Expérience de pensée

Expérience de pensée, approche philosophique

Par Margherita Arcangeli, Université de Genève

Pour citer cet article :

Arcangeli, M. (2017), « Expérience de pensée », version académique, dans M. Kristanek (dir.), l’Encyclopédie philosophique, URL: http://encyclo-philo.fr/experiences-de-pensee-a/

Résumé

Le recours aux expériences de pensée remonte au moins au début de la philosophie occidentale. Dans de nombreuses disciplines nous pouvons remarquer un usage important d’expériences de pensée. Par exemple, les discussions philosophiques sur l’identité personnelle, la connaissance ou la manière dont les mots renvoient aux choses abondent d’expériences de pensée. De même, de grandes avancées scientifiques, par exemple en physique, ont été rendues possibles par l’expérimentation de pensée. Mais qu’est-ce qu’une expérience de pensée ? Donner une réponse claire à cette question n’est pas chose aisée, mais il est courant de considérer une expérience de pensée comme un raisonnement sur un cas imaginaire dans le but d’accroître notre connaissance ou compréhension du monde. Dans cet article, nous revenons sur le vif débat qui a animé la littérature philosophique récente sur les expériences de pensée. Il se divisera en quatre sections. La première section introduira le thème et présentera quelques illustrations célèbres d’expériences de pensée. Nous nous proposons d’en détailler deux (une expérience de pensée scientifique et une expérience de pensée philosophique). Puis nous nous concentrerons sur deux des principales questions abordées dans la littérature, à savoir celle de la nature des expériences de pensée (§2) et celle de leur fonction (§3). Ces questions conduisent à aborder d’autres points importants, tels que la relation entre l’expérimentation scientifique ordinaire ou réelle et l’expérimentation de pensée, les différences entre les expériences de pensée philosophiques et scientifiques, ainsi que le rôle joué par les intuitions dans l’expérimentation de pensée. Une section finale (§4) mettra en évidence d’autres pistes à explorer dans le débat sur les expériences de pensée.

Table des matières

  1. Introduction

Au cours des trente dernières années, le vocabulaire philosophique a consolidé l’utilisation d’une nouvelle expression : « expérience de pensée ». Deux facteurs ont principalement contribué à cette stabilisation terminologique : d’une part, une production considérable d’expériences de pensée dans la littérature, essentiellement dans plusieurs domaines philosophiques – par exemple, en éthique, en épistémologie et en philosophie du langage ; d’autre part, un intérêt renouvelé pour l’expérimentation de pensée, suite à la publication en 1964 de l’article de Thomas S. Kuhn « A Function for Thought Experiments ». Cet article peut être vu comme étant à l’articulation entre deux phases du débat sur les expériences de pensées, que nous pouvons appeler respectivement classique et contemporaine. La phase contemporaine peut être séparée assez nettement de la phase classique selon deux critères : (1) une prise de conscience accrue de l’aspect problématique de l’expérimentation de pensée lié à sa fonction épistémique – Kuhn a le mérite d’avoir mis en évidence cet aspect jusqu’alors sous-estimé (voir 3.b) ; (2) l’extension de l’analyse théorique à des expériences de pensée en dehors du domaine de la science (principalement la physique), en particulier à l’expérimentation de pensée philosophique (pour une brève histoire du débat qui présente les acteurs principaux et les thèmes nodaux de chaque phase voir Arcangeli 2017).

Toutefois, l’expérimentation de pensée a une histoire bien plus ancienne. À la fin du XIXème siècle, le physicien et philosophe autrichien Ernst Mach, avec son article « Über Gedankenexperimente » (Mach 1896) popularisa le terme allemand « Gedankenexperiment » et déclencha un débat méthodologique sur les expériences de pensée, en particulier dans le domaine scientifique – notamment la physique. Cependant, la paternité du terme semble revenir au physicien danois Hans Ørsted et, peut-être, même avant lui au physicien et aphoriste allemand Georg Christoph Lichtenberg. Certains auteurs soutiennent en outre que le point de départ de l’intérêt philosophique pour l’expérimentation de pensée peut être ramené à la philosophie kantienne (voir Witt-Hansen 1976 ; Kühne 2005 ; Fehige & Stuart 2014).

Bien que le terme allemand « Gedankenexperiment » soit apparu entre le 18ème et le 19ème siècles, spécifiquement dans le domaine scientifique (surtout en physique), la pratique des expériences de pensée remonte au moins aux origines de la philosophie occidentale. Des traditions d’utilisation d’expériences de pensée se sont établies aussi bien dans les disciplines philosophiques (par exemple, l’anneau de Gygès chez Platon – République 358a-360d ; le spectre chromatique inversé chez Locke – Locke 1690/1694 II, Ch. 32, §15 ; la signification du mot « arthrite » chez Tyler Burge – Burge 1979 ; la chambre chinoise chez John Searle – Searle 1980 ; le cerveau dans la cuve chez Hilary Putnam – Putnam 1981) que dans les sciences naturelles (par exemple, Galilée sur la chute des corps – Galilei 1638 ; Kant sur la chiralité – Kant 1768/1912 ; Darwin sur l’évolution de l’œil – Darwin 1872 ; Darwin 1872 le disque de Poincaré – Poincaré 1908 ; l’ascenseur d’Einstein – Einstein & Infeld 1938).

Les expériences de pensée sont un sujet très controversé, au cœur d’un débat intense dans la philosophie contemporaine. L’absence d’une définition consensuelle de l’expérience de pensée est déjà assez éloquente. Cependant, presque tous les auteurs impliqués dans le débat s’accordent à considérer les expériences de pensée comme des outils épistémiques, qui sollicitent l’imagination dans le but de tester une théorie ou des hypothèses spécifiques.

Les questions principalement abordées dans la littérature sur les expériences de pensée sont les suivantes : dans quelle mesure l’expérimentation de pensée est-elle similaire à l’expérimentation scientifique ordinaire ou réelle, conduite dans les laboratoires ? Quelles sont les caractéristiques communes à la plupart des expériences de pensée ? Comment une expérience de pensée peut-elle produire des connaissances empiriques inédites, sans l’apport de données nouvelles ? Quel genre de connaissances produisent-elles vraiment ? Dans quelle mesure sont-elles une source fiable d’information ? Quel rôle jouent-elles dans les processus de décision rationnelle ?

Cet article se concentrera sur deux questions en particulier, à savoir : « Qu’est-ce qu’une expérience de pensée ? » (§2) et « Quelle est la fonction des expériences de pensée ? » (§3).

Avant d’entrer dans le vif du débat sur l’expérimentation de pensée, il est utile de se forger une idée relativement précise de ce qu’est une expérience de pensée en examinant quelques cas concrets. Nous nous proposons d’en détailler deux, à savoir une expérience de pensée scientifique (l’expérience de pensée de Galilée sur la chute des corps) et une expérience de pensée philosophique (l’expérience de pensée de la Terre Jumelle de Hilary Putnam), parmi les expériences de pensée les plus citées et discutées dans la littérature.

  1. Galilée sur la chute des corps

Galilée fut un fervent expérimentateur de pensée. Il utilisa les expériences de pensée dans le cadre d’une attaque vigoureuse contre la physique aristotélicienne. L’une d’entre elles est largement citée dans la littérature, à savoir l’expérience de pensée formulée à l’encontre de l’idée aristotélicienne selon la quelle la vitesse d’un corps en chute libre augmente proportionnellement à son poids. Pour reprendre les termes de Galilée lui-même dans ses « Discorsi e dimostrazioni matematiche intorno a due nuove scienze (Discours et démonstrations mathématiques concernant deux sciences nouvelles) », la supposition selon laquelle « les mobiles de gravité différente se meuvent dans le même milieu avec des vitesses différentes, et qui auront entre elles la même proportion que les gravités » (Galilei 1638, p. 62 – cette traduction comme celles qui suivent sont nôtres).

Galilée était convaincu que cette supposition était fausse et soutint qu’un boulet de canon de cent livres ou plus ne devancerait pas (ou que de très peu) une balle de mousquet d’une livre, si nous laissions tomber les deux d’une hauteur de cents « bras ». Afin d’étayer sa thèse, Galilée proposa une expérience de pensée et fit observer que l’idée aristotélicienne conduisait à une contradiction. Son expérience de pensée est la suivante.

Imaginons deux objets (par exemple, deux pierres) de poids différents et, d’après la thèse aristotélicienne, de vitesses différentes (par exemple, la pierre lourde chute avec une vitesse d’ordre 8 et la pierre légère avec une vitesse d’ordre 4). Supposons que nous attachions les deux objets l’un à l’autre et que nous les lâchions d’une certaine hauteur (du haut de la tour de Pise, par exemple). La théorie aristotélicienne du mouvement se trouve alors face à une impasse dès lors qu’il s’agit de déterminer la vitesse de l’objet composé : aurait-elle une valeur intermédiaire entre les vitesses des deux objets composants, en considérant que le plus lent retarde le plus rapide, ou bien une valeur plus grande, puisque la somme de la vitesse des deux corps est plus grande que la vitesse de chaque partie ?

La conclusion de Galilée fut que la théorie aristotélicienne était fausse et il avança l’hypothèse que les objets, qu’ils soient grands ou petits, tombent avec la même vitesse (Galilei 1638, p. 65). Il souligna que les différences mineures dont nous faisons habituellement l’expérience sont dues à des facteurs externes, tels que la résistance de l’air. Comme Galilée le fait observer, « dans le vide leur vitesse serait complètement identique » (ibid., p. 73). En outre, cette hypothèse vaut également pour des objets composés de plusieurs matériaux différents – par exemple, un marteau et une plume (l’astronaute de la mission Apollo 15, David Scott, est le protagoniste de la célèbre reprise de l’expérience de Galilée sur la Lune). Une équipe de scientifiques italiens a réalisé une version de l’expérience de Galilée au niveau microscopique, dans laquelle des atomes de poids différent tombent dans le vide à la même vitesse (Tarallo et al 2014).

  1. Terre Jumelle

L’expérience de pensée de la Terre Jumelle a connu une certaine notoriété chez les philosophes, en particulier dans la tradition analytique. Putnam (1973, 1975) a proposé cette expérience de pensée dans le but de montrer que la signification des termes d’espèce naturelle (dont les termes généraux « eau », « or », ou « tigre ») n’est pas déterminée par nos états psychologiques internes. La conclusion spectaculaire que Putnam tire de son expérience est d’obédience externaliste : « la signification ne se trouve pas dans la tête » (Putnam 1973, p. 704), puisque nos états psychologiques internes ne déterminent pas à eux seuls la référence, ou plus généralement l’extension, des mots que nous employons ; ils ne le font que relativement à un contexte physique spécifique, comme nous allons le voir.

Supposons que dans quelque région reculée de l’univers se trouve « Terre Jumelle », une planète exactement similaire à notre planète Terre, à la différence près que ce qui est appelé « eau » sur Terre Jumelle n’est pas une substance de structure moléculaire H2O (ou une substance composée majoritairement de molécules de ce type), mais une formule longue et compliquée qui peut se résumer par le sigle « XYZ ». Il reste que l’eau sur Terre et ce qui est appelé « eau » sur Terre Jumelle ont la même apparence visuelle, la même saveur, odeur, etc. Si les Terriens visitaient Terre Jumelle, ils croiraient dans un premier temps que le terme « eau » utilisé par les habitants de Terre Jumelle a la même signification sur les deux planètes. Mais ils réviseraient leur croyance s’ils étaient amenés à découvrir que le terme « eau » sur Terre Jumelle se réfère à XYZ. Il en irait de même pour les habitants de Terre Jumelle, s’ils découvraient que le terme « eau » dans notre langue renvoie en réalité à H2O.

