Comment l’université peut-elle former à la psychothérapie ?

Comment l’université peut-elle former à la psychothérapie les futurs psychiatres ?

Par Guy Darcourt

Pour citer cet article :

Darcourt G. (2004), Comment l’université peut-elle former à la psychothérapie les futurs psychiatres ? Nervure, Tome XVII, n° 1.


Résumé

La formation à la psychothérapie ne relève pas que de l’acquisition de connaissances. Elle passe par une évolution personnelle permettant au futur psychothérapeute de mieux comprendre ses propres réactions affectives et ses contre-transferts sur les patients. Le cadre universitaire convient bien pour la transmission de connaissances mais ne fournit pas les meilleures conditions pour favoriser la connaissance de soi de l’étudiant. Les sociétés de psychanalyse ont pu élaborer leurs méthodes de formation en fonction de cette nécessité d’une évolution personnelle. L’Université ne peut le faire mais elle peut utiliser les concepts élaborés par la psychanalyse pour élucider les difficultés et leur trouver des solutions. Elle ne peut supprimer la relation maître-élève, les contraintes de durée, la relation de compagnonnage… mais elle a les moyens de sensibiliser les futurs psychiatres à la dynamique relationnelle.

Mots clés :

psychothérapie, formation, enseignement, contre-transfert.

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La mission des Facultés de Médecine est de former des professionnels capables d’exercer le métier de médecin et de ne donner leur diplôme qu’à ceux qui ont acquis les compétences nécessaires. Il s’agit du minimum indispensable que tout jeune promu est appelé à enrichir. Ce diplôme donne le droit d’exercer comme le permis de conduire donne le droit de conduire un véhicule. Mais avoir suffisamment de réflexes pour être un chauffeur non dangereux ne signifie pas obligatoirement être capable de faire des compétitions automobiles ! De même le diplôme de médecin garantit des connaissances suffisantes pour exercer mais qui doivent être complétées par une formation continue.

Si l’Université fait acquérir et garantit une formation de base, toute la question est de savoir ce que doit être ce minimum indispensable. Dans l’ensemble des disciplines médicales, ce minimum correspond à une quantité de connaissances et de savoir-faire. Dans le cas de la psychiatrie le problème pédagogique est plus complexe car l’exercice de cette spécialité n’exige pas seulement des connaissances et un certain savoir-faire mais aussi une aptitude à la psychothérapie. Même si cette aptitude manque encore de maturité et que des démarches personnelles complémentaires sont souhaitables, tout psychiatre doit l’avoir acquise.

Et sur ce point l’Université se trouve devant une difficulté car elle n’est pas une institution adaptée à ce type de formation. On pourrait dire qu’elle se trouve devant une «double-entrave». Si elle veut appliquer ses méthodes d’enseignement et de contrôle des connaissances, elle contrarie l’évolution personnelle indispensable pour cette formation. Si elle laisse les étudiants se former comme ils le veulent, elle faillit à sa mission.

Pour sortir d’une double-entrave, il faut bien identifier le paradoxe et inventer une voie intermédiaire. Nous allons voir comment cela se réalise. Nous constaterons que c’est la psychanalyse qui fournit les meilleurs instruments conceptuels pour comprendre les enjeux et les obstacles et trouver les solutions. C’est là un exemple majeur de ce que la psychanalyse peut apporter à la psychiatrie. Il ne s’agit pas d’avoir pour objectif de faire de tout psychiatre un analyste mais de s’aider des découvertes de la psychanalyse concernant la dynamique affective qui sous-tend tout processus de formation pour organiser l’enseignement universitaire.

Définition de la « formation à la psychothérapie »

Pourquoi affirmer que la formation à la psychothérapie relève de méthodes pédagogiques différentes des méthodes universitaires classiques ? Il vient tout de suite à l’esprit que bien des techniques psychothérapiques peuvent s’enseigner comme toute autre technique médicale. Les méthodes de conditionnement ou de relaxation ou le raisonnement « socratique » prôné par le cognitivisme peuvent être enseignés et mis en pratique avec un professeur qui explique et un élève qui écoute et s’efforce d’appliquer la méthode sous le contrôle du professeur. Mais ceci ne vaut pas pour toutes les méthodes psychothérapiques.

