Note clinique sur les troubles « dys »

Note clinique sur les troubles « dys »

Ludovic GADEAU

Pour citer cet écrit :

Gadeau L. (2017). Etre parent aujourd’hui. Comment la psychologie peut vous aider au quotidien. Paris : Editions In Press, 248 p

Le cerveau de l’être humain est porteur de potentialités différenciées innées, fait de structures précâblées spécialisées pour effectuer certains apprentissages. Il est doté d’un éventail de compétences initiales, sortes de « boites à outils » spécialisées qui permettront l’amorce des apprentissages langagiers, gestuels, spatiaux, etc. L’apprentissage lui-même n’est pas un processus homogène, polyvalent, identique pour les différentes fonctions mentales : les différents apprentissages (le langage, la mémoire, etc.) s’effectuent non seulement à des rythmes différents, mais surtout selon des schémas et des procédures spécifiques, reposant à la base sur des réseaux ou assemblées de neurones d’emblée spécialisés. C’est cette spécificité  neuronale qui est innée dans les capacités d’apprentissage. Ce qui est acquis, c’est-à-dire ce qui est soumis aux échanges entre l’enfant et son environnement matériel et psychoaffectif, c’est la capacité à initier et alimenter ces réseaux. Ces interactions complexes entre  la boite à outils neuronale et les expériences de vie de l’enfant vont favoriser, stabiliser ou effacer certaines connexions interneuronales, et ainsi sculpter le cerveau d’une façon singulière, transformant les potentialités innées de l’enfant (et en grande partie communes à l’ensemble de notre espèce) en performances actualisées et évolutives rendant compte de savoirs et de savoir-faire propres à chaque sujet.

Une des conséquences de cette architecture modulaire cérébrale de base est que, dans certains cas, un ou plusieurs modules, système ou sous-systèmes impliqués dans les apprentissages, peuvent être affectés de dysfonctionnements qualitatifs, alors que les autres systèmes restent parfaitement opérants. On parle alors de troubles spécifiques des apprentissages (TSA). Cela se manifeste par des difficultés particulières dans certains secteurs des apprentissages. C’est ainsi que l’on parle de dyslexie, dyscalculie, dysphasie, dyspraxie. Les enfants présentant des TSA ont par ailleurs tous une intelligence normale, voire supérieure.

Ces troubles spécifiques se dévoilent progressivement au décours de la maturation et du développement de l’enfant et se présentent sous la forme de discordances plus ou moins importantes dans les performances liées aux apprentissages. Par exemple, l’enfant manifestera de bonnes capacités mnésiques pour les poésies, les chansons, mais pas pour les tables de multiplication. Tel autre dessinera bien, mais écrira avec difficulté. Tel autre encore maîtrisera la syntaxe à l’oral, mais pas à l’écrit. Celui-ci sera très habile pour jouer avec sa PlayStation, mais montrera des faiblesses pour identifier un dessin dans une page, etc.

Les dyslexies (et dysorthographies)

Il s’agit de difficultés lourdes de l’apprentissage de la lecture qui peuvent revêtir des formes différentes selon les enfants. Les syndromes se traduisent par de lourdes difficultés dans l’acquisition du langage et de l’écrit. Concrètement, l’élève a du mal à apprendre à lire (omissions, inversions, confusions, ajouts, remplacements de lettres), à faire un lien entre un son et sa transcription écrite. Il possède donc d’importantes lacunes par exemple dans l’usage des règles de grammaire et d’orthographe : difficultés à mémoriser l’orthographe d’usage, l’enfant peut écrire le même mot de plusieurs façons différentes, ou il inscrit les lettres dans le désordre. En classe, si l’enseignant donne plusieurs tâches à effectuer, l’élève en oublie quelques-unes en route. L’espace de mémoire nécessaire pour contenir les instructions immédiates est insuffisant. Les efforts considérables souvent consentis par ces enfants ne sont pas récompensés. Ils peuvent éprouver un dégoût pour la lecture et l’écrit, accumuler du retard, se désinvestir. Ils éprouvent le plus souvent un sentiment d’infériorité, de honte également qui peut conduire à des troubles du comportement.

