Accompagnement thérapeutique pluridisciplinaire des enfants autistes

L’accompagnement thérapeutique pluridisciplinaire des enfants avec autisme

Pour citer cet article :

« Par-delà les murs : Comment nous pouvons intervenir ». Publié le 14 février 2020 sur le site Politis.
https://www.politis.fr/blogs/2020/02/par-dela-les-murs-comment-nous-pouvons-intervenir-34405/

Il convient maintenant d’expliquer la façon dont les équipes travaillant sur des établissements spécialisés organisent les prises en charge des enfants présentant des troubles du spectre autistique. Au-delà des préjugés, des fantasmes, voire des calomnies, il s’agira de décrire concrètement les modalités du soin, la nature des interventions, et les perspectives visées ; et de rendre justice à l’investissement de soignants mobilisés au quotidien, en dépit de la difficulté de leur mission et du climat d’hostilité qu’ils subissent…

Comme on l’a déjà souligné, il parait désormais nécessaire d’envisager un modèle polyfactoriel et surdéterminé concernant l’autisme, incluant des facteurs biologiques, génétiques, environnementaux et interactifs, avec des intrications et des rétroactions complexes. Par ailleurs, nous avons insisté sur le fait qu’il n’existe pas une forme d’autisme univoque et généralisable, mais plutôt des constellations autistiques spécifiques, aussi bien dans leur déploiement, leur modalité d’expression, leurs répercussions fonctionnelles, leur étiopathogénie, leur possibilité évolutive, etc. Et surtout, il ne faut jamais oublier que la problématique autistique concerne une personne singulière, émergeant d’une histoire relationnelle particulière, et s’intégrant dans un contexte socio-familial propre ; une personne et un entourage ayant des attentes, des souffrances, des appréhensions, des inassouvissements, des rêves et des amertumes, des fantasmes, des héritages, des représentations ou des dénégations, des drames concrets, absolument irréductibles à des schémas trop généralistes.

Dès lors, il devient tout à fait illégitime de préconiser une solution unique et systématique, sans prendre en considération toute l’étendue d’une situation dans sa globalité à la fois humaine et matérielle. Un projet thérapeutique ne pourra donc avoir de sens et d’efficacité qu’à partir du moment où une véritable compréhension de la situation a pu se co-construire au préalable, en incluant évidemment le sujet concerné, mais aussi son entourage relationnel, son environnement élargi, les enjeux sociaux, identitaires, familiaux, développementaux, etc.

Au final, l’objectif devrait être toujours de proposer des approches singulières, intégratives, pluridisciplinaires et multidimensionnelles. Nous entendons par là la possibilité de coordonner de façon synergique les modalités d’interventions, en articulant des méthodes complémentaires et différenciées sur le plan rééducatif, comportemental, pédagogique, psychothérapeutique, sensori-moteur, etc.

De façon tout à fait pragmatique, il parait déjà important de cartographier les différentes structures susceptibles d’intervenir pour accompagner un enfant autiste.

En 2018, la dernière recommandation de la Haute Autorité de Santé précisait l’organisation en trois niveaux du parcours diagnostic et thérapeutique dans le champ de l’autisme.

    En 1ère ligne, les professionnels de la petite enfance, de l’Education Nationale, les professionnels exerçant en libéral ou en service de Protection Maternelle et Infantile.

    Le niveau 2 concerne tous les professionnels coordonnés en équipe pluri-professionnelle, c’est-à-dire travaillant en institutions ou en réseaux spécialisés dans le domaine des troubles du développement de l’enfance.

    Enfin, les professionnels de 3ème ligne sont ceux prodiguant une expertise spécialisée sur les Centre de Ressources Autisme (CRA).

