Effet placebo et valeur de sens dans l’évaluation des psychothérapies
Placebo effect and value of sense in the evaluation of psychotherapies
Ludovic Gadeau [1] Maître de conférence de psychologie clinique. [2] Directeur du centre médico-psychopédagogique (CMPP) de l’académie de Grenoble.
Résumé
L’évaluation des psychothérapies est en passe de constituer un enjeu majeur pour les acteurs du soin psychique sous la pression des pouvoirs publics. Des questions épistémologiques essentielles sont à soulever quant à la portée scientifique qu’on entend donner à ces évaluations. L’auteur interroge le statut réservé à l’effet placebo et la méthodologie de l’évaluation des psychothérapies par la technique test-retest et dans l’interprétation des résultats d’études randomisées. Il critique la dimension interprétative de données quantitatives traitées comme des valeurs naturelles, hors de toute théorie à portée anthropologique.
© 2009 Publié par Elsevier Masson SAS pour la Société française de psychologie.
Abstract
The evaluation of psychotherapies is on the point of constituting a major stake for the actors of the psychic care under the pressure of the public authorities. The scientific reach which we intend to give to these evaluations must be questioned at an epistemological level. The author questions the status of the placebo effect as well as the methodology of the evaluation of the psychotherapies by the technique of test-retest in the interpretation of the results of randomized studies. He criticizes the interpretation of quantitative data when they are treated as natural values, outside any anthropological theory. © 2009 Publi´
e par Elsevier Masson SAS pour la Société française de psychologie.
Mots clés :
Psychothérapie ; Évaluation ; Épistémologie ; Effet placebo
Keywords :
Psychotherapy; Evaluation; Epistemology; Placebo effect
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1. Position du problème
L’évaluation des pratiques professionnelles en matière de soin constitue aujourd’hui un champ immense d’investigation, ouvert notamment depuis les exigences renforcées des pouvoirs publics en matière de maîtrise des coûts sanitaires et médicosociaux. D’après Howard et al. (1996), six champs différents sont concernés par le travail d’évaluation : les patients, les clients (personnes qui auront un bénéfice indirect ou direct lié au traitement comme les parents d’un enfant), les cliniciens, les chercheurs, les sponsors et les agents de la santé mentale. Nous comprenons alors que le travail d’évaluation peut changer d’orientation en fonction des intérêts spécifiques de chaque parti.
Les recherches en matière d’évaluation des soins psychothérapiques sont fortement représentées dans les revues scientifiques anglo-saxonnes, et faibles en nombre dans les revues scientifiques francophones (Ionescu, 1998; Rapport Inserm, 2004; Cottraux, 2004).
Historiquement, un mouvement progressif peut être dessiné (Goldfried et Wolfe, 1996; Rappard, 1996). Ainsi, les premières tentatives d’évaluation chiffrée ont elles été réalisées par des psychanalystes à partir des années 1920 et 1930 (Knight, 1941). Dans les années 1950, les premières recherches de type global sans distinction véritable des techniques psychothérapiques se développent, visant à vérifier l’existence et l’efficacité objectivée des changements produits. À partir des années 1960, on a essayé de comparer les techniques thérapeutiques entre elles, au regard des troubles qu’elles prétendaient traiter (Luborsky et al., 1975). Aujourd’hui, les investigations portent moins sur une efficacité générale de la psychothérapie que sur la détermination de la grandeur d’effet de chaque psychothérapie dans chaque indication (Bergin et Garfield, 1994; Huber, 1993; Guthrie, 2000) et donc sur la comparaison des techniques psychothérapeutiques (Giles, 1993; Gérin, 1984) ainsi que sur la compréhension du processus par lequel une psychothérapie est efficace (Luborsky et Luborsky, 2006; Gabbard et al., 2002; Despland et al., 2001; Thurin, 2000; Dazord, 1997; Gérin et al., 1991). En outre, depuis les années 1980, se sont développés des essais cliniques contrôlés qui empruntent à la pharmacologie ses modèles méthodologiques et au Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders (DSM) son approche catégorielle des troubles psychopathologiques.
