Parentalité. Revue de la littérature

Une revue de la littérature et des approches concernant le soutien à la parentalité.

Par Béatrice Lamboy

Pour citer cet article :

Lamboy, B. (2009). Soutenir la parentalité : pourquoi et comment : Différentes approches pour un même concept. Devenir, vol. 21(1), 31-60.

Introduction

L’usage du concept de parentalité s’est accru considérablement au cours des dix dernières années. Pour de nombreux auteurs la parentalité représente une question majeure de santé publique. Pour certains, ce serait une des principales problématiques auxquelles sont confrontées les sociétés actuelles, le rôle le plus important auquel doivent faire face de nombreuses personnes sans le moindre soutien ni la moindre préparation (Hoghughi, 1998 ; Poole, 2003). Les problèmes de parentalité seraient à la source de nombreuses difficultés sanitaires et sociales (Hoghughi, 1998 ; Hogughi et Speight, 1998 ; Stewart-Brown, 2008). Ils auraient d’importantes conséquences en termes de santé publique et seraient largement associés aux troubles de comportements, aux conduites à risque, aux troubles psychiques, à l’abus de substances psychoactives, à l’absentéisme, à l’échec scolaire, à la délinquance et à la criminalité (Poole, 2003 ; Stewart-Brown, 2008). Plusieurs rapports nationaux et internationaux soulignent l’importance de cette fonction, rappellent les enjeux qu’elle recouvre et recommandent la mise en œuvre d’actions pour la soutenir (Haut conseil de la population et de la famille, 2003 ; Haute Autorité de Santé, 2005 ; Ministère délégué à la famille, 2002 ; Organisation Mondiale de la Santé, 2002).

Mais si cette notion mobilise les acteurs de santé publique, chercheurs et intervenants, elle intéresse aussi de nombreux autres professionnels et met en jeu différents univers : politique, média, sociologie, psychologie, psychanalyse, éducation, action sociale, justice… Si tous reconnaissent une place primordiale à la parentalité, il n’est pas certain que tous s’entendent sur les réalités qu’ils rattachent à cette notion ni sur les modalités d’action qu’ils préconisent. Cet article propose de faire un état des lieux des principales approches de la parentalité, en faisant émerger les paradigmes qui lui sont associés et en mettant en évidence la diversité des interventions qui se regroupent sous les termes de « soutien à la parentalité ». Après un bref historique de l’usage du terme, une première définition du concept selon différentes disciplines (psychanalyse, sociologie, justice, action politique et sociale, éducation), nous présenterons quatre grandes formes de soutien à la parentalité.

Définition de la parentalité

Le terme de « parentalité » est un néologisme officialisé dans les années 1980 et présenté dans la langue courante comme « nom féminin (1985) (renvoyant à) la qualité de parent, de père, de mère » (Le Petit Robert, 2001) ou « fonction de parent, notamment sur les plans juridique, moral et socioculturel » (Larousse, 2000). Il apparaît dans la langue française au début des années 1960 au sein du champ psychiatrique et psychanalytique. Introduit à l’époque par le psychiatre Racamier (1961), il s’agit de la traduction du terme de « parenthood » développé par la psychanalyste américano-hongroise Benedek (Benedeck, 1959). Dans ce cadre, il fait spécifiquement référence au processus intrapsychique associé au fait d’être parent et permet ainsi de dépasser la distinction habituellement faite entre la fonction maternelle et la fonction paternelle et de présenter ce processus comme une étape du développement psychologique de l’adulte. Jusqu’aux années 1980-90, ce terme est ainsi essentiellement utilisé par des spécialistes et restreint à des univers très circonscrits. Depuis, son usage s’est largement répandu et son passage dans le sens commun en a fait un terme polysémique difficile à appréhender de par la diversité des réalités auquel il peut renvoyer.

Dans le champ psychanalytique, nous avons vu que le terme de « parentalité » renvoyait à un processus développemental psycho-affectif ou plus précisément à « l’ensemble des processus de maturation psychique propres à la fonction parentale » (Bouregba, 2004). La parentalité dans l’univers analytique correspond ainsi à l’« ensemble des réaménagements psychiques et affectifs qui permettent à des adultes de devenir parent, c’est-à-dire de répondre aux besoins de leur(s) enfant(s) à trois niveaux : le corps (les soins nourriciers), la vie affective, la vie psychique » (Lamour et Barraco, 1998). Il s’agit d’un « processus qui se prépare inconsciemment depuis l’enfance, (qui est) activé à l’adolescence sous l’influence de facteurs physiologiques, et (qui est) actualisé lors de la naissance des enfants » (Sellenet, 2007). Cette approche du concept est encore d’actualité chez les psychologues et psychanalystes contemporains (Bouregba, 2004 ; Poussin, 1993). Dans ce domaine, ce sont principalement les échecs et les problèmes associés à la parentalité qui sont étudiés (accouchement sous X, dysfonctionnement de la parentalité, refus d’avoir des enfants…) et analysés en termes psychopathologiques (Bouregba, 2004). Le non-accès à la parentalité est ainsi interprété comme une « incapacité psychique à procréer » (Poussin, 1993), comme un échec dans le développement psycho-affectif ; la parentalité étant présentée comme « un besoin quasi inscrit dans le développement du sujet (un désir d’enfant), une ligne de démarcation manifestant le passage de l’enfance à l’âge adulte » (Sellenet, 2007). C’est dans ce cadre que s’est développée une clinique de la parentalité.

Le concept de parentalité est aussi largement présent dans le champ sociologique. Même si dans ce domaine, ce terme semble aussi une traduction du terme anglais « parenthood » (« condition de parent/s », Robert et Collins, 2003), il fait davantage référence à un ensemble de fonctions sociales. Il est apparu dans les années 1970 sans lien avec le concept de parentalité utilisé par les psychanalystes, mais plutôt comme un dérivé de l’adjectif anglais « parental » qui visait à qualifier les nouvelles formes de structures et de vie familiale (Boisson et Verjus, 2004). Ainsi, le terme de parentalité serait « entré dans le vocabulaire commun par le biais de la “ monoparentalité ” » (terme importé des pays anglo-saxons par les sociologues féministes des années 1970 et consacré par l’INSEE en 1981) (Sellenet, 2007). Que ce soit chez les ethnologues s’intéressant aux modèles familiaux dans les cultures non occidentales ou les sociologues se penchant sur les questions associées aux nouvelles structures familiales, le concept de parentalité permet ainsi de mettre en avant la complexité et la diversité des fonctions parentales et de différencier la parenté biologique de la parenté sociale. Le terme de parentalité peut ainsi se décliner de différentes façons pour qualifier les multiples formes familiales : homoparentalité, pluriparentalité (ou multiparentalité), parentalité adoptive, parentalité d’accueil, beau-parentalité, grand-parentalité…

Dans le champ juridique, le terme de parentalité tient peu de place puisque le droit civil reconnaît uniquement le concept de parenté. Il est parfois utilisé en référence à la fonction parentale, en particulier dans les questions de l’autorité parentale et des droits des parents. C’est ainsi que « la dernière loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale (…) consacre la notion de “ coparentalité ”, dont le principe était déjà introduit par la loi du 8 janvier 1993 qui engage un exercice conjoint de l’autorité parentale indépendamment du statut matrimonial des parents (mariés, séparés, divorcés ou concubins) » (Boisson et Verjus, 2004).

