Dérives actuelles en matière de soin pédopsychiatrique

Analyse critique et humoristique des dérives actuelles en matière de politique de soin pédopsychiatrique

Pour citer cet article :

« Ethno-historiographie de l’ARS en Nouvelle-Aquitaine » publié le 9 mars 2020 sur le site de politis.fr (https://www.politis.fr/blogs/2020/03/ethno-historiographie-de-lars-en-nouvelle-aquitaine-34407/)

Dans cet article sont dénoncées les réformes managériales brutales imposées aux institutions pédopsychiatriques, en analysant notamment un cahier des charges de l’ARS Nouvelle Aquitaine publié à l’automne 2019 et imposant une transformation radicale du fonctionnement et de la mission des Centres Médico-Psycho-Pédagogiques.

Notre équipe de recherches archéologiques a récemment exhumé un document exceptionnel, qui va assurément nous permettre de mieux cerner le fonctionnement mystico-religieux de la civilisation dite de « l’ARS Nouvelle-Aquitaine », dans sa « période de gouvernance managériale neuro-technocratique ».

Ce parchemin s’intitule « Evolution de l’offre des CMPP en Nouvelle-Aquitaine – Cahier des charges régionales – novembre 2019 », et parait d’une richesse insondable concernant la compréhension des ressorts idéologiques de cette mystérieuse organisation sociale et institutionnelle. En effet, les éléments de langage, les conceptions magiques et rudimentaires concernant l’enfance et le soin, l’archaïsme et la pauvreté des processus réflexifs, l’élimination systématiques des dimensions signifiantes, narratives, affectives relationnelles ou sociologiques, ainsi que les modalités administrativo-autoritaires déployées paraissent tout à fait en phase avec le mouvement politico-historique dit « en marche » et les évolutions du néo-libéralisme imprégné de neurosciences du début du XXIème siècle. Par ailleurs, ce document donne un aperçu saisissant du « culte neurodéveloppemental » et de la divination du Cerveau et des Gènes, ces fameuses entités déifiées censées expliquer intégralement le déroulement de l’existence humaine, indépendamment des conditions socio-historiques concrètes. Il faut d’ailleurs préciser que, d’après nos exégètes, ces deux entités – Cerveau et Gène – sont comprises non pas dans la réalité scientifique de leur fonctionnement au vue des connaissances de l’époque, mais comme des abstractions ressemblant davantage à un programme computationnel algorithmique fonctionnant de manière autonome, sans aucune connexion avec l’environnement au sens large…

Dans cette période de scientisme débridé et jupitérien, un mystérieux signifiant revient de façon récurrente, tel un leitmotiv obsessionnel quasi-fétichisé : celui-ci « d’Inclusion ». Nos lettrés les plus pointus concernant l’historiographie de cette période sont encore en peine pour définir cette notion équivoque, certains évoquant même l’idée d’un « concept mou, fourre-tout et pétri de bonnes intentions, systématiquement mis à contribution pour mieux faire passer la pilule amère d’une transformation radicale du lien social sur le mode d’un ultralibéralisme sauvage, d’une privatisation outrancière de toutes les institutions collectives, et d’une mise en concurrence systématique de tout un chacun sur un marché dérégulé, au détriment des plus fragiles »…Tout un programme.

Venons-en maintenant à l’analyse sémiologique de ce fameux texte. Celui-ci se présente donc comme un « cahier des charges », devant imposer une réforme rapide et brutale d’institutions soignantes destinées à accompagner des enfants en situation de souffrance. Jusque-là, comme le prouve l’analyse des textes et des pratiques, le « mal-être » infantile avait une conception très extensive, allant des difficultés scolaires, relationnelles, familiales, aux troubles émotionnels en rapport avec des événements de vie douloureux, en passant par des configurations psychopathologiques plus circonscrites. Rappelons que la spécificité de l’enfance, et notamment des besoins spécifiques inhérents à cette période existentielle, était une découverte plutôt récente des scientifiques occidentaux – même si les personnes en charge des enfants se sont toujours transmis, de manière informelle, ces savoirs non académiques…En tout cas, jusqu’à cette période dont notre texte se fait le révélateur, l’enfant n’était pas considéré comme ayant un développement autonome, indépendamment de son milieu relationnel et affectif ainsi que de son environnement social élargi. Et c’est bien à ce niveau qu’un changement radical de paradigme semble s’opérer. En effet, le postulat des auteurs de ce document revient à considérer qu’un programme de neurodéveloppement se déploie de manière mécanique chez l’enfant, et que des achoppements du « logiciel développemental » sont susceptibles de venir entraver ce processus. Dans ces cas, il convient alors de réinitialiser le programme par une intervention rééducative. Cet axiome fort imprègne toute la pensée mythologique des concepteurs du cahier des charges, avec des fétiches érigés en totem : les Gènes et le Cerveau. L’enfant ne serait donc que la résultante d’une sorte de destinée neuro-génétique. C’est une anthropologie tout à fait inédite qui s’affirme de la sorte, avec une vision très mécaniste de l’ontogénèse ayant évidemment des répercussions sur le plan des pratiques politiques et institutionnelles, comme la suite de notre document va le souligner.

