Note clinique sur les enfants à haut potentiel

Note clinique sur les enfants à haut potentiel

Ludovic GADEAU

Pour citer cet écrit :

Gadeau L. (2017). Etre parent aujourd’hui. Comment la psychologie peut vous aider au quotidien. Paris : Editions In Press, 248 p

Contrairement à ce qu’on pourrait penser, tous les enfants présentant une précocité intellectuelle ne réussissent pas leur scolarité [1] . Beaucoup bien sûr réussissent et s’épanouissent grâce notamment à l’école. Mais d’autres peuvent se montrer en souffrance et en difficulté dans les relations sociales et dans certains apprentissages. En effets certains présentent des troubles sévères de type « dys » comme on l’a vu plus haut (souvent dyslexie, dysorthographie ou dyspraxie). D’autres, sans qu’on puisse réellement faire un diagnostic de TSA, manifestent des difficultés sur le plan graphomoteur et donc des difficultés dans l’apprentissage de l’écriture. D’autres encore peuvent être en difficulté en matière de contrôle pulsionnel et de gestion des émotions. Ils peuvent apparaître par moments comme agaçants dans les relations sociales, voire arrogants et même méchants ou blessants.

Didier n’a pas encore 6 ans. Il est déjà en CE1, le meilleur de sa classe dans tous les apprentissages académiques. Il a appris à lire seul à 4 ans. Il parle comme un enfant de 8 ou 10 ans, avec un vocabulaire riche, précis, et des connaissances dans des domaines extrêmement variés, ce qui ne cesse d’étonner son entourage. S’il est en face de moi, c’est que ça ne se passe pas bien avec les petits camarades. Il est régulièrement en conflit avec eux et ne supporte pas qu’on lui tienne tête. Pas seulement les copains d’ailleurs, mais aussi les adultes : ses parents en premier lieu, mais aussi l’enseignant de CE1 depuis quelque temps. Avec ses parents, mais aussi avec les copains de l’école, il peut entrer dans des rages absolument épouvantables. Il ne supporte pas quand les choses et les personnes lui résistent. S’il commence à rater quelque chose en art plastique, il peut détruire dans un mouvement de rage incontrôlé l’objet qu’il a commencé à réaliser. Il a récemment cassé une raquette de ping-pong parce qu’il perdait contre son frère d’un an son ainé. Dans ces moments de rage, il peut donner des coups, il peut jeter tout ce qui est à portée de main en visant les personnes. Il met ensuite un certain temps pour se récupérer, s’apaiser. Il a déjà blessé plusieurs élèves, dont certains assez gravement. Après coup, il ne reconnaît pas ses torts, ne consent à s’excuser ou réparer que si on l’y oblige fermement. À ses yeux les autres sont la cause de ses colères. On ne le comprend pas, on ne l’aime pas. On l’entrave dans le plaisir qu’il a à s’investir dans les choses. On ne le nourrit pas assez en tout, intellectuellement, mais aussi physiquement. Pour lui, toute limite est une épreuve dont il ne comprend pas le sens et lorsqu’on lui explique le sens de telle ou telle règle, il a un contre argument à faire valoir et trouve que l’explication qu’on lui donne est insuffisante, peut-être valable pour les autres enfants, mais sûrement pas pour lui. Au fond, il voudrait déjà être grand, et ne supporte pas son statut d’enfant. Le soir, il a des angoisses et réclame qu’on le borde et le câline un long moment, qu’on laisse la porte entrouverte pour qu’il entende la présence des parents et qu’un filet de lumière éclaire encore sa chambre. Il ne supporte pas d’être dans le noir.

Chez ces enfants à haut potentiel, comme on peut le voir pour Didier, il existe un écart très sensible entre le niveau de développement intellectuel (important) et le niveau de développement psychoaffectif (souvent en deçà du niveau d’âge pour les composantes pulsionnelles et l’organisation de l’activité fantasmatique). On parle de dyssynchronie pour traduire cet écart. Et cette dyssynchronie n’est pas facile à gérer pour les parents ou les éducateurs au sens où avoir en face de soi un enfant  qui à la fois parle comme un adulte et qui manifeste des besoins de tout petit nécessite une forme d’adaptation psychique particulière, notamment la capacité à accepter les mouvements régressifs de l’enfant, voire même à les susciter lorsque l’enfant ne s’y autorise pas.