Aussi est-il important de proposer des aménagements pédagogiques en privilégiant la transmission d’informations à l’oral plutôt qu’à l’écrit, en laissant plus de temps pour la transcription écrite et la relecture, en proposant pour les documents papier des tailles de police de caractères et d’espacement des lettres un peu plus grand, en ayant recours aux traitements de texte, etc.. Il est aussi important de protéger ces enfants. Par exemple, il n’est rien de pire que de demander à un élève dyslexique de faire une lecture à haute voix devant toute la classe. Il risque de trébucher sur la plupart des mots, lire des mots à la place d’autres mots, provoquer les rires des camarades par les confusions que sa lecture provoque, etc.

Les dysphasies

Il s’agit d’une difficulté massive de construction et de maîtrise du langage oral. Ce sont des enfants qui vont accuser rapidement un retard dans l’expression orale lequel se perçoit vers 3 ou 4 ans. Ils butent sur les mots, ont du mal à prononcer correctement les phonèmes de la langue, puis à construire correctement une phrase. Ils cherchent leurs mots et n’arrivent pas à les retrouver. Ces enfants donnent une impression de pauvreté de la production verbale. Ils parlent très peu et développent une façon de communiquer bien à eux : ils font des gestes, montrent du doigt. Lorsqu’ils communiquent oralement, ils sont souvent difficilement intelligibles. Ils éprouvent aussi de grandes difficultés à comprendre et répéter une information, une consigne. Sont donc affectées à des degrés divers selon les enfants, l’élocution, l’évocation et la compréhension orale.

Pour maintenir les échanges avec l’enfant à un niveau satisfaisant, il faut pouvoir contourner les difficultés de communication orale (phonation et audition) par l’usage de canaux complémentaires (contacts visuels et tactiles), encourager la communication complémentaire par les gestes, le dessin. Il faut aussi veiller à utiliser un vocabulaire simple et concret. Il faut enfin et si possible éviter d’interrompre l’enfant lorsqu’il s’exprime.

Les dyscalculies

La dyscalculie est un trouble de compétences qu’on appelle logico-mathématiques. Cela concerne les compétences numériques, arithmétiques et les facultés de raisonnement.

Les compétences numériques portent sur le sens des nombres et leurs relations quantitatives et qualitatives : un chiffre n’a pas le même sens selon qu’il est dans la colonne des unités, des dizaines, des centaines, etc.. Un même nombre (ex. : 23) peut exprimer des quantités physiques différentes : 23 centimètres, 23 kilogrammes, 23 hectares, 23 litres, etc. Et une même quantité physique peut s’exprimer avec des unités de mesure différentes : exemple : 35 centimètres = 0,35 mètre ou 54 litres = 5400 centilitres. Les compétences d’arithmétique élémentaire portent notamment sur la compréhension du sens des opérations de base que sont l’addition, la soustraction, la multiplication et la division. Les facultés de raisonnement portent sur les fonctions logiques de sériation [1] , de classification [2] et d’inclusion de classe [3] , sur les opérations qu’on appelle infralogiques [4] , sur la logique opératoire concrète puis formelle, débouchant sur les raisonnements hypothéticodéductifs, c’est-à-dire les raisonnements de la démarche scientifique.

Fabrice, un adolescent perdu dans les opérations de classification élémentaires. Fabrice, un adolescent de 15 ans, bénéficie d’une rééducation logico-mathématique assurée par une orthophoniste formée à ce type de remédiation. Avec son accord et celui de ses parents, les séances sont filmées et retravaillées après coup avec un psychologue. Je présente un bref passage de séance, assez typique de ce à quoi ces enfants dyscalculiques sont confrontés comme type de difficultés cognitives et ce qu’ils peuvent éprouver face à ces difficultés. Fabrice doit résoudre un problème mettant en jeu ce qu’on appelle d’un nom un peu barbare la quantification de l’inclusion. On lui soumet le problème suivant : parmi un ensemble d’objets de formes différentes (des ronds, des carrés, des triangles) et de couleurs différentes (rouge, jaune, bleu), on veut constituer un sous-ensemble comprenant 4 objets, dont 2 ronds et 3 rouges. Il doit réaliser ce sous-ensemble à l’aide de figures géométriques en bois constituant l’ensemble de bases. La consigne est tout à la fois écrite et formulée oralement. Il se lance immédiatement dans une manipulation et aligne 2 ronds (non-rouges), suspend toute action pendant quelques secondes, relit la consigne et ajoute 3 pièces rouges (et non rondes). Constatant qu’il y a 5 objets au lieu de 4, il supprime 1 rond ; il a maintenant bien quatre objets, 3 rouges, mais plus qu’un rond ; il remet immédiatement le rond enlevé en place, l’enlève de nouveau, le remet, retire une pièce rouge ; il a alors 2 ronds, 2 rouges, soit quatre objets, mais là encore un des critères n’est pas rempli. Cette manipulation dure d’une minute. Il interrompt alors toute manipulation, semble réfléchir intensément pendant une dizaine de secondes puis relève la tête dans un mouvement de décharge motrice qui engage tout son corps et conclut par un « ça me prend la tête ! ». Il jette ensuite le corps en arrière, tourne tête et tronc comme pour vérifier s’il n’y a pas quelqu’un ou quelque chose derrière son dos. Il se remet face à la table et évite du regard le plan de la table sur lequel gisent ces figures géométriques qui ont failli, littéralement, lui prendre la tête. Pour terminer, il est en proie à une hésitation pathétique, lisible dans son attitude et qui semble dire : « Est-ce que je me replonge dans l’exercice ou est-ce que je renonce ? »