Appelons « Oscar-t » un habitant typique de la Terre, et « Oscar-tj » sa contrepartie sur Terre Jumelle. Nous pouvons supposer que les deux Oscar sont par ailleurs exactement similaires (comme Putnam, nous ignorons le fait que le corps humain regorge d’eau). Si nous remontons à 1750, c’est-à-dire environ cinquante ans avant la découverte de la structure moléculaire de l’eau sur Terre et, par hypothèse, cinquante ans aussi avant la découverte de ce qui est appelé « eau » sur Terre Jumelle, ni Oscar-t ni Oscar-tj n’avaient de croyances sur les composants chimiques de ce que chacun appelle « eau » dans sa langue. Pourtant, le terme « eau » référait déjà à H2O sur Terre et à XYZ sur Terre Jumelle – c’est-à-dire, l’extension du terme n’a pas changé. Même si nous faisons l’hypothèse qu’ils se trouvent dans le même état psychologique, Oscar-t et Oscar-tj n’entendent pas en 1750 la même chose par le terme « eau », dans la mesure où celui-ci n’a pas la même référence sur Terre et sur Terre Jumelle. Putnam affirme donc que la signification d’un mot ne se trouve pas dans la tête, et plus généralement n’est pas entièrement déterminée par l’état psychologique du locuteur.

  1. Qu’est-ce qu’une expérience de pensée ?

Est-il possible de définir précisément et adéquatement ce qu’est une expérience de pensée ? Le débat intense entre les philosophes contemporains à ce sujet n’a pas abouti à une définition consensuelle. En effet une expérience de pensée a pu être définie tour à tour comme (la liste suivante ne prétend pas être exhaustive) : un argument (Norton 1991) ; une vision intellectuelle des lois de la nature dans un monde platonicien (Brown 1991a/b, 2004a/b) ; une expérience dont le résultat peut être connu sans qu’il soit nécessaire de la mettre en œuvre (Sorensen 1992) ; une espèce de raisonnement simulationnel fondé sur des modèles (Nersessian 1993) ; une entité abstraite qui n’est pas particulièrement expérimentale, mais plutôt une exploration et un perfectionnement d’un modèle théorique (Humphreys 1993) ; une contemplation guidée d’un scenario hypothétique (Gendler Szabó 1998) ; un raisonnement contrefactuel avec des caractéristiques similaires à une expérience (Weber & De Mey 2003).

C’est une tâche difficile que de fournir une définition claire de l’expérience de pensée qui n’élargisse pas le concept au point de perdre toute valeur informative et de le rendre quasi inutilisable. Une définition trop large couvrirait des phénomènes qui ne sont pas intuitivement des expériences de pensée (Snooks 2006). Il a été affirmé qu’après tout nous n’avons pas besoin d’une définition (Brown 1991b ; Peijnenburg & Atkinson 2003). Geordie McComb (2013) suggère de considérer le concept d’expérience de pensée comme un concept générique sous lequel ressembler plusieurs concepts qui diffèrent par degrés.

En y regardant de plus près, nous pouvons cependant mettre un peu d’ordre dans cet éventail de définitions. En effet, certaines définitions classent les expériences de pensée dans la sphère théorique, alors que d’autres les placent dans le domaine expérimental. Dans cette section, nous commencerons par examiner ce qui a été dit sur la dimension expérimentale de l’expérimentation de pensée (§2.a). Ensuite, nous nous tournerons vers les arguments opposés présentés en faveur de la nature théorique de l’expérimentation de pensée (§2.b). Enfin, nous nous attarderons sur les principales caractéristiques qui devraient contribuer à l’identification des expériences de pensée (§2.c).

  1. La dimension expérimentale des expériences de pensée

La question de la relation entre les expériences de pensée et les expériences réelles est un sujet fort débattu. Néanmoins, relativement peu d’analyses étudient l’expérimentation de pensée comme une véritable pratique expérimentale située sur le même plan que l’expérimentation réelle. Dans la littérature, la comparaison finit souvent par souligner ce qui fait défaut aux expériences de pensée pour être de « véritable » expériences, à l’instar des expériences réelles. Par exemple, un plaidoyer typique en faveur de l’expérimentation réelle insiste sur le fait que l’expérimentation de pensée est moins fiable et manque de pouvoir de justification, car elle n’examine pas directement la nature. Ce genre de raisonnement aboutit à la conclusion que les expériences de pensée doivent être utilisées seulement lorsque les expériences réelles ne sont pas disponibles, sinon elles sont inutiles.

En suivant Roy Sorensen (1992), nous pourrions dire que le problème tient à la manière dont il convient d’interpréter la locution « de pensée » dans l’expression « expérience de pensée ». Par exemple, une attitude terminologique qui peut conduire à une évaluation négative des expériences de pensée (à l’image de celle que nous venons d’esquisser) consiste à considérer les expériences de pensée comme de simples visualisations imaginaires d’expériences. De nombreux auteurs utilisent l’expression « expérience imaginaire » comme synonyme d’« expérience de pensée ». Cependant, la substitution du terme « imaginaire » à l’expression « de pensée » peut être trompeuse. Certes l’unité imaginaire et les nombres imaginaires pour les mathématiciens, ainsi que l’imaginaire social et l’imaginaire infantile pour les psychologues, sont des entités à part entière. Il reste que l’adjectif « imaginaire » est couramment utilisé d’une manière qui falsifie ou en quelque sorte dévalorise le phénomène auquel il se réfère. Un ami imaginaire, des mondes imaginaires, des peurs et des croyances imaginaires sont compris comme des entités fictives. L’accent est mis sur les aspects négatifs, sur ce qui leur manque pour être des véritables amis, mondes, peurs ou croyances.

Ce n’est pas par hasard que Pierre Duhem (1914) appelait les expériences de pensée « expériences fictives », étant donné sa critique sévère de l’utilisation des expériences de pensée comme si elles étaient des expériences réelles. À vrai dire la critique de Duhem ne devrait pas être considérée comme un rejet total de l’expérimentation de pensée (voir Buzzoni 2004 et 2008). Bien que Duhem soit communément présenté dans la littérature comme un détracteur du rôle des expériences de pensée dans la pratique scientifique, ses remarques devraient nous conduire à réévaluer (mais pas rejeter) l’expérimentation de pensée (comme le suggère aussi Daly 2010, p. 114). Il a critiqué une vision naïve de l’expérimentation réelle et mis en avant des idées très novatrices à ce sujet (par exemple, l’idée que les expériences réelles ne se ramènent pas à une simple observation abstraction faite de toute théorie et qu’elles ne permettent pas tester des hypothèses théoriques isolées). Duhem a concentré son attention sur les aspects négatifs de l’expérimentation de pensée qui véhiculent une telle vision naïve sans se rendre compte que l’expérimentation de pensée elle-même peut être vue d’une manière moins simpliste et être soumise à la même révision conceptuelle qu’il appelait de ses vœux pour l’expérimentation réelle.

De même, certes avec moins d’acrimonie, Carl Hempel (1965) parlait d’expériences « imaginatives » et semblait se plaindre du fait que les expériences de pensée tendent à être purement heuristiques, au lieu de fournir des preuves à valider. Hempel a été influencé, plus ou moins explicitement, par la distinction néo-positiviste entre le contexte de la découverte et le contexte de la justification (Brown, 1991b, p. 89. Pour la formulation canonique de la distinction voir Reichenbach 1938). Contrairement à l’expérimentation réelle, l’expérimentation de pensée serait limitée au domaine de la découverte, qui concerne les processus par lesquels une hypothèse a été formulée, plutôt que le moyen par lequel cette hypothèse pourrait être contrôlée et confirmée. La dichotomie entre le contexte de la découverte et le contexte de la justification semble avoir influencé une grande partie de l’analyse des expériences de pensée. Par exemple, les réflexions de David Hull sur les expériences de pensée semblent avoir été affectées par cette dichotomie (voir §3.c.i ; voir aussi la critique adressée à John Norton dans Brown 1991b).

Hull est profondément critique dans son « Plaidoyer en faveur des vrais exemples » (Hull 1997, voir aussi Hull 1989). Selon le biologiste et philosophe, les expériences de pensée sont généralement inutiles et nous devrions préférer les expériences réelles. En fait, Hull semble admettre que les expériences de pensée peuvent avoir une valeur scientifique, mais seulement si elles impliquent une situation imaginaire qui est aussi plausible et détaillée que possible. En outre, il semble tenir pour acquis que les expériences de pensée doivent devenir, tôt ou tard, des expériences réelles (sur la question de savoir si des expériences de pensée peuvent être réalisées sous la forme d’expériences réelles voir Arthur 2013 ; cette question reviendra dans la discussion, voir §2.c.ii). Cependant, Hull n’est pas prêt à concéder que les expériences de pensée peuvent avoir une valeur dans tous les domaines scientifiques, mais seulement dans ceux qui sont « bien articulés » (Hull 1997, p. 431 ; d’autres sceptiques semblent être en phase avec la position de Hull, par exemple, Fodor 1964 ; Feyerabend 1978 ; Quine 1972 ; Wilkes 1988 ; Thagard 2010 et 2014).

Rappelant ce qui a été dit ci-dessus sur la façon dont les adjectifs peuvent transformer la valeur du substantif qu’ils modifient, il est intéressant de remarquer que, la plupart du temps, Hull appelle les expériences de pensée « exemples fictifs », mais quand il met l’accent sur leur aspect positif, il emploie l’expression « exemples hypothétiques ». « Hypothétique » n’exprime pas une valeur négative comme « imaginaire ». Néanmoins, c’est un qualificatif plus prudent que « de pensée ». Par exemple, un acheteur hypothétique n’est pas vraiment un acheteur ; il peut en devenir un, mais il sera alors un acheteur réel et non plus hypothétique. La position de Hull sur les expériences de pensée est bien illustrée par son utilisation de l’adjectif « hypothétique » comme synonyme de « de pensée ».

D’autres analyses traitent l’expérimentation de pensée comme une véritable pratique expérimentale sur un pied d’égalité avec l’expérimentation réelle. Au moins deux d’entre elles méritent d’être mentionnées. Sorensen affirme que les expériences de pensée sont un cas limite d’expériences réelles. Les deux types d’expérimentation ont des objectifs et des méthodes très semblables pour les atteindre. Elles diffèrent clairement dans la mesure où l’expérimentation de pensée met l’accent sur l’aspect de la conception (« design ») au détriment de l’aspect de l’exécution (d’autres auteurs ont suivi Sorensen sur ce point – par exemple, Gooding 1993 ; Brendel 2004 et McAllister 2004). Sorensen va plus loin et affirme que, si historiquement les expériences de pensée sont devenues autonomes, leur origine doit être retracée dans la composante mentale de l’expérimentation réelle. Elles doivent être considérées comme le résultat d’un processus évolutionnaire : une « pression sélective » aurait privé l’expérimentation réelle de l’aspect d’exécution, en insistant sur l’aspect de conception.