Une autre caractéristique des enfants à haut potentiel est ce qu’on nomme l’hyperstimulabilité. L’hyperstimulabilité peut concerner cinq secteurs dans des proportions différentes selon les enfants :

  • Le secteur intellectuel bien sûr : cela se traduit par une curiosité considérable et un besoin élevé pour comprendre et expliquer, pour acquérir des connaissances, pour analyser et pour synthétiser, par un penchant pour la résolution de problèmes et le besoin de poser des questions en cascades sous la forme : pourquoi ? Et en cascades : pourquoi du pourquoi ? Pourquoi du pourquoi du pourquoi ? Etc.
  • Le secteur psychomoteur : cela se traduit par une énergie physique débordante, par un besoin d’activité physique et de mouvements (pas forcément très bien coordonnés), par des tics nerveux, des gestes inappropriés, des maladresses, par des difficultés à mettre en veille l’activité cérébrale et à mobiliser les processus inhibiteurs (logorrhée) en journée, mais au aussi au moment du coucher (d’où des difficultés d’endormissement quelquefois).
  • Le secteur sensoriel : cela se manifeste par une exacerbation des sens au cours d’expériences de plaisir ou de déplaisir et à travers les différentes modalités sensorielles : le gout, le toucher, l’odorat, l’ouïe, etc..
  • Le secteur imaginaire : cela se caractérise par des capacités associatives (verbales et imagées) importantes, une inventivité pour l’utilisation d’images et de métaphores dans le langage parlé ou écrit. On observe également une prédilection pour la science-fiction, l’invention de compagnons imaginaires, la création poétique, les contes de fées, etc.
  • Le secteur émotionnel : l’hypersensibilité émotionnelle fait que les expériences relationnelles, qu’elles soient positives ou négatives, sont ressenties et exprimées de façon plus intense que la moyenne avec des surréactions de type : enthousiasme excessif, excitation débordante, ou abattement, tristesse. À cela s’ajoute la tendance à faire des inférences complexes (si je dis ceci, il va penser cela, donc je devrais faire comme ceci, mais cela risque possiblement d’engendre cela, etc.) dans lesquelles le sujet se noie et qui conduisent soit à des formes d’inhibition qui donnent l’apparence de l’insensibilité, ou à des postures qui paraissent artificielles tant elles ont été cogitées.

Pour ces enfants à haut potentiel qui représentent près de 3 % d’une classe d’âge, il n’est pas facile d’organiser un parcours scolaire qui soit adapté à leurs besoins. C’est une des raisons pour lesquelles probablement plus de 30 % d’entre eux se retrouveront en situation d’échec scolaire et social. À la maison comme à l’école, il est nécessaire d’alimenter la curiosité intellectuelle de ces enfants. À l’école ces enfants peuvent se plaindre d’ennui, car ils réalisent en quelques minutes ce que les autres élèves mettent ¼ d’heure à faire. Comme ils s’ennuient, ils finissent par « ennuyer » les autres (bavardages, comportements d’agitation). Ils se font alors punir et peuvent recevoir aussi des remontrances sur la qualité du travail réalisé : certes l’exercice est juste, mais la présentation laisse à désirer (tâches sur la feuille de travail, écriture peu appliquée, etc.). L’adulte (enseignant ou parent) peut vite apparaître comme un persécuteur, et à tout le moins quelqu’un qui ne saurait comprendre l’enfant, le protéger, l’aider à grandir, quand l’enfant attend de cet adulte qu’il soit fiable, qu’il sache deviner la sollicitude dont l’enfant a foncièrement besoin en contrepoint de ce qu’affiche sa précocité insolente.

Un certain nombre d’enfants à haut potentiel deviennent des adultes malheureux parce que le monde qui les entoure est aveuglé ou encombré par l’apparente brillance intellectuelle qui les font voir comme plus grands qu’ils ne sont et a du mal à s’ajuster aux besoins fonciers de ces enfants. Mais cet ajustement est d’autant plus difficile à réaliser que ces enfants, loin de faciliter la compréhension par les adultes de leurs besoins les plus fondamentaux, en masquent, à leur insu, l’extrême importance [2] .

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Notes

  • [1]↑– Le taux d’échec scolaire varie considérablement en fonction des sources, mais il se situe entre 30 à 60% (rapport de Vrignaud et Bonora (2000). Le traitement des surdoués dans les systèmes éducatifs. Rapport rédigé à la demande du Ministre de l’Éducation Nationale, Paris, INETOP).
  • [2]↑– Voir le cas de Fabienne, au chapitre « si on allait voir un psy » In Gadeau L. (2017). Etre parent aujourd’hui. Comment la psychologie peut vous aider au quotidien. Paris : Editions In Press.