Dans le champ de l’action politique et sociale, la parentalité est aussi associée à la fonction parentale. Plus précisément, dans le dictionnaire critique d’action sociale, « la parentalité apparaît comme un terme spécifique du vocabulaire médico-psycho-social qui désigne de façon très large “ la fonction d’être parent ” en y incluant à la fois les responsabilités juridiques telles que la loi les définit, des responsabilités morales telles que la socio-culture les impose et des responsabilités éducatives » (Dictionnaire d’action sociale, 1995). Dans ce domaine, la question de la parentalité s’inscrit principalement dans une logique d’interventions visant à soutenir les familles et à protéger les intérêts des enfants. La parentalité est ainsi appréhendée comme une fonction susceptible de présenter un certain nombre de défaillances et qui nécessite alors d’être soutenue ou restaurée.

Dans le domaine psycho-éducatif, le terme de parentalité renvoie aux pratiques parentales mises en œuvre dans l’éducation des enfants et prend donc une signification plus restreinte. Si dans les domaines précédemment cités, le terme de parentalité semble référer davantage au terme anglais « parenthood » qui renvoie de façon générale à la condition d’être parent, dans ce champ, il semble plutôt associé au terme « parenting » qui concerne le soin et l’éducation d’un enfant (Collins, 2007) (Martin, 2004).

Différentes approches du soutien à la parentalité

Nous avons vu que le concept de « parentalité » pouvait être défini différemment selon le domaine dans lequel il était utilisé. Nous allons maintenant nous intéresser plus spécifiquement à la question du « soutien à la parentalité » et tenter de formaliser les différentes approches associées à ce phénomène. Si, comme le concept de « parentalité », le problème du « soutien à la parentalité » cache une diversité de conceptions, il semble que cette diversité soit encore plus complexe. En effet, elle serait à la fois fonction des domaines d’utilisation mais aussi étroitement liée aux représentations de la parentalité, des problèmes et des solutions qui lui sont associés. Ainsi, à partir de la littérature scientifique, des rapports officiels et de la littérature grise, nous avons pu dégager quatre grandes approches du « soutien à la parentalité » qui se distinguent chacune par leur façon de problématiser la question et d’apporter des solutions. Ainsi pour chaque approche, nous dégagerons deux aspects :

– Pourquoi soutenir la parentalité : les représentations de la parentalité, les problèmes qui lui sont associés et les résultats escomptés en soutenant la parentalité.

– Comment soutenir la parentalité : les interventions mises en œuvre.

Cette réflexion portera spécifiquement sur les approches populationnelles et non thérapeutiques de la parentalité. Ainsi, l’approche psychanalytique ne sera pas approfondie. La clinique (psychanalytique) de la parentalité s’inscrit davantage dans une prise en charge individuelle et vise à traiter un certain nombre de troubles et dysfonctionnements de la parentalité (troubles de l’élaboration narcissique déterminés par un état psychotique ou limite ou provoqués par les remaniements psychiques au cours de la grossesse ; troubles différés liés à une structure perverse ou paranoïaque de la parentalité) (Bouregba, 2004).

L’approche répressive : rétablir l’ordre par un rappel à l’autorité

a – Pourquoi soutenir la parentalité

« Si discours politiques, émissions de télévision ou de radio, articles de presse, s’emparent du thème, c’est pour stigmatiser l’effondrement du rôle des parents dans la socialisation des enfants, ces enfants que l’on traite de “ sauvageons ” et qui n’auraient pas reçu en héritage ces codes culturels qui permettent de bien se tenir en société. Indéniablement, le discours sur la parentalité est un discours d’ordre public » (Faget, 2001).

La question du soutien à la parentalité peut tout d’abord prendre place au sein de « débats sécuritaires » (Boisson et Verjus, 2004 ; Martin, 2004) ou de « discours moralisateurs » (Kertudo, 2005) portés le plus souvent par les hommes politiques et les médias. Elle serait le reflet d’une « inquiétude politique » (Kertudo, 2005) générée par deux aspects : les mutations familiales d’une part (augmentation du nombre de divorces, de familles monoparentales, de familles recomposées, de naissances hors mariages, de couples bi-actifs ; diminution du nombre de mariages, de la fécondité, de la fonction et du rôle du père…) et d’autre part, un certain nombre de problèmes sociaux perçus comme en augmentation (insécurité, incivilités, délinquance, consommation de drogues, absentéisme…). Dans cette perspective, ces deux phénomènes apparaîtraient comme deux problèmes liés entre eux de façon causale.

L’abandon de la structure familiale traditionnelle et les transformations qui en découlent auraient affecté les fonctions et compétences parentales. Un grand nombre de parents ne seraient plus aptes à accomplir leurs tâches ; ils se désengageraient par rapport à leurs enfants, seraient devenus incompétents, irresponsables et démissionnaires (Jésu, 2004 ; Kertudo, 2005 ; Martin, 2004). De par ces mutations sociétales, les fonctions socialisatrices ne seraient donc plus assurées par les parents, ce qui serait à l’origine de problèmes comportementaux chez les enfants. Ces discours et représentations seraient largement véhiculés dans la sphère politique quels que soient les partis d’appartenance. Il se retrouve par exemple chez des personnalités de gauche comme S. Royal (Le Monde du 28 février 2001) : « Les parents doivent reprendre une forme d’autorité en réponse aux incivilités et aux conduites à risque des jeunes. Il faut stopper le laisser-aller, la volonté de copinage avec les enfants, guidée, souvent, par la mauvaise conscience des parents qui divorcent (…) ». Ce rappel à l’autorité comme réponse aux problèmes de société est parfois repris par certains universitaires : « Quand donc les parents cesseront-ils d’avoir peur de discipliner leurs enfants ? (…) N’ayons plus peur d’appeler un chat un chat et “ sauvageon ” (c’est le seul mot juste) celui qui n’a pas eu la chance de rencontrer l’interdit structurant qui le fera passer de l’état sauvage à l’état humain » (C. Hadji, professeur de sciences de l’éducation, Le Monde du 16 février 2002). Largement relayée par les médias, cette approche façonne l’opinion publique. Par exemple, un sondage CSA/La Croix auprès de 1000 personnes réalisé en janvier 2000 en population générale montre que 79% des personnes interrogées évoquent le manque d’autorité comme facteur explicatif de la violence dans les établissements scolaires (Kertudo, 2005). Ce discours qui met en avant les idées d’irresponsabilité, de défaillance ou de démission des parents comme facteurs explicatifs des problèmes de société et le renforcement de l’autorité comme moyen pour les résorber semble davantage fondé sur l’opinion que sur une analyse approfondie des phénomènes ou des données scientifiques.

b – Comment soutenir la parentalité

Les interventions entreprises dans ce cadre s’appuient sur l’idée d’une carence de l’autorité parentale. Mais c’est essentiellement par un rappel à l’autorité, en général, qu’elles prennent forme. Le rappel de l’autorité parentale passe par un rappel de l’autorité de l’Etat. Les mesures sont donc essentiellement répressives et visent à sanctionner les parents considérés comme responsables et défaillants.