Déjà, le texte souligne que les « accompagnements » destinés aux enfants considérés comme ayant des ratés dans leur programme neurodéveloppemental devraient avoir une « visée inclusive » et un objectif de « participation sociale ». Cette société pensait donc que la socialisation n’était que secondaire, et qu’elle devait être étayée après-coup en fonction des particularités neuronales de chacun ! On peut légitiment s’interroger sur la façon dont ce peuple primitif se représentait les interactions primaires avec un nouveau-né ainsi que le monde relationnel et affectif des premières années de vie. Visiblement, cette dimension précocement sociale et émotionnelle de l’existence constituait une forme de tabou ou d’impensé dans l’esprit du clergé de l’ARS Nouvelle-Aquitaine. Cette étrange institution religieuse semblait d’ailleurs vouloir éradiquer toute forme de prise en compte de cette socialisation affective précoce ou de la singularité de liens incarnées, en faveur d’une « approche populationnelle » et de la « technicité des interventions ».

Sur un mode autoritaire, ces technocrates fondamentalistes se donnaient donc comme objectif de « faire évoluer le positionnement des CMPP, de prioriser leurs missions et d’accompagner une évolution forte de leurs activités ». On voit bien le pouvoir inquisiteur de cette instance administrativo-cléricale, qui se faisait sans doute le bras armé de transformations politiques plus profondes. A cet égard, une sorte de dogme religieux, voire de commandement d’essence divine, est régulièrement cité comme justification des nécessaires « dynamiques de repositionnement » : il s’agit des « Recommandations de Bonne Pratique ». Nos érudits pensent actuellement qu’il s’agit là d’un texte religieux révélé, transmettant des préceptes divins sous la forme de sourates et de prescriptions sacralisées. Ces fanatiques revendiquaient en tout cas leur volonté de réformer les pratiques professionnelles en les adaptant « à l’apport des neurosciences dans le champ du neurodéveloppement ». Il s’agissait donc de rendre compatible les interventions auprès des enfants avec le dogme de la destinée neuro-génétique, de purifier les soins en les dépouillant de toutes les souillures du mal : lien, affects, histoire, singularité, complexité, etc.

Nos chercheurs ont néanmoins approfondi la question de la production de ses fameuses « Recommandations de Bonne Pratique » émanant de la Haute Autorité de Santé, instance inquisitoriale supérieure. Derrière l’esbroufe d’une vérité céleste, intemporelle et incontestable, il semblerait que ces normes étaient en réalité produites par des « experts » sans aucune neutralité idéologique, et captifs de conflits d’intérêts manifestes. Comme souvent, ce qui arrange les puissants se voit transformé en principe intangible émanant d’une autorité divine, de façon à faire disparaitre leurs conditions de production et leurs finalités…

Pourtant, à cette même époque, la HAS avait déjà été épinglée à plusieurs reprises, pour certaines décisions controversées (par exemple, la sous-traitance aux firmes pharmaceutiques de la diffusion des recommandations scientifiques aux médecins…), pour l’incohérence voire la malfaçon dans l’élaboration des guides de pratique clinique, pour son dévoiement au service du ministère de la santé dans le but de justifier les choix de maîtrise économiques des dépenses de santé, pour certains arrangements entre membres de la commission de la transparence de la HAS et des représentants de plusieurs laboratoires pharmaceutiques afin d’obtenir plus facilement une autorisation de mise sur le marché ou un meilleur taux de remboursement… Certaines recommandations ont tout simplement dû être retirées, du fait de conflits d’intérêts dissimulés…

Voilà par exemple un extrait de document datant de sept 2018 et rédigé par le Formindep (« Association pour une formation et une information médicale indépendante ») : « La HAS a fait le choix d’endosser les recommandations produites par des sociétés savantes le plus souvent financées par les firmes pharmaceutiques concernées, rédigées par des médecins leaders d’opinion qu’elles rémunèrent, et parfois élaborées sans même méthodologie décrite ni gradation des niveaux de preuves. La qualité scientifique des recommandations qui en résulte n’est pas assurée. Nombre de recommandations reposent en grande partie sur le seul avis d’experts ; ce faible niveau de preuves est d’autant plus préoccupant lorsqu’il se cumule avec une absence de transparence et d’indépendance ».

Dans ces conditions, on aurait pu penser qu’un minimum de prudence n’aurait pas été abusif, en prenant notamment en compte l’expérience des praticiens engagés sur le terrain, et pas seulement des stratégies idéologiques, édictées par des instances n’ayant aucune connaissance concrète des pratiques cliniques et thérapeutiques…