En France, les premiers travaux publiés sont issus d’un groupe de recherches de l’Inserm (Gérin, 1984; Cottraux, 1988; Gérin et al., 1991) et ont témoigné d’un souci plus grand des questions épistémologiques que soulève la complexité du problème de l’évaluation des psychothérapies (Perron, 1998; Thurin, 2006; Thurin et Thurin, 2007). En outre, les travaux franc¸ais se traduisent par un élargissement des cibles, objets de l’évaluation (Dazord et al., 1992; Dazord et al., 1993; Thurin, 2006).
Mais les enjeux de l’évaluation côtoient aussi des intérêts qui ne sont pas nécessairement guidés que par la raison ou que la raison participe à masquer. Il n’est pas excessif de dire que les polémiques entourant la question de l’évaluation des psychothérapies sont traversées par des enjeux institutionnels et des positions idéologiques qui, derrière une certaine rhétorique ou un argumentaire aux apparences scientifiques, occultent une question essentielle au débat, celle du statut épistémologique de l’objet de l’évaluation (Gadeau, 2006).
Que les recherches portent sur l’efficacité ou l’efficience du soin psychique, évaluer une prise en charge psychothérapique c’est d’abord chercher des indices pertinents établissant que pour un sujet [S1], les effets éventuels [e] repérés en cours [T1] ou au terme d’un traitement [Tn] au regard de l’état antérieur au traitement, sont bien le produit du traitement. Autrement dit, il s’agit d’établir que l’« être » [E de S1] est différent à T1 ou à Tn par rapport à T0. Les techniques de type test-retest sont présentées comme pouvant répondre à cette mesure. Mais il faut aussi montrer que ces effets se constituent au bénéfice du patient [ES1], c’est-à-dire que la valence de [e en E] apparaisse positive [e+ en E], soit [ES1Tn] est supérieur à [ES1To].
Aussi, devons-nous discuter deux types de biais possibles qui, l’un et l’autre, portent sur l’interprétation des différences statistiques éventuellement constatées entre To et T1 ou Tn :
- le premier met l’accent, à partir d’une critique de la valeur de constante de l’effet placebo, sur un biais possible dans l’interprétation de résultats comparatifs entre groupes témoins et groupes expérimentaux dans les protocoles randomisés
- le second porte sur l’interprétation du sens de la valeur de [e], c’est-à-dire sur le statut épistémologique de l’objet même de l’évaluation.
2. Un biais théorique possible dans l’interprétation des résultats de test-retest dans les études randomisées
Selon la Haute Autorité de santé, nous disposons d’un modèle méthodologique dans le champ psychothérapique, celui utilisé pour évaluer les effets thérapeutiques des médicaments. Il est considéré par l’evidence based medicine (EBM) comme offrant le meilleur niveau de preuve. Le modèle utilisé est celui du double insu (études contrôlées randomisées) : on compare deux groupes, l’un à qui on administre la molécule que l’on évalue, l’autre à qui l’on donne un traitement neutre d’effets. Personne ne sait à qui la molécule supposée active est donnée, pas plus les patients que les soignants. Il s’agit d’évaluer si l’effet de la molécule est supérieur à l’effet qu’on nomme placebo.
On comprend bien qu’un tel modèle méthodologique est inapplicable en matière d’évaluation des psychothérapies et pas seulement psychanalytiques. Cependant, de nombreuses recherches en matière d’évaluation des thérapies cognitivo-comportementales (TCC) ont emprunté l’essentiel de ce modèle pour effectuer des mesures test-retest sur des cibles, visant à l’établissement d’une validité de grade A (Guthrie, 2000).
Le principe de la méthodologie de type test-retest utilisé fréquemment dans l’évaluation de l’efficacité des TCC, offre-t-il une véritable validité scientifique ? En quoi la mesure (quantitative ou qualitative) d’un écart entre l’avant et l’après d’une thérapie, établie à partir de « cibles » et comparée à un groupe « témoin » (incluant un effet jugé « placebo », comme le contact minimum avec un thérapeute, une liste d’attente avec lien téléphonique avec un soignant, etc.), a-t-elle valeur de preuve de l’efficacité de cette thérapie, c’est bien la question. Et c’est ce à quoi toute démarche ayant des prétentions de scientificité doit pouvoir répondre. Autrement dit, la mesure de l’efficacité sur la base comparative de l’effet placebo est-elle fondée ? En outre, de quoi la mesure d’un écart, à partir de cibles déterminées, entre l’avant et l’après d’une thérapie, fait-elle preuve ?