En France, les sanctions peuvent tout d’abord porter sur la suspension, la suppression ou la mise sous tutelle des prestations familiales. Cette mesure n’est pas récente puisqu’elle apparaît dès les années 1960 (Ordonnance du 6 janvier 1959 et décret d’application du 18 février 1966) à l’encontre de parents d’enfants manifestant un absentéisme scolaire prolongé. Jugée peu efficace et excessive, cette disposition a été abrogée par la loi Jacob du 2 janvier 2004. Elle a été remplacée par une amende de 750 euros pour les parents qui ne prennent pas les mesures nécessaires pour lutter contre l’absentéisme de leur enfant. Parallèlement, la loi du 18 octobre 1966, en vigueur, permet au juge pour enfants d’ordonner une mise sous tutelle des prestations familiales lorsque l’enfant est élevé dans de piètres conditions d’alimentation, de logement et d’hygiène ou lorsque les allocations ne sont pas dépensées dans son intérêt. La suspension des prestations familiales pour absentéisme scolaire est réapparue en 2006 à travers la mise en œuvre du « contrat de responsabilité parentale » (CRP) (loi du 31 mai 2006). Ce contrat, d’une durée de 6 mois renouvelable une fois, est proposé aux familles par le Président du Conseil général lorsqu’un enfant manifeste un absentéisme scolaire important, lorsqu’il trouble le fonctionnement d’un établissement scolaire ou pour « toute autre difficulté liée à une carence de l’autorité parentale ». En 2002, des « stages de soutien à la parentalité » ont aussi été mis en place pour tenter de renforcer la « responsabilisation » et l’autorité parentale. La circulaire de politique pénale du 13 décembre 2002 précise que « le stage parental doit permettre une action efficace et harmonisée des différents intervenants en considérant que, si le cadre légal du dit stage est répressif, la démarche est, quant à elle, éducative ». La note D.P.J.J. du 4 février 2005 ajoute par ailleurs que : « Les stages parentaux (…) s’inscrivent dans le champ de l’obligation et du contrôle fixés par l’autorité judiciaire pour contraindre les parents à entendre et prendre conscience du rôle de protection et d’éducation qu’ils doivent exercer à l’égard de leur progéniture. » Un certain nombre de situations (proposées de façon indicative et non restrictive) peuvent donner lieu à un tel stage : parents de mineurs primo-délinquants de très jeune âge ; cas lourds d’absentéisme scolaire ; parents réticents à toutes mesures éducatives ; parents refusant de venir chercher leurs enfants impliqués dans une procédure, après de multiples faits ; parents qui tirent profit de l’activité délinquantielle de leurs enfants. En termes d’intervention, ce stage s’articule en deux temps : une étape d’information collective sur les droits et devoirs des parents (réalisée par des représentants du ministère public, de l’éducation nationale, de la police ou la gendarmerie et de la PJJ) et une étape de suivi individualisé qui n’excède pas trois mois et qui vise à contrôler et vérifier si les parents entreprennent des démarches pour l’éducation de leurs enfants, respectent les obligations qui leur ont été formulées, répondent aux convocations, participent aux réunions d’information (réalisées par des travailleurs sociaux).

Approche(s) sociale(s) : soutenir une parentalité en difficulté, prévenir les problèmes sociaux par l’écoute et le renforcement des liens

a – Pourquoi soutenir la parentalité

Au sein de cette approche, plusieurs conceptions de la parentalité peuvent se retrouver, conceptions qui d’ailleurs ne sont pas mutuellement exclusives. Il est tout d’abord possible de distinguer une réflexion relativement récente menée sur la parentalité de façon généraliste et qui porte sur les rôles, fonctions et pratiques des parents dans notre société. Elle complète une réflexion plus ancienne ciblant les familles en prise avec différents problèmes psychosociaux (maltraitance, délinquance…).

L’approche généraliste de la parentalité est, elle-même, portée par deux tendances. La première tendance peut se rapprocher de celle décrite dans l’approche répressive présentée ci-dessus. On y retrouve les mêmes préoccupations et les mêmes représentations de la parentalité. « L’exercice de la parentalité devient aujourd’hui de plus en plus difficile notamment pour les jeunes couples, les familles monoparentales, les familles recomposées, les familles issues de l’immigration. Différents facteurs sont à l’origine de cette situation : les modifications des relations intergénérationnelles, le développement du travail à temps plein ou atypique des mères hors du foyer familial, la précarité de l’emploi, les difficultés de logement, les conflits conjugaux, l’évolution des mentalités et des représentations surtout » (Conférence de la famille, 1998). L’évolution des structures familiales et des modes de vie apparaissent comme à l’origine « d’une crise de la parentalité » qui serait généralisée (Hermange, 2002 ; Panafieu, 2002 ; Roussille, 2004). Pour faire face à cette « crise », « il convient donc d’aider les parents, et plus particulièrement les pères, à assurer leur rôle parental et notamment la fonction d’autorité qui lui est attachée » (Conférence de la famille, 1998). C’est dans cette perspective et lors de la Conférence de la famille en 1998 qu’apparaît le projet politique de soutenir la parentalité de façon généraliste. « Il faudrait être attentif à soutenir la parentalité et les liens familiaux lorsqu’ils sont fragilisés par des situations aussi diverses que le chômage, l’hospitalisation, l’incarcération de l’un des parents ou par les comportements à risque de l’un des enfants (fugue, ruptures scolaires, tentatives de suicide, toxicomanie, etc). » « Il faudrait aussi développer des lieux favorisant l’apprentissage de la parentalité : lieux d’accueil parents-enfants, groupes d’expression, établissements d’information, de consultation et de conseil conjugal, etc.) (Conférence de la famille, 1998). Si cette représentation de la parentalité « en crise » est bien partagée avec l’approche répressive et si des liens sont aussi établis entre les problèmes de parentalité et différents problèmes sociétaux (Roussille, 2004), l’approche sociale se distingue de l’approche répressive dans ses modalités d’intervention. A ces parents qui sont considérés en difficulté plus que « coupables », il est proposé de l’aide et du soutien plus que des sanctions et un rappel à l’autorité.

Mais l’approche généraliste de la parentalité est aussi portée par une autre tendance, provenant, cette fois, de la diffusion et de l’assimilation des savoirs psychologiques dans la pensée commune. Depuis la fin de la guerre et particulièrement au cours des années 1970, les recherches psychologiques et psychanalytiques sur l’enfant et le bébé se sont largement développées. La vulgarisation et la diffusion de ces connaissances ont contribué à modifier les représentations associées à l’enfant et à la fonction parentale. « Le bébé est devenu une personne » (Martino, 1985), doué de compétences multiples (Brazelton, 1982 ; Cramer, 1989) ; l’enfant, un individu à part entière qui mérite attention, écoute et respect. Les enfants depuis leur plus jeune âge ont des besoins qu’il s’agit de prendre en considération afin de favoriser un développement optimal de la personne à tous les niveaux : physique, cognitif, affectif et social. Ce processus de croissance passe par un attachement sain (secure) à la figure parentale (Bowlby, 1969) et par des interactions parent-enfant de qualité (Brazelton et Cramer, 1991 ; Stern, 1977). Ainsi, le rôle des parents dans le développement de l’enfant devient central. Ils doivent pouvoir répondre de façon adéquate aux besoins de l’enfant et l’accompagner à tous les stades de son évolution. Cette tâche éducative apparaît alors aussi déterminante que complexe. « Les fonctions parentales sont de moins en moins considérées comme un “ don ” ; elles sont, au contraire, inscrites dans une perspective dynamique d’acquisition de compétences et d’une capacité à “ être parent ” (…) », ainsi « l’idée que, normalement, la prise en charge de l’enfant n’est pas évidente pour le parent, participe de plus en plus du sens commun » (Boisson et Verjus, 2004). Cette approche correspond à une véritable rupture ; la parentalité apparaît comme un processus qui se développe et implique des compétences à acquérir. Aujourd’hui, il n’est plus question d’élever un enfant, en mettant en œuvre des « savoir-faire naturels » mais de l’éduquer en mobilisant et développant des compétences multiples. Conscient de l’importance et de la difficulté de cette tâche, les parents deviennent demandeurs d’aide et de conseils. C’est dans cette perspective que le concept de « soutien à la parentalité » trouve toute sa légitimité.

