Réseaux et plan d’immanence Deleuze et Guattari

Réseau et plan d’immanence. Autour de Deleuze et de sa critique de la psychanalyse

Par Pierre Marchal – 07/12/2006

I

Réseaux » et « plan d’immanence » , ce sont là deux concepts qui ont été promus par Gilles Deleuze et Félix Guattari à partir des années 70. Concepts qui ont connus un succès important dans les milieux post soixante-huitards et qui restent, aujourd’hui encore, parmi les maîtres mots de ce qui se nomme la postmodernité. Sans doute parce qu’au-delà d’un effet de mode, ils semblent bien caractériser quelque chose de la mutation de ce qui fait notre rapport social. Nous n’avons aucune raison de penser que ce rapport social, qui n’est pas une donnée du réel mais un construit culturel, soit une affaire immuable. Est-il seulement possible ? Et à quelles conditions ? Quelle part d’impossible véhicule-t-il ? Alain Touraine a bien montré que l’essentiel du travail et de l’effort des sociétés modernes concernait la réponse à ces questions et constituait ce qu’il appelle : leur auto-construction.

Réseau et immanence sont aussi des concepts polémiques. Je veux dire qu’ils ne sont pas seulement, ni même d’abord des concepts descriptifs. Ils véhiculent une intention politique, une pensée stratégique visant la structuration du social. C’est là, vous le noterez, une question épistémologique de la première importance : les concepts qui prétendent décrire la réalité sociale, sont toujours aussi des visées, des efforts d’articuler, et donc d’induire du nouveau dans le social lui-même. Ici, plus qu’ailleurs, l’objectivité semble impossible. Ou en tous cas, pas toute possible. Ce sont des concepts qui « gagnent », comme ont : gagner du terrain. Tout se joue dans le transfert (dans les différents sens du terme). Il serait tout à fait intéressant de réécrire l’épistémologie des sciences sociales de ce point de vue, en prenant le transfert comme le point pivot de ce savoir.

Le premier concept, celui de réseau, a ceci de particulier qu’il se donne pour espace une topologique de pure surface. J’insiste sur ce « pur » qui nous renvoie à ceci qu’aucune profondeur n’est désormais nécessaire ; il s’oppose à l’idée d’une structure hiérarchisée qui, au contraire, suppose, pour se déployer, un espace à trois dimensions. La topologie du réseau est pure surface qu’il convient de distinguer du plan projectif que Lacan a utilisé pour caractériser la topologie du sujet. Il s’agit bien sûr d’un plan, d’une surface (exit la « psychologie des profondeurs »), mais il est l’effet d’une projection et cela le différencie de la « pure » surface du réseau qui n’implique aucune projection. Conséquence (ou au moins une hypothèse de travail) : le réseau ne connait que l’individu et, d’être pure surface, il s’interdit toute possibilité de penser le sujet.

Le second concept, celui de plan d’immanence (vous voyez bien qu’il s’agit d’un plan !), a pour antonyme « la transcendance ». C’est là une dimension centrale de la révolution moderne des Lumières dans leur lutte contre l’obscurantisme et toutes les formes de croyances et d’aliénations qui lui étaient associées. Pour les Lumières, ces croyances, et plus particulièrement la religion (qu’on pourrait proposer de définir comme une systématisation rationnelle des croyance) , ne pouvaient plus prétendre structurer l’espace social devenu radicalement séculier. Ce qui ne signifie pas pour autant -nous en avons l’évidence chaque jour- la fin du religieux. En privatisant la référence religieuse, c’est-à-dire en la privant de toute pertinence publique et sociale, la révolution moderne a favorisé le « religieux » au détriment de la « religion » et plus particulièrement de la religion chrétienne qui était bien, comme l’a montré Marcel Gauchet, la religion de la sortie du religieux. Bref, on peut bien penser qu’on en revient à une sorte d’animisme sans pour autant que ce retour nous ramène à une structure sociale dite primitive.

Ce retour du religieux que nous observons aujourd’hui et qui est paradoxalement la conséquence de la critique moderne de la religion, est pourtant bien postérieur à la modernité elle-même (celle que nous datons des Lumières du XVIIIème siècle) ; il est de notre époque que l’on qualifie de postmoderne ou d’hypermoderne.

De ce décalage temporel entre la cause (critique moderne de la religion) et son effet à long terme (retour du religieux), il faut conclure que l’autonomie et la sécularisation qui en découle, ne suffisaient pas à induire les conséquences que nous observons aujourd’hui. Mon hypothèse est la suivante : la révolution moderne des Lumières ne fut pas suffisamment radicale ; elle a lutté contre l’aliénation religieuse, mais elle a conservé avec l’Etat un modèle hiérarchisé qui garantissait, malgré tout, une certaine transcendance, fut-elle séculière. Mais nous savons que c’est dans le modèle ecclésial que l’Occident européen a trouvé les éléments nécessaires à la constitution de l’Etat moderne. Si bien qu’il faut penser que notre contemporanéité, celle qui est signée par ce symptôme du retour du religieux, est marquée par un autre changement radical. Je ferai l’hypothèse qu’il s’agit de la déliquescence de l’Etat au profit d’une démocratie radicale, c’est-à-dire : purement immanente [1] et dont l’opérateur organisationnel est précisément le réseau dans la mesure où ce dernier assure la circulation des biens et des personnes, sans autre entrave, sans autre restriction que la survie du réseau lui-même. C’est là la thèse de l’Etat libéral minimum.