On peut avancer aussi que la psychothérapie est une capacité humaine naturelle qui repose sur l’empathie et le respect de l’autre et à la portée de tout homme sensible. Dans la vie courante, beaucoup de gens sont en effet capables de jouer un rôle de psychothérapeute. L’ami qui a la patience d’écouter les plaintes de celui qui est en difficulté lui apporte une aide psychologique. Le médecin qui prend en charge un patient ne fait pas que corriger ses dérèglements biologiques, il l’aide aussi sur le plan affectif. Comment ceux qui choisissent le métier de psychiatre et qui témoignent par là de leur humanisme pourraient-ils ne pas exceller dans ce domaine ? Mais la capacité de ces psychothérapeutes «naturels » se limite à ce que leur structure psychique leur permet de faire en toute spontanéité, voire naïveté. Ils agissent en fonction de leur personnalité et non en fonction de celle de l’autre. On a tendance à attribuer cette aptitude à des qualités morales mais les travers psychologiques peuvent être aussi utiles que des qualités. Le médecin chaleureux peut certes améliorer le moral de son patient mais le médecin autoritaire peut être tout aussi utile si son malade manque d’assurance et aspire à être dirigé. L’observation montre que des situations psychothérapiques s’organisent par affinités. Ce n’est pas le thérapeute qui s’adapte à la demande et aux besoins de son consultant, c’est celui-ci qui choisit le thérapeute «naturel » qui lui convient. Ce type de psychothérapeute a son champ de capacité et ne peut fonctionner au-delà. Ce phénomène naturel est très utile dans la vie sociale et notamment dans la pratique médicale. Mais on ne peut s’en contenter dans notre discipline.

La compétence psychothérapique du psychiatre doit permettre d’inverser le processus, que le patient n’ait pas à trouver le thérapeute qui lui convient mais que le psychiatre soit capable de s’adapter au patient. La psychanalyse nous a appris que le processus thérapeutique se déroule au sein de la relation transféro-contretransférentielle qui se noue entre le patient et le thérapeute. Le thérapeute a besoin de comprendre, à travers le transfert, les mécanismes profonds qui déterminent le fonctionnement psychique de son patient. Mais il vit sa propre relation à son patient en fonction de son organisation fantasmatique personnelle. Les affects qu’il éprouve, ce qu’il comprend et ce qu’il interprète dépendent de son propre inconscient. Il a des taches aveugles, des émotions dont il ignore l’origine, des associations d’idées qui s’imposent à son esprit, ensemble de phénomènes qui constituent des filtres et des verres déformants venant perturber sa compréhension de la vie affective de son interlocuteur. Mais si le thérapeute «naturel» peut s’accommoder de cet état de fait, le psychiatre non. Il doit être capable de mieux maîtriser son affectivité pour mieux percevoir la dynamique psychique de son patient. Sa compréhension du fonctionnement fantasmatique et du transfert de son patient lui permet d’éviter des maladresses et de trouver les attitudes, les conseils, voire les interprétations qui seront pertinents. La meilleure voie pour se connaître est l’analyse personnelle mais on ne peut l’exiger pour tous les futurs psychiatres. Il faut donc trouver comment un étudiant, au cours de son cursus, pourra acquérir au moins une sensibilité à ces problèmes. Il faut que l’étudiant prenne le goût de la vie psychique profonde, de la sienne d’abord et par voie de conséquence de celle des autres. Sa sensibilité à ses propres mouvements affectifs et à ceux de ses patients sera plus ou moins profonde et fine selon sa personnalité et selon son cheminement personnel et on ne peut fixer un niveau de formation semblable pour tous mais il faut tendre à ce que tout psychiatre en formation se sensibilise à la dynamique affective relationnelle. Il faut qu’il acquière un minimum d’acceptation de remise en cause de soi-même. Déjà s’il a compris que ses intérêts, ses choix, ses rejets, sont déterminés par des motivations qui lui échappent, il sera moins défensif et plus disponible pour l’écoute.