2.1. L’effet placebo, une variable non constante
Le placebo n’a été pris en compte par la littérature scientifique que depuis les années 1940 (Pepper, 1945). Le concept de placebo n’est donc pas très ancien (même si l’usage du terme remonterait selon l’Oxford new english dictionnary, au moyen âge [3] Pour une approche historique du concept, voir Aulas (1993), Lemoine (1996). ) et a été proposé au début des premières études cliniques contrôlées visant à valider des produits actifs dans les essais thérapeutiques. Par ce terme, les chercheurs essayaient de montrer que, malgré l’entreprise de contrôle des variables, quelque chose échappait à la mesure et donc à la prédiction. Le choix du terme, placebo, ce « je plairai » n’est évidemment pas anodin puisque l’ingrédient qui échappe à la mesure se dérobe à ce présent que l’on cherche à contrôler et désigne tout à la fois une sorte d’intention émergente venant du patient et une adresse : à qui ou à quoi s’agirait-il de plaire4 ? Selon la définition de Pichot (1961),« l’effet placebo est, lors de l’administration d’une médicament actif, la différence entre la modification constatée et celle imputable à l’action pharmacologique du médicament ». Un placebo est donc une mesure thérapeutique d’efficacité intrinsèque nulle ou faible, sans rapport logique avec la maladie, mais agissant, si le sujet pense recevoir un traitement actif, par un mécanisme psychologique ou psychophysiologique (Kissel et Barrucand, 1964). Pourtant, les évaluateurs ne cherchent pas à savoir ce qu’est cet effet supposé non spécifique [5] Les recherches portant sur les caractéristiques psychologiques des patients répondant le plus à l’effet placebo n’ont jamais permis de définir un profil de « placebo-répondeurs » de même qu’on n’a pas mis en évidence un profil de « thérapeute-inducteur ». et se contentent de le considérer comme une sorte de point zéro, en comparaison de quoi on jugera un candidat-médicament (Golomb, 1995). Aujourd’hui, la validité d’un médicament consiste en une mise en compétition de la molécule avec l’effet placebo, lequel doit être compris comme un agencement complexe d’éléments appartenant à plusieurs niveaux d’organisation, notamment : le contexte dans lequel le traitement s’inscrit [6] Ainsi, les chercheurs savent-ils que l’effet placebo diminue sensiblement lorsqu’on quitte le contexte des protocoles expérimentaux et, qu’à l’inverse, il est plus important dans les montages dits de laboratoire. , le contact avec le thérapeute [7] Wolf (1956) administre à un de ses patients asthmatiques alternativement un nouveau médicament réputé actif contre les troubles des voies respiratoires et un placebo. Il constate une amélioration de l’état du patient à chaque prise du médicament actif et une rechute à chaque prise du placebo, ce qui constitue la preuve apparente de l’efficacité du traitement actif. En fait et à l’insu de Wolf, le patient n’avait rec¸u que du placebo…Voir aussi Harrington et al. (2000). (Wolf, 1956), les effets et rétroactions liées à l’amélioration, la subjectivité engagée dans l’évaluation, etc., (Pignarre, 1995, 2001). Autrement dit, l’effet placebo répond à un système de contraintes sociales et de contraintes psychologiques, notamment l’asymétrie qui qualifie la relation entre le patient et le thérapeute. C’est bien dire que les expériences de laboratoire sont des dispositifs complexes qui intègrent aussi une composante sociale et psychologique externe au protocole de recherche (Latour, 1988, 2001).
L’effet placebo, c’est aussi le produit d’un discours qui porte une demande, qui dit la souffrance ou la maladie, qui indique si la rencontre est possible et à quelles conditions elle l’est (protocoles institutionnels, commissions, dossiers, contraintes matérielles, etc.). Ce discours fait la rencontre entre le patient et son thérapeute, fonde la relation qui définit des règles d’échange, qui met en alliance. On a par exemple montré que l’effet d’une substance bronchodilatatrice pouvait être inversé selon le message verbal adressé au patient, ou encore qu’un bronchoconstricteur présenté comme un puissant bronchodilatateur pouvait soulager certains patients asthmatiques (Fisher et Grenberg, 1997).
Dans les recherches cliniques de laboratoire en double insu, l’effet placebo est aussi l’effet d’une parole qui se formule en termes de recrutement des candidats à l’évaluation, d’énoncés de protocole de recherche, de réquisition du consentement éclairé des candidats, de prescription de médicaments anonymés avec la part d’étrangeté et de magie qui peut s’y associer, de protocoles de prise du traitement, de suivi et d’évaluation intermédiaire, etc.