Marco Buzzoni soutient que Sorensen sous-estime « la dimension technologique-opérationnelle de l’expérience scientifique » et que ce dernier défend une conception de l’expérience de pensée (et de l’expérience réelle aussi) comme fonction mathématique. Selon cette conception, le recours à la pratique est secondaire, et ce qui compte est l’analyse de la variation des valeurs des variables (Buzzoni 2004, p. 175 ; voir aussi Buzzoni 2008). Buzzoni (2004, 2008, 2013a) développe un cadre conceptuel kantien selon lequel, d’un point de vue empirique (c’est-à-dire, précisément par rapport à la dimension « technologique-opérationnelle ») l’expérimentation réelle et l’expérimentation de pensée coïncident, mais elles sont complémentaires d’un point de vue transcendantal. Par conséquent, un type d’expérimentation sans l’autre est improductif à des fins scientifiques (voir Fehige 2012 et 2013 pour des objections contre la thèse de Buzzoni et ses réponses dans Buzzoni 2013b). Beaucoup d’autres philosophes ont souligné le fait que l’expérimentation de pensée a une composante pratique – par exemple, Lennox (1991) ainsi que Gooding (1993) qui a développé une approche « incarnée » (embodied) des expériences de pensée. En outre, cette composante a été présentée comme l’un des principaux arguments contre des vues qui confinent les expériences de pensée au domaine théorique.

  1. La nature théorique de l’expérimentation de pensée

Au lieu de considérer les expériences de pensée soit comme des ébauches d’expériences réelles, soit comme des expériences spécifiques, on peut maintenir qu’elles n’appartiennent pas du tout au domaine expérimental. Deux auteurs en particulier sont de fervents partisans de ce point de vue : John Norton et Paul Humphreys.

Norton fait valoir qu’à l’expérimentation de pensée manque l’élément essentiel propre à l’expérimentation, à savoir l’interaction avec le monde naturel. Par conséquent, il soutient que l’expérimentation de pensée ne peut pas être un type d’expérimentation (Norton 2004b). D’après Norton les expériences de pensée ne sont rien d’autre que des arguments déguisés (Norton 1991, 1996, 2004a, 2004b) : une bonne expérience de pensée devrait être un argument solide qui augmente nos connaissances. En d’autres termes, une expérience de pensée peut être reconstruite (traduite, ou réduite) sans perte épistémique dans un argument – à savoir, une liste de propositions, de prémisses et d’hypothèses, menant à une conclusion à travers des inférences (inductives ou déductives). Plus précisément Norton définit les expériences de pensée comme des « arguments qui : (i) postulent des états de choses hypothétiques ou contre-factuels, et (ii) font appel à des éléments particuliers non pertinents pour la généralité de la conclusion » (Norton 1991, p. 129). Leur nature argumentative n’est pas toujours évidente, car elle est masquée par ces embellissements rhétoriques qui colorent la narration de l’expérience de pensée, ou d’autres caractéristiques telles que le fait que souvent les expériences de pensée n’explicitent pas toutes les hypothèses sur lesquelles elles reposent.

Parallèlement à cette thèse reconstructiviste, Norton suggère une thèse éliminativiste : l’expérimentation de pensée est un outil épistémique dispensable. L’idée est que nous n’avons pas besoin des expériences de pensée, au sens où toute conclusion à laquelle on parvient suite à une expérience de pensée peut en principe être obtenue par un argument « qui n’a pas le caractère d’une expérience de pensée » (Norton 1996, p. 336 – voir Gendler Szabó 1998 et 2000 pour une analyse détaillée de la thèse éliminativiste de Norton ; voir aussi la thèse soutenue par Timothy Williamson – Williamson 2007 – qui semble être proche de celle de Norton, hormis en ce qui concerne le rôle accordé à l’imagination – voir §4).

Humphreys affirme que les expériences de pensée sont « plus proches de la théorie que du monde » (Humphreys 1993, p. 218). Il admet qu’elles peuvent être assimilées aux expériences réelles qui isolent « les caractéristiques du monde qui sont représentées dans un modèle théorique » et se rapprochent des « idéalisations qui y sont employées » (ibid.). Mais de nos jours, selon lui, cette fonction est remplie par les théories. À l’appui de son argument, il compare les expériences de pensée aux simulations à l’ordinateur (ou expériences numériques). Les deux méthodes impliquent des raffinements de théories, des ajustements pour se conformer aux conditions, des paramètres, des approximations et des idéalisations des données empiriques, et peuvent délibérément modifier les paramètres afin de produire des lois différentes de celles de notre monde.

En fait, le parallélisme entre les expériences de pensée et les expériences numériques peut montrer que la question de la nature expérimentale des expériences de pensée est toujours ouverte. Un débat intense en philosophie des sciences sur la nature des simulations numériques a conduit à des considérations très similaires à celles évoquées sur les expériences de pensée. Par exemple, certains (dont Gilbert & Troitzsch 1999) font valoir que les expériences réelles et les expériences numériques sont assez différentes et que ces dernières peuvent être considérées comme des arguments (Beisbart & Norton 2012) ; tandis que d’autres considèrent les expériences numériques comme une véritable pratique expérimentale (par exemple, Dowling 1999 et Barberousse et al 2009), dont l’analyse a souvent été influencée par un biais en faveur des expériences réelles (par exemple, Winsberg 2009 et Parker 2009).

Certains auteurs ont suggéré que les expériences numériques peuvent être considérées comme un type d’expériences de pensée (Di Paolo et al 2000 ; voir aussi Swan 2009, pour un cas biologique spécifique, et Chandrasekharan et al 2013, pour un point de vue provocateur selon lequel la modélisation à l’ordinateur remplacera à terme l’expérimentation de pensée). Les analyses qui prennent en compte à la fois les expériences de pensée et les expériences numériques sont moins nombreuses que les analyses qui les comparent seulement avec les expériences réelles, mais elles ont connue récemment de nouveaux développements (pour des analyses approfondies, voir Staüdner 1998 ; Velasco 2002 ; Lenhard 2011 et El Skaf & Imbert 2013. D’autres auteurs ont pu faire, en passant, des commentaires sur le parallélisme entre l’expérimentation de pensée et l’expérimentation numérique – par exemple, Lennox 1991 ; Bishop 1998 ; Sorensen 1992 ; Nersessian 1993 ; Stöltzner 2003 ; Buzzoni 2004 et 2008 ; Cooper 2005 et Cohen 2005. Voir aussi Schulzke 2014 sur le sujet apparenté des jeux vidéos comme des expériences de pensée exécutables).

De nombreuses critiques ont été soulevées contre les conceptions théoriques de l’expérimentation de pensée, en particulier contre la thèse de Norton. Bien que certains aient trouvé cette dernière trop libérale (par exemple, Bunzl 1996), la plupart des philosophes l’ont trouvée trop restrictive et ont soulevé quatre objections majeures. Tout d’abord, la traduction, par Norton, des expériences de pensée sous la forme d’arguments laisserait de côté certains aspects importants propres à l’expérimentation de pensée (voir, par exemple, Lennox 1991 ; Nersessian 1993 et 2007 ; Arthur 1999 ; Brendel 2004 ; Brown, 2004a et b ; Miščević 2007 ; Hopp 2014), comme sa dimension non propositionnelle ou cette composante pratique déjà évoquée. Ces aspects ne devraient pas être négligés, car ils jouent un rôle épistémique important, plutôt que d’être simplement des embellissements rhétoriques ou des détails pittoresques. Tamar Szabó Gendler (1998 et 2000), par exemple, soutient que l’expérience de pensée de Galilée sur la chute des corps ne peut pas être entièrement reconstruite sous forme d’argument (voir aussi Brown, 1993, 2004a et b pour d’autres exemples). Il a été souligné que la même chose vaut pour les expériences de pensée qui dépendent fortement de l’imagination sensorielle ou du raisonnement spatial (par exemple, Cooper 2005).

Une deuxième objection, étroitement liée à la première et avancée par certains des mêmes auteurs (par exemple, Cooper, Nersessian), concerne les soubassements cognitifs de l’expérimentation de pensée. Les mêmes conclusions peuvent être tirées d’une expérience de pensée et d’un argument logique, mais la construction et la réalisation de la première diffèrent de la production et de la réalisation de ce dernier. Il en serait ainsi même si nous considérions que toutes les expériences de pensée sont traduisibles en arguments et qu’une telle procédure de traduction est épistémiquement avantageuse.

Troisièmement, il a été souligné que les expériences de pensée peuvent figurer dans les étapes d’un argument, mais qu’il ne s’ensuit pas qu’elles soient des arguments. Il en va de même des expériences réelles. De manière provocatrice, Sorensen avance la thèse de parité : « Les expériences de pensée sont des arguments si et seulement si les expériences sont des arguments » (Sorensen 1992, p. 214). Les expériences réelles peuvent jouer un rôle argumentatif ou être reformulées comme des arguments, mais généralement elles ne sont pas considérées comme des arguments et il est peu probable qu’elles soient dispensables. Il ne faut pas confondre une expérience, quelle que soit sa nature, avec sa description publiée (voir Lennox 1991 et Häggqvist 1996).

Enfin, Michael Bishop (1999 ; voir également Häggqvist 2009) a offert un contre-exemple à la thèse de Norton : la même expérience de pensée peut être reconstruite sous la forme de deux arguments différents. C’est souvent le cas lorsque les chercheurs sont en désaccord sur le résultat d’une expérience de pensée – dans le cas contraire il serait impossible de comparer leurs points de vue et de déterminer qui a raison. Le principal exemple donné par Bishop est le débat entre Einstein et Niels Bohr sur une expérience de pensée einsteinienne, à savoir l’expérience de pensée de l’horloge dans la boîte (voir Bohr 1949, pour une description complète, de cette expérience de pensée mais aussi pour se faire une idée du débat entre Bohr et Einstein ; voir Norton 2004, qui fait valoir que l’on a ici deux expériences de pensée et non pas une seule).

Néanmoins, on pourrait penser que la thèse reconstructive de Norton est valable, tout en rejetant sa thèse éliminativiste et en maintenant que les expériences de pensée ne sont pas des arguments. La traduction des expériences de pensée en arguments pourrait être précieuse, car elle permettrait d’expliciter les hypothèses implicites dans les expériences de pensée. Comme Richard Arthur le souligne bien, « la reformulation des expériences de pensée en arguments est une partie essentielle du processus scientifique » (Arthur 1999, p 228. Voir aussi Lennox 1991 et De Mey 2003, pour une proposition qui tient compte à la fois du côté expérimental et du côté argumentatif des expériences de pensée).

  1. Les caractéristiques des expériences de pensée

Malgré l’absence de définition unanime des expériences de pensée, et en dépit du fait que différents points de vue poussent l’expérimentation de pensée soit vers le domaine empirique soit vers le domaine théorique, certaines caractéristiques sont communes à la plupart des expériences de pensée. Les discussions sur ces caractéristiques conduisent souvent à établir des parallélismes entre l’expérimentation de pensée et l’expérimentation réelle. Néanmoins, elles ne présupposent pas que les expériences de pensée doivent être assimilées à des expériences réelles. L’idée est qu’il pourrait être judicieux, dans certains contextes, d’étudier les expériences de pensée comme si elles étaient de « véritables » expériences, c’est-à-dire à l’instar des expériences ordinaires, même si elles ne le sont pas en réalité (voir Sorensen 1992 et Bishop 1998).