En somme l’essentiel est la capacité à comprendre les composantes de la relation patient-thérapeute. Cela permet de préciser de quelle formation à la psychothérapie il est ici question. L’aptitude dont nous parlons est la capacité à dépasser le niveau des échanges relationnels de la vie en société et à atteindre un niveau plus profond, au moins préconscient sinon inconscient. Or cela ne concerne pas toutes les psychothérapies et pas seulement les psychothérapies. Pas toutes les psychothérapies car, on l’a déjà vu, cette aptitude n’est pas nécessaire pour pratiquer des méthodes pourtant psychothérapiques : cognitivo-comportementales, corporelles, «debriefing» etc… Pas seulement les psychothérapies car elle est aussi utile au cours des entretiens, lors des évaluations cliniques, dans la pratique institutionnelle, en psychiatrie de liaison, en psychiatrie d’urgence, au cours de la prescription pharmacologique. Le psychiatre qui écoute un patient fonctionne sur un double registre. Dans une démarche de type médical, il se réfère à des critères cliniques et répertorie les symptômes qui lui permettront de poser un diagnostic et, en même temps, dans une démarche subjective, il analyse la relation qui vient de naître entre le patient et lui, le transfert et son propre contre-transfert. Lorsqu’il applique une thérapeutique biologique, il tient compte à la fois des données pharmacologiques et de la dynamique affective de sa relation avec son patient. Lorsqu’il applique une méthode psychothérapique qui peut se passer d’une formation à la relation, il l’applique mieux s’il a une telle capacité. On voit l’intérêt de cette formation pour le futur psychiatre. Même s’il n’envisage pas de pratiquer des psychothérapies codifiées, il en a besoin. S’il veut pratiquer de telles psychothérapies codifiées, elle ne sera pas suffisante, il devra la compléter par l’acquisition de connaissances psychopathologiques et psychodynamiques et une expérience clinique mais elle est le point de départ.

Il vaudrait peut-être mieux parler de formation à la relation que de formation à la psychothérapie mais l’habitude est prise d’utiliser ce terme.

On conçoit facilement que cette formation pose des problèmes pédagogiques différents de ceux de la transmission de connaissances. C’est elle qui donne sa spécificité à l’enseignement de la psychiatrie. Tout le reste relève de la pédagogie universitaire classique. La frontière pédagogique ne se situe pas entre la psychothérapie et les autres domaines de la psychiatrie mais entre la formation à la relation et la transmission de connaissances et la frontière pratique ne se situe pas entre les moments où le psychiatre examine un patient ou rédige une ordonnance et ceux où il conduit une séance de psychothérapie mais entre une approche réellement psychiatrique et une approche purement médicale.

L’analyse personnelle exigée pour les futurs psychanalystes n’a pas son équivalent dans la formation des psychiatres. Mais il convient de retenir l’idée que l’investissement de la vie affective profonde est de première importance si on veut devenir psychothérapeute. Il faut que le candidat ait le goût de cette exploration qui relève d’une aventure intérieure. De cet investissement dépendra la qualité de sa formation

 On peut ajouter une remarque. La distinction entre ces deux approches pourrait apparaître comme la reprise de la classique opposition entre formation et information. Elle ne se réduit pas à cela. Si la formation à la relation fait bien partie du cadre général de la formation, elle en constitue une forme particulière. Elle vise à faire évoluer l’organisation de la personnalité et donc elle rencontre des résistances et c’est là un aspect spécifique, alors que d’autres formations, par exemple celle acquise par l’exercice de responsabilités ou un début de pratique professionnelle, peuvent se faire sans mise en cause de la personnalité. La tâche de l’enseignant n’est pas la même dans les deux cas.