On voit bien aussi comment ces deux termes (réseau et plan d’immanence) se répondent l’un l’autre pour organiser un espace que je qualifierais d’homogène. Il convient en effet de repérer la conséquence (ou si on veut être plus prudent : une conséquence possible) de penser l’espace social en termes de réseaux et de plan d’immanence : c’est l’évacuation de toute dimension « autre », de toute altérité [2] . Et je ne parle pas ici de ces « petits autres » qui sont encore nos semblables. La société post-moderne est d’ailleurs friande des petites différences qu’elle s’efforce de sauvegarder, voire de promouvoir folkloriquement, au point de se penser comme une mosaïque de cultures et/ou d’individus, à quoi elle se résume désormais. Et ce dans une volonté de complétude (rassembler toutes ces cultures, n’en négliger aucune). Cela a pour effet, au mieux l’inconsistance [3] propre à la coexistence pacifique de différentes cultures, au pire un véritable affrontement entre elles.

Pour en terminer avec cette introduction, cette mise en jambes, je voudrais rappeler la citation de Marcel Gauchet que Marc Nacht a mise en exergue de son ouvrage L’inconscient et le politique [4] , car c’est peut-être ce qui résume le mieux, sinon mon propos, du moins le sentiment qui me tient lorsque j’aborde cette question du rapport social contemporain.

Qui sait si la déliaison des individualités ne nous réserve pas des épreuves qui n’auraient rien à envier, dans un autre genre, aux affres des embrigadements des masses.

Si bien que, pour faire suite à la psychologie des foules de Freud, il conviendrait sans doute d’écrire aujourd’hui quelque chose comme la sociologie des monades -la référence est ici à Leibniz [5] – circulantes et libres, au sens des électrons libres. Cette sociologie des monades ne serait peut-être pas fort différente, dans son étiologie, de la psychologie freudienne des masses : déliaison des individualités et embrigadement des masses trouvent sans doute leur origine dans des difficultés au niveau de ce que Freud appelle « l’identification primordiale au père » [6] . Dans l’un et l’autre cas (déliaison et embrigadement), nous sommes dans le même espace d’alénation et la citation de Marcel Gauchet est là pour nous rappeler que ce n’est point en prenant le contre-pied d’une aliénation qu’on s’en trouve libéré. Au contraire, elle s’en trouve le plus souvent renforcée.

 

II

J’en viens à la question de savoir si notre actualité et notre avenir seront ou non deleuziens. On aurait pu croire – et moi-même je l’ai cru – que la réponse à cette question était relativement simple : il suffisait de reprendre un certain nombre de thèses avancées par Deleuze et Guattari et de les confronter à ce que la clinique actuelle nous enseigne. Et bien non ! En travaillant cette question, je me suis aperçu que les choses n’étaient pas aussi simples qu’il n’y paraissait.

Une première remarque, préliminaire, s’impose : quel est l’intérêt d’organiser une telle rencontre entre Deleuze et la psychanalyse, avec comme horizon la question du social [7] .

Deuxièmement, mais encore davantage en amont (je ne fais que l’évoquer parce qu’elle a été déjà abondamment traitée) : en quoi la psychanalyse, je veux dire sa pratique clinique et son effort pour la formaliser, a-t-elle compétence, non pour se substituer au discours social proprement dit, mais pour avancer quelques hypothèses sur l’institution sociale et ses tendances les plus actuelles. Parce que le social – c’est du moins ma position – est une affaire d’institution. Je ne dis pas que le social se réduit à cette dimension (encore que…), mais il me semble que c’est par ce biais que j’ai le plus de chance d’avancer quelques éléments pertinents. L’enjeu actuel qui nous occupe à propos du social pourrait bien tourner autour de ces questions : Quelles conséquences peut-on tirer du fait que le social ne peut exister en dehors de la dynamique de l’institutionnalisation ? Que signifie l’actuelle tendance à la dés-institutionnalisation du social au profit de la seule dimension d’organisation ? Le « social » n’est pas, comme tel, à son origine, un concept analytique, mais on pourrait pourtant penser qu’il n’est pas étranger à la chose analytique. En produisant la théorie des discours, Lacan en fait le lieu où viennent prendre forme nos symptômes. A ce titre, nous sommes autorisés à espérer que la psychanalyse puisse articuler quelque chose à propos des enjeux de ce social, y répondre quelque chose, même si elle ne semble pas en mesure de peser réellement sur lui pour en déterminer les formes à venir. Reste qu’elle pourrait articuler ponctuellement des éléments de réponse au devenir social tel qu’il se profile aujourd’hui. Et plus particulièrement quant à sa dimension institutionnelle [8] .

Cet effort pour dire quelque chose du social à partir de la psychanalyse repose sur cette conviction : contre toute évidence, nous continuons à soutenir qu’un autre maillage social que celui qu’on nous propose aujourd’hui est possible (je préfère le terme de « maillage » à celui de « rapport » [9] ). Cet autre maillage ne serait pas sourd à ce que la clinique analytique nous enseigne, à savoir : ce que Lacan, dans une formule un peu provocante, a nommé le non-rapport sexuel. Non rapport sexuel qu’il convient de lire comme l’écriture, au lieu de la différence primordiale qui affecte notre humanité, de l’impossibilité qui est l’effet de notre engagement dans le langage et qui nous fait – c’est l’autre face de la médaille – désirants. Bref, pour le dire encore autrement, comment articuler le social avec le désir qui est au cœur de l’expérience analytique.