Voici cependant ce que préconisaient les hauts dignitaires de l’ARS Nouvelle-Aquitaine : un « repositionnement en plateforme de services délivrant des prestations directes auprès des enfants avec des troubles légers ne donnant pas lieu à une compensation individuelle des conséquences d’un handicap ». Nous avons mobilisé nos meilleurs traducteurs et sémioticiens pour essayer de comprendre ce jargon théologique imprégné de néologismes kabbalistiques. Voici ce que nous pensons pouvoir en extraire : les institutions soignantes étaient sommées de se transformer en plateformes, c’est-à-dire de devenir des dispositifs étendus et flottants, suspendus en hauteur par rapport au terrain environnant, – ce que certains de nos anthropologues proposent de nommer un marché privé et lucratif, hors-sol, intervenant après repérage de « troubles » par des services publics sous le joug d’objectifs de rentabilisation. Ainsi, les institutions financées par la solidarité collective se trouvaient sommées d’ouvrir des filières pour des prestataires privés, notamment en ce qui concerne les « troubles légers ne donnant pas lieu à une compensation individuelle des conséquences d’un handicap ». Là, franchement, on ne voit pas de quoi ils voulaient parler. Enfin, visiblement, soit l’enfant était considéré comme ayant un trouble neurodéveloppemental handicapant et il pouvait bénéficier de prestations prises en charge, soit ce n’était pas considéré comme sérieux, et cela relevait d’un suivi en libéral à la charge des familles…Quant aux 32% des enfants pris en charge par l’ASE et présentant des troubles psychiatriques ne rentrant pas forcément et exclusivement dans la sphère neurodéveloppementale, mieux valait ne pas y penser….Ainsi qu’à toutes les situations à la croisée de l’éducatif, du social, et du médical…

Ainsi, les interventions inclusives des établissements médico-sociaux ne devaient plus concernés que les enfants présentant un handicap neuro-développemental : en effet, « l’évolution de l’offre » était dorénavant réservée aux « enfants dont les troubles sont plus sévères et persistants », tous les autres étant vraisemblablement contraints de se débrouiller seuls, soit avec leurs propres deniers pour les plus aisés, soit en laissant leur mal-être s’aggraver jusqu’à pouvoir enfin être reconnu comme « trouble neurodéveloppemental handicapant et ouvrant droit à prestations ».

De tout manière, ce que les tutelles voulaient imposer n’était pas une prise en charge soignante de qualité, intégrative, pluridisciplinaire, multidimensionnelle et pérenne, mais des « interventions en milieu scolaire en garantissant la technicité des interventions en conformité aux recommandations de bonne pratique » ; c’est-à-dire du rééducatif pur et quelques vagues aménagements pédagogiques tirant leur légitimité miraculeuse d’un vernis mystique de Neurosciences. Car, comme le rappelaient certaines voix dissidentes, « les jeunes, passés par la nouvelle éducation, doivent se rapporter à eux-mêmes avant tout comme des cerveaux qui obéissent à des lois « naturelles » de fonctionnement et plus généralement doivent apprendre à se conduire en fonction des circuits neuronaux dont ils sont les « contenants corporels » » (Christian Laval, Michel Blais)

Évidemment, « ce repositionnement « ressource » devait être « conditionné aux évolutions attendues en termes de qualité des prestations délivrées » – avec comme sous-entendu le mépris et le dénigrement des interventions thérapeutiques antérieures, pourtant portées par les praticiens engagés dans des conditions extrêmement pénibles…En définitive, il semblerait que la chapelle de l’ARS Nouvelle Aquitaine ait définitivement banni la notion de soin de ses ordonnances, au détriment d’un « appui médico-social en milieu scolaire ». Les historiens de cette époque d’obscurantisme rappellent à ce propos que l’institution scolaire avait été systématiquement dépouillée de tous ses moyens au préalable, avec destruction des réseaux spécialisés (RASED), sacrifice de la médecine scolaire, recours de plus en plus fréquents à des vacataires, dévalorisation du travail et de l’engagement des enseignants, etc. Outre la mise à mal systématique des interventions pédagogiques, les technocrates éclairés prônaient donc une désociologisation et une dépolitisation de la question de l’échec scolaire et des troubles des apprentissages, pour en faire une problématique neurologique nécessitant une médicalisation, à l’intérieur de l’école…Etrange idéologie réactionnaire, reniant les données scientifiques les plus élémentaires tout en prônant une rupture épistémique révolutionnaire.

Enfin, faute de véritables argumentations autres que certaines injonctions fondées sur les Preuves divines de l’IRM et des statistiques, l’ARS Nouvelle Aquitaine adoptait une posture autoritaire tout à fait inédite alors même que les instances politiques vantaient au même moment un modèle de démocratie sanitaire : « Le statu quo n’est pas une option. Le respect des bonnes pratiques est la condition première de poursuite de leur activité ». Soit vous vous convertissez, soit vous disparaissez…

Pourtant, d’après nos recherches, les pédopsychiatres intervenant sur ces structures avaient bénéficié d’une formation approfondie leur permettant de mener une véritable évaluation clinique de la situation singulière d’un enfant, amenant à proposer un projet thérapeutique ajusté et cohérent– en dépit d’une abominable pénurie de moyens attestée par de nombreuses sources historiographiques, et reconnus par les instances politiques…De surcroit, ces praticiens étaient soumis à la référence du code de déontologie médicale, texte qui, par sa pertinence éthique, a pu perdurer à travers les âges et les civilisations, et qui soulignait la nécessaire indépendance et la responsabilité individuelle du médecin par rapport à son évaluation diagnostique et à ses prescriptions…

ARTICLE 95 (article r.4127-95 du CSP) Le fait pour un médecin d’être lié dans son exercice professionnel par un contrat ou un statut à un autre médecin, une administration, une collectivité ou tout autre organisme public ou privé, n’enlève rien à ses devoirs professionnels et en particulier à ses obligations concernant le secret professionnel et l’indépendance de ses décisions. En aucune circonstance, le médecin ne peut accepter de limitation à son indépendance dans son exercice médical de la part du médecin, de l’entreprise ou de l’organisme qui l’emploie. Il doit toujours agir, en priorité, dans l’intérêt de la santé publique et dans l’intérêt des personnes et de leur sécurité au sein des entreprises ou des collectivités où il exerce.