Du côté de l’Education nationale, l’inclusion scolaire permet des aménagements spécifiques, en partenariat avec la MDPH, dans le cadre d’un Projet Personnalisé de Scolarisation. Les aménagements peuvent porter sur les méthodes pédagogiques, l’emploi du temps, etc. L’élève peut également bénéficier d’un accompagnement individualisé par une AESH (Accompagnant des élèves en situation de handicap). Enfin, certains enfants autistes peuvent également être accueillis en Unité Localisée pour l’Inclusion Scolaire (ULIS) : ce dispositif met en place des possibilités d’apprentissage souples et diversifiées, avec des articulations entre inclusion en classes « normales » et accompagnement plus spécifique dans un groupe à effectif réduit (maximum 12 élèves) avec intervention d’un enseignant spécialisé et d’une AVS collective.

D’autres modalités spécifiques de scolarisation peuvent être organisées par le secteur médico-social ; comme par exemple les Unités d’Enseignement (UE). Ce dispositif concerne des enfants pris en charge sur un établissement médico-social : il s’agit par exemple de classes d’un Institut Médico-Educatif (IME) implantées dans une école ordinaire, à temps plein ou partiel. Les UEM (Unités d’Enseignement en Maternelle pour enfants Autistes) ont été créées en 2014-2015. En 2022, elles devraient scolariser plus de 2000 enfants d’âge maternel, soit environ 10 % de la classe d’âge des 3-6 ans ayant un TSA (Trouble du Spectre Autistique) avec des besoins complexes. Après quelques années de recul, il est désormais possible d’évaluer ces dispositifs : 54 % des sorties ont effectivement abouti à une scolarisation en école ordinaire, parfois avec une aide humaine. Les autres élèves ont été orientés en ULIS (19,5 %) ou vers des établissements et services médico-sociaux (35,7 %).

Depuis 2017, les UEEA (Unité d’Enseignement en Elémentaire Autisme) devraient progressivement prendre le relais des UEM pour le niveau élémentaire, avec une prise en charge assurée par l’établissement médico-social sur lequel l’enfant est orienté au préalable par le Commission des Droits et de l’Autonomie des Personnes Handicapées (CDAPH). En effet, comme le précise le site « Ecole et handicap » https://ecole-et-handicap.fr/dispositifs-daccueil/unite-denseignement-en-elementaire-autisme/, « tous les élèves avec spectre TSA ne sont pas aptes à fréquenter une classe ordinaire, même après trois ou quatre années passées en UEM. L’autisme résiste. L’autisme n’est pas soluble dans l’inclusion scolaire ! Les UEEA sont donc destinées à accueillir notamment des enfants pour lesquels l’accompagnement par une ULIS ou une aide humaine est insuffisant ». Typiquement, il s’agit particulièrement d’ « élèves n’ayant pas acquis suffisamment d’autonomie, de langage et/ou qui présentent à un moment de leur parcours des difficultés substantielles dans leurs relations sociales, de communication, de comportement et de centres d’intérêt ». Les UEEA sont des unités scolarisant 10 élèves, encadrés par une équipe comprenant un enseignant spécialisé et un AESH collectif de l’Education nationale, ainsi qu’un éducateur spécialisé et un accompagnant éducatif et social « délégués » par l’établissement en charge du projet thérapeutique.

En dehors de l’école, un Dispositif d’Intervention Globale et Coordonnée (DIGC) peut également s’organiser, de façon à coordonner l’accompagnement précoce et intensif d’enfants autistes de 0 à 6 ans. Il s’agit là de mettre en place une action participative et mutualisée portée par différentes structures (établissements médico-sociaux, écoles, professionnels de santé, familles, etc.), ayant comme finalité d’articuler des champs de compétence spécifiques.

Dans le champ du médico-social, plusieurs types d’établissements peuvent se trouver sollicités dans le cas d’un parcours de soin d’enfant autiste.

Les Centres d’Action Médico-Sociale Précoce (CAMSP) peuvent éventuellement être mobilisés pour des interventions rééducatives et thérapeutiques en ambulatoire, lorsque le diagnostic de Troubles du Spectre Autistique est posé suffisamment tôt (enfants de moins de 6ans)

Les Centres Médico-Psycho-Pédagogiques (CMPP) jouent un rôle charnière dans le dépistage, le diagnostic et la mise en place de soins réguliers pour des enfants et adolescents de 0 à 20 ans.

