abandon de la dichotomie corps/psyché et enseigne que l’individu humain doit être appréhendé comme un tout dont l’équilibre résulte d’une infinité d’ajustements, variés et variables dans le temps. Ces ajustements contribuent à réaliser un état d’équilibre ou de déséquilibre correspondant à l’économie psychosomatique globale du sujet. Celle-ci repose sur plusieurs principes : Le principe évolutionniste déterminé par le développement de la psychogenèse et de ses fixations possibles aux différents stades ainsi que de l’héritage transgénérationnel ; le marquage individuel déterminé par l’héritage génétique ; la question du traumatisme, défini par Freud (1926) comme une  « une expérience d’absence de secours dans les parties du Moi qui doivent faire face à une accumulation d’excitation, qu’elle soit d’origine interne ou externe, et qu’il ne peut maîtriser. »

Pierre Marty propose de distinguer 4 systèmes économiques fondamentaux qui définissent les mouvements évolutifs à l’œuvre chez le sujet : les apparentes inorganisations ; les désorganisations progressives ; les régressions globales ; les régressions partielles.

Ces 4 systèmes économiques fondamentaux regroupent la quasi-totalité des réactions humaines face à un mouvement de désorganisation consécutif à ce qui est vécu comme un traumatisme.

Deux types de processus peuvent provoquer des atteintes somatiques dont le niveau de gravité et de réversibilité est différent : le processus par régression et le processus par déliaison pulsionnelle.

C’est dans le cadre d’un processus régressif et au niveau de ce que P. Marty appelle l’irrégularité du fonctionnement mental qu’interviennent les formes bénignes de somatisation (crises d’asthme, crises céphalalgiques ou rachi-algiques, crises ulcéreuses, cholitiques ou crises hypertensives).

Le processus par déliaison pulsionnelle aboutit habituellement à des maladies évolutives et graves pouvant conduire à la mort. Ainsi en est-il en particulier des maladies auto-immunes et des maladies cancéreuses. Ce processus se développe en général soit chez des sujets présentant une organisation non névrotique du Moi, soit chez des sujets ayant subi des traumatismes psychiques qui ont réactivé des blessures narcissiques profondes et précoces. Dans tous les cas, la dimension de perte narcissique est présente et fait le lit d’un trouble de la mentalisation momentané ou durable. Sur le plan psychique, on observe un certain nombre de symptômes regroupés sous le nom de vie opératoire : une certaine qualité de dépression, la dépression essentielle, et une certaine qualité de pensée, la pensée opératoire. La dépression essentielle (Marty en 1966) est une modalité dépressive caractérisée par l’absence d’expression symptomatique. Elle se définit par un abaissement général du tonus de vie sans contrepartie économique. On ne retrouve en effet dans le vécu dépressif essentiel ni sentiment de culpabilité ni auto-accusation mélancolique. La dépression essentielle se révèle ainsi par sa négativité symptomatique.

La pensée opératoire est un mode de pensée actuelle, factuelle et sans lien avec une activité fantasmatique ou de symbolisation. Elle accompagne les faits plus qu’elle ne les représente. Il s’agit en réalité d’une non-pensée dans la mesure où elle a perdu ses liens avec sa source pulsionnelle.

La vie opératoire peut s’installer dans la chronicité ou prendre la forme d’un état critique, momentané et réversible. Elle représente habituellement une modalité fragile et instable d’équilibre psychosomatique. Dans les formes prononcées de vie opératoire on observe souvent une dégradation de la qualité du Surmoi et sa substitution par un puissant système idéalisant, que P. Marty qualifiait de Moi idéal. Le Moi idéal, de toute puissance narcissique, est un trait de comportement défini par sa démesure. Il repose sur des exigences inépuisables du sujet vis-à-vis de lui-même comme vis-à-vis des autres. L’intérêt majeur du repérage d’un Moi idéal chez un patient réside dans l’absence de capacités régressives et de passivité psychique qu’il implique et qui constitue un risque d’effondrement tant psychique que somatique.

Pour Pierre Marty, la symptomatologie, de quelque nature qu’elle soit, mentale et/ou somatique ne peut prendre véritablement de sens que rapportée à l’économie générale du sujet qui en est atteint.

À partir de L’Investigation psychosomatique et au sein de l’École de Paris, différentes sensibilités théoriques vont se développer. P. Marty élabore une doctrine évolutionniste de l’économie psychosomatique. Celle-ci repose sur la coexistence et l’alternance de deux types de mouvements individuels. Les premiers, dits de vie, sont des mouvements d’organisation hiérarchisée. Les seconds, dits de mort, sont des mouvements de désorganisation. L’évolution individuelle aboutit ainsi, pour chaque individu, à l’édification de systèmes de fixation-régression plus ou moins résistants au courant de désorganisation. D’une manière générale, les somatisations résultent de façon plus ou moins durable de l’échec de ces systèmes de défense.