Dans cette sous-section, nous nous focaliserons sur trois caractéristiques communes à l’expérimentation de pensée et à l’expérimentation réelle : (1) « la méthode de la variation » (c’est-à-dire, l’isolement des variables, leur « manipulation » et l’« observation » de ce qui en résulte), (2) la faillibilité et (3) la sous-détermination théorique (§2.c.i). Ensuite nous examinerons la principale caractéristique propre à l’expérimentation de pensée, à savoir la nature mentale de son « laboratoire », et certaines caractéristiques afférentes (§2.c.ii).

  1. La méthode de la variation, la faillibilité et la sous-détermination théorique

D’après le physicien Ernst Mach (1896), l’expérimentation de pensée et l’expérimentation réelle se rapprochent, car dans les deux cas nous utiliserions la même méthode, à savoir « la méthode de la variation » (Mach 1896, p. 452). Cette méthode peut être vue comme une procédure en trois phases : (i) sélection et isolement des caractéristiques qui servent comme variables, (ii) « manipulation » ou interaction des variables, (iii) « observation » de ce qui se produit. Beaucoup de philosophes ont souligné que cette méthode est une caractéristique centrale de l’expérimentation de pensée (voir, par exemple, Humphreys 1993 ; Häggqvist 1996 ; Bishop 1998 ; Wilkes 1988 ; Brendel 2004 ; Buzzoni 2004 et 2008), qui serait commune aussi à l’expérimentation numérique (voir Stäudner 1998 et El Skaf & Imbert 2013).

La première étape mène à la question : « quelles sont les variables impliquées ? ». Les réponses à cette question divergent, car elles sont dépendantes de la thèse adoptée sur la nature de l’expérimentation de pensée (§2.a et §2.b). Les expériences de pensée peuvent-elles examiner la nature ou explorent-elles simplement des modèles théoriques ? Quoi qu’il en soit, il semble que l’expérimentation de pensée implique plutôt des représentations abstraites (Staüdner 1998) ou des suppositions (Sorensen 1992 ; voir aussi Goffi & Roux 2011, qui parlent de croyances), que des représentations impliquant des entités concrètes (comme des pierres, un seau, des démons, des contreparties d’êtres humains dépourvus de conscience).

Quant à la deuxième étape, on pourrait objecter que littéralement les expérimentateurs de pensée ne « manipulent » pas les variables en question. Malgré l’étymologie, cependant, la manipulation ne consiste pas simplement à intervenir manuellement sur les variables. Des entités peuvent être également retournées et déplacées dans notre imagination. Des joueurs d’échecs experts ou les personnes capables de résoudre le Cube de Rubik mettent en œuvre ce genre de manipulation mentale (Sorensen 1992 et Gendler Szabó 2004). Cette considération nous amène à la troisième phase de la méthode de la variation, à savoir l’observation des interactions entre les variables (Gooding 1990, 1992 et 1993 ; Nersessian 1993 ; Reiner & Gilbert 2000 et Cohen 2005 ont particulièrement insisté sur la deuxième et la troisième phases).

L’observation ou la visualisation a semblé à beaucoup une condition nécessaire de l’expérimentation de pensée, ainsi que de l’expérimentation réelle (par exemple, Miščević 1992 ; Gooding 1992 et 1993 ; Buzzoni 2004 et 2008 ; Brown 2004a/b et 2013). Le problème est qu’il n’est pas clair que la notion d’observation désigne la même chose dans les deux contextes. Dans l’expérimentation de pensée l’observation ne semble pas être fondée sur la perception comme dans l’expérimentation réelle. Souvent les auteurs qui parlent d’observation dans les expériences de pensée semblent se référer à une représentation, dans « l’œil de l’esprit », de la situation décrite et à l’imagination comme au moyen par lequel nous pouvons quasi-observer ce qui s’y produit (par exemple, Hull 1997 ; Gendler Szabó 2004 ; Cohen 2005 ; Swan 2009 ; Brown 2013). La notion d’observation, cependant, peut être interprétée dans un sens moins perceptif. Miriam Reiner et John Gilbert (2000), par exemple, considèrent les observations dans les expériences de pensée comme le résultat de lois logiques, sans pour autant nier que, dans une expérience de pensée, un monde contenant des objets soit imaginé (cette question est liée à celle des soubassements cognitifs de l’expérimentation de pensée, voir §4).

D’autres caractéristiques de l’expérimentation de pensée ont été mises en évidence. Deux d’entre elles méritent d’être mentionnées, qui sont encore communes à l’expérimentation de pensée et à l’expérimentation réelle, à savoir la faillibilité et la sous-détermination théorique.

Comme les expériences réelles, les expériences de pensée peuvent échouer. Alan Janis (1991) a souligné trois façons différentes d’échouer communes aux deux types d’expérimentation. Tout d’abord, une expérience peut échouer à cause de son inachèvement, en raison de l’insuffisance de l’équipement, ou à des facteurs externes (voir aussi Cooper 2005 et Cohen 2005). Il est difficile de donner des exemples de cette catégorie, parce que généralement ils ne sont pas publiés. Deuxièmement, une expérience peut échouer lorsque ses résultats sont incorrects (Janis donne comme exemple l’expérience de pensée d’Einstein de l’horloge dans la boîte). Troisièmement, une expérience peut donner des résultats corrects, mais qui ne répondent pas à la question de départ (Janis donne comme exemple l’expérience de pensée EPR, que nous allons discuter dans le prochain paragraphe). Sans doute, dans l’expérimentation de pensée, comme dans l’expérimentation réelle, les expérimentateurs doivent contrôler les erreurs afin d’améliorer les résultats (un exemple intéressent est l’échange d’expériences de pensée entre Einstein et Bohr, ainsi que celui entre Darwin et Fleeming Jenkin – voir à ce sujet Lennox 1991 et Arcangeli 2009).

Alisa Bokulich (2001) a suggéré que les expériences de pensée peuvent souffrir de sous-détermination théorique, en n’étant pas capables de distinguer entre des cadres théoriques différents (voir aussi Häggqvist 1996, notamment ch. 6). L’expérience de pensée EPR, du nome de ses auteurs Alfred Einstein, Boris Podolsky et Nathan Rosen (Einstein et al 1935), est un exemple d’expérience de pensée qui peut être « repensée » du point de vue de théories différentes et incompatibles (Bokulich 2001, p. 299). Sans entrer dans les détails techniques de cette expérience de pensée, retenons qu’elle décrit un système physique dans lequel deux quantités physiques (la position et l’impulsion d’une particule) soumises à la relation d’incertitude d’Heisenberg, peuvent être déterminées conjointement, certes de façon indirecte, et peuvent ainsi être considérées comme ayant chacune une réalité physique. Cela contredit l’interprétation dite de Copenhague de la mécanique quantique, défendue à cette époque par Niels Bohr, selon laquelle l’incertitude qui affecte une de ces quantités, lorsque l’autre est mesurée, reflète une indétermination de la réalité physique elle-même. Einstein, Podolsky et Rosen en concluent que la mécanique quantique ne fournit pas une description complète de la réalité physique subatomique. Par la suite, EPR a été communément interprétée comme une démonstration ratée de l’incomplétude de la mécanique quantique et comme un proto-argument en faveur de la construction d’une version déterministe de la mécanique quantique, qui est indéterministe (Brown 1991, p. 77. Pour des doutes quant à cette interprétation d’EPR, voir Ghirardi 1997, pp. 451-452). En effet, c’est sur la base d’EPR que David Bohm a développé la version déterministe la plus célèbre de la mécanique quantique. Cependant, EPR en soi n’est pas une expérience de pensée cruciale qui peut nous aider à choisir entre la mécanique quantique classique et ses concurrents déterministes (EPR est largement discuté dans la littérature sur les expériences de pensée – par exemple, voir le débat entre David Atkinson, Atkinson 2003, et Michael Stöltzner, Stöltzner 2003). Cette caractéristique des expériences de pensée affaiblit l’idée que, contrairement aux expériences réelles, elles ne possèdent pas une « vie propre » (Hacking 1993), c’est-à-dire la capacité d’évoluer et de s’adapter à des théories et à des buts différents (les expériences de pensée philosophiques semblent aussi avoir une vie propre – par exemple, voir les évolutions de Terre Jumelle dans Pessin & Goldberg 1996).

  1. Le laboratoire de l’esprit

La caractéristique la plus frappante des expériences de pensée est qu’elles sont conduites dans le « laboratoire de l’esprit » (Brown 1991a et b). L’expérimentation de pensée semble être ancrée dans l’imagination (§4). Le fait que nous pouvons faire des expériences dans notre esprit a ses avantages. Comme Mach l’a remarqué, « Nos propres idées sont plus facilement et rapidement à notre disposition que des faits physiques. Nous expérimentons avec la pensée, pour ainsi dire, à peu de frais » (Mach 1896, p. 452 ; voir aussi Sorensen 1992 pour une discussion sur les avantages de l’expérimentation de pensée par rapport à l’expérimentation réelle). Cependant, le fait que les expériences de pensée ne sont pas en contact direct avec les phénomènes naturels et sont simplement un produit de notre imagination a ses inconvénients (voir §2.a et §3.c).

La nature mentale des expériences de pensée nous amène à considérer la question de leur implémentation (Mach 1905 et Duhem 1914 ont aussi abordé cette question). La mise en œuvre concrète de certaines expériences de pensée est clairement impossible, même en principe (par exemple, Terre Jumelle ou l’expérience de pensée d’Einstein chassant un faisceau de lumière – voir Norton 2013 pour une analyse détaillée de cette expérience de pensée). D’autres expériences de pensée ne semblent pas être exécutables pour des raisons pratiques (par exemple, Galilée à son époque ne disposait pas des instruments sophistiqués que nous pouvons utiliser aujourd’hui pour observer un marteau et une plume tomber dans le vide avec la même vitesse) ou éthico-politiques (par exemple, les expériences de pensée qui requerraient l’enlèvement ou le meurtre). D’aucuns ont soutenu qu’une expérience de pensée ne nécessite pas une mise en œuvre concrète. Nous avons vu (§2.a), par exemple, que Sorensen (1992) conçoit les expériences de pensée comme des expériences dans lesquelles l’aspect de la conception du protocole est accentué au détriment de l’aspect de l’exécution.

Autrement dit, même si elle est possible, l’implémentation concrète d’une expérience de pensée ne serait pas pertinente pour le but de l’expérience de pensée elle-même (Brown 2004b). Cela ne signifie pas que l’expérimentation de pensée ne saurait conduire à l’expérimentation réelle. Sans doute, une expérience de pensée peut ouvrir de nouvelles pistes de recherche, qui peuvent être explorées au moyen d’expériences réelles. Pourtant, l’expérience réelle qui en résulterait ne devrait pas être considérée comme la réalisation concrète de l’expérience de pensée initiale.