Les Services d’Education Spéciale et de Soins à Domicile (SESSAD) spécialisés dans l’autisme permettent à des enfants de bénéficier d’une inclusion scolaire, tout en bénéficiant de l’accompagnement global du secteur médico éducatif.

Les Instituts Médico-Educatifs (IME) et Médico-Professionnels (IMPro) permettent d’accueillir les enfants et adolescents autistes en leur proposant un projet global ayant comme perspective de long terme l’autonomisation et l’intégration sociale et professionnelle. Sur ces structures, les 80 000 enfants accueillis sont répartis en petits groupes, et encadrés par une équipe pluridisciplinaire (éducateurs, orthophonistes, psychomotriciens, ergothérapeute, enseignants spécialisés, psychopédagogues, etc…). De nombreux outils et ateliers spécifiques sont ainsi mis en place pour favoriser les apprentissages, la communication, la confiance, l’autonomie sociale, etc. Le Projet Individualisé d’Accompagnement, renouvelé chaque année avec la famille, permet de définir les priorités termes de prise en charge et les perspectives d’avenir. Contrairement aux appréhensions de certains parents concernant le caractère « ségrégatif » de ces établissements, les IME ont désormais une vocation à soutenir des projets inclusifs, via notamment les UE. En outre, contrairement à l’éducation nationale, les IME ne laissent pas les jeunes et leurs familles en plan au décours de leur prise en charge. Car ils ont pour mission de faire émerger des horizons d’insertion socio-professionnelle pour ces adultes en devenir et, bien souvent, ils les accompagnent jusqu’à la finalisation d’un tel projet (par exemple jusqu’à l’intégration d’un Etablissement et Service d’Aide par le Travail ESAT).

Cependant, ces établissements sont de plus en plus mis à mal, et se trouvent dans l’incapacité tragique de répondre à un afflux débordant de demandes. Ainsi, en juillet 2018, les membres de la CDAPH de Seine-Saint-Denis ont alerté Sophie Cluzel, secrétaire d’Etat en charge du Handicap, en prenant l’exemple précis d’un établissement https://ecole-et-handicap.fr/mdph-etablissement-medico-educatif/ : « L’Institut médico-pédagogique Louise Michel de Pantin a demandé à la CDAPH de se prononcer sur la sortie de cinq élèves âgés de 17 ans. Cet établissement a un agrément pour accueillir des jeunes de 3 à 16 ans et, malgré de multiples démarches en direction d’Instituts médico professionnels et même d’instituts situés en Belgique, aucune solution n’a été trouvée à ce jour pour ces cinq jeunes. Parmi les familles de ces adolescents, l’une d’entre elles est composée de trois enfants handicapés, la mère d’un autre enfant est malade, un père de famille serait contraint de quitter son emploi en cas de retour de son fils au domicile. Certains de ces jeunes ont un comportement difficile à gérer, et tous doivent bénéficier d’un encadrement leur permettant de progresser. Le départ de ces élèves était la condition pour que l’Institut médico-éducatif puisse admettre des jeunes enfants à la rentrée de septembre. La commission s’étant prononcée pour le maintien de ces adolescents dans l’établissement, afin d’assurer la continuité de leur accompagnement, les familles des enfants qui sollicitent une place à l’IME Louise Michel recevront donc un refus d’admission, faute de place ».

En 2016, voici quelle était la situation sur le département de la Seine Saint Denis : 3400 enfants et adolescents du département avaient reçu une notification d’orientation en IME, IMPRO, ITEP. Il y avait alors 1800 places dans ces établissements au niveau départemental…De surcroit, 2400 enfants avaient reçu une notification pour une orientation vers un service d’éducation spécialisée et de soins à domicile pour moins de 800 places disponibles…Une telle situation amène inévitablement à laisser sur le carreau un nombre indécent d’enfants sans prises en charge adaptée : « 350 n’ont eu d’autre solution que de rester au domicile. 130 ont trouvé une place en Belgique et plusieurs centaines ont été placés dans des établissements d’autres départements. 300 jeunes ont été admis en ULIS alors qu’ils avaient une orientation vers un établissement médico éducatif ».