Le « cahier des charges » de l’ARS Nouvelle Aquitaine est également exemplaire d’une orientation démagogique / clientéliste / électoraliste à destination des familles. En effet, il convenait désormais de systématiquement prendre en compte « l’expertise parentale » et la « légitimité des parents-acteurs », tout en déniant toute implication potentielle des enjeux relationnels, familiaux et éducatifs dans l’expression des difficultés spécifiques d’un enfant. Car, pour l’ARS Nouvelle Aquitaine, considérer que les parents puissent être « susceptibles de jouer un rôle dans les troubles présentés par leur enfant » ne pouvaient être qu’une hérésie émanant de sordides théories (« approches psychodynamiques ») n’ayant comme objectif que de culpabiliser les parents et de les « disqualifier pour participer activement aux soins ». Pour nos communicants porteurs de la bonne parole, l’enjeu était avant tout de « sécuriser et d’apaiser les familles », de reconnaitre leur « expertise d’usage », de valoriser les « savoir-faire parentaux », et non pas de proposer des soins de qualité, prenant en compte les enjeux de réalité. La complexité des mouvements psychiques et développementaux se devaient donc d’être réduite à des schémas simplistes – les Gènes et le Cerveau, appréhendés comme des entités au fonctionnement automatisée, indépendant de l’environnement-, afin de mettre à disposition une « information simple et transparente » qui ne soit pas susceptible d’induire le moindre « désarroi face aux procédures imposées » – car, bien entendu, les hauts dignitaires insinuaient ainsi l’idée que, jusque-là, les parents n’étaient pas associés au projet thérapeutique, et que les soins mis en place pour leur enfant étaient préalablement tant obscurs que contraints…Enfin, les famille pouvaient désormais être rassurées, car il n’y aurait plus de prescriptions aussi maltraitantes qu’une psychothérapie ou toute autre ineptie abordant le vécu affectif et considérant la subjectivité de l’enfant, mais un « recentrage sur l’inclusion scolaire ». En lieu et place du soin, il faudrait dorénavant « aller au plus près et dans les écoles pour y organiser les prises en charge des élèves et pour appuyer au quotidien les enseignants ». En effet, pourquoi financer de nombreuses institutions quand il suffit d’en avoir une seule, qui ferait tout et qui, cerise sur le gâteau, caresserait également les usagers dans le sens du poil ?

Par ailleurs, on peut légitiment s’interroger quant à cette insistance concernant « l’expertise parentale ». S’agissait-il effectivement de considérer que les familles étaient les plus à même de poser les indications, d’organiser les prises en charge et le suivi, voire même d’expliquer aux soignants ce que ceux-ci étaient censés mettre en œuvre pour leur enfant ? Imaginez un patient qui enseignerait au chirurgien le geste qu’il doit effectuer…En arrière-plan, n’y avait-il pas la perspective de démanteler les institutions de soin, afin d’attribuer aux parents le rôle exclusif d’évaluation et de prescription, dans un souci de réductions massives de moyens ? De fait, suite au diagnostic d’un trouble neurodéveloppemental, il s’agissait sans doute de prévoir exclusivement un financement minimal à destination des familles, celles-ci étant alors responsables de solliciter tel ou tel prestataire privé pour assurer un forfait rééducatif ponctuel…Au fond, en flattant ainsi l’orgueil parental, le clergé de l’ARS avait surtout pour ambition de laisser certaines familles livrées à elles-mêmes, et d’abandonner les plus fragiles – après tout, c’était désormais de leur responsabilité de mettre en place les meilleures stratégies pour optimiser la trajectoire neuro-développementale de leur rejeton. A l’évidence, dans un tel dispositif, seules les familles dotées de capital économique et symbolique et ayant les meilleurs réseaux, exerçant le meilleur lobbying, allaient pouvoir tirer leur épingle du jeu. Tant pis pour les plus vulnérables, comme toujours….

Voici par ailleurs ce qu’assénait le Cahier des Charges de l’ARS Nouvelle Aquitaine « toute procédure d’information préoccupante devra être pesée à l’aune de l’aide réelle apportée (qualité des interventions, conformité aux recommandations) par le CMPP et ses partenaires, le respect du libre-choix des familles et l’intérêt de l’enfant en situation de handicap. A ce titre, les orientations fixées par le Secrétariat d’Etat en charge de l’enfant seront de toute utilité pour cadrer les procédures en la matière ». Du haut de leurs instances administratives, les bureaucrates de l’ARS Nouvelle Aquitaine voulaient-ils ainsi suggérer que les cliniciens avaient tendance à trop signaler les situations de maltraitance et de négligences graves, et de porter ainsi préjudices aux familles ? Y-at-il là le sous-entendu que certains praticiens avaient jusque-là la fâcheuse disposition à alerter les services sociaux dès qu’une famille ne respectait pas leur prescription, sur le mode d’une rétorsion et sans prendre en compte l’intérêt réel de l’enfant ? Faut-il comprendre qu’en matière de protection de l’enfance, il fallait avant tout se référer au cadre fixé par le secrétaire d’Etat, plutôt que de prendre en considération une situation réelle avec un risque avéré pour le devenir d’un enfant ?