Pour aller plus loin :

Marty P. (1976). Les mouvements individuels de vie et de mort. Essai d’économie psychosomatique, Tome I. Paris : Payot.

Marty P. (1980). L’Ordre psychosomatique, Paris : Payot.

Smadja C. (1998). Le fonctionnement opératoire dans la pratique psychosomatique. C.P.L.F.P.R., Revue française de psychosomatique, n° 5, Paris : P.U.F.

Neyrou F. et Szwec G. et al.  (2017). La psychosomatique. Paris : P.U.F.

D. Anzieu introduit son livre par quelques principes généraux:

Didier Anzieu va apporter sa propre contribution aux relations psyché-soma avec son concept de Moi-peau (1974) et ses extensions, les enveloppes psychiques. Il va proposer un parallèle entre le Moi comme enveloppe psychique contenant les instances et leur servant de limite avec le monde extérieur et la peau comme enveloppe corporelle servant, elle, de contenant au corps et servant également de limite entre l’intérieur et l’extérieur.

Pour D. Anzieu, il existe une dépendance entre la vie affective et le Thalamus. La peau est un système de protection de notre individualité et un instrument d’échange avec autrui. Le fonctionnement psychique a un double étayage sur le corps biologique et le corps social. Sa théorie se propose de compléter : la perspective topique de l’appareil psychique par une perspective plus topographique en rapport avec l’organisation spatiale du Moi corporel et du Moi psychique ; l’étude des fantasmes relatifs aux contenus psychiques par celle concernant les contenants psychiques ; la compréhension du stade oral (activité de succion) par la prise en considération du contact corps à corps avec le bébé (sein-bouche ⇒ sein-peau.), aspect déjà développé par Winnicott ;  l’interdit œdipien par un interdit du toucher ; le setting analytique par la prise en considération de la disposition du corps du patient et de sa représentation de l’espace analytique.

Par sa structure et par ses fonctions, la peau est plus qu’un organe, mais un ensemble d’organes (toucher, pression, chaleur, douleur, etc..). De tous les organes des sens c’est le plus vital. Mais la peau n’est pas qu’un organe des sens, elle remplit d’autres rôles, elle respire et perspire, elle sécrète et élimine, elle entretient le tonus, elle stimule ma respiration, la circulation, la digestion, l’excrétion et bien sûr la reproduction. Elle participe à la fonction métabolique. Elle maintient le corps dans son individualité, elle maintient le contenu du corps autour du squelette et assure sa verticalité. Elle le protège des agressions extérieures. La peau présente les caractéristiques extérieures variables selon l’âge, le sexe, l’ethnie, l’histoire personnelle. Elles facilitent ou brouillent l’identification de la personne. La peau est perméable et imperméable, elle empêche certaines substances de passer, mais le permet à d’autres, et ce dans les deux sens. Par l’ensemble de ses fonctions, elle sert d’étayage à des fonctions psychiques dont certaines peuvent être appréhendées par le langage ordinaire : caresser quelqu’un dans le sens du poil, avoir la main heureuse = fonction du plaisir tactile ;  tu me fais suer = fonction d’élimination ; c’est une peau de vache, se faire crever la peau = fonction défensive/agressive ; toucher la réalité du doigt = fonction d’épreuve de réalité ; entrer en contact, mon petit doigt me l’a dit = fonction de communication.

C’est ainsi que la peau fournit un noyau fantasmatique à des patients ayant souffert de privations précoces, que la bouche sert, pour le tout petit, autant à toucher les objets qu’à les absorber, ou que le Soi ne coïncide pas nécessairement avec l’appareil psychique (chez de nombreux patients, des parties de leur corps leur sont étrangères).

Didier Anzieu s’appuie sur le mythe de Marsyas pour montrer la valeur symbolique de la peau dans la culture, et ce depuis très longtemps. Il attribue 8 fonctions au Moi-peau :

La fonction de maintenance : de même que la peau remplit une fonction de soutènement du squelette et des muscles, de même le Moi-peau remplit une fonction de maintenance du psychisme. La fonction biologique est exercée par ce que Winnicott a appelé le « Holding ». L’appui externe sur le corps maternel conduit le bébé à acquérir l’appui interne sur sa colonne vertébrale. C’est en s’adossant à cet axe que le Moi peut mettre en œuvre les mécanismes de défense les plus archaïques, comme le clivage et l’identification projective.