Dès lors, certaines familles se sont trouvée contraintes de faire appel à des écoles privées hors contrat, ou à d’autres structures lucratives, dont le coût va évidemment très au-delà de la modeste Allocation d’Education de l’Enfant Handicapé – quel marché juteux que celui de la détresse des familles et de l’avenir des enfants vulnérables….

Par ailleurs, 165 jeunes adultes de plus de 20 ans ont dû être maintenus dans des établissements pour enfants et adolescents et 450 majeurs handicapés ont tout simplement été placés en Belgique….

D’après l’IGAS, il existe de très grandes inégalités entre les régions en termes de places disponibles dans les établissements médico-éducatifs. En termes de taux d’équipement, l’écart va environ du simple au double, entre les régions les moins bien équipées (Île-de-France : 3 places pour 1000 jeunes de 0 à 20 ans) et celles les mieux équipées (Normandie : 7 places pour 1000), la moyenne en France étant de 5 places pour 1000.

Ce qui est sûr, c’est qu’on est loin, très loin, de l’abondance dénoncée par certains, et que l’incitation à fermer tous les établissements apparait bien comme une ineptie aussi dramatique qu’irresponsable…

Abordons maintenant le secteur sanitaire et hospitalier. Les Centres Médico-Psychologiques Infanto-Juvéniles sont censés coordonner l’offre de soins sur un territoire circonscrit, afin d’assurer le repérage, le diagnostic, les suivis thérapeutiques et les orientations de tous les enfants présentant des troubles psychiatriques. Ces services ambulatoires s’articulent avec des services hospitaliers, et peuvent proposer tout un panel de prises en charge diversifiées par exemple au sein de Centres d’Activité Thérapeutique à Temps Partiel. Sur un intersecteur, différentes structures d’hospitalisation peuvent également être mobilisées, ou ponctuellement en cas de crise ou d’urgence, ou de façon plus pérenne, que ce soit en semaine, de nuit, sur des temps séquentiels, etc. Faute de places, les situations de crise aboutissent malheureusement bien trop souvent à des hospitalisations en service adulte pour des adolescents de plus de 15 ans, ou tout simplement à un maintien à domicile…Mais soyons fermes et intransigeants sur nos mots d’ordre libérateurs : fermeture à tout prix de toutes les structures pour garantir les droits ! La réalité, on s’en passera !

Les Hôpitaux de Jour (HDJ) spécialisés dans l’autisme peuvent proposer, à temps plein ou en séquentiel, des soins cohérents et articulés, à travers de nombreuses médiations thérapeutiques, en individuelle ou en groupe, et organiser une scolarisation ajustée.

Sur le plan du diagnostic et des interventions précoces, les Centres de Ressources Autisme (CRA) sont censés coordonner à l’échelle régionale des Centres Diagnostics hospitaliers susceptibles de mobiliser l’expertise d’équipes pluridisciplinaires en cas de situations complexes, avec notamment le support d’évaluations neuropédiatrique, génétique, ou d’imagerie médicale.

Par ailleurs, les Agences Régionales de Santé favorisent désormais le développement de structures « hybrides » afin d’articuler différentes prises en charge en libéral, sur le plan des soins et du diagnostic. Ainsi, des Plateformes de Coordination et d’Orientation (PCO) sont en train de se mettre en place sur chaque département, dans l’objectif de baliser un parcours d’intervention précoce pour les enfants de moins de 7 ans présentant un trouble du neurodéveloppement. Il s’agit également de pouvoir, par le biais d’un forfait d’intervention précoce, rémunérer des professionnels libéraux non conventionnées (ergothérapeutes, psychomotriciens, psychologues) et contribuant tant à la démarche diagnostique qu’au suivi thérapeutique (il faut reconnaitre que ces praticiens ont des grilles de salaire tellement basses dans les conventions collectives, qu’ils privilégient l’installation en privé plutôt que le travail en institution…).