Globalement, les enfants présentant une dyscalculie rencontrent des difficultés pour apprendre à compter, à manier les opérations arithmétiques, à résoudre des problèmes élémentaires et à comprendre la géométrie. Ils ne saisissent pas le sens des symboles mathématiques et ne mémorisent pas bien les éléments chiffrés.

Les recommandations pédagogiques pour ce type d’enfant consistent à proposer un matériel concret pour penser les choses. L’enfant pourra faire du calcul à l’aide de buchettes ou de jetons, trouver une méthode fiable pour compter sur ses doigts (les unités et les dizaines notamment), être autorisé à faire usage de la calculette plutôt que de consommer une énergie en pure perte à apprendre les tables de multiplication.

Les soins psychothérapiques peuvent venir en appui d’aides rééducatives, toujours nécessaires.

Anna la marchande. Anna 10 ans. Elle présente une dyscalculie diagnostiquée très tardivement. Cette enfant est en CM1 et en échec scolaire depuis le CP. Elle bénéficie d’une rééducation logico-mathématique depuis 6 mois à raison d’une séance par semaine. Je la reçois à la demande de l’orthophoniste qui réalise la rééducation et qui s’inquiète de voir cette enfant tellement angoissée devant les exercices proposés qu’elle hésite à poursuivre le soin. Cette enfant a totalement perdu confiance en elle. Elle dit même qu’elle se déteste tant elle se sent selon ses propres mots « nulle ». Elle ne comprend rien à rien, dit-elle, et même si ses copines ne se moquent pas ouvertement de ses difficultés, elle pense qu’on se rit d’elle dans son dos. Après quelques séances visant à installer une confiance mutuelle, j’incurve un jeu qu’elle a initié pour lui donner la tournure d’un jeu de marchande. Elle est la marchande, je suis le client. Je dois jouer, à sa demande, différentes versions du client. Une fois un client sympathique, une autre fois un grincheux, une encore un timide, etc. J’introduis dans le jeu de vraies pièces de monnaie et des billets de banque de 5 et 10 euros tout aussi réels. Comme dans un magasin elle a indiqué le prix sur les objets mis en vente (ce sont les images d’objets que l’on a découpées dans des catalogues de publicité). Anna, au début très anxieuse à l’idée de devoir rendre la monnaie au client, se prend finalement au jeu. Munie d’une grosse calculette, elle additionne les objets de mon panier d’achats et savoure le moment où elle appuie sur le signe « = ». Le total apparaît, comme par magie, facile, limpide et beau malgré la virgule qui comporte sa part d’énigme pour elle, tout cela sans qu’elle ait eu à fournir un effort surhumain. Le chiffre qui s’affiche devient presque un ami, en tout cas quelque chose qui ne la persécute plus, un nombre qui peut se convertir en argent vrai, fait de pièces et de billets bien réels. Elle met consciencieusement l’argent dans une petite caisse en plastic qu’elle retrouve la séance d’après avec un plaisir évident.

Au bout d’une dizaine de séances, l’orthophoniste me rappelle pour signifier qu’Anna est beaucoup moins anxieuse et plus impliquée dans les exercices rééducatifs proposés. Elle est rassurée concernant la suite de la rééducation.