Cette évolution des représentations de l’enfant et du parent se retrouve aussi parmi les professionnels en charge de publics à risque. Ainsi, la valorisation de la parentalité apparaît comme le reflet d’importantes transformations dans les modalités d’interventions sociales. La compréhension des phénomènes de maltraitance et de délinquance a profondément évolué ces 50 dernières années. Une première rupture apparait dans les années 1950-1960, lorsque l’enfant délinquant ou maltraité cesse d’être considéré comme coupable. Il n’est plus appréhendé comme « un pervers né » ou un enfant qui aurait mérité les corrections de son père (seul juge), mais comme un enfant victime d’un milieu sociofamilial défaillant. Cet enfant en souffrance n’est plus à corriger ou à punir mais doit être aidé et protégé de sa famille (Boisson et Verjus, 2005). L’action sociale met alors en place une politique de protection qui passe souvent par un éloignement du milieu familial pathogène. Mais petit à petit, l’idée et le constat que la prise en charge institutionnelle n’est pas aussi satisfaisante qu’espérée et que la rupture du lien parent-enfant pose problème se développent (Boisson et Verjus, 2004). On prend conscience de la force du lien familial, de la spécificité de la relation parent-enfant et du risque que représente une telle séparation. Après la prise en compte de la dangerosité potentielle du milieu familial, on en vient à reconnaître ses richesses et ses compétences (Kertudo, 2005). Dans le même temps, la souffrance des parents qui se trouvent en difficulté dans leur relation commence à être reconnue. Ce n’est plus seulement l’enfant qui est en souffrance et qui doit être aidé mais toute la famille qui est en difficulté, en prise avec de nombreux problèmes socio-économiques, familiaux et psychologiques. « La figure du parent “ souffrant ” vient contrebalancer la figure d’un parent “ coupable ” portant avec elle une politique d’action fondée sur la prévention et la réhabilitation de l’enfant et du parent. Un nouveau regard est donc porté sur les parents, donnant lieu à de nouvelles modalités d’intervention. L’idée de “ familles compétentes ” qui est mise en avant vient pondérer l’idée de “ familles dysfonctionnelles ” » (Ausloos, 1995). « C’est aux besoins et aux difficultés des parents que désormais, et sans exclure ceux des enfants, l’on s’intéresse aussi en ce début du XXIe siècle. Cette considération nouvelle pour la condition parentale participe sans doute d’une démarche intellectuelle et éthique novatrice ; elle repose aussi sur des motifs stratégiques, c’est-à-dire la recherche d’une protection de l’enfance et d’une action sociale à vocation familiale plus efficace » (Boisson et Verjus, 2004).

Que ce soit dans le cadre d’une approche généraliste qui fait face à une parentalité « en crise » ou en questionnement, ou bien dans le cadre de nouvelles formes d’actions sociales, les politiques, les travailleurs sociaux et les parents mettent en avant l’importance de la parentalité et cherchent à développer des dispositifs pouvant la soutenir.

b – Comment soutenir la parentalité

En France, les Réseaux d’Ecoute, d’Appui et d’Accompagnement des Parents (REAAP) représentent « une des composantes essentielles de la politique de soutien à la parentalité » (Panafieu, 2004). Annoncé à l’occasion de la Conférence de la famille en 1998, le dispositif des REAPP a été créé en 1999 par le premier délégué interministériel à la famille (P.L. Rémy) et ses collaborateurs de l’Union nationale des associations familiales (UNAF). Il « a pour finalité de soutenir les parents dans leur rôle éducatif en s’appuyant sur la mise en réseau des intervenants divers travaillant sur ce sujet ». « Il s’agit d’un programme interministériel qui concerne 11 entités administratives et 5 ministères : solidarité et emploi (DGAS, DPM), Education Nationale (DESCO, Direction de la jeunesse), justice, ministère délégué de la famille (DIF), ministère délégué à la Parité et à l’égalité professionnelle, une autre délégation interministérielle (DIV) et deux établissements publics (CNAF et FASILD) (Roussille, 2004). Le comité de pilotage national des REAAP présidé par le délégué interministériel à la famille a élaboré une charte fixant les missions, les principes d’actions et d’animation. Cette “ Charte des initiatives pour l’écoute, l’appui et l’accompagnement des parents ” s’articule autour de plusieurs axes : “ valoriser prioritairement les rôles et les compétences des parents : responsabilité et autorité, confiance en soi, transmission de l’histoire familiale, élaboration de repères, protection et développement de l’enfant… ”, “ veiller à la prise en compte de la diversité des structures familiales (…) ”, “ favoriser la relation entre parents (…) ”, favoriser “ l’animation et la mise en réseau de tout ce qui contribue à conforter les familles dans leur rôle structurant vis-à-vis de leurs enfants ”, créer un mouvement et inscrire les projets dans la durée » (Roussille, 2004). Au niveau départemental les REAAP sont représentés par des comités pilotés par la DDASS et regroupent les services de l’Etat (DDASS, Education Nationale, DDPJJ), la CAF, les services du département et des villes et des associations. Le dispositif des REAAP représente un budget annuel d’Etat (DGAS) de 9,6 millions d’euros stable depuis 1999 auquel s’ajoutent des cofinancements provenant principalement des collectivités locales et de la CAF (Roussille, 2004). En 2002, environ 3000 actions étaient financées dans ce cadre, touchant environ 130 000 à 200 000 familles majoritairement en difficulté (enquête menée par la DIF) (Roussille, 2004). 70% des actions concernaient les parents uniquement et prenaient la forme de groupe de parole, groupe d’activités, lieu d’écoute et de parole, permanence téléphonique, lieu d’information et accès aux droits, forums, conférences-débats… Les autres interventions proposées dans le cadre des REAAP impliquent les parents et les enfants : accueil parent-enfant, groupe d’activités, vacances ou sorties en famille…

De façon générale « les services aux familles et à la parentalité occupent une place de plus en plus importante dans la politique familiale française » (De Panafieu, 2002). Dans ce domaine, il est possible de distinguer deux grands types de services proposés aux familles : ceux qui favorisent la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle (garde d’enfants, activités de loisirs) et ceux qui proposent un soutien à la parentalité (De Panafieu, 2002 ). Les actions qui s’inscrivent dans le champ du soutien à la parentalité sont relativement diverses tant au niveau des acteurs impliqués qu’au niveau des modalités d’intervention :  « De très nombreux acteurs y participent : ministère de la famille, caisses d’allocations familiales (CAF), caisses de MSA, centres communaux d’action sociale (CCAS), conseils généraux, mairies, écoles, associations parmi lesquelles les associations familiales, les associations de professionnels de l’aide aux familles….

 De nombreuses actions sont menées en direction des familles : réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents, accompagnement à la scolarité, médiation familiale, aide aux familles à domicile, parrainage, lieux d’accueil pour l’exercice du droit de visite, lieux d’accueil enfants-parents, conférences, groupes de parole, maisons des parents, services téléphoniques, consultations… De plus, ces actions sont menées dans des cadres d’intervention différents (volontariat, injonction du juge…).

 Les acteurs intervenant auprès des familles n’ont pas tous la même vocation (professionnels, bénévoles, parents…) » (De Panafieu, 2002).

Ces interventions peuvent cibler des publics en difficulté (violence, précarité, échec scolaire, délinquance, divorce, famille monoparentale…) mais peuvent aussi être ouvertes à tout parent en demande de soutien, d’écoute ou de conseil.