Dans la même optique, des Pôles de Compétences et de Prestations externalisées (PCPE) s’organisent progressivement sur le territoire, dans le but de prévenir les ruptures de parcours, en mobilisant des professionnels de santé, sociaux et médico-sociaux exerçant aussi bien en établissement qu’en libéral. Il s’agit là de proposer des plans d’interventions individualisées qui exigent une coordination pluridisciplinaire dans une visée inclusive.

L’émergence de ces nouveaux dispositifs confirme les changements de paradigme en cours dans le secteur du soin : démantèlement progressif des institutions et établissements, en faveur de plateformes proposant des prestations « à la carte », flexibles, et vaguement régulées, c’est-à-dire un marché…A la place d’un projet thérapeutique global et cohérent, on favorise désormais des séquences de bilans ou de rééducations éparpillées…L’ARS vient ainsi d’exiger qu’un CMPP de la Vienne se transforme en plateforme diagnostic des troubles neuro-développementaux sous 9 mois – avec toujours l’indécrottable fantasme qu’il suffit de diagnostiquer pour résoudre les problèmes de prise en charge…Heureusement, ce type de transformation institutionnelle se verra accompagné par un « cabinet expert des travaux constitutifs d’une démarche d’analyse de l’organisation du travail en rapport avec les attendus des politiques publiques », proposant aux praticiens des « entretiens individuels d’écoute pour tous », semi-directifs, conduits par les consultants d’un cabinet extérieur….Ouf, on peut être tranquille, la qualité du soin sera sûrement une priorité…

Dès lors, au sein de de ce panorama, de plus en plus de structures « innovantes » viennent progressivement s’infiltrer pour compenser les manques évidents : cela peut être sur le mode associatif et non lucratif, avec des financements publics détournés des institutions « classiques » – mais sans véritable encadrement, sur le plan éthique, médico-légal, et thérapeutique…; cependant, on constate également la création de structures privées, avec des objectifs explicites de rentabilité financière et de profits. Il suffit de voir les devis proposés à certaines familles pour constater que la déliquescence de soin peut manifestement devenir une opportunité pour certains. Le 4ème plan autisme prône d’ailleurs le développement de l’entreprenariat dans le champ de l’autisme et appelle de ses vœux l’efflorescence de start-ups novatrices… De surcroit, la redistribution progressive des financements institutionnels vers des prestations à la personne va dans le sens de cette libéralisation et de cette marchandisation du soin. Tout un programme….

Revenons-en à au travail clinique et thérapeutique qui a pu se développer et s’enrichir depuis des décennies au sein des institutions pédopsychiatriques. Nous décrirons les grands axes et principes de ces « cures institutionnelles », qui peuvent se dérouler en HDJ ou sur des IME, voire sur des SESSAD ou CMP/CMPP.