Les difficultés de cette formation

L’Université n’est pas une société de psychanalyse et ne peut suivre les mêmes règles. Mais la psychanalyse fournit des concepts qui permettent d’analyser le problème, d’identifier les difficultés, les obstacles insurmontables et de trouver des solutions.

1- L’investissement de la vie affective par le psychiatre:

L’analyse personnelle exigée pour les futurs psychanalystes n’a pas son équivalent dans la formation des psychiatres. Mais il convient de retenir l’idée que l’investissement de la vie affective profonde est de première importance si on veut devenir psychothérapeute. Il faut que le candidat ait le goût de cette exploration qui relève d’une aventure intérieure. De cet investissement dépendra la qualité de sa formation. Or si une société de psychanalyse peut refuser un candidat qui n’a pas cette motivation, l’Université ne peut en faire autant. Heureusement les internes qui optent pour la psychiatrie sont en général sensibles aux problèmes psychiques mais cette motivation personnelle n’est pas toujours suffisante. La mission de l’enseignant tient de l’injonction paradoxale. Il doit aider l’étudiant à évoluer spontanément ! Il doit être incitatif. Je parlerai plus loin des méthodes pédagogiques mais il faut rappeler dès maintenant une difficulté : la même incitation peut être pour tel étudiant source d’ «in-sight» et pour tel autre l’occasion d’un renforcement des défenses.

2- La relation maître-élève :

C’est une composante majeure dans la formation universitaire. Elle a quelques conséquences pour la transmission des connaissances car les mécanismes oedipiens interviennent dans l’acceptation ou la contestation du savoir mais c’est alors un problème mineur et commun à tous les enseignements. En revanche elle joue un rôle majeur pour la formation à la relation. La sensibilisation à la mise en cause de soi-même s’accommode mal d’une relation d’autorité. Les sociétés d’analyse veillent à ce que les didacticiens n’interviennent pas dans les admissions. A l’Université certaines formules dont je parlerai plus loin s’approchent de ce dispositif mais ne résolvent pas totalement le problème car il est au moins aussi fantasmatique que réel. L’enseignant, surtout le responsable, a en effet du pouvoir mais ce pouvoir est bien limité. Quand on a la responsabilité d’étudiants hyper-sélectionnés qui choisissent leur spécialité, passé 25 ans, il y a peu de nécessité de les sélectionner encore plus et quand il y a comme examen sanctionnant seulement la soutenance du mémoire de fin de quatrième année, le pouvoir de l’enseignant est faible. Mais celui-ci reste symboliquement le «sujet supposé pouvoir» (pour reprendre en l’infléchissant la formule de Lacan du «sujet supposé savoir»). Il y a donc une situation propice à toutes sortes de jeux de séduction, de méfiance, de manipulation. Il ne faut rien dramatiser mais il faut garder à l’esprit cette éventualité pour en éviter les pièges.

3- La relation de compagnonnage :

On en parle beaucoup plus rarement que de la relation précédente pourtant elle occupe une grande place dans l’ensemble des formations médicales et tout particulièrement au cours de l’internat. Dès sa prise de fonction, l’interne est intégré dans une équipe. Il participe aux investigations cliniques et aux choix diagnostiques et thérapeutiques. Il est entraîné dans un jeu d’identification et de contre-identification. Ce jeu complexe entre en résonance avec ses fantasmes oedipiens.

Cette situation a des effets contradictoires. Elle est formatrice puisqu’elle est l’occasion d’une expérience mais elle peut être un obstacle à l’aventure intérieure personnelle, dont je parlais plus haut, si le psychiatre en formation s’identifie trop exclusivement à un aîné. On voit très souvent des étudiants prendre pour modèle tel ou tel aîné et tendre à se comporter comme lui. Cette identification peut aussi entraîner des passions suivies de ruptures qui ne sont pas analysables dans ce contexte et aboutissent à des passages à l’acte perturbant le déroulement de la formation. L’enseignant doit être vigilant face à ces mouvements affectifs et savoir maintenir la distance nécessaire.