A côté des actions relevant du dispositif des REAAP, il est possible de distinguer différentes formes d’intervention pouvant être rattachées à des activités de soutien à la parentalité (De Panafieu, 2002) :

  • Le conseil conjugal et familial vise à soutenir les parents en prise avec des problèmes conjugaux, parentaux ou familiaux par une écoute, des conseils et de l’information à l’aide d’entretiens individuels ou d’animation de groupes. Les conseillers conjugaux et familiaux sont présents dans différents types d’établissement : des établissements d’information, de consultation ou de conseil familial, des centres de planification ou d’éducation familiale (CPEF), des centres hospitaliers, des centres de PMI, des associations…
  • La médiation familiale vise à résoudre de façon pacifique des situations conflictuelles (telles qu’un divorce) en favorisant l’échange et la communication entre les personnes en désaccord par la présence d’un médiateur.
  • L’aide aux familles à domicile, en particulier les techniciens de l’intervention sociale et familiale (diplôme d’Etat d’auxiliaire de vie sociale créé en 2002) accompagnent les familles vers la résolution de leurs problèmes et les aident à faire face à une situation momentanément perturbée. L’intervention de ces professionnels permet une présence régulière au domicile de la famille et un suivi continu de celle-ci.
  • Les lieux d’accueil pour l’exercice du droit de visite permettent de maintenir le lien entre l’enfant et ses deux parents après une séparation dans un contexte problématique (violence familiale, incarcération d’un parent, maladie mentale…).
  • Le parrainage vient en appui à la parentalité et offre à l’enfant une relation affective privilégiée avec un adulte accueillant, disponible et soutenant.

Approche sociologique : une réflexion et un regard critique sur les approches de soutien à la parentalité

a – Pourquoi soutenir la parentalité

Les réflexions sociologiques sur la problématique du soutien à la parentalité se présentent essentiellement comme une critique des thèses et approches proposées par les acteurs ayant investi le champ. Elles passent par une déconstruction des arguments et postulats avancés et une mise en avant d’explications alternatives. La thèse des « parents démissionnaires » et de « la parentalité en crise » est largement remise en cause. L’évolution des configurations familiales est constatée mais n’est pas pointée comme facteur explicatif des maux de la société. Comme le faisait déjà remarquer Durkheim en 1975, « la famille d’aujourd’hui n’est ni plus ni moins parfaite que celle de jadis : elle est autre, parce que les milieux où elle vit sont plus complexes ; voilà tout ». « L’autorité indéfectible du père et l’encadrement quotidien et la disponibilité sans faille d’une mère toujours présente auprès de l’enfant » (Martin, 2004) sont des configurations de l’exercice de la parentalité qui sont passées et qui ne peuvent être réactualisées. Les liens entre la modification de la structure familiale et un certain nombre de problèmes psychosociaux sont aussi réfutés. Il est rappelé que les facteurs socio-économiques sont particulièrement associés aux phénomènes tels que la délinquance et que « si la famille joue un rôle, c’est le climat familial (et non la structure) qui est déterminant » (Mucchielli, 2000).

Plusieurs thèses sont avancées pour tenter d’expliquer l’intérêt des pouvoirs publics « pour la parentalité ». Pour certains sociologues tels que de Singly ou Furedi, cette focalisation sur la parentalité permettrait de déplacer les responsabilités des pouvoirs publics vers les parents. Les problèmes de société trouveraient leur cause au sein de la sphère privée dédouanant ainsi les décideurs. De même, les solutions à ces problèmes ne seraient plus de la responsabilité de l’Etat. « Il y a une forte tendance opportuniste derrière la politisation du rôle des parents. Face à de nombreux problèmes sociaux, il est bien plus onéreux d’améliorer la qualité de l’éducation, du système de santé et des services sociaux que d’exhorter les parents à passer plus de temps à faire la lecture à leurs enfants, à les câliner ou à les nourrir au sein (…). Le parent comme outil de la politique sociale risque d’être très inefficace, mais il a le mérite d’être très bon marché. » (Furedi, in Kertudo, 2005). Pour d’autre, la diffusion et l’assimilation des savoirs psychologiques est interprétée comme « une psychologisation de la société » et une propagation d’une « vulgate psy » (Castel, 1981, in Martin, 2004). Ce phénomène serait à l’origine d’une modification des normes éducatives et une inflation des exigences vis-à-vis des parents. Pour Falconnet et Vergnory (2001), « la vulgarisation médiatique d’une psychologie péremptoire a accentué les sentiments de culpabilité et d’incompétence éprouvés par les parents ». Les apports de la psychologie seraient perçus comme des contraintes mettant en défaut les parents. Ces derniers, se sentant disqualifiés et incapables d’atteindre les idéaux qui leur seraient imposés, auraient tendance à se replier sur eux-mêmes et à ne plus pouvoir agir (Kertudo, 2005). Ainsi pour Martin (2004), « une réflexion sur la parentalité ne peut se limiter à évoquer des principes et des normes ». « Le problème est plus complexe. Il s’agit d’abord d’un problème de diagnostic : celui consistant à mieux comprendre la manière dont les parents sont parvenus ou non à élaborer un sentiment de compétence et de responsabilité parentale, au cours de leur trajectoire. » Il s’agit ainsi de mener une réflexion sur les conditions concrètes d’exercice de la parentalité qui prenne en compte les différentes contraintes quotidiennes auxquelles sont confrontés les parents (conciliation avec la vie professionnelle, conditions socio-économiques, structures familiales, exercice de l’autorité parentale, répartition des tâches quotidiennes …)

b – Comment soutenir la parentalité

Les interventions mises en œuvre par les politiques publiques dans le cadre du soutien à la parentalité sont largement contestées tout comme l’était leur fondement. Les expressions utilisées par certains sociologues pour qualifier les actions de soutien à la parentalité ne se font pas toujours dans la mesure. Pour Faget, il s’agirait d’une nouvelle « police des familles », d’un passage « d’un contrôle imposé à un contrôle négocié » (Kertudo, 2005). Pour Kertudo (2005), « l’apparente neutralité des intervenants et leur distance professionnelle, les valeurs de respect des personnes recouvrent ainsi une nouvelle forme de contrôle de la vie familiale, disons une normalisation plus douce, un “ supplice moins amer ”, pour reprendre l’expression de Michel Foucault à propos de l’évolution de la sanction pénale. » Ces critiques sont essentiellement dirigées vers les pouvoirs publics qui sont accusés « à travers la mise en place de multiples actions regroupées sous l’appellation unificatrice de “ soutien à la parentalité ”, (de) moins soutenir les parents (que d’imposer) une certaine normalité de l’être parent, afin d’orienter la société dans son ensemble dans le sens qu’ils souhaitent lui voir prendre, au niveau de ses modèles, valeurs, idéaux, représentations. » La présence de normes et de valeurs est associée à une volonté de contrôle social ; toute intervention qui devient alors suspectée de s’inscrire dans cette perspective est ainsi réprouvée. L’intervention prônée par les sociologues paraît ainsi se rapprocher « de l’idéale neutralité ». L’idée d’intervenir en se fondant sur « une représentation de la bonne parentalité », « un cadre de référence », « un modèle de la parentalité » et « de modifier un état préexistant » par un processus d’influence est largement critiquée (Martin, 2004 ; Kertudo, 2005). En revanche, une certaine primauté aux perspectives des parents semble se dégager : « plutôt que de parler de cette parentalité, telle que l’on voudrait qu’elle soit, il nous semble qu’un travail sociologique pourrait plutôt réfléchir à la manière dont les parents définissent eux-mêmes leur rôle et construisent progressivement un sentiment de compétence ou de responsabilité parentale. Prendre au sérieux le point de vue des parents, plutôt que décliner ce qu’ils devraient être ou faire » (Martin, 2004). Cependant en termes d’intervention concrète, aucune alternative ne semble réellement proposée par les sociologues. Se pose alors la question d’une conciliation possible entre cette volonté de neutralité (posée en principe) et la volonté de changement (et donc d’influence) contenue dans toute intervention.