L’expérience clinique enseigne combien il nous est difficile de prendre en compte cet impossible du rapport qui prend, dans le sexuel, une intensité particulière. La castration est la métaphore de cette opération par laquelle nous nous reconnaissons marqués par cet impossible. On pourrait penser que le social -en tant qu’il est l’espace de nos symptômes- est lui-même marqué, déterminé par une forme de refus de la castration. Soit le refoulement dans la névrose, soit le déni dans la perversion. On sait que la névrose -et plus particulièrement la névrose obsessionnelle- est ce qui manifeste la structure latente de la société théocratique pré-moderne. Cette structuration du social par la logique obsessionnelle se poursuit dans le capitalisme moderne classique. On sait que Max Weber, dans son livre magistral L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme [10] avait lié l’avènement du capitalisme à la retenue dans la jouissance qui caractérise le protestantisme. Le sujet est consacré à la production et la plus-value (le plus de jouir) que cette production génère est réinvestie dans la production ou épargnée en vue d’investissements nouveaux et futurs. Ici on ne jouit pas de l’objet. La jouissance, c’est pour plus tard. Ce que nous connaissons aujourd’hui n’est plus exactement de cette mouture et nous pourrions faire l’hypothèse suivante : l’ultra-capitalisme de la post-modernité réarticule le social à partir de la perversion. Ce passage de la névrose à la perversion signe une radicale modification du rapport à l’objet. Je cite Charles Melman qui, dans une intervention à Bruxelles en novembre 1991 [11] , propose la définition suivante de la perversion :

« la perversion, c’est un mode d’accolement libidinal à l’objet lui-même (…) Dans la mesure où nous sommes névrosés, ce n’est jamais qu’à un semblant d’objet que nous avons affaire. A cet égard, la perversion dans le champ libidinal peut donc sembler un progrès puisqu’elle ne s’arrête pas à ce semblant d’objet, ce à quoi à la fois notre pudeur, notre timidité, notre prudence, nos liens moraux, etc., nous attachent. Mais le pervers se caractérise et donne bien d’ailleurs à chacun ce sentiment d’être bien plus proche de la vérité que le névrosé ; puisque lui, le pervers, il n’hésite pas à se compromettre, à se risquer pour privilégier l’objet lui-même, l’objet lui-même cause du désir, ce que Lacan, comme vous le savez, nomme objet a. »

Et quelques lignes plus loin :

« … le pervers est donc celui qui n’hésite pas à courir ce risque pour une satisfaction, pour une jouissance que l’on peut présumer plus accomplie que la jouissance coutumière, puisqu’elle vient récupérer cet objet fondamental, fondateur, causal et permet donc la saisie de ce qui n’est plus le semblant d’objet, une femme par exemple, mais l’objet lui-même. »

Cela ne signifie pas pour autant que le sujet moderne soit un sujet pervers. Mais s’il vient à se conformer à l’économie libidinale qu’organise la société ultra-capitaliste de consommation, c’est dans la quête de ce type d’objet sans semblant, sans au-delà de lui-même, qu’il sera, volens nolens, entraîné.

On pourra m’objecter que l’objet de consommation est par essence un objet éphémère, qu’il renvoie toujours à autre chose, à un autre objet. C’est tout à fait exact, à la nuance près que ce renvoi n’est plus fonction, comme dans l’hystérie, d’une insatisfaction et donc d’une vectorisation du désir vers un au-delà de l’objet. Le désir hystérique est nécessairement transcendantalisé. Ici, le renvoi à un autre objet (et non à autre chose que l’objet) est fonction d’une satisfaction (et non d’une insatisfaction), d’une jouissance qui s’épuise et qu’il convient de renouveler. Le mot d’ordre auquel se soumet, ou est soumis, l’homme post-moderne, son sur-moi en quelque sorte, ce n’est plus : « autre chose ! », c’est « encore plus du même ! » au point de venir jouer avec la jouissance suprême de la mort. Et parfois de l’atteindre dans ce qui se nomme avec beaucoup de justesse : l’over-dose.

Osons une mise en forme sérielle des économies de la jouissance en fonction du rapport à l’objet :

  • l’économie hystérique, marquée par l’insatisfaction du sujet, insatisfaction liée à un objet à la fois à la portée du sujet, mais pris dans le signifiant, ce qui signe son côté « semblant ».
  • l’économie obsessionnelle qui caractérise, me semble-t-il, le capitalisme (dans sa forme classique) : le désir est marqué par une impossible jouissance. Impossibilité qui se répercute sur l’objet : on ne peut en jouir ; sa jouissance est constamment différée. C’est un objet interdit, impossible.
  • l’économie perverse qui serait la nôtre, signe la sortie du capitalisme classique. La jouissance est désormais possible. Elle est assurée ici et maintenant par un objet désormais disponible, à notre disposition [12] . Rien de mieux que de citer ici un court extrait d’une pièce de théâtre de Bernard-Marie Koltès Dans la solitude des champs de coton (Paris, Minuit 1996). Il s’agit d’un dialogue entre un « dealer » et son « client » qui s’ouvre sur cette déclaration du dealer :
    « Si vous marchez dehors, à cette heure et en ce lieu, c’est que vous désirez quelque chose que vous n’avez pas, et cette chose, moi, je peux vous la fournir ; car je suis à cette place depuis plus longtemps que vous et pour plus longtemps que vous, et que même cette heure qui est celle des rapports sauvages entre les hommes et les animaux ne m’en chasse pas, c’est que j’ai ce qu’il faut pour satisfaire le désir qui passe devant moi, et c’est comme un poids dont il faut que je me débarrasse sur quiconque, homme ou animal, qui passe devant moi. » (p.9)

Articulation perverse de l’économie sociale de la jouissance qui ne fait sentir tous ses effets qu’aujourd’hui où se constate la déliquescence de l’Etat. Il serait très utile d’argumenter l’articulation entre cette « perversion » sociale et ce que l’on nomme aujourd’hui la mondialisation, la globalisation.