Autrement dit, le sujet de l’observation s’inscrit dans un système de contraintes, porteur potentiel de modifications et qui contient les ingrédients de base de l’effet placebo. C’est dire aussi que tous les dispositifs ne sont pas porteurs des mêmes potentialités et donc que l’effet placebo n’a en rien valeur de constante, contrairement à ce que la pharmacologie considère le plus souvent [8] Cf. le débat méthodologique introduit par Béatrice A. Golomb en 1995 dans la revue Nature (Golomb, 1995). .
2.2. Base d’interprétation à partir de l’effet placebo
On doit interroger l’effet spécifique des placebos ou équivalents placebos utilisés dans les évaluations des traitements. En effet, les dispositifs méthodologiques conc¸oivent en général le groupe témoin comme recevant une prescription en quelque sorte inerte (listes d’attente, entretiens ponctuels, etc.). Pourtant, dans les faits, rien n’autorise à penser que les groupes témoins sont essentiellement protégés de tout effet délétère lié aux conditions d’expérimentation dans lesquelles on les installe. Cela n’est évidemment pas sans conséquences sur l’interprétation des résultats. Dès lors, on peut envisager une configuration où la comparaison entre groupe expérimental et groupe témoin est biaisée par un facteur délétère non pris en compte.
Considérons les paramètres suivants :
- Ev. Nat. = évolution naturelle de la maladie (représentée ici par une amélioration spontanée) ;
- E.Sx.T+ = être/évolution du sujet du groupe expérimental [E.Gex] par traitement à effet positif [Te+] ;
- E.Sx.T− = être/évolution du sujet du groupe expérimental [E.Gex] par traitement à effet négatif [Te−] ;
- E.Sx.Te0 = être/évolution du sujet du groupe expérimental [E.Gex] par traitement à effet nul [Te0] ;
- E.Sp.Te+ = évolution des sujets du groupe témoin (placebo) [E.Gp] par traitement à effet positif [Te+] ;
- E.Sp.T− = évolution des sujets du groupe témoin (placebo) [E.Gp] par traitement à effet négatif [Te−].
Le graphique (Fig. 1) fait apparaître différents profils d’évolution possibles [courbes 1, 2, 3, ou 4] de groupes placebo [Gp] ou expérimentaux [Gex] au regard de l’évolution naturelle de la maladie Ev.Nat. [courbe 5].
À partir de cette base de profils, deux configurations sont à interroger :
- celle où le groupe témoin [Gp] correspondrait à une courbe de type [3] et le groupe expérimental [Gex] à une courbe de type [2]. Si le résultat du groupe d’étude [2] n’est comparé qu’à celui du groupe placebo [courbe 3], on peut conclure faussement (par différence entre les profils [2] et [3]) à un effet positif du traitement, alors que cet effet est non significatif, peu différent, au regard de l’évolution naturelle de la maladie [5]. Il faudrait interpréter les résultats de l’évaluation comme E.Sx.Te0, et non pas E.Sx.Te+, et conclure à un effet nul du traitement ;
- celle où le groupe placebo serait représenté par la courbe [4] et le groupe expérimental par la courbe [3]. Dans cette configuration, lorsqu’on compare le groupe expérimental [Gex] au seul groupe témoin [Gp], on semble faire la démonstration d’une amélioration des patients par le traitement, alors que l’effet délétère (négatif) du traitement est masqué. On interprète alors la courbe [3] comme traduisant E.Sx.Te+, alors qu’il faudrait conclure par E.Sx.Te−, soit un effet négatif du traitement.
Il n’est évidemment pas facile de dire si des biais de cette nature dans les travaux d’évaluation des psychothérapies publiés peuvent être rencontrés et à quelle fréquence puisque peu de travaux comparent groupe placebo et groupe à évolution naturelle. Mais occulter cette question, c’est introduire un risque d’erreur d’interprétation de la mesure des résultats non négligeable.