Certains auteurs sont en désaccord et affirment qu’au moins certaines expériences de pensée peuvent être concrètement implémentées et que, plus généralement, l’expérimentation de pensée devrait aboutir à l’expérimentation réelle (par exemple, Hull 1989 et 1997 ; Atkinson 2003 ; Peijnenburg & Atkinson 2003 ; Snooks 2006 ; Boniolo 2008).

Un exemple classique présenté en faveur de ce point de vue est la série d’expériences réelles conduites par Alan Aspect et ses collaborateurs, dont les résultats ont été publiés dans un article intitulé « Réalisation expérimentale du Gedankenexperiment d’Einstein-Podolsky-Rosen-Bohm : une nouvelle violation de l’inégalité de Bell » (Aspect et al. 1982). Cependant, il est possible de résister à l’idée que les expériences d’Aspect reviennent à proposer une exécution d’EPR. Malgré ce que suggère le titre de l’article, ces expériences peuvent être considérées plutôt comme testant une hypothèse distincte formulée par John S. Bell, certes conçue en réfléchissant à la version Bohmienne d’EPR (Arcangeli 2011 ; voir aussi Stöltzner 2003 ; Rédei 2003 ; Cohnitz 2006 et Dorato 2009 pour des vues similaires sur EPR).

Un point de vue modéré considère que certaines expériences de pensée peuvent être concrètement réalisées, sans pour autant retirer à l’expérimentation de pensée son statut propre (à ce sujet, voir les récentes discussions dans Frappier et al 2013).

  1. Quelle est la fonction des expériences de pensée ?

À défaut de converger sur une définition adéquate des expériences de pensée, les philosophes contemporains s’accordent largement sur sa finalité : l’accroissement de nos connaissances. En tant qu’outils épistémiques les expériences de pensée ont suscité un intérêt épistémologique considérable. De nombreuses questions d’ordre épistémologique soulevées dans le débat touchent au problème de la classification des expériences de pensée. Les taxinomies des expériences de pensée seront l’objet principal de la première sous-section de cette section (§3.a). Nous passerons ensuite aux questions liées au type de connaissances (par exemple, a priori ou empirique), que produisent les expériences de pensée (§3.b) et à leur validité (§3.c).

  1. La classification des expériences de pensée

Il serait utile de disposer d’un système de classification efficace et aisément compréhensible de l’expérimentation de pensée, afin de mettre un peu d’ordre dans un domaine apparemment hétérogène. Cependant, ce n’est pas une tâche facile. Les expériences de pensée sont utilisées dans de nombreuses disciplines. En outre, leur interprétation peut dépendre de facteurs divers, comme le contexte historique (McAllister 1996 ; voir aussi Norton 2013) ou les intentions de l’expérimentateur de pensée. En effet, elles peuvent même être « repensées », réutilisées dans des buts différents (Bokulich 2001).

Les expériences de pensée peuvent être catégorisées selon plusieurs dimensions. Cependant, la plupart des taxinomies classe les expériences de pensée selon leurs fonctions par rapport à une théorie ou à un ensemble d’hypothèses spécifiques. Une taxinomie en particulier s’est imposée assez largement, à savoir celle proposée par James R. Brown.

Brown commence par diviser les expériences de pensée en deux grandes classes, celle des expériences de pensée destructives et celle des expériences de pensée constructives. Une expérience de pensée relevant de la première catégorie est « une reductio ad absurdum pittoresque » (Brown 1991b, p. 34 ; voir aussi Brown 1991a, p. 123) conçue pour réfuter, ou au moins sérieusement remettre en cause, certaines hypothèses ou une théorie. À noter qu’ici Brown rejoint la taxinomie proposée par Popper et son utilisation critique des expériences de pensée (Popper 1959), qui à son tour est similaire aux expériences de pensée théorétiques de Hempel – même si cette dernière catégorie va au-delà des expériences de pensée contre des théories et comprend toutes les expériences de pensée qui font explicitement des prédictions fructueuses (Hempel 1965).

Il y a différentes façons de réfuter une théorie, ce qui suggère différentes sous-catégories d’expériences de pensée destructives. Au moins deux sous-catégories peuvent être dégagées. En premier lieu, une expérience de pensée peut mettre en évidence un problème interne à un cadre théorique donné. C’est le cas, par exemple, de l’expérience de pensée de Galilée sur la chute des corps, car cette expérience révèle une incohérence dans la théorie aristotélicienne du mouvement (en raison de l’hypothèse aristotélicienne selon laquelle la vitesse est proportionnelle au poids).

Deuxièmement, une expérience de pensée peut mettre en évidence un problème externe à un cadre théorique donné, c’est-à-dire un problème impliquant également d’autres hypothèses ou cadres théoriques. L’expérience de pensée du chat de Schrödinger est un exemple de cette sous-catégorie d’expérience de pensée, car elle a révélé un conflit entre la mécanique quantique (dans son interprétation de Copenhague) et nos croyances ordinaires au sujet du monde macroscopique.

Selon l’interprétation de Copenhague de la mécanique quantique, un système physique peut être dans un état très spécial qui est en fait une superposition simultanée de différents états. Toute observation ou mesure provoque l’effondrement du système physique dans l’un des états superposés. Ce phénomène physique ne se produit qu’au niveau quantique ou microscopique, mais on peut facilement imaginer des exemples de systèmes physiques où la superposition d’un état microscopique est causalement liée à la superposition d’un état macroscopique : imaginez une particule dans un état de superposition entre deux états A et B et un mécanisme qui tue un chat placé dans une cage si la particule est dans l’état A et qui ne fait rien si elle est dans l’état B. Pourtant, comme Schrödinger l’a souligné, nous savons tous qu’un chat ne peut pas être à la fois mort et vivant.

Les expériences de pensée constructives, de leur côté, visent à soutenir une théorie ou une hypothèse théorique, mais elles peuvent le faire de façons très différentes. Brown divise cette catégorie en trois autres sous-catégories : médiatives, conjecturales et directes.

Les expériences de pensée médiatives ont un rôle pédagogique ou illustratif (voir en général sur le rôle pédagogique joué par les expériences de pensée, par exemple, Helm & Gilbert 1985 ; Helm et al 1985 ; Reiner & Gilbert 2000 ; Klassen 2006 ; Velentzas et al 2007 ; Toscano 2007 ; Casati 2013). Étant donné leur rôle illustratif et d’exposition, les expériences de pensée médiatives de Brown rappellent l’utilisation heuristique des expériences de pensée soulignée par Popper (1959) – une catégorie profondément semblable à celle des expériences de pensée inductives de Hempel (1965). Les expériences de pensée médiatives nous aident à mieux comprendre les conclusions qui peuvent être tirées d’une théorie spécifique. Brown donne comme exemple l’expérience de pensée du démon de James Clerk Maxwell. Selon la théorie cinétique de Maxwell, il existe une probabilité, bien que très faible, que la chaleur se déplace d’un corps froid à un corps chaud. La deuxième loi de la thermodynamique, cependant, implique l’impossibilité d’un tel événement. Pour montrer la possibilité logique de violer la thermodynamique classique et la nature statistique de la deuxième loi, Maxwell a proposé son expérience de pensée du démon (Maxwell 1871).

Imaginez deux boîtes reliées entre elles, l’une remplie de gaz froid (F) et l’autre de gaz chaud (C). Une minuscule porte, contrôlée par un démon, se situe entre les deux boîtes. Le démon permet aux molécules rapides de passer de F à C et aux molécules lentes d’aller de C à F. De cette manière, alors que la vitesse moyenne des molécules en C augmenterait, la vitesse moyenne des molécules en F diminuerait. Selon la théorie de Maxwell, la chaleur n’est rien de plus que la vitesse moyenne des molécules, or l’expérience de pensée montre la possibilité d’un flux de chaleur qui se déplace d’un corps froid à un corps chaud.

Selon Brown, cependant, les expériences de pensée positives peuvent faire beaucoup plus que simplement illustrer une théorie ; elles peuvent aider à construire une théorie. Ceci est précisément la fonction des expériences de pensée conjecturales et directes. Contrairement aux expériences de pensée médiatives, ces deux categories ne partent pas d’une théorie spécifique, mais elles en visent une. Ce qui caractérise les expériences de pensée conjecturales est qu’elles partent de phénomènes conjecturés et avancent des théories pour les expliquer. Brown donne l’expérience de pensée du seau de Newton comme un exemple d’expérience de pensée conjecturale, car elle part d’un problème (à savoir, expliquer les effets différents que l’on peut observer à la surface de l’eau contenue dans un seau en rotation, entre le moment où l’eau et le seau sont tous deux au repos, avant qu’on ne les mette en mouvement, et le moment où on arrête le seau, mais l’eau continue à tourner) et sa solution (à savoir, la distinction entre mouvements relatifs et absolus). À noter que d’autres interprétations de cette expérience de pensée sont possibles (voir Arcangeli 2017 pour une description détaillée de cette expérience de pensée ainsi que de celle de Stevin, mentionnée dans le paragraphe suivant).

Les expériences de pensée directes établissent de nouvelles théories à partir de phénomènes non problématiques. Un exemple de cette catégorie est l’expérience de pensée de la chaîne de Stevin, sur la base de laquelle Stevin a introduit sa loi du plan incliné (à savoir, la force exercée par le poids est égale au rapport entre la hauteur et la longueur du plan).

Enfin, selon Brown certaines expériences de pensée sont à la fois destructives et constructives-directes, à savoir les expériences de pensée qu’il définit comme « platoniciennes » (Brown 1991a/b et 2004a/b). Un exemple de cette catégorie est l’expérience de pensée de Galilée sur la chute des corps, puisque dans le même temps elle a miné la théorie aristotélicienne du mouvement et conduit à un nouveau cadre théorique. Comme Alexandre Koyré (1960) le fait remarquer, une telle expérience de pensée semble être un exemple de la « bonne physique », qui « se fait a priori » (p. 245). C’est précisément ce qui caractérise les expériences de pensée platoniciennes : elles sont les véhicules d’une connaissance a priori.

Brown applique sa taxinomie seulement aux expériences de pensée scientifiques, mais on pourrait l’étendre aux expériences de pensée philosophiques (comme Brown & Fehige 2014 l’ont suggéré). Par exemple, l’expérience de pensée de la Terre Jumelle peut être vue comme une expérience de pensée destructive-interne, car sa cible est une hypothèse au sein des théories internalistes de la signification (à savoir, des états psychologiques identiques impliquent des référents identiques). La même expérience de pensée peut également être considérée comme une expérience conjecturale-constructive, car elle met en évidence un phénomène problématique (à savoir, la situation dans laquelle des états psychologiques identiques impliquent des référents différents) et suggère une solution (à savoir, les significations sont contraintes par les espèces naturelles).

  1. Quel type de connaissance les expériences de pensée produisent-elles

La question de savoir si l’expérimentation de pensée peut produire de la connaissance n’est pas simple, et elle s’avère plus compliquée que dans le cas de l’expérimentation réelle. En laissant de côté les arguments selon lesquels les expériences de pensée ne conduisent en aucune façon à un accroissement de nos connaissances, des désaccords surgissent quand les philosophes tentent de spécifier le type de connaissance que nous acquérons par l’expérimentation pensée.