III

Quel sera notre avenir dans une telle perspective ? La psychanalyse peut-elle nous en dire quelque chose ? La psychanalyse n’est évidemment pas une mantique : il ne s’agit pas pour elle de dire, de révéler l’avenir. Pourtant, même si, comme on se plaît à le répéter, l’inconscient ne connaît pas le temps, même si le rêve et le fantasme mixent allègrement le passé, le présent et le futur, la dimension temporelle reste essentielle pour un sujet, « proactif » comme on le dit aujourd’hui, qui déploie sa temporalité propre, c’est à dire subjective, en fonction des trois possibilités dont il dispose : la régression, la fixation et l’anticipation [13] . C’est ainsi qu’il construit son histoire au moyen de ce que certains analystes nomment la « projection identificatoire ». Projection, parce qu’il s’agit d’une anticipation à laquelle il donnera consistance par les actes qu’il posera. La clinique témoigne largement, par la négative, de cette dialectique de l’anticipation et de l’acte : la névrose est empêchée du côté de l’acte, alors que la projection identificatoire anticipatrice fait cruellement défaut dans la psychose [14] . Identificatoire parce que le sujet acquiert par là son identité, laquelle se décline, nous le savons, au futur antérieur : il aura été. C’est le temps de la récapitulation.

C’est évidemment cette dimension anticipatrice qui est la plus proche de la notion de l’avenir et de l’histoire. C’est par elle que s’installe la radicale différence entre l’avenir et le futur, entre l’histoire et l’évolution (ou le devenir). L’histoire suppose d’une part une rupture, une discontinuité événementielle à partir de laquelle elle s’inaugure et, d’autre part, la fidélité d’un sujet qui soutient, par ses actes, la nomination de cet événement ; l’évolution au contraire ne se déploie pas dans une dimension subjective : aucun sujet n’est nécessaire pour qu’il y ait évolution. Laquelle exige la continuité d’un même registre causal dans lequel on peut faire jouer l’ensemble des lois qui caractérisent la situation. En d’autres termes, l’avenir qu’il convient de penser ainsi sous la condition de l’anticipation, n’est pas ce qu’une technique, qu’elle soit magique ou scientifique -je pense aux études « projectives » ou d’extrapolation- pourrait dévoiler. L’avenir n’est pas une « chose » que l’on pourrait déduire, même hardiment [15] , de la situation existante. L’ad-venir d’un sujet n’est pas le de-venir (ce qui vient de) d’une chose. Il est l’effet de cette capacité d’anticipation qui fait rupture, discontinuité avec ce qui précède et qui ouvre un espace d’ad-venir dont le sujet aura encore à se saisir.

On sait l’importance de cette opération d’anticipation dans la relation mère-enfant, importance particulièrement soulignée par notre collègue, malheureusement disparu, Jean Bergès. C’est Jean Bergès encore qui, dans son dernier ouvrage [16] , faisait remarquer que la cure analytique elle-même est fondamentalement sous l’exigence de cette anticipation. Ce qui différencie, disait-il, l’analyse de toute sorte de traitement thérapeutique, c’est qu’elle n’est en rien de l’ordre de la réparation, de la remédiation. Elle s’ouvre sur l’hypothèse qu’un analyste fait que la personne qui vient le consulter est capable de dire quelque chose de son désir, même inconscient. Voilà sans doute le point (au sens de la couture), le nœud que la psychanalyse peut opérer entre le désir et l’histoire d’un sujet.

IV

Si je me suis permis ce détour par la dimension de la temporalité et si j’y insiste, c’est qu’elle constitue sans doute un des enjeux majeurs de ce que l’on nomme aujourd’hui l’hypermodernité, tout entière focalisée sur la question de la vitesse et du « temps réel », c’est-à-dire ce temps qui est réduit au maximum, supprime le délai, la distance. Le temps réel, c’est, paradoxalement, le « non temps », la « non durée », le déplacement instantané qui inaugure, du moins dans l’imaginaire des utilisateurs, l’impression d’une véritable simultanéité. C’est aussi le « live » du reportage télévisuel. Traduisons dans le langage de tous les jours : « tout de suite » ! Une véritable « temporalité instantanée » que je vous convie à entendre comme un véritable oxymore [17] : la suite, la séquence temporelle, donnée tout entière, en un coup, dans le simultané, sans le délai qu’impliquerait le discours et le déploiement de la chaîne signifiante. Cela a aussi pour effet de méconnaître la dimension historique de l’événement qui fait nécessairement rupture dans le devenir des choses et à partir duquel l’institution (au sens actif de ce terme) de ce qui n’est pas peut se produire. Méconnaissance de l’histoire au profit de la pure chronologie, elle-même idéalement réduite à la question de l’instant.

Avec ces questions portant sur le temps et la vitesse, nous sommes directement introduits à la problématique qui est celle de Gilles Deleuze [18] , lequel « s’attaque » (le mot est de lui) à la psychanalyse. Dans Rhizomes, Introduction, publié séparément en 1976, on peut lire les propos qui suivent et qui sont, c’est le moins qu’on puisse dire, sans nuance [19] :

« Nous ne parlerons plus beaucoup de psychanalyse, pourtant nous en parlons encore, et trop. Plus rien ne passe par là. Nous en étions profondément las, mais dans l’incapacité d’arrêter tout de suite. Les psychanalystes et surtout les psychanalysés nous ennuient trop. Cette manière qui nous retardait, il fallait que nous la précipitions pour notre compte (…) il fallait que nous lui communiquions une vitesse artificielle capable de la porter jusqu’à la rupture ou au craquement pour nous. C’est fini, nous ne parlerons plus du tout de psychanalyse après ce livre. Personne n’en souffrira, ni eux ni nous. C’est curieux comme les objections qu’on vous fait sont des retardateurs. (…) Il n’y a qu’une chose pire encore que les objections et réfutations d’objections, c’est la réflexion, le retour à… Par exemple, dans un livre, le retour au livre précédent : qu’en est-il de ? Avez-vous bien compris Freud ? Et votre dernier livre, avez-vous changé ? Faire le point, quelle horreur. » [20]