Approche psycho-éducative : prévenir les problèmes psycho-sociaux et promouvoir la santé (mentale) par l’apprentissage de nouvelles pratiques éducatives

a – Pourquoi soutenir la parentalité

L’approche psycho-éducative de la parentalité s’appuie sur les résultats de recherche accumulés ces 30 dernières années dans les domaines de la psychologie et psychopathologie du développement, la neuropsychologie, l’épidémiologie et la recherche évaluative. L’influence de la qualité des interactions parent-enfant sur le développement social, cognitif et émotionnel de l’enfant a été démontrée par de nombreux travaux (Bornstein et Tamis-LeMonda, 1989 ; Brooks 2005 ; Coie et Dodge, 1998 ; Landry, Smith, Swank, 2003 ; Maccoby et Martin, 1983 ; Grusec et Goodnow, 1994). Les premières années de vie et les expériences relationnelles précoces déterminent particulièrement le fonctionnement ultérieur de l’enfant. « Plusieurs recherches récentes en neurophysiologie soulignent l’importance des soins parentaux sur le développement du cerveau de l’enfant au cours des premières années de vie » (Desjardins, et al., 2005). Ainsi, les mécanismes physiologiques, comportementaux et psychologiques qui se construisent durant les premières années et orientent l’enfant toute sa vie sont largement dépendants de la qualité des soins parentaux et des interactions parent-enfant (Landry, Smith, Swank, 2003 ; Steinhauer, 1997).

De nombreuses études mettent en évidence l’impact des pratiques parentales (parenting) sur le développement de l’enfant et plusieurs auteurs considèrent la parentalité comme un des principaux déterminants de la santé physique et mentale (Hoghughui, 1998, 2004 ; Poole, 2003 ; Stewart-Brown, 2008). Les pratiques parentales sont ainsi associées à un nombre important de troubles psychiques (trouble oppositionnel, trouble des conduites, addictions, problèmes de comportements alimentaires), de troubles physiques (obésité, accidents, problèmes cardio-vasculaires, troubles musculo-squelettiques) et de problèmes sociaux (délinquance, criminalité, toxicomanie, comportements antisociaux, absentéisme scolaire, échec scolaire, maltraitance, grossesse adolescente) (Hoghughui, 1998, 2004 ; Poole, 2003 ; Stewart-Brown, 2008). Les relations parentales jouent aussi un rôle protecteur essentiel durant l’adolescence. La National Longitudinal Adolescent Healthy Study menée aux Etats-Unis montre que « l’influence des pairs est la raison principale pour initier des comportements problématiques, alors qu’un environnement familial positif (par exemple : liens affectifs, supervision parentale, valeurs familiales prosociales) est la raison majeure pour que les jeunes ne s’engagent pas dans des comportements à risque tels que l’abus de drogues, la délinquance et les pratiques sexuelles à risque » (Kumfler et Fowler, 2007). Les attitudes et pratiques parentales positives (accordage affectif et chaleur (Teti et Gelfand, 1991), empathie et capacité à répondre adéquatement (Stifter et Bono, 1998), instructions maternelles de qualité (Supplee, et al., 2004), supervision, fréquentes activités en commun, organisation du temps de l’enfant et discipline constructive (Gardner, et al., 2003) sont des facteurs protecteurs des troubles de comportements chez l’enfant et l’adolescent (Hutchings et Lane, 2005 ; Lamborn, et al., 1991 ; Petit et Bates, 1989) et sont corrélées à une meilleure estime de soi, de meilleurs résultats scolaires, de plus grandes compétences sociales et un plus faible niveau d’anxiété et de dépression (Holmbeck, et al., 1995 ; Patterson, 1989).

Ainsi certaines pratiques parentales représentent des facteurs protecteurs essentiels et ce, d’autant plus en fonction des différentes périodes du développement (Stewart-Brown, 2008). L’accordage affectif, l’empathie, la sensibilité, l’écoute des besoins et la capacité à y répondre adéquatement (sensitivity, attunement, containment, responsive parenting) seraient des attitudes particulièrement déterminantes durant la petite enfance (Bradley, et al., 1988 ; Eshel, et al., 2006 ; Landry, Smith, Swank 2003 ; Olson, et al., 1984 ; Stewart-Brown, 2008 ; Wakschlage et Hans, 1999). Elles influenceraient en grande partie le type d’attachement développé par l’enfant et auraient donc un impact important sur le développement futur de l’enfant (Moss, et al., 1998 ; Desjardins, et al., 2005). La régulation des comportements, une discipline constructive et des renforcements positifs joueraient un rôle crucial durant l’enfance (Stewart-Brown, 2008). La supervision (parental monitoring, supervision) aurait particulièrement de l’impact durant l’adolescence (DeVore et Ginsburg, 2005 ; Stewart-Brown, 2008). A tous les âges, les pratiques parentales protectrices impliqueraient de la chaleur, un soutien affectif, une absence d’hostilité ou de rejet, la capacité de résolution de problèmes et de conflits et un niveau de contrôle approprié (Stewart-Brown, 2008). Ces comportements protecteurs qui permettent de réduire des problèmes de comportements et sont indépendants des autres facteurs de risque (Gardner, Lane, Hutchings, 2004) peuvent devenir une cible privilégiée d’intervention (Hutchings et Lage, 2005).

Un grand nombre de revues de littérature et de méta-analyses ont démontré l’efficacité des programmes de soutien à la parentalité (parenting programmes) (Kaminski, et al., 2008 ; Lundahl, et al., 2006 ; Petrie, et al., 2007 ; Reyno et McGrath, 2006). Ces programmes permettent de réduire un nombre important de problèmes affectifs et comportementaux chez les jeunes (Barlow, 1997 ; Barlow, Parsons, 2003 ; Dimond et Hyde, 1999 ; Richardson et Joughin, 2002 ; Sanders, 1999), d’améliorer la santé psychosociale des mères en diminuant en particulier leur niveau d’anxiété et de dépression et en augmentant leur estime de soi (Barlow, et al., 2002 ; Barlow, Coren, 2003 ; Sanders, Wooley, 2005), de limiter les pratiques parentales problématiques (discipline coercitive, relations conflictuelles…) (Kaminski, et al., 2008 ; Sanders, Wooley, 2005) et d’accroître le sentiment d’efficacité parentale (parenting self-efficacy, maternal confidence) (Sanders, Wooley, 2005 ; Sanders, 1999 ; Rutledge et Pridham, 1987 ; Tucker, et al., 1998). Une meta-analyse portant sur les composantes des programmes a permis d’isoler les modalités d’intervention favorisant l’efficacité (Kaminski, et al., 2008). Deux des stratégies les plus efficaces visent à améliorer les interactions parent-enfant. La première concerne l’apprentissage d’habiletés de communication affective (parents emotional commmunication) en formant les parents à l’écoute empathique ou écoute active, à la régulation des émotions de leurs enfants et à la communication positive excluant les critiques et le sarcasme. La seconde stratégie porte sur la mise en place d’interactions positives entre parent et enfant en dehors des situations de conflit en démontrant de l’enthousiasme et de l’attention positive pour renforcer les comportements appropriés de l’enfant, en s’adaptant à l’enfant et le laissant mener l’interaction pendant les périodes de jeux, en proposant des activités récréatives appropriées. Une des stratégies efficaces concerne la discipline. Il s’agit d’apprendre aux parents à avoir recours aux pratiques de temps mort (time-out) et à mettre en œuvre une discipline cohérente qui mobilise les mêmes attitudes parentales face aux mêmes comportements problématiques de l’enfant. Enfin, les interventions qui impliquent une pratique in vivo avec son propre enfant se révèlent aussi plus efficaces. Les stratégies visant à transmettre des connaissances sur le développement de l’enfant ne se sont pas révélées efficaces quand elles sont utilisées de façon isolée. Cependant, la transmission de connaissances sur le développement est possiblement intégrée aux autres composantes efficaces mais de façon opérationnelle ; les notions développementales sont traduites en comportements concrets et mises en relation avec des pratiques parentales adaptées (Kaminski, et al., 2008).