Kuhn avait bien saisi cette problématique en se demandant comment une expérience de pensée peut produire des connaissances empiriques inédites sans l’apport de données nouvelles. Cette question a un côté paradoxal en raison du fait que seule l’expérimentation réelle est en contact direct avec le monde, dont elle dérive directement du matériel nouveau. En revanche, l’expérimentation de pensée ne peut qu’utiliser des données anciennes, stockées dans l’esprit de l’expérimentateur de pensée. Comment, donc, les expériences de pensée peuvent-elles nous fournir des connaissances nouvelles ou une compréhension inédite de la nature ? Et quel genre de connaissance « nouvelle » sauraient-elles produire ?

Depuis les années 1990 des positions très différentes ont émergé au cours des nombreuses tentatives pour répondre à ces questions épistémologiques. Le spectre des réponses paraît osciller entre la position de Brown et celle de Norton, affirmant respectivement (pour simplifier) qu’il y a, et qu’il n’y a pas, de connaissances nouvelles émanant des expériences de pensée.

En suivant Koyré, Brown identifie un ensemble d’expériences de pensée a priori. Celles-ci sont, dans la terminologie de Brown, des expériences de pensée platoniciennes, car elles ne sont fondées ni sur des données empiriques nouvelles, ni simplement déduites des anciennes (Brown 1991a/b et 2004a/b). Elles sont à considérer comme étant constitutivement a priori et comme fournissant une source de connaissance indépendante de l’expérience. Comment pouvons-nous expliquer, par exemple, le passage de la théorie aristotélicienne du mouvement à la théorie galiléenne ? La bonne réponse ne peut pas être « grâce à des données sensorielles nouvelles », car aucune n’a été ajoutée. Selon Brown, il n’est même pas possible d’invoquer une quelconque vérité logique, qui nous permettrait de conclure que tous les corps tombent avec la même vitesse, ou de faire appel à d’autres critères comme la simplicité. Les expériences de pensée platoniciennes nous permettent de « voir » les lois de la nature. De nombreux auteurs ont critiqué cette thèse aprioriste de Brown, surtout son extension hardie du platonisme du domaine des mathématiques à celui de la physique (par exemple, Humphreys 1993 ; Arthur 1999 ; Cooper 2005).

Selon Norton, au contraire, la pensée pure est totalement incapable de produire de la connaissance, mis à part peut-être la connaissance de vérités purement logiques, quelle qu’elle soit et elle ne peut que transformer ce qu’elle possède déjà (Norton 2004b, p. 49). De plus, il critique une hypothèse fondamentale dans la thèse de Brown : le parallélisme entre la perception visuelle et la perception des entités platoniciennes (Norton 1996). Norton souligne que nous avons de bons critères pour évaluer la fiabilité de la première, mais nous ne pouvons pas dire de même pour la dernière, qui repose à la fois sur l’imagination et l’intuition (Brown 2004a/b et 2013). Enfin, comme il fait valoir que les expériences de pensée peuvent être reconstruites en arguments sans perte épistémique (voir §2.b), Norton nie que l’expérimentation de pensée ait une force épistémique distinctive : les expériences de pensée peuvent accroître nos connaissances, mais seulement de la même manière que des arguments logiquement solides.

Entre ces deux extrêmes, de nombreux philosophes acceptent que des connaissances nouvelles peuvent être acquises grâce à l’expérimentation de pensée. Par exemple, Humphreys (1993) soutient que l’expérimentation de pensée permet une meilleure compréhension des conditions nécessaires pour rendre un modèle théorique stable. En revanche, Gendler (2000, 2004) affirme que par des expériences de pensée, nous pouvons obtenir soit de nouvelles croyances justifiées sur des aspects contingents du monde, soit de nouvelles justifications pour des croyances anciennes. Les réflexions de Gendler sont influencées par Kuhn, qui avait déjà souligné l’importance des expériences de pensée dans la reconfiguration conceptuelle. En outre, comme d’autres auteurs (par exemple, Nersessian 1993 et Brendel 2004), elle reprend aussi des idées de Mach, qui a soutenu que les expériences de pensée rendent explicite une sorte de connaissance inarticulée – non encore organisée dans des cadres théoriques, mais stockée dans la mémoire (Mach 1896 et 1905).

En ce qui concerne le type de connaissance concerné, si certains auteurs ont soutenu que l’expérimentation de pensée implique à la fois de la connaissance a priori et de la connaissance a posteriori (par exemple, Ichikawa & Jarvis 2009 ; voir aussi Arthur 1999), d’autres ont fortement critiqué toute thèse aprioriste, même parmi ceux qui partagent avec Brown l’idée que les expériences de pensée nous mettent en contact avec les lois de la nature ou les universaux (voir Snooks 2006 et Hopp 2014). Le débat a abordé également d’autres types de connaissances, par exemple la connaissance modale et contrefactuelle (voir Williamson 2007 et Engel 2011).

La question concernant le type de connaissance (par exemple, nouvelle/ancienne, a priori/a posteriori, universelle/contingente, conceptuelle/empirique) produit par les expériences de pensée n’est pas le seul problème épineux. La question du statut de cette connaissance reste également ouverte.

  1. Le statut épistémologique des expériences de pensée

La connaissance produite par l’expérimentation de pensée est-elle valide ou fiable ? Et plus généralement, nous pouvons nous demander : les expériences de pensée sont-elles des outils épistémiques indispensables ? Ces questions, d’une part, nous ramènent à la comparaison entre l’expérimentation réelle et l’expérimentation de pensée et, d’autre part, soulèvent le problème du statut des expériences de pensée en philosophie.

  1. La fonction spécifique des expériences de pensée

Comme nous l’avons vu (§2.a), l’expérimentation de pensée est souvent considérée comme étant d’un rang inférieur par rapport à l’expérimentation réelle, comme si elles étaient deux stratégies en concurrence. Autrement dit, les deux types d’expérimentation remplissent la même fonction et la version réelle est préférable chaque fois que cela est possible. En effet, l’expérimentation réelle et l’expérimentation de pensée semblent jouer des rôles très similaires dans l’évaluation des théories : toutes deux testent des hypothèses, aident à affiner des théories et peuvent échouer dans la réalisation de ces objectifs. Cependant, on peut se demander s’il y a une différence fonctionnelle entre les expériences de pensée et les expériences réelles.

Certains auteurs soutiennent qu’en fait, contrairement aux expériences réelles, les expériences de pensée ne peuvent pas avoir un rôle justificatif, mais seulement un rôle illustratif ou explicatif (par exemple, Hull 1989 et 1997 ; Thagard 2010 et 2014). Cependant, cette position ne rend pas justice aux deux types d’expérimentation. Après tout, même les expériences réelles ne sont pas seulement des moyens de justification théorique. Par ailleurs, ce genre de raisonnement tend à porter l’attention uniquement sur l’insuffisance justificative des expériences de pensée et de la voir comme leur défaut et limite majeure. Encore une fois, l’idée qui semble être à l’arrière-plan est que l’expérimentation de pensée n’a aucun rôle à jouer dans le contexte de la justification et devrait se limiter au contexte de la découverte (voir §2.a). Nous courons à nouveau le risque de sous-estimer les spécificités des deux types d’expérimentation. Quel est donc la fonction propre aux expériences de pensée qui les distingue des expériences réelles et nous motive à les utiliser en lieu et place de celles-ci ?

Dans la littérature, les réponses données à cette question ne sont pas toujours limpides. Citons-en quelques-unes. Il a été souligné que l’expérimentation de pensée nous fournit une idéalisation et une modélisation de la réalité à un degré plus élevé que ne le font les expériences réelles (par exemple, Koyré 1960 ; sur l’idéalisation dans les expériences de pensée voir aussi Sorensen 2013). Toutefois, il est douteux que cela réponde vraiment à la question mentionnée plus haut, ou tout simplement que cela change l’accent sur la façon dont l’expérimentation de pensée fonctionne (§4). Gendler (2000) a proposé de situer la différence fonctionnelle dans le type de résultats. Tant les expériences de pensée (au moins celles qui sont scientifiques) que les expériences réelles nous renseignent sur le monde physique, mais les premières nous fournissent des intuitions, alors que les secondes nous offrent des données. Une question se pose alors : faisons-nous vraiment appel aux expériences de pensée parce que nous sommes à la recherche d’intuitions plutôt que de données ?

Inspirée par Kuhn, Alisa Bokulich (2001) a suggéré que l’expérimentation de pensée teste les vertus non empiriques des théories, telles que la cohérence (interne ou externe), la simplicité et la fécondité (pour la notion de vertus non empiriques voir Kuhn 1977 ; pour des notions similaires voir Churchland 1985 et Griesemer & Wimsatt 1989). De ce point de vue, l’expérience de pensée de Galilée a montré une incohérence interne à la théorie aristotélicienne du mouvement, issue d’une utilisation ambiguë des concepts de « vitesse » et de « poids ». Galilée a également osé aller au-delà de l’impasse, en proposant un nouveau cadre théorique capable d’expliquer les phénomènes. La thèse de Bokulich sur l’expérimentation de pensée en physique trouve un parallèle dans le travail de James Lennox (1991, 2005) sur les expériences de pensée chez Darwin. Lennox affirme que les expériences de pensée sont fonctionnellement des expériences, mais nous faisons appel à elles dans des conditions spécifiques : « les expériences de pensée sont particulièrement importantes lorsque la question en jeu concerne la capacité de la théorie à expliquer conformément à ses prétentions et ce qu’elle prétend expliquer » (Lennox 1991, p. 236). Il a été proposé d’étendre une approche similaire aux expériences de pensée philosophiques (Arcangeli 2011).

Il convient de noter que la plupart des auteurs qui remettent en question la validité épistémique de l’expérimentation de pensée ne visent pas les expériences de pensée scientifiques. George Bealer (1998) a proposé de formaliser ce point de vue de façon terminologique. Selon lui, l’expression « expérience de pensée » devrait se référer uniquement aux situations hypothétiques conçues pour générer des intuitions sur le monde naturel, autrement dit aux expériences de pensée scientifiques. De même, d’autres, parmi les critiques les plus tenaces du rôle épistémologique des expériences de pensée, ont toujours préservé les expériences de pensée scientifiques, en particulier au sein de la physique (voir, par exemple, Hull 1997 et Snooks 2006 ; voir Peijnenburg & Atkinson pour une critique des expériences de pensée tant scientifiques que philosophiques – leur position est discutée dans Arcangeli 2011). En général, il y a un scepticisme fort à l’égard de l’expérimentation de pensée comme pratique philosophique, plutôt que comme méthode au sein des sciences.

  1. Le statut des expériences de pensée en philosophie

Les expériences de pensée philosophiques sont généralement dépeintes par leurs détracteurs comme des contes de fées, qui ne méritent pas d’être pris au sérieux. Ces considérations semblent être fondées sur l’idée que la philosophie est trop encline à des ruminations conceptuelles, impliquant l’idéalisation et l’approximation, et repose sur une méthodologie moins rigoureuse que celle qui prévaut dans les sciences. L’expérimentation de pensée philosophique serait paradigmatique de ces défauts.