Tout d’abord, il convient d’insister particulièrement sur le fait que la prise en charge en institution est avant tout un travail d’équipe, et que la dimension collective des soins parait absolument primordiale. Comme le rappelait Roger Misès, « au cours d’une approche de ce genre, on n’est jamais tous ensemble, au même moment, sur le même terrain. Par exemple certains se trouvent plutôt dans un accompagnement en profondeur, à un niveau archaïque, tandis que d’autres sont dans une position de soutien à l’émergence de potentialités de réintégration, qui se situent sur un registre plus évolué. À d’autres moments, dans le travail en commun, se manifestent des convergences qui, en rassemblant tous les membres de l’équipe, possèdent une fonction (…) de relance du processus curatif ». Dans le suivi d’un enfant autiste, tous les professionnels impliqués sont exposés à des vécus parfois difficiles, susceptibles d’avoir des répercussions dans le lien thérapeutique. Dès lors, il est particulièrement important de pouvoir partager et élaborer collectivement ces éprouvés, afin de pouvoir se dégager de contre-attitudes négatives et de garantir la dynamique des processus. Il faut donc pouvoir se rencontrer très régulièrement, ajuster les interventions, prendre en compte les différenciations dans le positionnement d’un enfant en fonction des personnes et des activités proposées, etc. Ceci suppose évidemment une cohérence d’équipe, une organisation coordonnée et supervisée du travail à plusieurs, mais aussi la possibilité d’aborder les conflictualités, les doutes, les blessures et les malentendus. L’institution est aussi un lieu où, à partir des coups de gueule et des espérances, des amertumes et des solidarités, des représentations vivantes et incarnées peuvent émerger …Une équipe, ce sont des regards croisés, des échanges contradictoires et complémentaires, qui permettent d’appréhender la façon dont un enfant va investir des interactions différenciées, dont il va habiter son corps, explorer l’environnement, à travers des contextes spécifiques mais reliés entre eux. Par ailleurs, intervenir à plusieurs permet aussi de se dégager du caractère parfois contagieux des fonctionnements autistiques, de ne pas sombrer dans la rigidité ou la répétition ritualisée de protocoles, de ne pas désaffecter la pensée, de rester ouvert à l’inattendu et à l’altérité…Car il faut des liens vivants pour résister à la « tendance à s’enfermer avec l’autre dans un autisme à deux, dans une bulle où la vérité n’est que d’un côté, et où tout autre point de vue que le sien est vécu comme une dangereuse intrusion » (Jacques Hochmann) .

Toute cette dynamique collective absolument essentielle ne peut évidemment se déployer de la même façon sur des plateformes, à travers des formes de coordinations désincarnées entre praticiens isolés…

Le travail institutionnel nécessite également une ouverture permanente sur des espaces tiers, avec un tissage permanent de liens et d’allers-retours avec l’extérieur : l’école, le domicile, ou d’autres espaces de socialisation. Ainsi, de plus en plus de prises en charge s’inscrivent dans la séquentialité ; dès lors, elles ne constituent qu’un temps partiel qui s’articule avec d’autres types d’intervention. De plus, les équipes peuvent mettre en place des sorties spécifiques à l’extérieur (activités, spectacles, expositions ou visites), voire des séjours thérapeutiques de plusieurs jours. Des nouages très divers peuvent ainsi se lier avec de multiples intervenants, chacun étant engagé dans une activité spécifique qui fait sens par rapport aux autres dans un projet global.

« Dans ce travail en réseau, chaque intervenant est appelé à constater que sa pratique prend sens pour une part de ce qui a précédé et de ce qui va suivre. Ce constat incite le professionnel à se décaler quelque peu de sa pratique habituelle, de façon à élargir sa saisie du problème, tout en restant un acteur spécifique qui intervient dans un registre précis. Par exemple, un professeur qui exerce dans une classe ordinaire demeure un enseignant, appelé d’abord à aider l’enfant dans l’acquisition des connaissances et dans l’acceptation de la discipline de l’école. C’est son travail d’enseignant. Mais parallèlement, par sa créativité, par la qualité de son étayage, par ses ajustements successifs dans ses rapports avec l’enfant, ce professeur en arrive également à tenir une place importante dans un projet, qui, notamment, possède une dimension thérapeutique » (Roger Misès).

Ce délicat maillage entre les intervenants, les lieux et les dispositifs favorise finalement une structuration de l’espace-temps, à l’instar du programme TEACCH, élaborée par Eric Schoppler en 1966 en Caroline du Nord. Avec ses collaborateurs, ils ont réalisé que les capacités d’apprentissage des enfants atteints d’autisme étaient plus élevées dans le cadre d’un enseignement particulièrement structuré et planifié. De fait, ce type d’organisation permet de réduire l’appréhension face à l’inconnu, en rendant l’environnement prévisible. A partir de là, on peut s’attacher à généraliser les compétences acquises dans des situations très préservées, en y mêlant progressivement de petites différences et en élargissant les contextes de socialisation.