Il convient tout de même de rappeler qu’à cette époque, un enfant mourrait tous les 5 jours du fait de violences familiales, et que les services de l’Aide Sociale à l’Enfance étaient littéralement submergés par des situations très préoccupantes de mineurs mis en danger par leur entourage. Par ailleurs, d’après la Haute Autorité de Santé et le Conseil National de l’Ordre des Médecins, la part de signalements de maltraitances infantiles effectués par des professionnels de santé restait trop faible : seuls 2 à 5 % de ces signalements émanaient alors du corps médical. Pourtant, cette alerte initiale était décrite comme essentielle et décisive dans la prise en charge des enfants victimes de maltraitance…Il convient également de rappeler certains articles du code de la santé publique, rappelant l’obligation des médecins en termes de protection de l’enfance : Article 43 (article R.4127-43 du code de la santé publique) : « Le médecin doit être le défenseur de l’enfant lorsqu’il estime que l’intérêt de sa santé est mal compris ou mal préservé par son entourage » ; article R. 4127-44 du CSP, « lorsqu’un médecin discerne qu’une personne auprès de laquelle il est appelé est victime de sévices ou de privations, il doit mettre en œuvre les moyens les plus adéquats pour la protéger en faisant preuve de prudence et de circonspection. Lorsqu’il s’agit d’un mineur ou d’une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son état physique ou psychique, il alerte les autorités judiciaires ou administratives, sauf circonstances particulières qu’il apprécie en conscience ».

Pour les apparatchiks de l’ARS, les objectifs étaient donc très simples :

    Améliorer le diagnostic (étrange fantasme sans cesse ressassé qu’il suffirait de catégoriser nosographiquement un trouble psychique pour y trouver des solutions instrumentales magiques – ce qui supposerait d’ailleurs que ces entités diagnostiques existent effectivement en tant que réalité indéniable et validée…)

    Déployer des prestations d’accompagnement à visée inclusive en milieu ordinaire (les voilà les solutions magiques, les fameuses prestations d’accompagnement à visée inclusive ! Et vous me ferez aussi trois pater et deux ave, en allumant un cierge. L’avantage d’une « prestation », c’est que c’est facilement tarifable, et qu’on peut proposer un devis…)

    Mettre en place des bilans et des interventions adaptées et conformes aux recommandations de bonne pratique (_tant que c’est conforme et standardisé, cela doit forcément être bon), de façon à pouvoir « _agir sur la trajectoire développementale » (il ne s’agit donc plus de prendre en compte la réalité dynamique et complexe d’une enfant, mais d’intervenir sur un processus et d’infléchir un itinéraire cérébral).

    Organiser des adaptations pédagogiques, avec des interventions « hors les murs », dans une « logique de relation fonctionnelle avec l’école » (le soin institutionnel étant forcément une entrave aliénante pour nos thuriféraires, il fallait avant tout « libérer » et inclure les enfants, en faisant du soutien à la scolarisation…On peut légitimement postuler que nos chers bureaucrates humanistes de l’ARS n’ont jamais rencontré certains enfants enfermés dans des souffrances et des symptômes extrêmement éprouvants pour eux et autrui…)

Vous penserez peut-être que tout cela, ce n’était finalement que des préceptes d’une caste d’illuminés, sans conséquences réelles sur les pratiques de terrain. Détrompez-vous ! Notre « cahier des charges » est très clair : « il n’est plus acceptable que les procédures d’évaluation et de formalisation des diagnostics s’expriment dans d’autres classifications que le CIM-OMS » ; « la totalité des bilans, évaluations et des interventions devra être réalisée avec des outils standardisés et validés » ; « il est clairement attendu une mise en conformité de 100% des pratiques professionnelles aux recommandations en vigueur et aux différentes approches et méthodes pluridisciplinaires à jour des dernières connaissances médicales ».