Kathleen Wilkes (1988), par exemple, considère les expériences de pensée fructueuses uniquement dans le domaine scientifique, car ce dernier, contrairement au domaine philosophique, ne peut pas s’éloigner trop de la réalité et doit invoquer un type d’expérimentation de pensée plus proche de l’expérimentation réelle. D’après Wilkes, une bonne expérience de pensée ne devrait pas seulement impliquer un scénario pas trop éloigné de la réalité, qui inclut et spécifie toutes les conditions pertinentes à sa compréhension, mais elle devrait aussi ne pas violer les lois de la nature. Cette dernière précision devrait distinguer ultérieurement les expériences de pensée philosophiques des expériences de pensée scientifiques, car les expériences de pensée en philosophie violent souvent les lois de la nature. Néanmoins, on pourrait objecter qu’en suivant cette condition l’expérience de pensée philosophique du cerveau dans la cuve serait acceptable, puisqu’il n’est pas évident qu’elle soit nomologiquement impossible, alors que l’expérience de pensée scientifique d’Einstein chassant un faisceau de lumière serait à ignorer. En outre, comme l’a justement souligné Brown, « trop souvent les expériences de pensée sont utilisées pour trouver les lois de la nature elles-mêmes ; elles sont des outils pour dénicher ce qui est théoriquement ou nomologiquement possible. Stipuler les lois à l’avance et obliger les expériences de pensée à ne pas les violer ne ferait que miner leur utilisation comme des outils puissants pour l’investigation de la nature » (Brown 1991b, pp. 30-31 ; voir aussi Cooper 2005).

En suivant l’analyse de Hull (Hull 1989 et 1997 ; §2.a), très inspirée des objections de Wilkes et qui résume parfaitement les critiques contre les expériences de pensée philosophiques, quatre aspects négatifs rendraient l’expérimentation de pensée philosophique moins efficace que l’expérimentation de pensée scientifique.

En premier lieu, les expériences de pensée philosophiques manquent de cadres théoriques bien définis. Selon Hull (1997, pp. 432, 434 et 438), c’est la différence fondamentale entre les expériences de pensée philosophiques et scientifiques. Hull pense que les expériences de pensée proposées en philosophie analytique illustrent parfaitement l’absence de cadre théorique solide censé soutenir le scénario imaginé. De manière provocatrice, il écrit : « Si un tel contexte n’existe pas, les philosophes ont besoin d’en construire un. (…) Si Jane Austen peut le faire, alors Hilary Putnam le peut aussi » (Hull 1997, p. 434). Si une base théorique et technique manque, on aura beau chercher à perfectionner les détails de l’expérience de pensée donnée, elle restera néanmoins incomplète et aura une valeur cognitive appauvrie. En outre, sans un contexte théorique fiable, l’utilité de l’expérimentation de pensée philosophique est également compromise, dans la mesure où elle ne peut pas exploiter une interdépendance fructueuse entre les observations et les théories (Hull 1989, p. 311).

Deuxièmement, les expériences de pensée philosophiques sont utilisées pour justifier ou fournir des preuves en faveur d’hypothèses théoriques, mais elles ne devraient être utilisées qu’à des fins descriptives (Hull 1989, p. 315-316 ; voir aussi Hull 1997, p. 438 et p. 453). Selon Hull, le fait que l’expérimentation de pensée philosophique repose davantage sur le sens commun que sur des données scientifiques affaiblit son pouvoir justificatif et explique pourquoi elle ne saurait offrir le même degré de spécificité technique que l’expérimentation de pensée scientifique et l’expérimentation réelle.

Troisièmement, Hull soutient que, contrairement à l’expérimentation réelle, l’expérimentation de pensée exige une théorie de la concevabilité comme moyen d’atteindre la possibilité, laquelle devrait adopter un standard fort de concevabilité. Malheureusement, « trop souvent, les décisions prises par les philosophes reposent en grande partie sur des intuitions au sujet de ce qui sonne juste » (Hull 1997, p. 435). En un mot, nous nous contentons de prérequis faibles pour évaluer la plausibilité des conclusions atteintes grâce à l’expérimentation (il y a une vaste littérature philosophique sur le lien entre concevabilité et possibilité, voir, par exemple, les contributions dans Gendler Szabó & Hawthorne 2002).

Enfin, des intuitions trompeuses nuisent sérieusement à l’efficacité de l’expérimentation de pensée. Ces intuitions sont variables culturellement, puisqu’elles dépendent du monde culturel que nous habitons ; mais si nos croyances peuvent nous aider à explorer des mondes possibles, elles peuvent aussi relever de préjugés et inhiber l’innovation (Hull 1997, p. 431 et p. 446). De l’image catastrophique dépeinte par les critiques des expériences de pensée philosophiques, il ressort que ces dernières nous plongent dans un « marécage conceptuel » (Hull 1989, p. 315), selon les termes de Hull, plutôt qu’elles ne constituent un prélude à son assainissement.

L’absence d’un standard fort de concevabilité, l’imprécision du contexte et le manque conséquent d’interrelation entre les données empiriques et théoriques sont des erreurs qui peuvent être attribuées à une source commune : des intuitions trompeuses. Par conséquent, les critiques contre l’expérimentation de pensée philosophique peuvent être réduites à deux points. D’une part, l’expérimentation de pensée philosophique se fonde sur des intuitions douteuses et, d’autre part, elle fait appel à ces intuitions pour apporter des preuves en faveur d’un argument. Sans remettre en cause la plausibilité d’un tel point de vue, une autre difficulté provient du fait que parler d’intuitions peut apparaître à première vue problématique, car il n’y a pas de consensus sur ce en quoi les intuitions consistent, ni sur ce que nous pouvons raisonnablement attendre d’elles. Il en est ainsi non seulement dans le débat sur les expériences de pensée, mais aussi dans le débat plus spécifique sur la nature des intuitions (les contributions dans DePaul & Ramsey 1998 sont un bon point de départ sur le sujet ; voir aussi Cappelen 2012 et Chudnoff 2013 et les contributions dans Booth & Rowbottom 2014).

Les intuitions semblent faire partie intégrante du processus de choix rationnel. Depuis longtemps la psychologie et les disciplines connexes étudient la formation et la variation de nos choix (par exemple, Tversky & Kahneman 1981). L’image qui en résulte est que nos décisions sont très sensibles à de nombreux éléments qui, à première vue, semblent sans importance, comme le cadrage du contexte. Des considérations similaires semblent s’appliquer aussi aux intuitions. Cette ligne de recherche devrait inciter à la prudence les philosophes qui, suivant une pratique standard, utilisent des intuitions suscitées par des expériences de pensée comme preuves dans l’évaluation d’une thèse philosophique (par exemple, en éthique, voir Horowitz 1998 ; Black & Tweedale 2002 et Doris & Stich 2005). La leçon à tirer serait qu’il convient d’adopter un programme de recherche plus rigoureux, dont le but serait d’observer les réponses obtenues par des expériences de pensée et d’étudier la nature des intuitions impliquées. Un nouveau mouvement philosophique appelé « philosophie expérimentale » (ou X-Phi) vise précisément à relever ce défi, en faisant usage des méthodes critiques propres à la psychologie sociale expérimentale (pour une introduction à la X-Phi voir Alexander & Weinberg 2007 et  Cova 2011, ainsi que les contributions dans Knobe & Nichols 2008).

En laissant de côté les critiques qui ont été faites aux philosophes expérimentalistes (par exemple Ludwig 2007 et Williamson 2009, Williamson est également sceptique sur le rôle des intuitions dans l’expérimentation de pensée – Williamson 2004, 2005, 2007 – sans être sceptique au sujet de l’expérimentation de pensée en soi comme Machery 2011), des études de philosophe experimentale montrent que certaines expériences de pensée philosophiques (par exemple, les cas à la Gettier – Gettier 1963, l’expérience de pensée de Mr. Truetemp chez Keith Lehrer – Lehrer 1990, l’expérience de pensée de Saul Kripke sur Gödel et Schmidt – Kripke 1980), dont l’acceptabilité fait l’unanimité, évoquent des intuitions variables à la fois d’une catégorie de sujet à une autre, voire variables dans le temps pour un même sujet (voir Weinberg et al 2001 et Machery et al 2004). Le fait que les expériences de pensée produisent des intuitions instables rend l’expérimentation de pensée fragile en soi. Cependant, l’expérimentation de pensée dans les sciences est généralement considérée comme efficace. Il est donc légitime de se demander si seules les expériences de pensée philosophiques évoquent des intuitions précaires, ou si les expériences de pensée scientifiques sont dans la même situation mais peuvent faire appel à d’autres instruments pour rendre ces intuitions plus utiles.

Certains philosophes contemporains ont explicitement souligné que toutes les expériences de pensée, tant philosophiques que scientifiques, évoquent et font appel aux intuitions. La thèse de Brown, par exemple, associe à une intuition la « vision » d’une loi de la nature (Brown 1991b et 2004b). En suivant ce point de vue, dans l’expérience de pensée de Galilée, la conclusion scientifique est obtenue grâce à l’intuition selon laquelle les deux corps tombent à la même vitesse. Cependant, il semble que même dans le domaine scientifique, l’expérimentation de pensée peut susciter des intuitions trompeuses et peu fiables (par exemple, dans l’expérience de pensée EPR, qui est généralement interprétée comme une expérience de pensée non concluante – §2.c.i). Il reste à savoir si ces intuitions peuvent être correctement utilisées dans le domaine scientifique, et de quelle façon.

Une manière de répondre à cette question est de soutenir que les expériences de pensée philosophiques et scientifiques font appel à différents types d’intuitions. Bealer (1998) envisage cette possibilité. Il distingue entre intuitions rationnelles et physiques et soutient que l’expression « expérience de pensée » devrait être utilisée pour se référer uniquement aux situations hypothétiques qui génèrent des intuitions physiques – à savoir, aux expériences de pensée scientifiques. Selon Bealer les intuitions rationnelles seraient des impressions ou apparences [seemings] intellectuelles sui generis, qui surgiraient lorsque nous considérons la possibilité (logique ou métaphysique) d’un scénario imaginaire ou l’applicabilité d’un concept donné à un tel scénario. Par contre les intuitions physiques concernent ce qui se passerait si le scénario était réel, plutôt que sa plausibilité. En outre, Bealer considère que les intuitions rationnelles, contrairement aux intuitions physiques, se présentent comme nécessaires. Au-delà de la plausibilité d’une distinction entre les intuitions physiques et rationnelles, sa pertinence pour une distinction correspondante entre les expériences de pensée scientifiques et philosophiques est discutable, car l’évidence alléguée des intuitions produites par l’expérimentation de pensée philosophique a été sérieusement contestée.

Daniel Dennett (1984) a défini les expériences de pensée comme des « pompes à intuition ». Couramment, cette expression a été interprétée dans un sens négatif. En effet, Dennett n’a pas une haute estime des expériences de pensée (au moins celles qui sont philosophiques), mais il leur reconnaît une utilité. Le philosophe, en effet, écrit que « la philosophie avec les pompes à intuitions n’est pas du tout une science, mais dans sa façon informelle, elle est un partenaire précieux – et même parfois nécessaire – de la science » (Dennett 1984, p. 18). En suivant Peter Swirski (2007), on peut ne pas condamner comme négatif en soi le fait que les expériences de pensée, qu’elles soient scientifiques ou philosophiques, soient des pompes à intuitions, et que ces intuitions soient instables. La force épistémique d’une expérience de pensée semble justement provenir du fait qu’elle représente un cas exceptionnel, dont elle nous oblige à en rendre compte. Peut-être le problème réside-t-il dans une surestimation de ce qu’« on peut raisonnablement attendre de ces expériences » (Swirski 2007, p. 105). Par exemple, il pourrait être exagéré de considérer l’expérimentation de pensée comme une procédure canonique de justification (Bealer 1998), comme si une expérience de pensée unique pouvait nous conduire à accepter ou à rejeter une théorie. Après tout, même les expériences réelles ne semblent pas capables d’en faire autant.