4- La durée de la formation :

Il n’y a pas de délai fixé pour le cursus analytique. Toutes les étapes, celle de l’analyse didactique comme celles des contrôles se déroulent sans contrainte de temps. Cette disposition est justifiée par une loi psychique. La maturation affective et la perlaboration qui la sous-tend se font au rythme propre de chacun. Le cursus universitaire ne peut se libérer des contraintes de temps et pourtant la loi psychique ne cesse pas d’exister. Il est vrai qu’elle ne s’impose pas avec la même force dans ce contexte mais elle a une application concrète. Tous les étudiants n’évoluent pas à la même vitesse et il est utile de tenir compte de ce fait dans le suivi des étudiants. Mais il est peu concevable de prolonger la durée du cursus. C’est là une des causes de l’inégalité de formation des étudiants.

5- La dette symbolique :

Il est lourd d’être le débiteur de quelqu’un. Les candidats psychanalystes s’en dégagent en payant leur analyste. Les candidats psychiatres ne payent pas leurs enseignants. Objectivement ils ne sont pas en dette vis-à-vis d’eux car ceux-ci sont payés par l’Université. S’il y a dette c’est envers l’Université et la société. Il n’en reste pas moins qu’il y a quelque chose de cette dette dans la relation maître-élève et le fantasme du meurtre du père en est un rejeton. Au cours de la formation, et après elle, ce fantasme est sous-jacent à la relation du psychiatre avec ses formateurs. Les traditionnelles «Revues d’Internat» en sont la manifestation sans en être la solution. Il ne faut pas s’étonner que des psychiatres en formation aient besoin de se démarquer de leurs maîtres et parfois de rompre avec eux.

Les solutions pédagogiques

Les solutions ne se définissent pas seulement par leur méthode mais aussi par l’esprit avec lequel on les applique et l’aptitude des enseignants à éviter les pièges de l’autoritarisme et de la séduction. Si le cadre universitaire est peu favorable à la formation à la relation, il ne l’interdit pas. Les difficultés vont de soi dans un tel projet de susciter chez les étudiants la remise en cause de soi-même. On ne peut s’étonner de rencontrer des résistances. Les impératifs contradictoires que sont l’évolution personnelle et l’incitation à la réaliser entraînent le plus souvent une tension dont la prise de conscience par les étudiants est heureusement elle-même formatrice.

On conçoit qu’il n’y ait pas de solution absolue, puisque la même procédure peut être enrichissante pour les uns et bloquante pour les autres. Les méthodes à notre disposition sont comme la langue d’Esope, elles peuvent être la meilleure chose ou la pire. C’est aux enseignants de faire qu’elle soit la meilleure. Leur première qualité est qu’ils soient au clair avec ces possibilités contraires et qu’ils adaptent leurs attitudes en fonction des réactions et de l’évolution des étudiants. Le seul fait qu’ils ne soient pas figés dans des certitudes et témoignent par leurs comportements de leur effort pour tenir compte de cette tension entre les impératifs de leur fonction est perçu par les étudiants et les sensibilise à cette problématique. La première solution au paradoxe de la formation à la relation est ainsi l’état d’esprit des enseignants et leur propre formation à la dynamique affective.

S’il convient de former tous les psychiatres à la relation, il n’est pas possible de le faire aussi complètement pour tous. On peut distinguer trois degrés d’enseignement. Il y a la formation de base exigée pour tous. Il est ensuite proposé, dans le cursus, des formations optionnelles entre lesquelles chaque étudiant choisit celles qu’il préfère et certaines sont plus orientées que d’autres vers la psychopathologie dynamique. On forme ainsi des psychiatres qui ont tous une aptitude psychothérapique mais qui ne l’investissent pas tous autant. Il y a enfin un troisième degré qui est celui de la démarche personnelle indépendante du cursus universitaire (nous n’envisageons pas ici les acquisitions de connaissances spéciales, comme celles qu’apportent les D.U. mais seulement un travail sur soi, le plus souvent de nature psychanalytique). Par définition, puisque cette étape nécessite un engagement personnel, elle ne peut être imposée à tous et elle ne peut se réaliser dans le cadre hiérarchisé de l’Université. On touche là une limite absolue de sa mission.