b – Comment soutenir la parentalité

Dans le cadre de cette approche, les interventions visant à soutenir la parentalité se présentent sous la forme de programmes (parenting programmes). Il s’agit d’interventions structurées de court ou moyen terme qui aident les parents à faire face au développement émotionnel et comportemental de leurs enfants et visent à améliorer les pratiques parentales et le fonctionnement familial en favorisant la communication parent-enfant, et l’acquisition de nouvelles habiletés parentales (Barlow, et al., 2005 ; Kaminski, et al., 2008 ; Kane, Wood, Barlow, 2007 ; Petrie, et al., 2007). Les programmes de soutien à la parentaltié peuvent varier selon différentes dimensions (Barlow, et al., 2005 ; Kaminski, et al., 2008) :

  • Les approches théoriques sur lesquelles ils se fondent : approche comportementale, approche systémique, approche humaniste, approche adlérienne…
  • Les dimensions de la parentalité visées : la communication parent-enfant, la discipline, la résolution de problème, le sentiment d’efficacité parentale…
  • Les techniques pédagogiques : jeux de rôle, mises en situation, transmission de connaissances, groupe de discussion, devoirs…
  • Le lieu d’intervention : domicile des parents, école, locaux communautaires, lieux de soins…
  • Les publics ciblés : jeunes avec des problèmes, parents à risque, population générale…

Parmi les programmes validés par des études d’efficacité standardisées et ayant des résultats à long terme, trois types d’intervention semblent se dessiner (Hutchings, et al., 2004) : les interventions précoces fondées sur des visites à domicile, les programmes de prévention dont le soutien à la parentalité représente une composante, les programmes multidimensionnels centrés exclusivement sur le soutien à la parentalité.

Dans le cadre d’interventions fondées sur des visites à domicile, un professionnel se rend au domicile de l’enfant et peut proposer un soutien, de l’éducation à la santé, une formation aux habiletés parentales, du counselling. Ce type de programme cible les familles d’enfant en base âge (de la grossesse à 3 ans) et s’adresse généralement aux populations à risque (jeunes mères, milieux socio-économiques défavorisés, mères souffrant de toxicomanie…). « Les visites à domicile, avec ou sans programme éducatif précoce pour l’enfant, ont démontré des effets à long terme sur la manifestation de conduites agressives, les activités de délinquance et des facteurs de risque dans de nombreuses études » (Department of Health and Human Services – US, 2001). Il semblerait, cependant, que l’efficacité de cette stratégie de prévention soit dépendante de la durée de l’intervention, du type de professionnel impliqué et du moment de l’implantation. Les programmes s’étalant sur plusieurs années, faisant appel à des infirmières et commençant très tôt au cours du développement de l’enfant seraient les plus efficaces (Department of Health and Human Services – US, 2001).

Le programme de visites à domicile validé le plus célèbre est l’Elmira Home Visitation Study (Olds, et al., 1997 ; Olds, et al., 1998). Au cours des visites réalisées par des infirmières, trois thématiques principales sont abordées avec la mère : les comportements sanitaires positifs durant la grossesse et pendant les premières années de l’enfant, les soins adaptés à l’enfant, le développement personnel de la mère (planning familial, retour aux études, participation à des groupes de travail). Les infirmières facilitent aussi le lien avec les services de santé et les organismes sociaux et tentent d’impliquer des membres de la famille ou des amis autour de la grossesse et de la venue de l’enfant. Dans l’Elmira programme, 9 visites en moyenne étaient réalisées pendant la grossesse, et 23 de la naissance aux deux ans de l’enfant. Ce programme a été mis en place dans l’état de New York et proposé à 116 femmes âgées de moins 19 ans, non mariées et d’un niveau socio-culturel faible. Une évaluation sur 15 ans après l’intervention a permis de mettre en évidence des résultats intéressants aussi bien au niveau de la mère que du jeune. Comparativement aux mères ayant eu un suivi classique, on observe moins de maltraitance et de négligence, moins de consommation d’alcool et de drogues, moins de nouvelles grossesses et moins de grossesses prématurées, moins d’aides sociales et moins de comportements antisociaux (arrestations, prisons…) chez les femmes ayant bénéficié du programme Elmira. En outre, les enfants de ces mères présentent également moins de comportements antisociaux (moins d’arrestations, moins de condamnations, moins de fugues) et moins de consommation d’alcool et de tabac (Olds, 1998). Le programme Elmira a ensuite été réalisé dans d’autres régions des Etats-Unis (Memphis) (Kitzman, 1997). Une adaptation de ce programme est actuellement en cours en France (programme CAPEDP, Hôpital Bichat-Claude-Bernard et Etablissement Public de Santé Maison Blanche), et en voie d’implantation dans plusieurs pays (Canada, Pays-Bas).

Le soutien à la parentalité peut aussi représenter une des composantes des programmes de prévention. Ces programmes visent à prévenir des troubles psychiques tels que le trouble des conduites ou des comportements problématiques (violence, consommation de drogues…) et s’adressent généralement à des enfants et adolescents âgés de 3 à 16 ans. Cette dimension parentale est généralement présente dans des programmes sélectifs (jeunes à risque du fait de facteurs environnementaux, sociaux ou familiaux) ou indiqués (jeunes présentant des facteurs de risque individuel ou/et manifestant des premiers symptômes). Le Fast Track Progam est un exemple de programme multimodal validé qui intègre le soutien à la parentalité dans ses stratégies d’intervention. Ce programme américain de prévention du Trouble des conduites a été construit à partir d’un modèle développemental de ce trouble et une mise en commun de plusieurs interventions validées (Conduct Problems Prevention Research Group, 2000). La composante parentale de ce programme a été élaborée à partir de deux programmes validés (Greenberg, et al., 2001) : le programme Parent and Children Training Series (dénommé maintenant The Incredible Years : Parents, Teachers, and Children Series) (Webster-Stratton, 1992a, 1992b) et le programme Helping the Noncompliant Child curriculum (Forehand et McMahon, 1981). Le Fast Track Program se décline sous deux formes : une intervention de prévention universelle et un programme sélectif et indiqué comprenant différentes interventions impliquant les enfants, les parents, l’école et les pairs. La composante parentale utilise différentes stratégies d’intervention :

  • Des formations parentales réalisées en groupe, à l’école, qui visent à promouvoir de bonnes relations entre la famille et l’école et à favoriser la mise en place d’une communication et d’une discipline efficaces à la maison (session de 2 heures à l’école) : 22 sessions la 1re année, 14 la 2e année, 9 la 3e année).
  • Des sessions communes aux parents et aux enfants visant à appliquer les habiletés apprises sous la supervision de formateurs (30 à 60 minutes à la fin de chaque session des groupes parents et enfants).
  • Des visites à domicile : renforcement des habiletés apprises, soutien parental, aide face aux différents problèmes et événements de vie, développement de relations positives entre les intervenants et les parents (11 visites durant la 1re année ; entre 8 et 32 les années suivantes, selon la demande).

Le programme indiqué a été appliqué à 891 enfants sélectionnés en fonction de leur lieu d’habitation (4 sites à risque de part leur niveau de pauvreté et de criminalité) et de leur niveau d’agressivité. Des mesures effectuées à la fin de chacune des années montrent que les comportements agressifs et oppositionnels sont significativement moins nombreux chez les enfants ayant bénéficié de l’intervention. Chez ces derniers, le taux d’enfants ayant dû être orientés vers un enseignement spécialisé est aussi plus faible, de l’ordre de 26% (Conduct Problem Prevention Group, 2000, 2002, 2007).