Il est également possible de soutenir que c’est une erreur de « décrire le genre de connaissance impliquée dans ces expériences de pensée comme des intuitions » (Bokulich 2001, p. 300). L’idée serait que les intuitions sont une composante dans le processus cognitif à la base de l’expérimentation de pensée, plutôt que son résultat. On pourrait même soutenir que les intuitions sont dispensables dans les expériences de pensée (Kühne 2005 ; Williamson 2004, 2005, 2007 ; Stuart 2015). Néanmoins, plusieurs philosophes engagés dans le débat sur l’expérimentation de pensée ont explicitement souligné que les intuitions y jouent un rôle important (Brendel 2004 ; Brown 2004a/b ; Cohnitz 2006 ; Horowitz 1998 ; Miščević 2007 ; Gendler Szabó 2007). La question de la nature de ce rôle reste ouverte, mais l’idée serait que grâce à ces intuitions, en association avec d’autres composants (par exemple, des hypothèses théoriques, des données empiriques), les expériences de pensée nous amènent à acquérir des connaissances. La puissance des expériences de pensée se fonderait sur l’optimisation de la combinaison entre les données, les théories et les intuitions.

À la lumière de cette perspective, l’expérience de pensée de Galilée ne nous conduirait pas directement à l’intuition selon laquelle « tous les corps tombent avec la même vitesse », mais plutôt à mettre en évidence que la théorie du mouvement d’Aristote recèle une contradiction. Le résultat est négatif : l’observation d’une incohérence interne à la théorie aristotélicienne du mouvement suggère qu’il faut abandonner l’hypothèse selon laquelle la vitesse d’un corps en chute libre est proportionnelle à son poids. Pour comprendre comment résoudre la contradiction et quelle hypothèse nouvelle avancer, d’autres hypothèses sont nécessaires, comme l’hypothèse selon laquelle la chute d’un corps dépend de la résistance du milieu. Or, l’expérience de pensée de Galilée était un premier pas vers d’autres expériences, aussi bien des expériences de pensée que des expériences réelles, qui lui ont permis d’avancer une nouvelle théorie du mouvement (d’après laquelle la vitesse d’un corps est proportionnelle au temps et dans le vide tous les corps tombent avec la même vitesse – voir Koyré 1960 et Palmieri 2005).

Même dans le cas de l’expérience de pensée de la Terre Jumelle de Putnam, le résultat est négatif pour qui soutient une théorie internaliste de la signification, car l’expérience de pensée montre que ce qu’un mot signifie dépend (aussi) du monde et pas (seulement) de l’esprit. Quoique cette expérience de pensée ne puisse pas justifier à elle seule le rejet d’une théorie internaliste et l’adoption d’une théorie externaliste de la signification, elle nous offre un point de départ inédit pour étudier à la fois la nature de la signification des mots et nos intuitions à ce sujet.

En résumé, il est légitime de soutenir que les expérimentations de pensée scientifiques et philosophiques sont fonctionnellement similaires : les secondes ont le même potentiel que les premières pour faire interagir au mieux des données, des théories et des intuitions.

  1. D’autres pistes à explorer

Ce que sont les expériences de pensée et quelle est leur fonction ne sont pas les seules questions qui ont animé et animent encore le débat sur les expériences de pensée. La discussion sur les intuitions impliquées et suscitées par l’expérimentation de pensée met en évidence un autre point important dans le débat, qui concerne la manière dont cette forme d’expérimentation produit des résultats exploitables sur le plan théorique. Cette question est intimement liée à l’aspect cognitif de l’expérimentation de pensée. Néanmoins, si la littérature abonde de propositions d’ordre épistémologique, comparativement assez peu d’approches cognitives ont été esquissées. La plupart des discussions se sont focalisées sur la typologie de connaissance que les expériences de pensée produisent, ainsi que sur leur fiabilité, au détriment de leurs soubassements cognitifs. Cependant, une approche cognitive permettrait de considérer non seulement (de façon normative) le résultat d’une expérience de pensée, mais aussi (de façon descriptive) ce qui se passe dans la tête du sujet qui la met en œuvre.

La littérature recèle plusieurs tentatives de décrire les étapes d’une expérience de pensée. Par exemple, Reiner et Gilbert (2000) distinguent entre six étapes : (1) un problème ou une hypothèse est indiqué, (2) un monde imaginaire qui contient des objets et des lois est construit, (3) l’expérience de pensée est élaborée, (4) l’expérience de pensée est exécutée, (5) des « observations » sont faites (à savoir, un résultat est produit grâce à l’utilisation des lois de la logique) et (6) des conclusions sont tirées (voir aussi Sorensen 1992 ; Häggqvist 1996 et des contributions plus récentes dans Ierodiakonou & Roux 2011). Cependant, la question de savoir si ces analyses se concentrent sur ce qui se passe vraiment dans la tête des expérimentateurs de pensée ou si elles portent sur la structure argumentative des expériences de pensée n’a pas toujours de réponse claire. En effet, il semble que les expériences de pensée soient des raisonnements, or il devrait être possible de les organiser en une structure comportant des prémisses, une conclusion et impliquant certaines règles d’inférence.

Quoi qu’il en soit, la question de savoir comment les expériences de pensée remplissent leur fonction a conduit à aborder la question des fondements cognitifs de l’expérimentation de pensée. Sur cette question, en effet, les auteurs ne s’entendent pas et ont fait appel à différentes sortes de raisonnements, parfois compatibles entre elles : hypothétique (Rescher 1991), contrefactuel (Weber & De Mey 2003 ; Williamson 2007), déductif (Bunzl 1996 ; Norton 2004a et b), inductif (Norton 2004a et b), abductif (Swan 2009), simulationnel fondé sur des modèles (Nersessian 1993), propositionnel (Williamson 2007), non propositionnel (Arthur 1999 ; Nersessian 1993), et heuristique (De Mey 2006).

Un débat connexe porte sur le rôle joué par l’imagination dans l’expérimentation de pensée, puisqu’il est courant de considérer les expériences de pensée comme des expériences imaginaires : l’expérience de pensée est une expérience réalisée grâce à l’habileté imaginative et conduite dans le « laboratoire de la pensée ». Le rôle de l’imagination dans l’expérience de pensée est pourtant un sujet controversé (voir McAllister 2013 ; Meynell 2014 et Stuart à paraître). Certains auteurs lui accordent un rôle central (par exemple Gendler 2004), alors que d’autres considèrent que l’expérimentateur de pensée pourrait et devrait s’en passer complètement, l’imagination étant ici source d’erreur (voir, par exemple, Duhem 1914 et Norton 2004b). Toutefois, le rôle précis joué par l’imagination dans l’expérience de pensée reste à clarifier. La plupart des auteurs semblent faire appel à l’imagination comme le moyen par lequel l’expérimentateur de pensée accède à un scénario qui n’est pas directement présent à ses sens : il est en situation de quasi-observation, plus que d’observation proprement dite (voir, par exemple, Brown 1991a/b et 2004a/b ; Arthur 1999 ; Nersessian 1993 ; Gooding 1993). Néanmoins, ce pourrait ne pas être la seule implication de l’imagination dans l’expérimentation de pensée (voir Arcangeli 2010).

Nous laissons le lecteur découvrir ces débats et les nombreuses questions stimulantes qui les animent. En effet, il s’agit de pistes qui non seulement promettent d’expliquer comment les expériences de pensée opèrent, mais qui pourraient également nous indiquer d’une part les raisons pour lesquelles les expériences de pensée ne parviennent pas toujours à remplir leur fonction épistémique et d’autre part les règles pour bien expérimenter dans la pensée.

Deux pistes à explorer méritent d’être citées. En premier lieu, le rapport entre le débat sur le rôle de l’imagination dans les expériences de pensée et l’approche fondées sur la notion de modèle (physique ou mental). L’imagination est souvent citée par les auteurs qui ont avancé cette approche (voir, par exemple, Miščević 1992 ; Nersessian 1993 et Cooper 2005), mais la manière dont ils définissent l’imagination et le lien entre les modèles mentaux ou physiques et l’imagination ne sont pas clairs. Ce qui est intéressant à noter est que d’après ces auteurs les expériences de pensée sont des espèces de raisonnement simulationnel, mais, précisément, en philosophie de l’esprit l’imagination a été définie comme une espèce de simulation mentale (voir, par exemple, Currie & Ravenscroft 2002 et Goldman 2006 ; sur différentes espèces de simulation mentales dans les expériences de pensée voir Arcangeli 2010 et à paraître et Zeimbekis 2011).

Deuxièmement, la dimension narrative de l’expérimentation de pensée. Cette dimension a conduit certains auteurs à conclure que le raisonnement qui sous-tend l’expérimentation de pensée est étroitement lié à celui qui est exploité dans la réception de la fiction (Miščević 1992 ; Nersessian 1993 ; Ichikawa & Jarvis 2009 ; Davies 2007 et 2010 ; Meynell 2014). Si, d’une part, nous pouvons mettre l’expérimentation de pensée sur le même plan que la fiction littéraire, d’autre part, nous pouvons également faire l’inverse et mettre celle-ci au niveau de la première. Les fictions elles-mêmes peuvent être considérées comme des expériences de pensée visant à enrichir la connaissance du sujet à travers des « voyages » dans des mondes plus ou moins possibles (Davenport 1983 ; Swirski 2007. Voir aussi Carroll 2002 ; McComb 2013 ; Elgin 2007 et 2014).

Nous aimerions aussi rappeler que l’éventail des expériences de pensée considéré a été nécessairement limité. Dans le domaine scientifique, il serait intéressant d’analyser également des exemples qui relèvent d’autres domaines que la physique, comme la biologie, les mathématiques, la linguistique ou les sciences sociales. De même il faudrait approfondir l’étude des expériences de pensée que nous avons héritées de la tradition philosophique, au lieu de nous concentrer, comme il arrive souvent, sur la production contemporaine seulement (sur ces sujets, voir par exemple les contributions dans Horowitz & Massey 1991 ; Casati et al. 2009 ; Ierodiakonou & Roux 2011 ; Frappier et al 2013 et dans les numéros spéciaux de Philosophica – 72, 2003 – et de Perspectives on Science – 2/22, 2014).

Ces développements sont-ils exhaustifs ? Bien sûr que non. Au moins deux autres pistes, évoquées tout au long de la discussion, sont ouvertes : mieux comprendre l’utilisation pédagogique des expériences de pensée et enquêter sur le types de liens entre concevabilité et possibilité dont elles ont besoin. Or, beaucoup de travail reste encore à faire pour comprendre pleinement cet outil si singulier.

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