3. Le statut épistémologique de l’objet de l’évaluation : le sens de la valeur
Un des objectifs scientifiques de l’évaluation des psychothérapies est bien de faire apparaître des facteurs spécifiques du changement indépendants du thérapeute et, par là même, de développer et de transmettre des techniques favorisant l’émergence et le contrôle de ces facteurs dans le travail thérapeutique, alimentant dès lors les orientations actuelles en matière de recommandation de bonnes pratiques professionnelles que les pouvoir publics en Europe cherchent à promouvoir. Mais concevoir l’évaluation de l’efficacité ou de l’efficience des psychothérapies, comme on ferait la mesure d’un phénomène physique, c’est sans nul doute prendre un parti pris en matière de conception de la science et de la philosophie du sujet, qui mérite une critique épistémologique.
3.1. Définir la science
En matière d’évaluation, on ne peut soumettre les pratiques psychothérapiques à une exigence à laquelle elles ne peuvent par nature répondre. Cette exigence, implicitement inscrite dans la démarche, consiste à se conformer au modèle contemporain des sciences de la nature, c’est-à-dire de ne considérer comme scientifiques que les seules démarches dans lesquelles l’objet de recherche, les procédés de pensée ou les méthodes techniques auxquelles on recourt pour l’approcher ou le traiter, seraient tenues pour rigoureusement définies. Ainsi considérée, la scientificité exigerait idéalement l’abandon ou le rejet de toutes les incertitudes qui obéreraient la rigueur des définitions ou leur réduction conventionnelle en processus stochastique. On peut y voir se profiler le projet d’un savoir asymptotiquement complet et parfait, qui ne laisserait rien dans l’ombre et n’aurait finalement aucune marge d’inconnu ou d’indécidable. Cette matrice disciplinaire (Kuhn, 1970) reprise à leur compte par les sciences cognitives appliquées aux pratiques psychothérapiques enferme la démarche scientifique dans cette entreprise réductrice.
Mais, dans les sciences de l’homme, le savoir scientifique ne saurait être conçu sans la prise en considération du mode même de fonctionnement de l’esprit humain dans le travail d’appropriation ou de construction de la connaissance. Avec E. Kant, nous savons que le réel ne nous est donné qu’à travers les schèmes spécifiques de notre appréhension du monde, rendant en cela impossible la rencontre avec l’objet en soi, lequel ne cesse de nous échapper dans son « ipséité ». Pour Guillaumin (2003), la science moderne a été bâtie, paradoxalement, sur la mise en suspens de cette condition essentielle de la connaissance. Son épistémè est structurellement réductive et contrainte d’utiliser des modèles opératoires à caractère hypothéticodéductif. Or, tout système de savoir présenté comme cohérent inclut en fait une part d’irrationnel, un extérieur au système, et pourtant nécessaire à son fondement (Gödel, 1931; Smullyan, 2000). En ce sens, note Guillaumin, « la scientificité classique déplace en direction de l’inconnu ou simplement cherche à méconnaître la part d’irrationalité sur laquelle s’appuient ses constructions rationnelles, rejetée ainsi paradoxalement aux marges du savoir que précisément elle fonde ».
On conçoit que le problème devienne particulièrement aigu quand il s’agit de la connaissance et du traitement de la vie psychique de l’être humain lui-même, sujet autant qu’objet de la recherche. Impossible alors de ne pas prendre en compte dans la démarche cognitive elle-même la part d’inconnu et même d’inconnaissable que contient nécessairement toute tentative d’appréhension de l’être humain en termes de totalité. On ne saurait disqualifier et rejeter hors du champ de la science une démarche adaptée à son objet d’étude quand elle cherche à maintenir en tension mais sans la réduire cette part d’inconnu et mieux, lorsqu’elle tente de s’en servir pour le travail même du comprendre [9] Cf. ce que Guillaumin (2003) a appelé « opérateur négatif » ou « attracteur étrange négatif », mais aussi l’épistémologie de G. Canguilhem et les réflexions d’I. Stengers (Stengers, 1989) sur les définitions de la science. , pas plus qu’on ne saurait valider a priori une discipline qui emprunte aux sciences dures leurs habits méthodologiques (Perron, 2006, 2007; Raoult, 2006).