La fonction de contenance : cette fonction est exercée principalement par le « handling » maternel.

Le Moi-peau comme représentation psychique émerge des jeux entre le corps de la mère et celui de l’enfant. De même que la peau enveloppe tout le corps, le Moi-peau vise à envelopper tout l’appareil psychique. Le Moi-peau joue le rôle d’écorce alors que le Ça pulsionnel serait le noyau. Le Moi-peau est contenant que s’il a des pulsions à contenir. A la carence de cette fonction répondent deux angoisses : l’angoisse d’une excitation pulsionnelle diffuse, permanente, éparse, non apaisable ; et l’angoisse d’un intérieur qui se vide, c’est un Moi-peau passoire.

La fonction de pare-excitation : la couche superficielle de l’épiderme protège la couche sensible de celui-ci. Les troubles de cette fonction génèrent des angoisses paranoïdes d’intrusion psychique avec « On me vole mes pensées » (persécution) et « on me donne des pensées » (machines à influencer »)

Il peut générer aussi une angoisse de perte d’objet. Une seconde peau peut alors être recherchée, c’est la cuirasse caractérielle (Reich).

La fonction d’individuation : par son grain, sa texture, son odeur, la peau humaine présente des différences individuelles considérables. Elles permettent de se distinguer des autres et d’avoir le sentiment de Soi, être unique. Le défaut de cette fonction entraîne l’angoisse d’inquiétante étrangeté.

La fonction d’intersensorialité : la peau est une surface porteuse de poches, de cavités où sont logés les organes des sens autres que ceux du toucher. La carence de cette fonction entraîne l’angoisse de morcellement du corps et plus précisément celle de démantèlement.

La fonction de soutien de l’excitation sexuelle : la peau du bébé fait l’objet d’un investissement libidinal de la mère. Les soins de la peau préparent l’auto-érotisme et situent les plaisirs de peau comme toile de fond des plaisirs sexuels. Faute d’une décharge satisfaisante, cette enveloppe d’excitation érogène peut se transformer en enveloppe d’angoisse. Si le soutien de l’excitation sexuelle n’est pas assuré, l’individu adulte ne se sent pas en sécurité suffisante pour s’engager dans une relation sexuelle complète. Si les excroissances et les orifices sexuels sont le lieu d’expériences algogènes plutôt qu’érogènes, la figuration d’un Moi-peau troué se trouve renforcée.

La fonction de recharge libidinale : à la peau comme surface de stimulation sensori-motrice par les excitations externes répond la fonction de recharge libidinale du fonctionnement psychique, de maintien de la tension énergétique interne. Les défauts de cette fonction entraînent deux types d’angoisse antagonistes : l’angoisse de l’explosion de l’appareil psychique sous l’effet de la surcharge (crise d’épilepsie) ; l’angoisse du Nirvana, devant ce qui serait l’accomplissement du désir d’une réduction de la tension à zéro.

La fonction d’inscription : La peau grâce à tous ses capteurs fournit des informations directes sur le monde extérieur. Cette fonction est renforcée par l’environnement maternel. Cette fonction du Moi-peau se développe sur un double appui, biologique et social. Une première forme d’angoisse relative à cette fonction est d’être marquée à la surface du corps par des inscriptions infamantes et indélébiles provenant du Surmoi (rougeurs, eczéma), comme la blessure symbolique de Bettelheim (1954), ou la machine infernale de « Dans la colonie pénitentiaire » de Kafka.

Anzieu développe quelques autres fonctions de la peau qui pourraient correspondre à celle du Moi : la fonction de stockage (à rapprocher de la fonction mnésique) ; la fonction de production (des poils, des ongles à rapprocher à celle de production des mécanismes de défense du Moi) ; la fonction d’émission (production de sueurs, de phéromones qu’il faut rapprocher de la projection comme mécanismes de défense).

Anzieu envisage d’autres enveloppes psychiques, elles aussi nécessaires à la construction psychique : l’enveloppe sonore, ‘enveloppe thermique, l’enveloppe olfactive, l’enveloppe gustative, l’enveloppe musculaire comme seconde peau, l’enveloppe de souffrance, l’enveloppe ou pellicule du rêve.

 

Le corps comme exigence de travail pour la pensée, l’apport de Christophe Dejours.

Plusieurs concepts ou idées sont centraux dans ses travaux : le concept d’image du corps (forme spatiale qui renvoie au corps vécu et fonction signifiante ou symbolisante qui renvoie au corps érogène) ; celui du Moi-Peau et d’attachement ; l’idée de la place essentielle du corps comme passage obligé dans la formation de l’inconscient ; l' »incarnation » de l’inconscient.