Le troisième type de programme est centré exclusivement sur le soutien à la parentalité. Ces programmes multidimensionnels ont recours à différentes stratégies d’intervention : groupes de parents, rencontres individuelles, soutien téléphonique, campagne d’information… Ils peuvent concerner tout type de population (prévention universelle, sélective ou indiquée) et cibler différentes tranches d’âges (enfants en bas âge, enfants, adolescents). Un des programmes validés les plus connus est un programme développé en Australie : Triple P-Positive Parenting Program (Sanders, et al., 2002). Ce programme multiniveaux vise à soutenir les parents dans l’éducation de leur enfant et à prévenir les problèmes développementaux, comportementaux et émotionnels des enfants en augmentant les connaissances, les compétences et la confiance en soi des parents. Ce programme, qui s’adresse à des parents d’enfants de la naissance à l’adolescence, comprend cinq niveaux d’intervention qui augmentent en intensité en fonction des problématiques des parents et des enfants. Le niveau 1 du programme prend la forme d’une campagne de communication réalisée en population générale. Celle-ci vise à diffuser des informations sur la parentalité, le développement de l’enfant, les pratiques parentales et les ressources disponibles via différents supports :  TV, journaux, brochures, site Internet, vidéo. Le niveau 2 cible les parents dont les enfants présentent quelques petits problèmes de comportement (exemples : problème de coucher, comportement problématique pendant les repas…). Il s’agit d’interventions brèves (1 ou 2 sessions) en groupe, en entretien individuel en face-à-face ou par téléphone. Le niveau 3 concerne les parents d’enfants ayant des problèmes un peu plus importants (ex. des problèmes persistants pour le coucher ou pendant les repas) et propose un peu plus de sessions (environ 4) et une formation aux pratiques parentales. Le niveau 4 est proposé pour les parents d’enfants ayant des problèmes de comportements plus importants (comportements agressifs, problèmes d’apprentissage…). Les sessions sont plus nombreuses (8-10 environ) et visent à développer des habiletés parentales dans différents domaines et à améliorer les interactions parent-enfant. Le niveau 5 cible les familles dont les problèmes de parentalité sont couplés à d’autres difficultés (conflits conjugaux, dépression maternelle, maltraitance…). Il s’agit d’interventions intensives avec des modules qui comprennent des visites à domicile favorisant l’apprentissage de nouvelles pratiques parentales, la régulation des émotions, la gestion du stress et des conflits. Plusieurs études d’efficacité ont été menées et ont montré des résultats positifs : diminution des problèmes de comportements chez l’enfant, amélioration des interactions parent-enfant, augmentation du sentiment d’efficacité parentale (Sanders, et al., 2002 ; Bodenmann, et al., 2008). Triple P a ensuite été implanté dans de nombreux pays : USA, Canada, Hong Kong, Singapour, UK, Japon, Iran, Suisse, Pays-Bas (Suchoka et Kovess, 2006 ; Bodenmann, et al., 2008). Une association (Parasole) essaie de développer ce programme en France (Coulon, 2006).

Conclusion

La Haute Autorité de Santé rappelle que la « littérature insiste sur l’opportunité de soutenir la fonction parentale par des dispositifs de santé, d’action publique » (HAS, 2005). Mais les modalités d’intervention mises en œuvre dans le domaine de la parentalité peuvent varier considérablement selon les perspectives adoptées. Les représentations véhiculées par cette thématique sont en effet multiples. Les réflexions menées autour de la parentalité ne se fondent pas sur les mêmes éléments, la parentalité n’est pas problématisée de la même façon, les solutions proposées sont de nature différente.

Dans le champ psychanalytique, la notion de parentalité est appréhendée à partir de la théorie du développement psychosexuel. Les difficultés associées à la parentalité sont interprétées comme des troubles et donnent lieu à une analyse psychopathologique fondée sur une interprétation intrapsychique des problèmes. Les interventions proposées sont essentiellement curatives et individuelles. L’approche dite « répressive » porte un regard critique sur différents phénomènes sociaux et essaie de les mettre en perspective. La parentalité est perçue comme globalement en crise de par l’évolution des structures familiales et des modes éducatifs qu’elle a subie ces trente dernières années. Ceci serait à l’origine de problèmes sociaux majeurs considérés comme en plein essor : délinquance, violence, absentéisme, échec scolaire… Ces mutations familiales seraient dues à un certain désengagement, à une certaine irresponsabilité des parents et à un affaiblissement de l’autorité. Différentes mesures ont ainsi été proposées pour restaurer cette autorité : suspension, suppression ou mise sous tutelle des prestations familiales, contrat de responsabilité parentale, stages de soutien à la parentalité. Cette restauration de l’autorité parentale passe principalement par le rappel de l’autorité de l’Etat via des actions répressives à visée éducative. L’approche sociale peut partager cette analyse de la parentalité en crise et cette mise en perspective avec différents problèmes sociaux. Mais contrairement à l’approche répressive, cette crise de la parentalité est expliquée par différents facteurs sociaux et économiques ; et les parents ne sont pas considérés comme responsables de cette situation. La parentalité est en crise ; et les parents en souffrance ou en questionnement ont besoin d’être soutenus dans leur fonction. Dans cette perspective, depuis une dizaine d’années, l’Etat dégage annuellement un budget considérable pour favoriser la mise en œuvre d’actions de soutien à la parentalité (via la mise en œuvre des REAAP) et de nombreux intervenants du social, de la santé et du monde associatif se mobilisent sur cette question. Ces projets sont portés par l’idée qu’il est important que les parents puissent être accompagnés dans leur rôle et que leurs questionnements puissent être entendus. L’approche sociologique porte un regard critique sur les discours véhiculés autour de la parentalité et sur les interventions proposées. L’observation et l’analyse sociologique des phénomènes en question conduit à proposer une autre lecture de la problématique entourant la parentalité. Cette dernière n’est plus perçue comme en crise mais comme en mutation et cette évolution peut s’expliquer par un certain nombre de facteurs socio-économiques tout comme peuvent l’être un certain nombre de problèmes sociaux (délinquance, violence, échec scolaire…). Les motivations des pouvoirs publics sur cette thématique sont réinterprétées et le risque de contrôle social est mis en avant. Les sociologues critiquent les méthodes et les finalités des actions de soutien à la parentalité, soulignant leur manque de neutralité et leur volonté d’imposer une certaine normalité. L’approche psycho-éducative est fondée sur la littérature scientifique et sur les résultats de recherche accumulés ces dernières années en psychologie du développement et en épidémiologie. Elle met en avant le lien entre les pratiques parentales et un nombre considérable de problèmes de santé (mentale et sociale) tels que les troubles de comportement (trouble des conduites, comportements violents, comportements anti-sociaux, addictions, problèmes alimentaires), l’obésité, les accidents de la vie courante, les problèmes cardio-vasculaires, les troubles musculo-squelettiques… L’observation standardisée de ces phénomènes et la compréhension qui en découle ont permis d’élaborer des programmes d’intervention visant à améliorer les pratiques parentales et à prévenir l’apparition de ces problèmes de santé.

Cet état des lieux permet de constater la pluralité des perspectives et des modalités d’interventions qui peuvent être regroupées sous les termes de « soutien à la parentalité ». Ces approches qui se côtoient et ne sont pas toujours mutuellement exclusives font de la parentalité un champ complexe et riche. La mise en œuvre d’une action de santé publique dans ce domaine représente un enjeu de taille au regard de la diversité des univers représentationnels mobilisés et de l’impact positif qu’il est possible d’en attendre.

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