Les sciences humaines, devraient-elles trouver l’assurance de leur valeur scientifique qu’en empruntant aux sciences de la nature leur modèle de validation ? Aucune proposition scientifique n’est susceptible de recueillir l’agrément de tout le monde parce que toute proposition intéressante redistribue les rapports de signification, génère du sens, mais en détruit également, introduisant de ce fait un rapport de force entre tenants des différents sens. La validité des propositions scientifiques ne dépend pas seulement des moyens permettant leur mise à l’épreuve, mais aussi des rapports de force qui prévalent à un moment donné ou qui s’organisent autour d’elle (Stengers, 1989; Latour, 2001a, 2006). Autrement dit, il n’est de validité scientifique que référée à un contexte (sociologique, historique, anthropologique), lequel s’avère d’autant plus prégnant que son objet relève des sciences humaines. Les dispositifs méthodologiques d’évaluation doivent pouvoir en intégrer les réalités.
3.2. Le sens de l’évaluation : la valence de [e]
Les méthodes d’évaluation de l’efficacité des psychothérapies par une comparaison chiffrée entre un état à l’entrée (T0) dans le traitement et un état en cours [eT1] ou en fin de traitement [eTn] contiennent un artefact possible lié à la signification à attribuer à la valeur de [e], mesure de l’évolution à partir de cibles (comme les symptômes). L’emploi de mesures statistiques permettra de jauger un écart entre l’être du sujet à T1 ou Tn par rapport à T0 et d’attribuer une valeur statistique (nulle [E0], positive [e+] ou négative [e−]) à l’évolution constatée. Mais cette signification risque d’être d’autant plus difficile à établir que la recherche évaluative prétend se soustraire à toute obligation de réflexion anthropologique. Considérons à titre d’exemple didactique la situation suivante.
Les difficultés en matière d’exercice de l’autorité dans la gestion des comportements (des élèves, par exemple) ont donné lieu au développement de certaines pratiques que l’on peut rassembler sous le terme de « pratiques du contrat » : dans sa forme la plus simple le contrat définit un certain nombre de prescriptions et de proscriptions auxquelles l’enfant ou l’adolescent doit se conformer comme des sanctions positives ou négatives qui leur sont associées. Pour évaluer la pertinence de cette pratique, une équipe de chercheurs pourrait, par exemple, comparer (pour faire le parallèle avec les méthodologies test-retest d’évaluation des effets des psychothérapies) deux groupes appariés, l’un ayant bénéficié du contrat, l’autre pas, au regard de cibles définies (conduites transgressives, respects de consignes) ou d’objectifs à atteindre, etc. Considérons que les résultats de l’étude fassent apparaître que pour le groupe sous contrat, T1 est supérieur à T0, pendant que pour le groupe témoin, T1 est égal à T0, nos chercheurs concluraient aux bénéfices tirés de la pratique du contrat en matière d’exercice de l’autorité et ce avec d’autant plus de force que les mesures quantitatives seraient statistiquement hautement significatives.
Or la notion même de contrat mérite d’être interrogée dans sa dimension anthropologique. Ainsi, pourrait-on faire apparaître que l’appel à un contrat dans le cadre d’une relation psychoéducative ou logopédique, c’est signifier se situer en dec¸à de la loi symbolique et de ce que sa représentation par une autorité génère comme effets structurants (Gadeau, 2001, 2005a)? Par le contrat, s’instaure une sorte de relation au semblable, rompant avec l’asymétrie enfant–adulte nécessaire à toute intériorisation des figures d’autorité et introduisant une forme de rationalisation de la relation à laquelle concourt une évaluation permanente du respect ou du non respect des termes du contrat. La relation de l’enfant à l’adulte est alors suspendue à une sorte de donnant-donnant. On confond ainsi pacte (ou alliance) et contrat comme on peut confondre autonomie et indépendance (Gadeau, 2001, 2005b). On en déduit que la pratique du contrat est à la fois l’effet d’une dégradation de la posture du tiers qui fait autorité et une participation à cette dégradation pour l’institution qui y a recours.
Dès lors, que peut bien signifier une évaluation qui montrerait que la pratique du contrat produit des effets jugés positifs par comparaison avec un groupe témoin ? Cette valeur relative masquerait alors le fait que le contrat lui-même alimente la dégradation de l’autorité quant il prétend la restaurer en quelque fac¸on, la mesure favorable par l’évaluation lui en donnant apparemment et faussement argument. Cette erreur commise dans l’interprétation de l’évaluation tient précisément à ce que ces montages méthodologiques se réalisent sans véritable appareil théorique donnant du sens à l’objet de l’évaluation. Cet objet – ici le contrat, là le symptôme – risque d’apparaître comme une sorte d’objet en soi déconnecté de la réalité complexe de laquelle on l’a artificiellement extrait. La quantité différentielle (T1 – T0) que la mesure révèle est ininterprétable et, à proprement parlé, insensée. C’est bien le reproche essentiel que Canguilhem adressait sévèrement à la psychologie behavioriste. C’est aussi le risque dans lequel peut verser l’évaluation des pratiques psychothérapiques si l’on n’y prend garde.