Pour C. Dejours, « L’élaboration est généralement considérée comme un processus relevant exclusivement de la pensée et du cerveau. Mais le cerveau n’est pas tout le corps dans le sens où on l’entend dans ‘expérience du corps’. Le corps tout entier, comme entité infrangible, est au centre du processus d’élaboration. »

Pour aborder le corps érogène, il faut que le corps biologique soit en bon état. A l’inverse lorsque le corps biologique va mal, les représentations pulsionnelles se fixent dans la brèche somatique, c’est ce que Dejours appelle la capture de l’intentionnalité par la maladie somatique.

La poussée de la maladie anéantit le travail d’élaboration. Imaginons une personne partant à la pharmacie pour acheter des patchs, car elle a décidé d’arrêter de fumer. En cours de route, elle se fait une entorse de la cheville. Elle en déduit « ce n’est pas le moment d’arrêter ». La douleur corporelle (faille somatique) a modifié sa capacité d’élaboration qui allait dans le sens de la satisfaction des pulsions d’autoconservation (du Moi) dans la décision d’arrêter de fumer, pour être récupérée par la pulsion orale de satisfaction (continuer de fumer) et satisfaire du même coup ses pulsions de mort (le tabac tue).

Pour Dejours, seule la pensée mobilisée par le corps est véritablement dotée d’un pouvoir mutatif car elle serait alors le prolongement, grâce à l’analyse, de la « subversion libidinale du corps biologique ». Le symptôme, une fois installé, diminue, voire anéanti, tout processus de pensée et donc ne permet plus au patient de mettre en œuvre ses capacités d’élaboration, c’est-à-dire de transformer sa pensée en parole. Le symptôme empêche le travail de l’élaboration des sensations éprouvées dans le corps érogène et augmente la perception du corps biologique.

La relation à l’autre mobilise le corps érotique et le met à l’épreuve. Le sens de tous les mouvements du corps en relation à l’autre est donné par le corps érogène. Là où le corps est impotent, le sujet n’éprouve rien et à l’inverse, le déprimé n’éprouve plus le désir de jouir de son corps. La sollicitation de la zone exclue de la libido, symptomatique, génère de l’angoisse, mais pas de la pensée.

D’aucuns essaient d’échapper à cette angoisse en empruntant une pensée qui n’est pas la leur. C’est ce que C. Dejours appelle la pensée d’emprunt : « Là où la chair et l’affectivité sont absentes, la pensée est inauthentique et elle donne cliniquement, cette tonalité de pensée as if et de personnalité faux self ».

Pour aller plus loin :

Rosine Debray, Christophe Desjours, Pierre Fedida (2002) Psychopathologie de l’expérience du corps. Paris :  Dunod.

 

École Psychosomatique de la Pitié-Salpêtrière

La Psychosomatique Intégrative de Jean-Benjamin Stora : « L’hypothèse psychosomatique que j’avance depuis 1999, propose d’établir, à la lumière des progrès des différentes disciplines, les relations entre les fonctions somatiques, le système nerveux central et l’appareil psychique ; je ne parle plus de corps ou de psyché. L’appareil psychique, développé par S. Freud fait partie intégrante de l’unité psychosomatique. Il s’agit alors de comprendre la participation de cet appareil au fonctionnement global. Nous sommes dans un au-delà de la psychogenèse et de l’organogenèse. Nous appréhendons l’organisme comme un système de systèmes dont nous devons comprendre les interactions et les dysfonctionnements. »

L’approche intégrative en psychosomatique : Le modèle psychosomatique proposé est un modèle plurifactoriel à l’interface de la psychanalyse, de la médecine et des neurosciences faisant référence à : des facteurs non spécifiques perturbant l’homéostasie de l’individu (traumatismes, etc.) ; une structuration spécifique de l’appareil psychique au terme du processus de maturation psychosexuelle déterminant sa capacité de résistance et les zones de fragilité ; des interrelations établies par ce processus au niveau du SNC (Système Nerveux Central), du SNA (Système Nerveux Autonome), du Système Immunitaire, et du Système génétique ou Génome.

Pour Stora l’appareil psychique participe à des degrés plus ou moins importants à l’étiologie des maladies somatiques. Le fonctionnement psychique est à évaluer dans le cadre de l’unité psychosomatique individuelle aux côtés des dimensions somatiques et neuronales, dans le cadre d’un environnement familial, social, économique et culturel ; il s’agit d’une approche multidimensionnelle.

Pour aller plus loin :

Stora J.B. (2013). Nouvelle approche de la Psychosomatique, 9 cas cliniques, MJW-F éditions.