Au fond, il s’agit toujours d’articuler du connu, du rassurant et de l’inédit, en introduisant des nuances de différenciation. En s’appuyant sur une trame d’imitation et de répétition, on peut effectivement immiscer de discrètes variations, suffisamment légères pour ne pas désorganiser, mais suffisamment distinctes pour attiser l’intérêt. Ainsi, à travers la pluralité des approches, l’enfant va pouvoir expérimenter sur le plan sensoriel, moteur, langagier, relationnel, etc. En institution, ce sont en effet des abords pluriels et complémentaires qui vont lui être proposés sur les plan éducatif, comportemental, sensori-moteur, psychothérapeutique, groupal, familial, à travers l’utilisation de médiations variées, de réhabilitation sociale, d’interactions orales, mais aussi médiatisées par des pictogrammes, ou des signes corporelles…

Et tout cela va pouvoir, pas à pas, se raconter, se partager, s’inscrire dans un fil narratif. Les échanges réguliers, les élaborations communes tissent en effet des histoires, qui d’une façon ou d’une autre, vont pouvoir se restituer à l’enfant, et l’aideront à développer ses propres processus narratifs, à organiser ses vécus, à articuler des morceaux épars de son existence et à se réapproprier ses éprouvés personnels. L’expérience cliniques des soignants, leur créativité ainsi que leurs propres références théoriques peuvent favoriser l’émergence de ces matrices de sens qui soutiennent le déploiement d’un récit intersubjectif, à partir du creuset des liens éprouvés au quotidien. Mais pour que cela puisse advenir, il faut déjà que ces moments partagés puissent être vectorisés par le plaisir du jeu et de la pensée. Il faut restaurer une appétence à découvrir, à ressentir, à apprendre. Il faut faire émerger un désir à communiquer, une curiosité pour le lien et la parole.

En parallèle, les particularités autistiques dans les éprouvés sensoriels et l’image du corps vont pouvoir être mises en sens et en parole, les stéréotypies pourront même, dans les meilleurs des cas, retrouver une dimension d’adresse dans un contexte interactif…A travers le réinvestissement partagé du jeu, et par identification au plaisir que peuvent prendre les soignants à s’occuper de lui, l’enfant autiste va pouvoir, progressivement, s’extraire de son besoin d’immuabilité et de ritualisation rigide. Mais pour relancer sans cesse cette dynamique, il parait nécessaire de s’appuyer sur des représentations vivantes, et de mobiliser des « théories ayant les qualités transitionnelles d’un objet de jeu intrapsychique qu’on peut mentalement manipuler » (J. Hochmann). Seule une pensée en mouvement peut effectivement résister à l’utilitarisme strict de l’autisme, en opposant la créativité à la concrétude rigide des choses. On ne pourra surement pas aider un enfant autiste en lui imposant des dogmes et des procédures encore plus statiques et désincarnés que sa propre obessionnalité…Ainsi, tout ce qui a pu être compris et théorisé à propos des spécificités autistiques (démantèlement, angoisses archaïques, ratage du circuit pulsionnel, singularités des images du corps, utilisation des formes et objets autistiques, etc.) ne constituent en pratique que des points d’appui intériorisés, des fragments de tissus épars qui peuvent servir à relancer le tissage de représentations situées et animées.

Par rapport au travail institutionnel, Pierre Delion a pu mettre en évidence trois dimensions thérapeutiques essentielles :

    La fonction phorique, qui consiste à « porter », à soutenir, un enfant n’ayant pas suffisamment de points d’appui en lui-même

    La fonction sémaphorique, qui suppose de pouvoir repérer les signes adressés par l’enfant en contexte situationnel

    La fonction métaphorique qui va chercher à interpréter, à signifier, et à partager une trame narrative de ce qui peut se jouer au niveau intersubjectif autour d’un enfant