4. Pour conclure
Toute évaluation extrinsèque des pratiques psychothérapiques comporte une part d’illusion que les montages méthodologiques inspirés des techniques de laboratoire relayées par l’outil statistique peuvent masquer et transformer en réalité tangible. On peut, en effet, faire apparaître des biais dans l’interprétation des différences enregistrées entre les effets de traitements psychothérapiques sur des cibles définies (exemple : symptôme) et ceux d’équivalent placebo, si on ne les met pas en rapport avec l’évolution spontanée de la maladie. En outre, le sens de la valeur accordée à une différence enregistrée par test-retest entre groupes d’études et groupes témoins n’est en soi interprétable que référée à une approche anthropologique du sens de cette valeur. Aussi, l’évaluation des psychothérapies ne doit-elle être conçue que comme une évaluation intrinsèque, inscrivant sujet et objet de l’évaluation dans une éco-anthropologie.
Enfin, la question de l’évaluation des pratiques psychothérapiques porte en elle une incontestable gravité puisque les réponses qui vont s’inventer dessineront l’essentiel du paysage en matière de soin psychologique et psychiatrique dans la décade qui suit (Sanderson, 2002; Chambless et Ollendick, 2001). C. Dejours (Dejours, 2003) a décrit la logique iatrogénique de l’évaluation. Soumis à une évaluation, chacun peut subir une pression plus ou moins explicite et développer des stratégies de protection, comme trier parmi les patients en liste d’attente ceux pour lesquels on pourra obtenir un résultat répondant aux critères d’évaluation retenus (durée du soin, nombre de professionnels à mobiliser, réduction des symptômes pris un à un, etc.). Dans un tel mouvement, l’évaluation perdrait tout sens et le système de décision (d’attribution des crédits, par exemple) se fondant sur une telle évaluation toute validité. Le comble de cette perversion est bien que le dispositif d’évaluation, par sa simple existence, en masquerait l’aberrance. La responsabilité des chercheurs est, en cette affaire, totalement engagée.
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Adresse e-mail : ludovic.gadeau@ujf-grenoble.fr
- 1 ↑– Maître de conférence de psychologie clinique.
- 2 ↑– Directeur duc entre médico-psychopédagogique (CMPP) de l’académie de Grenoble.
- 3 ↑– Pour une approche historique du concept, voir Aulas (1993), Lemoine (1996).
- 4 ↑– À l’origine, ce « je plairai », voulait désigner le prescripteur.
- 5 ↑– Les recherches portant sur les caractéristiques psychologiques des patients répondant le plus à l’effet placebo n’ont jamais permis de définir un profil de « placebo-répondeurs » de même qu’on n’a pas mis en évidence un profil de « thérapeute-inducteur ».
- 6 ↑– Ainsi, les chercheurs savent-ils que l’effet placebo diminue sensiblement lorsqu’on quitte le contexte des protocoles expérimentaux et, qu’à l’inverse, il est plus important dans les montages dits de laboratoire.
- 7 ↑– Wolf (1956) administre à un de ses patients asthmatiques alternativement un nouveau médicament réputé actif contre les troubles des voies respiratoires et un placebo. Il constate une amélioration de l’état du patient à chaque prise du médicament actif et une rechute à chaque prise du placebo, ce qui constitue la preuve apparente de l’efficacité du traitement actif. En fait et à l’insu de Wolf, le patient n’avait rec¸u que du placebo…Voir aussi Harrington et al. (2000).
- 8 ↑– Cf. le débat méthodologique introduit par Béatrice A. Golomb en 1995 dans la revue Nature (Golomb, 1995).
- 9 ↑– Cf. ce que Guillaumin (2003) a appelé « opérateur négatif » ou « attracteur étrange négatif », mais aussi l’épistémologie de G. Canguilhem et les réflexions d’I. Stengers (Stengers, 1989) sur les définitions de la science.