Les dyspraxies

Il s’agit d’un trouble de la coordination motrice globale et fine. Les gestes considérés comme simples pour d’autres, comme manger, s’habiller, tenir un stylo… sont compliqués à réaliser. Le moindre mouvement semble demander réflexion. L’automatisation de gestes réguliers ne se fait pas ou alors très lentement. La dyspraxie est un dysfonctionnement de la programmation gestuelle au niveau cérébral qui rend l’enfant particulièrement maladroit. Ce sont donc des enfants qui trébuchent, se cognent, tombent régulièrement, se font mal et font aussi mal aux autres en raison de gestes désordonnés, qui mettent plus de temps que les autres pour la moindre activité, qui ont du mal à manger proprement, qui font tomber les objets (verres, couverts, trousse, etc.), qui semblent bâcler les réalisations manuelles (lesquelles sont très mal exécutées), qui souvent détestent les jeux de logique, type puzzle, lego, jeux de dames, jeux d’échecs.

Ces enfants à l’intelligence normale donnent l’impression que quelque chose ne va pas en eux. Leur corps ne répond pas ou mal, leurs manières d’être et de faire inquiètent l’entourage et contribuent à un fort sentiment d’anormalité. Cela peut entraîner chez eux des réactions violentes face aux contraintes, aux consignes, aux exercices à réaliser et un rapport conflictuel aux camarades.

Il faut recommander aux adultes de communiquer avec ces enfants à la fois par oral et visuellement. Il est important d’expliquer chaque étape de ce qui est demandé de manière à ce qu’ils visualisent un schéma, une sorte de mode d’emploi. Par exemple pour reproduire une forme (dessin ou découpe aux ciseaux), pour colorier une figure, il doit visualiser chaque geste à entreprendre, les reproduire mentalement, quelquefois plusieurs fois, avant leur exécution.

Concernant l’ensemble des troubles sévères ou spécifiques des apprentissages (TSA), trois approches doivent être mises en œuvre :

  • La rééducation faite par un spécialiste (orthophoniste, orthoptiste psychomotricien, ergothérapeute) visant directement le trouble diagnostiqué : il s’agit d’une rééducation technique, ciblée et qui prend en compte précisément les mécanismes pathologiques sous-jacents au symptôme.
  • Le contournement des troubles, en utilisant les suppléances disponibles (c’est-à-dire les fonctions cognitives préservées), quelquefois en surentraînant ces fonctions indemnes.
  • Les adaptations à l’école et à la maison qui facilitent la vie de l’enfant et lui permettent d’être le plus performant possible. Il s’agit donc de réaliser des aménagements dans l’environnement le plus souvent au travers d’aides techniques qu’il aura appris à utiliser de façon adéquate (ordinateur, synthèses de parole, logiciels divers, etc.).

Une approche psychothérapique peut être proposée :

  • en parallèle des rééducations lorsque le trouble a un retentissement sur le fonctionnement psychoaffectif, au niveau de l’estime de soi, des modes d’investissement du monde interne (activité imaginaire), des relations aux autres (au groupe des pairs, à la fratrie, aux parents).
  • En appui ou en relais (temporaire) des rééducations lorsqu’elles évoluent vers des situations qui se grippent, comme c’était le cas dans la prise en charge d’Anna.

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Notes

  • [1]↑– Ordonner et comparer des grandeurs dans des problèmes de type : « le cercle A est-il plus petit ou plus grand que le cercle B ? » ou encore : « trace un trait qui soit plus grand que le trait A et plus petit que le trait B ».
  • [2]↑– Trouver les différentes manières de classer une collection d’objets mélangés entre eux, mais qui différent par la forme (il a des ronds, des carrés, des triangles, des rectangles), par la taille (il y a des grands, des moyens, des petits), par leur couleur (certains sont jaunes, d’autres bleus, d’autres verts, etc.).
  • [3]↑– Qui permettent de résoudre des problèmes de type : « Sur la terre, y-a-t-il plus de roses que de fleurs ou plus de fleurs que de roses ? » ou encore les syllogismes de type « Tous les hommes sont mortels, or Socrate est un homme donc Socrate est mortel ».
  • [4]↑– Ces opérations portent notamment sur la conservation des quantités malgré leur changement de forme. Par exemple une série de bonbons alignés en rangs serrés ou espacés les uns des autres ne change rien à leur quantité. Cependant les petits de moins de 3-4 ans pensent qu’il y a plus de bonbons si leur alignement prend plus de place (c’est-à-dire si on les espace plus). Autre exemple : on prend une boule de pâte à modeler et on demande à l’enfant si la quantité de pâte à modeler sera la-même, plus grande ou plus petite si on fractionne la pâte en petites boulettes. Cela revient à se demander si le volume de pâte ne varie si on modifie sa forme.