Alors, comment un analyste peut-il entendre de Deleuze ? Comment peut-il faire avec cette « précipitation », cette fuite en avant qui semble vouloir faire l’économie de tout point fixe ? Que peut-il faire de ce diagnostic radical que le philosophe et son ami Félix Guattari, écrivant ensemble L’Anti-Oedipe et Mille plateaux, posent non seulement à propos de la psychanalyse, mais également en ce qui concerne l’économie politique, celle qui pense l’organisation capitaliste du monde. C’est évidemment pour les mettre dans le même sac, pour y repérer les mêmes opérations tout à la fois d’invention et de repli. Dans un entretien qu’ils donnèrent à la revue L’Arc en 1972 [21] , l’année même de la parution de L’Anti-Oedipe, ils annoncent d’emblée la couleur : Freud et les psychanalystes qui l’ont suivi, ont toujours, dans leur pratique, à faire avec les fameuses « machines désirantes » (titre de la première partie de L’Anti-Oedipe) :

« Freud n’ignore pas les machine du désir, c’est vrai. C’est même la découverte de la psychanalyse, le désir, les machineries du désir. Ca n’arrête pas de vrombir, de grincer, de produire, dans une psychanalyse. Et les psychanalystes ne cessent pas d’amorcer des machines ou de les réamorcer » [22]

Pourtant, Freud ne semble pas capable de rendre compte de cette machinerie désirante dans sa théorie. Peut-être prend-il peur -bien qu’il ne semble pas qu’il soit timoré- de cela même qu’il a mis à jour. Alors, il rabat la dimension proprement schizophrénique de l’inconscient-machine sur une approche névrotique, engluée par le théâtre familial oedipien. Voici ce qu’argumentent les auteurs dans la bouche de Félix Guattari :

« Ce que nous disons, c’est à la fois : Freud découvre le désir comme libido, désir qui produit et il n’a de cesse de ré-aliéner la libido dans la représentation familiale (Oedipe). La psychanalyse, c’est la même histoire que l’économie politique telle que la voit Marx : Adam Smith et Ricardo découvrent l’essence de la richesse comme travail qui produit, et ils n’ont de cesse de la ré-aliéner dans le représentation de la propriété. C’est le rabattement du désir sur une scène familiale qui fait que la psychanalyse méconnaît la psychose, ne se reconnaît plus que dans la névrose et donne de la névrose elle-même une interprétation qui défigure les forces de l’inconscient. » [23]

Dans des termes plus philosophiques, Deleuze reprend la même thèse en dénonçant ce qu’il nomme l’idéalisme de la psychanalyse, à savoir :

« … tout un système de rabattements, de réductions, dans la théorie et la pratiques analytiques : réduction de la production désirante à un système de représentation dites inconscientes, et à des formes de causation, d’expression ou de compréhension correspondantes : réduction des usines de l’inconscient à une scène de théâtre, Oedipe, Hamlet ; réduction des investissements sociaux de la libido à des investissements familiaux, rabattement du désir sur des coordonnées familiales, encore Oedipe. » [24]

La critique de la psychanalyse est radicale ; elle ne vise pas une certaine manière de concevoir la psychanalyse, manière qu’ils proposeraient de rectifier. Pour Deleuze, il n’y a sans doute pas de « bonne » psychanalyse :

« Ce que nous attaquons ce n’est pas une idéologie qui serait celle de la psychanalyse. C’est la psychanalyse elle-même dans sa pratique et sa théorie. » [25]

Et d’appeler de ses voeux une psychiatrie matérialiste qui ne serait pas sourde au fond schizophrénique du délire, immanence des machines désirantes dans les grandes machines sociales, (…) investissement du champ social historique par les machines désirantes ». Au contraire de la psychanalyse qui « a compris de la psychose la ligne « paranoïa » qui mène à l’Oedipe, à la castration, etc., tous ces appareils répressifs injectés dans l’inconscient. » S’il en est ainsi, on peut affirmer que la psychanalyse « névrotise tout ; et par cette névrotisation, elle ne contribue pas seulement à produire le névrosé à cure interminable, elle contribue aussi à reproduire le psychotique comme celui qui résiste à l’oedipianisation. Mais une approche directe de la schizophrénie, elle la manque complètement. ». [26]

C’est dans la foulée de ce diagnostic, que Deleuze et Guattari proposent, à la place d’une psychanalyse, la schizo-analyse. Car dans L’Anti-Oedipe,

« Il y a bien deux aspects : le premier , c’est une critique d’Oedipe et de la psychanalyse ; le deuxième c’est une étude du capitalisme et des ses rapports avec la schizophrénie. Or le premier aspect dépend étroitement du second. Nous attaquons la psychanalyse sur les points suivants qui concerne sa pratique non moins que sa théorie : son culte d’Oedipe, sa réduction à la libido et aux investissements familiaux, même sous les formes détournées du structuralisme ou du symbolisme. (…) Encore une fois le délire. (…) Le délire est historico-mondial, pas du tout familial. On délire sur les Chinois, les allemands, Jeanne d’Arc et le Grand Mongol, les aryens et les juifs, l’argent, le pouvoir et la production, pas du tout sur papa-maman. Ou plutôt, le fameux roman familial dépend étroitement des investissements sociaux inconscients qui apparaissent dans le délire, et non l’inverse. [C’est pourquoi] nous proposons une schizo-analyse qui s’oppose à la psychanalyse. Il n’y a qu’à prendre les deux points sur lesquels bute la psychanalyse : elle n’arrive pas à atteindre aux machines désirantes de quelqu’un, parce qu’elle s’en tient aux figures ou structures oedipiennes ; elle n’arrive pas aux investissements sociaux de la libido parce qu’elle s’en tient aux investissements familiaux. (…) les insuffisances de la psychanalyse nous semblent liées à son appartenance profonde à la société capitaliste, autant qu’à sa méconnaissance du fond schizophrénique. » [27]

L’objectif de cette schizo-analyse, c’est de proposer une antithèse à la psychanalyse comprise comme une opération de normalisation des flux désirants. Il s’agit donc de

« libérer les flux, aller toujours plus loin dans l’artifice : le schizo, c’est quelqu’un de décodé, de déterritorialisé. » ( [28]