Comme toujours dans l’enseignement, les professeurs ont affaire à un certain nombre d’étudiants motivés et doués qui pourraient se passer d’eux, à des étudiants sérieux mais qui ont besoin d’être aidés et guidés et à quelques-uns qui sont toujours à la traîne. Les méthodes d’enseignement sont à penser non pas en fonction des premiers mais en fonction des derniers.

Pour la formation à la relation, ceux du premier groupe sont ceux qui sont intéressés par leurs propres expériences affectives et sensibilisés aux faits psychopathologiques. Ils sont ouverts à tous les problèmes psychologiques et ce sont eux qui entreprennent une démarche personnelle. Le rôle de l’enseignant universitaire est aisé, encore doit-il éviter quelques erreurs. La chose la plus importante, me semble-t-il, est de ne pas compromettre leur aventure intérieure personnelle. Il ne faut pas que l’institution universitaire interfère avec leur travail sur eux-mêmes. Cette démarche doit rester leur affaire privée. Elle ne doit pas être polluée par des gratifications universitaires et les enseignants n’ont rien à en savoir.

Pour les autres étudiants, il faut trouver des méthodes de sensibilisation. La plus facile et la plus naturelle est de faire participer le nouvel interne à une pratique qui prend en compte la relation. Ses fonctions en font un membre d’une équipe qu’il va d’abord observer et dans laquelle il va ensuite s’impliquer. Il assiste à des consultations, à des rencontres avec des familles, à des discussions de cas au sein de l’équipe de soins à laquelle il appartient et dans le cadre plus large des réunions de service, il participe aux évaluations successives au cours du suivi des patients… Si, pour les soignants, la relation avec les patients joue un rôle essentiel, il découvrira une vision de la psychiatrie sur laquelle il réfléchira et qu’il pourra faire sienne. Si dans l’étape diagnostique de la prise en charge il voit ses aînés être attentifs non seulement aux symptômes mais aussi à la demande du patient, à son histoire, à son passé affectif, à son statut familial, à ses gratifications secondaires, à son investissement de la consultation et du traitement, à son transfert sur les thérapeutes, il découvrira ce qu’est le fait psychopathologique. S’il entend l’équipe réfléchir, après un acte diagnostique ou de soin, à l’effet psychothérapique qu’il a pu avoir, il pourra réaliser que la dynamique psychothérapique est permanente dans la pratique psychiatrique. S’il entend les soignants faire état de ce qu’ils éprouvent dans leur relation avec le patient, il pourra comprendre que cela a de l’importance et s’autoriser à analyser ce qu’il ressent lui-même. Une telle discussion collective du contre-transfert, si elle ne veut pas tomber dans l’analyse sauvage, doit rester à un niveau préconscient et encore dans des limites très prudentes et il ne faut pas lui attribuer toutes les vertus. Elle peut fonctionner comme moyen défensif ou manipulatoire. Mais, indépendamment de ce qui se dit, le fait que des soignants évoquent leur vécu affectif indique qu’il joue un rôle et qu’il doit être étudié. Si une équipe, qui est en conflit sur les dispositions à prendre pour un malade, admet qu’il est possible qu’elle mette en acte des fantasmes projetés par ce patient, cela ne lui donnera pas forcément accès à l’interprétation juste mais sortira le conflit d’un débat de compétence ou d’un débat éthique. Sans crainte de nous répéter notons encore qu’il n’y a pas de solution miracle. Un débat de ce type peut renforcer des résistances mais même s’il est médiocre ou faussé, pour peu qu’il soit de bonne foi, il témoignera d’un effort et d’une recherche qui ouvrent des perspectives à celui qui n’aurait pas encore perçu cette dimension de la psychiatrie.