Voilà ce qu’il faut sans doute en comprendre : sous prétexte d’une illusion de scientificité, les cliniciens étaient désormais contraints d’utiliser des protocoles normatifs et pré-calibrés, en évacuant toute implication intersubjective, affective et historicisante pour comprendre les enjeux singuliers d’un enfant. Car, nos prophètes éclairés étaient sans doute persuadés de détenir la Vérité de la Science, et faisaient ainsi œuvre de charité en imposant à tous la bonne parole et les méthodes salvatrices. En annexes, l’ARS déclinait par exemple la liste des outils d’évaluation pour les psychomotriciens à destination des enfants de 0 à 6 ans : BL-R et BL-C, NPMOT, DF-MOT, SCHEMA CORPOREL-R, EPSA, Charlop-Atwell, MABC-2, TGMD-2, BOT-2, EMG, Profil sensoriel de Dunn, PSP-R, REY, DVTP-3, FROSTIG, NEPSY-II, TEACH, LABY 5-12, BHK. Vertigineux…Quel dommage qu’auparavant nos chers chérubins n’aient pu ainsi bénéficier de toutes ces grilles, et de tous ces scores ! En tout cas, on pouvait être rassuré ; avec un tel arsenal, on pouvait se prémunir à coup sûr du moindre ressenti affectif, de la moindre once de subjectivité, et la possibilité d’une véritable rencontre était ainsi définitivement éliminée. Ouf ! Par contre, il paraissait préférable d’évacuer les répercussions de telles évaluations itératives sur lien parent/enfant, celui-ci n’étant plus représenté qu’à travers des diagrammes et des courbes quantitatives…Comment investir un lien affectif avec son enfant, si celui-ci n’est plus appréhendé que comme un programme neuro-génétique, évalué à travers des grilles désubjectivantes, et devant être optimisé, sans histoire, sans identification, sans vécu émotionnel, et sans implication des modalités relationnelles engagée avec lui ?…Quelle matrice de subjectivation proposait-on alors aux enfants pour exprimer leur mal-être, en dehors d’une mise en conformité avec des formes expressives univoques et normatives de la souffrance ? A travers ces protocoles codifiés détectant des anomalies rendues commensurables, ne risquait-on pas de recoder les sensibilités psychologiques et sociales du soin et de la parentalité ?

Evidemment, il ne fallait pas non plus interroger la condition de production de ces « outils standardisés », leurs présupposés idéologiques très éloignés de la véritable neutralité scientifique, leur réductionnisme éliminant toute complexité, leurs accointances avec des intérêts lucratifs peu reluisants, etc. A cette époque, il était pourtant de notoriété publique que les grandes classifications nosographiques des troubles psychiques (CIM et DSM) n’étaient pas aussi neutres qu’elles le prétendaient. Au contraire, un véritable marketing était à l’œuvre dans la production de ces « outils de référence », avec la création à intervalles réguliers de « nouveaux troubles, qui mêlent le pathologique et l’existentiel » (Gérard Pommier).

Au final, les projets thérapeutiques recommandés ne devaient plus avoir que trois axes : rééducatif, neuropsychologique et médical…Par rapport à cette dimension médicale, voici par exemple ce qui était recommandé : « en cas de changement de comportement brutal ou inexpliqué, un avis médical à la recherche d’une cause somatique est recommandé ». Certes…Quant à envisager des enjeux relationnels, familiaux, émotionnels, existentiels, ou autres, cela aurait alors signifié s’extraire des Commandements Divins de la Haute Autorité de Santé ?

Selon l’ARS, les traitements médicamenteux pouvant contribuer à la prise en charge ne seraient désormais pertinents qu’en cas de douleurs, d’épilepsie, ou de comorbidité somatique…. Les méchants psychiatres allaient enfin arrêter de chercher à soulager certaines angoisses envahissantes, puisque celles-ci n’existent pas, ou alors juste dans leurs esprits malfaisants ; c’est la Science qui vous le dit…Nonobstant ces préconisations, 1,6 % des mineurs recevaient alors une prescription d’antidépresseurs, et plus de 7% étaient sous neuroleptiques… N’en étant pas à une contradiction près, nos sages de l’ARS suggéraient finalement que l’utilisation de traitements à des fins de régulation comportementale et de sédation n’était pas exclue, avec cependant un souci d’objectivité et de rationalisation : « toute prescription de psychotrope doit être précédée d’une analyse fonctionnelle des troubles du comportement ciblée à l’aide d’échelle (ABC, CARS, VABS) ». Et oui, désormais, il ne fallait plus chercher à comprendre le sens d’un acte, mais évaluer quantitativement une conduite indésirable en calculant un score, afin d’envisager une ordonnance…Mais au fait, quelles étaient les recommandations contemporaines dans le traitement de l’hyperactivité, un des troubles du neurodéveloppement étant diagnostiqué à cette époque sur un mode quasi épidémique ? Des prescriptions massives de psychostimulant… Ainsi, la Ritaline (méthylphénidate) était un des produits-phares du laboratoire Novartis (52 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2018). En France, 62 000 enfants avaient consommé cette molécule en 2016, et les prescriptions avaient tendance à exploser (multiplication par 30 depuis la mise sur le marché en 1996 !). Outre Atlantique, presque 15% des enfants recevaient un diagnostic de Trouble Hyperactivité / Déficit de l’Attention (THDA) sur certains Etats, et dans certains comptés, un quart des enfants scolarisés étaient déclarés à l’école comme hyperactifs…En 2017, plus de quatre millions d’enfants américains prenaient des psychostimulants… En 2012, Jerome Kagan, professeur à Havard, avait pourtant affirmé que le TDAH n’était pas une véritable pathologie, mais «une invention. Quatre-vingt-dix pour cent des 5,4 millions d’enfants sous Ritaline aux États-Unis n’ont pas un métabolisme anormal_ ». En 2009, le docteur Leon Eisenberg, inventeur du sigle TDAH, avait également déclaré qu’il n’aurait jamais pensé que sa découverte deviendrait aussi populaire : «Le TDAH est l’exemple même d’une maladie inventée. La prédisposition génétique au TDAH est totalement surestimée». Et pourtant, comme le rappelait le journaliste Julien Brygo, « _le lobbying aidant, environ 11% des enfants âgés de 4 à 17 ans (6,4 millions) ont été diagnostiqués TDAH à partir de 2011 aux États-Unis, selon les Centres de prévention et de contrôle des maladies américains »…