Mais attention. C’est ici que cela devient vraiment intéressant. Bien au-delà d’une critique de la psychanalyse, trop dépendante de ce qu’on a connu dans le freudo-marxisme de l’après-guerre. Il convient en effet de distinguer

« la schizophrénie comme processus et la production du schizo comme entité clinique bonne pour l’hôpital : les deux sont plutôt en raison inverse. Le schizo d’hôpital c’est quelqu’un qui a tenté quelque chose et qui l’a raté, qui s’est écroulé. Nous ne disons pas que le révolutionnaire est schizo ; nous disons qu’il y a un processus schizo, de décodage et de déterritorialisation que seule l’activité révolutionnaire empêche de tourner en production de schizophrénie. » [29]

Il faudrait prendre le temps de revenir minutieusement sur ces différentes thèses de L’Anti-Oedipe et sur ce qu’elles impliquent. Nous n’en avons guère le temps, pressés que nous sommes par le chrono-mètre, destiné à contrôler tous les débordements, même s’ils ne sont pas rhizomatiques. Il faudrait revenir, en particulier, sur la généralisation du devenir, le concept de production et la volonté de bannir tout point fixe [30] . De même la critique du signifiant qui me semble rater son objectif. Félix Guattari affirme, je cite : « Le signifiant, on n’en a rien à faire ». Il parle de « l’impérialisme du Signifiant » qu’il assimile au « surcodage despotique » ou encore « du caractère tyrannique, terroriste, castrateur du signifiant ». À quoi il oppose une théorie spinoziste du langage : « Le langage comme système de flux continus de contenu et d’expression, recoupés par d’agencements machiniques de figures discrètes et discontinues ». Ce que promeuvent Deleuze et Guattari, « c’est une conception des agents collectifs d’énonciation qui voudrait dépasser la coupure entre sujet d’énonciation et sujet de l’énoncé. Nous sommes purement fonctionnalistes : ce qui nous intéresse, c’est comment quelque chose marche, fonctionne, quelle machine. Or le signifiant, c’est encore du domaine de la question ‘qu’est-ce que cela veut dire ?’, c’est cette question en tant que barrée. Pour nous l’inconscient ne veut rien dire, le langage non plus. » [31]

Sommes-nous si loin là du « signifiant » lacanien qui lui aussi est affranchi de la tyrannie du sens et du code Identifier « signifiant » et « surcodage », c’est pour le moins faire preuve de surdité à l’égard de l’effort de Lacan pour comprendre, aux moyens des concepts importés (donc déformés de la linguistique), l’élaboration freudienne de la nature de l’inconscient, poursuivie dans L’interprétation des rêves et Le mot d’esprit. [32]

Pour conclure, je voudrais seulement m’attarder quelques instants sur la question de la schizo-analyse. Peut-elle être réellement, comme le préconisaient Deleuze et Guattari, l’outil qui nous permettrait de sortir du marais familial de l’Oedipe et du « surcodage » du signifiant ? Est-elle, la schizo-analyse ce qui nous permettrait de répondre adéquatement aux nouvelles économies désirantes que nous rencontrons dans notre clinique ? J’ai relu le dernier chapitre de L’anti-Oedipe, intitulé « Introduction à la schyzo-analyse » en me demandant si le paysage actuel de l’hyper-modernité tel que nous le dépeignent les sociologues [33] a quelque chose à voir avec une avancée schizo-analytique. J’ai relu plus particulièrement les trois derniers paragraphes qui d’une part étudient les rapports entre la psychanalyse et le capitalisme et d’autre part explicitent les deux tâches positives de la schizo-analyse, à savoir :

  1. « découvrir chez un sujet la nature, la formation ou le fonctionnement de ses machines désirantes, indépendamment de toute interprétation » [34]
  2. mettre en évidence la dimension sociale du désir : « Pas de machines désirantes qui existent en dehors des machines sociales qu’elles forment à grande échelle ; et pas de machines sociales sans les désirantes qui les peuplent à petite échelle. » [35]

Notons cependant que, pour Deleuze et Guattari, les tâches positives de la schizo-analyse suppose une étape préalable qui est négative. Il s’agit, dans un premier temps de « détruire. La tâche de la schizo-analyse passe par la destruction, tout un nettoyage, tout un curetage de l’inconscient. Détruire l’Oedipe, l’illusion du moi, le fantoche du surmoi, la culpabilité, la loi, la castration… » [36] Rien de moins ! Dans une certaine mesure, nous pourrions être d’accord, tout en pensant qu’il n’est pas exact de mettre sur le même pied surmoi et culpabilité d’une part, loi et castration d’autre part.

Dans le même contexte, citant Lacan et Serge Leclaire parlant du « signifiant phallique, garant de l’irréductibilité du manque », nos auteurs se contentent d’exprimer leur étonnement : « Que tout cela est bizarre… » [37] . On croirait entendre des ethnologues du XIXème siècle s’étonnant des propos de primitifs !

Pourtant ils n’en restent pas à ces propos que l’on pourrait qualifier d’humeur. Ils argumentent, reconnaissant que la démarche de Lacan est plus complexe et ils se livrent à une analyse de l’Oedipe particulièrement pointue :

« il (Lacan) ne referme pas sur l’inconscient une structure oedipienne. Il montre au contraire qu’Oedipe est imaginaire, rien qu’une image, un mythe ; et que cette ou ces images sont produites par une structure oedipianisante ; et que cette structure n’agit que pour autant qu’elle reproduit l’élément de la castration qui, lui, n’est pas imaginaire, mais symbolique. Voilà les trois grands plans de structuration, qui correspondent aux ensembles molaires : Oedipe comme re-territorialisation imaginaire de l’homme privé, produite dans les conditions structurales du capitalisme, pour autant que celui-ci reproduit et ressuscite l’archaïsme du symbole impérial ou du despote disparu. Les trois à la fois sont nécessaires : précisément pour mener Oedipe au point de son auto-critique. Mener Oedipe à un tel point, c’est précisément la tâche entreprise par Lacan » [38] .