Une méthode plus directement formatrice est l’expérience personnelle de la relation, avec supervision dans un premier temps et de façon autonome ensuite. Certaines supervisions peuvent être faites par des membres de l’équipe enseignante si elles sont limitées à des interprétations peu profondes. Pour un travail plus complet, il est intéressant qu’interviennent des superviseurs étrangers à l’Université. Ces méthodes peuvent concerner des expériences relationnelles de plus en plus complexes, d’abord de simples entretiens permettant déjà une formation aux interrelations, puis des prises en charge classiques de patients et enfin des psychothérapies de longue durée. Une question reste en débat, faut-il codifier le nombre de cas que l’étudiant doit prendre en charge ? L’important, à mon sens, n’est pas le nombre de cas ou le nombre de séances de supervision mais les moments féconds pour l’étudiant (ses «in-sights»). Il n’y a pas de corrélation entre la quantité d’actes et la qualité de la formation.

A côté de la formation par la pratique hospitalière il y a celle qui peut être donnée par l’enseignement lui-même. Il est par définition transmission de connaissances mais il peut aussi véhiculer une sensibilisation à la relation. Les séminaires de discussion de textes psychanalytiques sont l’occasion d’évoquer à travers des écrits ce qui se joue entre thérapeute et patient. L’enseignement des méthodes psychothérapiques qui ne nécessitent pas une interprétation du transfert et du contre-transfert conduit néanmoins à rencontrer des situations où il faudrait être bien aveugle pour ne pas voir qu’au-delà des symptômes une autre partition se joue. Le thérapeute cognitivo-comportemental qui voit son patient résister à ce qu’il lui propose peut se cantonner dans son cadre théorique et conclure que le cas n’est pas une indication de sa méthode, il peut aussi se sentir interrogé et être curieux des processus affectifs sous-jacents au tableau clinique. Il peut aussi être intrigué par son envie de rejeter le patient et être désireux de mieux se comprendre lui-même. Il n’en sera pas pour cela un moins bon cognitiviste, bien au contraire. L’étudiant confronté à cette situation peut, comme il le fait dans son travail clinique, trouver là le moyen de prolonger ses réflexions sur les couches profondes du psychisme. Par ailleurs l’enseignement ne se limite pas à des séminaires théoriques. Il propose des expériences de dynamique de groupe, de psychodrame, des expériences corporelles comme la relaxation. Ces activités pédagogiques ne comportant pas de contrôle universitaire ni de critère de réussite ne souffrent pas du handicap d’être imposées par un supérieur hiérarchique.

Il y a des méthodes pour former à la relation mais la manière dont on les applique compte autant que la méthode elle-même

 Il faut se garder de tout raisonnement manichéen du type «tout est possible» ou «rien n’est possible». Il ne faut pas espérer des recettes pédagogiques facilement codifiables dans des «maquettes» d’enseignement. Il y a des méthodes pour former à la relation mais la manière dont on les applique compte autant que la méthode elle-même. On ne peut pas procéder de la même façon avec tous les étudiants. On peut être amené à corriger avec le temps certaines procédures. Cette pédagogie nécessite ajustements et remises en cause. Elle est moins confortable intellectuellement qu’une pédagogie de transmission de connaissances. Elle est faite d’essais et de corrections. Cela peut paraître mal assuré mais ce n’est pas un inconvénient. L’effort de réflexion et de compréhension de l’enseignant, dont l’étudiant est témoin, a autant de valeur formatrice que l’enseignement lui-même. Elle témoigne de la nécessité dans la vie professionnelle d’être en permanence à la recherche d’une meilleure compréhension des choses et d’une meilleure qualité de soin. Cette formation a des limites. Le psychiatre qui veut acquérir une formation très spécialisée doit faire une démarche personnelle hors du cadre universitaire.

En somme les contradictions de la situation créent une tension. Les solutions sont obligatoirement imparfaites mais la réflexion sur les raisons de cette imperfection est formatrice. Elle est même un des principaux moyens pédagogiques.