Malheureusement, l’industrie pharmaceutique n’avait pas encore « inventé » une molécule à destination des troubles Dys ou du spectre autistique…Néanmoins, des méthodes privées, lucratives, et exerçant un lobbying massif avaient avantageusement pu être mises sur le marché. Les sources d’instrumentalisation et de profits existaient bel et bien : Ouf !…

En ce qui concerne la sacro-sainte inclusion scolaire, finalité eschatologique de toute prise en charge, voici ce qui était préconisé en haut lieu :

    Mise en relation d’un réseau d’acteurs experts pour le parcours concerné

    Mise en œuvre d’un « guichet intégré d’appui médico-social » venant travailler in situ et en synergie avec l’éducation nationale

Que de jolis projets innovants ! Quant à savoir ce que cela signifiait en pratique, bien malin qui pourra l’expliquer. En tout cas, il s’agissait visiblement de mettre en lien, de créer de l’alliance, et le miracle était censé s’accomplir par l’intercession du Saint Esprit…

Afin d’enfoncer à nouveau le clou, voici ce que réitéraient nos bons sages de l’ARS : « dans le cadre de la structuration de ces dispositifs intégrés d’appui médico-social, le CMPP devra contribuer à la mise en commun des expertises territoriales dans le champ des adaptations pédagogiques pour les élèves en situation de handicap et notamment dans le champ des troubles du neurodéveloppement (DYS, TAS, hyperactivité…) ». Beaucoup de charabia pour insister à nouveau sur la disparition du soin. Mais attention, pour participer à ce super réseau d’acteurs experts synergiques et transversaux, pour être invité au fantastique guichet intégré d’appui médico-social, pour avoir la chance de proposer d’incroyables expertises territoriales dans le champ féerique des adaptations pédagogiques, il fallait d’abord montrer patte blanche, et être adoubé : « Toutefois, l’intégration du CMPP dans le dispositif d’appui médico-social ne pourra se faire que si le CMPP présente des garanties en matière de conformité des pratiques professionnelles et de fonctionnement à ce présent cahier des charges ».

Une fois converti et mis aux normes, par la reconnaissance officielle de « compétences actualisées dans le champ des troubles du neurodéveloppement », on pouvait donc espérer devenir un élu, et avoir l’insigne honneur de participer aux fameuses plateformes, lesquelles « ont vocation à assurer la mise en place et le déroulement d’un parcours d’interventions précoces et de diagnostics des enfants repérés du fait d’une trajectoire développementale ou un comportement inhabituel qui alerte les parents et/ou un professionnel ». Souffrance ? Affects ? Mal-être ? Angoisse ? Relation ? Inhibition ? …Non, trajectoire et comportement !

Mais ces conversions normatives à l’Esprit du Neurodéveloppement se faisaient sûrement avec la servitude volontaire des équipes soignantes, ou au moins avec l’aval de la direction médicale me direz-vous ? Que nenni, « le gestionnaire du CMPP, porteur de l’autorisation et du financement attribués par l’ARS, engage sa responsabilité si des actions de formation, d’appui aux équipes mais aussi de gestion des personnels ne vont pas dans le sens du respect des recommandations. En cas d’objectivation par l’autorité de tutelle et de tarification d’une telle défaillance, l’ARS se réserve la possibilité de mettre en œuvre les mesures administratives et financières prévues par la réglementation pour y mettre fin ». Voilà le message : si vous ne faites pas plier vos équipes, vous ne serez tout simplement plus financés…L’ARS Nouvelle-Aquitaine le rappelait d’ailleurs explicitement : « la direction des CMPP est double, à la fois médicale et administrative, mais le choix de l’organisation de la direction relève de l’organisme gestionnaire ». En conséquence, « il relève de la responsabilité du gestionnaire d’accompagner le changement, de prendre les décisions RH nécessaires afin de garantir cette mise en conformité », c’est-à-dire de licencier les récalcitrants ou les hérétiques…Là, on peut percevoir à quel point nos hauts dignitaires étaient perchés : menacer de « décisions RH », à un moment où toutes les institutions étaient déjà sinistrées en termes de moyens humains, cela témoigne soit d’une déconnexion inquiétante vis-à-vis de la réalité, soit d’une volonté tout à fait délibérée de mettre à sac les derniers reliquats d’une forme de pédopsychiatrie publique…Quelques petites précisions historiographiques permettront sans doute d’appréhender l’ampleur du désastre à cette période : entre 2007 et 2016, le nombre de pédopsychiatres avaient diminué de 48,2%. En 2016, le Conseil de l’Ordre avait recensé 640 praticiens spécialisés sur l’ensemble du territoire, exerçant majoritairement en secteur public, avec une densité de 4/100 000 habitants âgés de 0 à 20 ans. La France avait alors l’offre de soins pédopsychiatriques la plus faible au niveau européen, avec 14 départements ne comptant aucun pédopsychiatre…