C’est d’ailleurs la même opération d’autocritique que Lacan mènerait par rapport à la linguistique. Faire l’hypothèse d’un inconscient-langage (notez que la formule prête à confusion : Lacan n’a jamais avancé une identité inconscient-langage, il a seulement postulé que l’inconscient est structuré comme un langage), c’est mener « la linguistique à son point d’autocritique, en montrant comment l’organisation structurale des signifiants dépend encore d’un grand Signifiant despotique agissant comme archaïsme »  [39] .

Et d’insister sur ce point d’autocritique, mais c’est ici, me semble-t-il que les choses basculent et qu’un malentendu s’installe qui porte sur la question du réel.

« Qu’est-ce que le point d’autocritique ? C’est celui où la structure, par delà les images qui la remplissent et le symbolique qui la conditionne dans la représentation, découvre son envers comme un principe positif de non-consistance qui la dissout : où le désir est renversé dans l’ordre de la production, rapporté à ses éléments moléculaires, et où il ne manque de rien, parce qu’il se définit comme être objet naturel et sensible, en même temps que le réel se définit comme être objectif du désir. » [40]

Nous pouvons bien sûr admettre que Lacan porte l’Oedipe à son point d’autocritique au-delà de l’imaginaire que représente le drame oedipien familial. Il est déjà beaucoup plus problématique de parler d’un au-delà du symbolique puisqu’il ne nous semble pas possible de nous situer hors langage. C’est d’ailleurs une formulation assez paradoxale sous la plume de Deleuze que de parler d’un au-delà du symbolique, lui qui s’est toujours présenté comme un héros de l’immanence la plus radicale. Reconnaître qu’il n’y a pas d’au-delà du langage, du symbolique, que c’est le symbolique qui nous conditionne jusque dans notre désir, ne signifie pas pour autant que nous ne butions pas sur une limite du symbolique, un point d’arrêt de sa puissance totalisante. On peut appeler, avec Deleuze, ce point, un point d’autocritique, mais on ne peut le penser comme « un principe positif de non-consistance qui dissout la structure ». Il faut au contraire penser que ce point de butée du système symbolique est un principe qui interdit la complétude du symbolique, non complétude qui fonde la consistance de la structure. En d’autres termes, le réel est une négativité de non-complétude qui institue la structure en lui procurant le lieu même d’exercice de l’autorité. On aura entendu le renversement que j’opère. Point par point.

Les choses ont changé 30 ans plus tard. Deleuze rattrapé par le capitalisme, l’ultra-capitalisme qui voit se généraliser la société de contrôle et le modèle d’enfermement analysé par Foucault dépérir. Hypothèse : généralisation du modèle de la perversion qui devient le pattern du social. Ici aussi, non pas le pervers comme pathologie, mais la structure perverse qui détermine un certain type de rapport à l’objet.

Discussions suite à l’intervention de Pierre Marchal.

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Notes

(*) Réseaux et immanence 2ème version (reprise) de « Notre avenir sera-t-il deleuzien ?  » Paris ALI – septembre 2006