De surcroit, nos bons dignitaires soulignaient que les CMPP ne recevaient pas suffisamment d’enfants autistes (moins de 5% de la file active voire 2% en Nouvelle-Aquitaine), et que non seulement il fallait remédier à cela (en sur-diagnostiquant ? en éliminant les autres profils psychopathologiques ?), mais qu’en plus « les locaux et mobiliers du CMPP [devaient] être adaptés aux spécificités motrices et sensorielles des personnes accompagnées et notamment en matière de TSA (hyper ou hypo réactivité aux stimuli sensoriels) » – sans moyens supplémentaires, cela va de soi, sachant que les CMPP avaient déjà du mal, à l’époque, à proposer ne serait-ce que des sanitaires décents…Pour couronner le tout, il fallait que la situation géographique soit « favorable à l’inclusion sociale et scolaire » : de fait, tout projet d’investissement allait désormais être « expertisé sur la base de la doctrine régionale ARS « ESMS au cœur de la cité » ». La doctrine avant tout, quant au réel…

En tout cas, il fallait faire vite, très vite, magiquement vite, autoritairement vite : « l’association gestionnaire du CMPP dispose au maximum de 3 mois après la publication du présent cahier des charges pour transmettre à l’ARS un plan d’actions, un projet de service, ainsi qu’un plan de formation des professionnels en vue de la mise en conformité au présent cahier des charges, assorti d’un cahier de mise en œuvre_ ». « _La mise en conformité du fonctionnement et des pratiques professionnelles au présent cahier des charges et le repositionnement de l’offre du CMPP devront être réalisés dans un délai de 9 mois après élaboration du plan d’actions ». Non, non, il ne s’agit pas de directives émanant du Politburo, ou d’un plan de transformation digne de la Révolution Culturelle Chinoise… « Au terme de cette période, l’ARS Nouvelle-Aquitaine procédera à une vérification, sur site et sur pièce, par un comité composé d’experts, de représentants d’association de familles ; comité piloté par l’ARS ». Neutralité, Objectivité, et Qualité des soins garantis : des « experts » – n’allez pas faire de mauvais esprit en demandant des précisions sur leur qualification réelle, la terminologie est auto-suffisante pour conférer une légitimité indéniable – et des représentants d’association de familles – aucun biais dans le profil des parents s’investissant dans ce genre de démarches…- encadrés par l’ARS elle-même – juge et parti ; au cas où, il faudra bien rappeler l’orthodoxie-, mais pas un seul acteur engagé dans la clinique et la réalité des pratiques soignantes sur le territoire en question ; voilà la nouvelle démocratie sanitaire version 2020….

« Nous avons tellement pris l’habitude de confier aux experts le soin de diriger notre vie que nous nous interdisons par une véritable autocensure sociale de réagir à leurs propos. Or la matière de toute expertise ne relève pas seulement du motif technique, scientifique ou professionnel qui l’occasionne, mais se révèle tout autant comme un fait de civilisation » (Roland Gori et Marie-José Del Volgo).

Et pourtant….

Détruire en 9 mois des institutions ayant émergées au décours de la seconde guerre mondiale (fondation du CMPP Claude Bernard en 1946, officialisation du cadre des CMPP par décret en 1963), avec le souci d’associées la pédagogie, la psychologie de l’enfant, la pédopsychiatrie et la prévention sociale, dans un contexte politique humaniste d’émancipation et d’égalité… Des institutions ouvertes et pluridisciplinaires qui ont été créées par souci de mettre fin à la ségrégation à l’égard de l’enfance taxée « d’anormale », et qui jouèrent un rôle pionnier dans l’intervention ambulatoire extrahospitalière à destination des enfants et des adolescents. A l’époque des coups de semonce de l’ARS Nouvelle Aquitaine, la mission des CMPP était toujours de prendre en compte la souffrance – attention, vocable interdit ! – de l’enfant et de faciliter les relations avec son environnement familial, scolaire et social, à travers des interventions tant préventives que thérapeutiques. Par ailleurs, ces perspectives supposaient à l’évidence une alliance avec les parents ainsi qu’un travail de liaison avec les partenaires extérieurs directement concernés par l’enfant (institutions et services sanitaires, de l’éducation, de la justice, du secteur social, etc.).

Au-delà du caractère tristement idéologique et autoritaire d’un tel projet, il convient d’en comprendre les enjeux plus profonds, afin de mieux comprendre les soubassements anthropologiques de cette période historique bien sombre…C’est ce que nous vous proposerons lors de notre prochain billet.

Mais il faut également lutter contre la morosité ambiante et ne pas trop assombrir le tableau. Car, sur le terrain, des îlots de résistance existaient face au rouleau compresseur du management neuro-technocratique. Dans les pratiques, dans les discours, dans le vécu des situations de peine et d’injustice. Nous en avons la preuve : des germes d’humanité persistaient envers et contre tout, et ont réussi à lutter face à l’aveuglement et à la bêtise obtuse des zélotes du « progrès » néolibéral. Nous allons vous les présenter.