  • [1]↑-Et cela sans plus aucune transcendance, fut-elle même immanente. Une transcendance immanente n’est nullement un paradoxe. Elle présente des homologies avec ce Lacan nommait « l’extime » et qui pointe le vide (nom propre de l’être, dixit Alain Badiou)
  • [2]↑– Nous n’aurons pas l’occasion ici de reprendre cette question de l’altérité qui est plus complexe qu’il n’y paraît. L’altérité n’est sans doute pas une. Il conviendrait de la décliner selon les trois registre de l’Imaginaire, du Symbolique et du Réel. Il y a à prendre en compte une altérité imaginaire, celle qui se déploie dans l’espace des semblables et dont l’enjeu est celui d’une reconnaissance, elle-même imaginaire : le transfert d’amour. Mais il est une autre altérité qui prend place dans le symbolique et qui donne naissance à ce qu’on a appelé le « transfert de travail ». Enfin, il y aurait sans doute une altérité réelle, radicale, point de butée de notre capacité à penser : un impossible à dire. Cela serait évidemment à poursuivre.
  • [3]↑– Cette inconsistance d’une culture plurielle amène chacun à faire retour à sa culture d’origine. Nous ne pensons pas, contrairement au discours à la mode, que le pluriel convienne à la culture. L’enjeu, c’est l’invention d’une nouvelle culture, ce qui suppose que chacun soit prêt à consentir à de la perte.
  • [4]↑– Éditions Érès, coll. Humus, 2004
  • [5]↑– On connaît l’intérêt de Gilles Deleuze pour Leibniz auquel il a consacré un ouvrage (après L’Anti-Oedipe et Mille plateaux) : Le Pli, Leibniz et le baroque, Paris, Minuit, 1988.
  • [6]↑– Cfr S.Freud, Totem et tabou. Cette hypothèse a été reprise par Suzanne Ginestet-Delbreil dans Narcissisme et transfert, Campagne Première, 2004.
  • [7]↑– Cfr le livre Monique Ménard sur Deleuze et la psychanalyse
  • [8]↑– Je ferai remarquer que lorsque je parle d’institution, je ne me limite pas à la dimension instituée. Je pense qu’il convient de prendre en compte la dimension de l’instituant. Ce qui renvoie à un acteur qui accepte de prendre la responsabilité d’un acte instituant. L’institution est donc une dialectique qui joue entre l’Instituant et l’Institué.
  • [9]↑– Le terme de « maillage », qui est issu de « maille », peut prendre, dans le français contemporain, la signification de « structuration en réseau ». Cela nous renvoie à l’opposition que l’on se plaît à faire aujourd’hui entre une société dont la structure est hiérarchique et celle qui, au contraire trouverait dans le réseau le paradigme de son articulation. Notez aussi la curiosité étymologique, dont je ne sais pas encore ce que l’on pourrait en faire, qui relie la « maille » au latin « macula » qui signifie aussi bien la « boucle » que la « tache ».
  • [10]↑– Paris, Plon, 1964 où l’auteur parle de la « dure sobriété de quelques uns » qui inaugure le capitalisme. « Ceux-ci s’élevaient aux premières places parce qu’ils ne voulaient pas consommer mais gagner … »
  • [11]↑– Cette conférence a été éditée par les soins de l’Association Freudienne de Belgique dans : Charles Melman, Clinique psychanalytique et lien social, Bibliothèque du Bulletin Freudien, sd., pp.245 et ss.
  • [12]↑– À relire, dans l’après-coup, cette « sériation », il me semble qu’il conviendrait de nuancer les choses. Il est évidemment trop carré d’affirmer que les économies du social (c’est-à-dire la manière dont le social organise la jouissance des sujets) soient de nature névrotique (hystérie ou obsessionnelle) ou perverse. Reprenons l’exemple du capitalisme classique. Il serait inexact d’affirmer que tout capitaliste est un obsessionnel qui s’ignore ! Ce qui paraît plus juste, c’est d’avancer que, dans le régime capitaliste, le névrosé trouve à donner forme obsessionnelle à sa névrose. Cela nous renforcerait dans l’idée d’une correspondance entre le social (je veux dire : l’économie sociale de la jouissance) et les formes cliniques que nous pouvons rencontrer.
  • [13]↑– Je m’excuse pour cette digression sur des questions de temporalité et d’histoire qui peut paraître inopportune. On verra, je l’espère, que c’est un point essentiel où Deleuze et la psychanalyse se rencontrent pour entrer en conflit. On peut noter que ces trois modalités de traitement de la temporalité ne sont pas équivalentes : la régression et la fixation donnent lieu à des formations symptomatologiques, alors que l’anticipation, qui est à distinguer de la projection, est une modalité structurante de la subjectivité -je veux dire de cette opération par laquelle un « quelqu’un » est pris dans le langage et la parole.
  • [14]↑– Cette référence à la psychose pour anticiper ce que nous dirons de Deleuze et Guattari et de la schizo-analyse dont ils pensent qu’elle devrait remplacer la psychanalyste focalisée sur la question des névroses.
  • [15]↑– C’est la définition même de l’extrapoler : déduire hardiment !
  • [16]↑– Jean Bergès, Gabriel Balbo, Psychothérapies d’enfants, enfants en psychanalyse, Érès, 2004
  • [17]↑– Figure de rhétorique qui conjoint les contraires : une chaleur froide, un cercle carré, la familiarité hautaine du « familionnaire », etc.
  • [18]↑– Je me centrerai ici sur le travail que Gilles Deleuze a produit en collaboration avec Félix Guattari, en écrivant L’Anti-Oedipe (1972) et Mille plateaux (1980). Il serait évidemment tout à fait intéressant de croiser cela avec les ouvrages de Deleuze qui ont trait au travail philosophique plus classique. Plus particulièrement les ouvrages qu’il a consacrés à Spinoza, Bergson, Nietzche et Foucault. De même tout son travail sur le cinéma et le statut de l’image dans notre post-modernité.
  • [19]↑– Ce texte Rhizome (Paris, Minuit, 1976) a été repris comme introduction à Mille plateaux, mais le paragraphe que nous citons ici n’y a pas été repris !
  • [20]↑– p. 8. C’est moi qui souligne les termes qui renvoient à la dimension de mouvement, de vitesse par opposition à tout ce qui fait « point », arrêt, être.
  • [21]↑– Cet entretien a été réédité dans Gilles Deleuze, Pourparlers, Paris, Minuit, 1990/2003, pp. 24 à 38.
  • [22]↑– Deleuze, op.cit., p. 27
  • [23]↑– Deleuze, op.cit., p. 28
  • [24]↑– Deleuze, op.cit., p. 29
  • [25]↑– Deleuze, op.cit., p. 28
  • [26]↑– Ibidem.
  • [27]↑– Deleuze, op.cit., pp.29 et 30.
  • [8]↑– Deleuze, op.cit., p . 37.
  • [9]↑– Deleuze, op.cit., p . 38.
  • [30]↑– Il faudrait montrer qu’il y a là un paradoxe. S’il est une entreprise qui a réussi à généraliser le devenir et la production, c’est bien celle de la science. Or, pour Deleuze et Guattari, la science fait partie des stratégies de retardements qui ontologisent les flux et processus.
  • [31]↑– Deleuze, op.cit., pp. 34 et 35.
  • [32]↑– On peut se référer aux premières leçons du séminaire V de Lacan, consacré aux formations de l’inconscient, pour suivre la relecture lacanienne de Freud en termes de signifiant, de métaphore et de métonymie.
  • [33]↑– Je pense particulièrement à Gilles Lipovetsky (L’ère du vide, Essai sur l’individualisme contemporain (Gallimard, 1983), Le crépuscule du devoir (Gallimard, 1992) et Les temps hypermodernes (Grasset, 2004). On peut aussi se référer à la littérature anglo-saxonne, particulièrement à un auteur comme Richard Sennett, Les tyrannies de l’intimité (traduction française au Seuil en 1979) et Le travail sans qualité (traduction française chez Albin Michel en 2004)
  • [34]↑– Deleuze et Guattari, L’Anti-Oedipe, p. 385.
  • [35]↑– Idem, p. 406.
  • [36]↑– Idem, p. 371.
  • [37]↑– Idem, p. 370.
  • [38]↑– Diem, p. 370.
  • [39]↑– Ibidem.
  • [40]↑– Idem, pp. 370 et 371.