Outre ce cadre collectif, il convient de rappeler ce qui devrait être une évidence : le soin ne pourra émerger qu’à travers une véritable éthique de la rencontre. Au-delà d’un trouble, ou d’une constellation de symptômes et d’empêchements, il s’agit surtout de nouer un lien particulier, ouvert, respectant la singularité d’un enfant, dans toutes ses dimensions. Et ceci impose déjà une forme d’humilité : pour vraiment rencontrer un enfant, il faut effectivement pouvoir se détacher de ses schémas trop réducteurs, de ses certitudes et de ses propres défenses par le savoir. La rencontre suppose une prise de risque, car elle implique de maintenir une certaine indécidabilité, de revendiquer de l’imprévu, et de s’engager personnellement, au-delà de son identité professionnelle. Là se situe la possibilité d’une clinique authentique, et d’une véritable évaluation, susceptible de laisser une place à l’altérité et au lien. Car on peut être tout à fait rigoureux, sans pour autant mettre sa subjectivité ou sa sensibilité de côté en se réfugiant derrière des grilles ou des questionnaires. De fait, les éprouvés, les vécus du clinicien font éminemment partis des enjeux à appréhender, au-delà d’un relevé purement comportemental. Mais ce type de posture suppose un engagement, une responsabilité et une confiance, qui peuvent d’autant plus se déployer si l’arrière-plan institutionnel est vécu comme soutenant.

Au niveau individuel et collectif, la prise en compte des mouvements émotionnels et relationnels est donc tout à fait décisive. En effet, les affects qui peuvent circuler entre les soignants et les enfants traduisent sans doute quelque chose d’un vécu en attente d’être élaboré et restauré. Ainsi, c’est dans ce partage commun des ressentis, des impressions, des scènes vécues, que va pouvoir se co-construire, avec l’enfant et sa famille, une histoire commune et partagée.

Parfois, et même souvent, il s’agit aussi de se confronter à des mouvements très éprouvants, imprégnés de destructivité et de négatif. En effet, il est toujours utile de rappeler le profil des enfants reçus dans les institutions pédopsychiatriques : il ne s’agit pas de « psychiatriser » des Greta Thunberg, mais d’accueillir des enfants sans langage, parfois très régressés ; des enfants qui peuvent avoir des crises de « temper trantrum » très impressionnantes, avec décharge d’agressivité, automutilations, etc. ; des enfants qui, du fait de l’intensité de leur symptomatologie autistique, peuvent également exercer une violence plus insidieuse, en creux, à travers leur évanescence, leur repli et leur refus du lien ; qui peuvent résister à toute implication interactive, qui détournent systématiquement le regard, qui utilisent l’autre comme objet ; qui peuvent faire éprouver un sentiment de vidange subjective, de néantisation ou d’assèchement, du fait de la radicalité de leur posture antirelationnelle…Des enfants enfin qui sont surtout exposés à des vécus d’angoisse corporelle extrêmes, à type de chute, d’écoulement et de liquéfaction, ou encore de dislocation ou d’amputation, ou sous la forme d’intrusion menaçante par le regard ou la parole…

Comme le rappelle Fabien Joly, « il importe de dire la violence dans l’autisme, de ne pas la taire ou la mésestimer, pour essayer de pouvoir mieux l’entendre, la contenir et la transformer ; là où il nous arrive d’entendre parfois que les angoisses, la souffrance ou la violence autistiques n’existent pas, qu’il s’agirait juste d’un problème de communication ou d’incompréhension de la part de l’autiste ou de la personne qui accueille l’autiste » ….

Comment prendre en charge et soulager, s’il n’y a pas au préalable une reconnaissance de la réalité ?

Ce qui est certain, c’est que la dynamique collective de l’institution permet justement de faire face au négatif et à la violence. Car il faut parfois être à plusieurs, ne serait-ce que pour survivre psychiquement, pour maintenir éveillés sa créativité, son envie, ses espoirs ; pour pouvoir diversifier ses réponses, s’appuyer sur les différences de place et de sensibilité, s’épauler et rester vigilant sur les principes éthiques partagées et sur la fonction thérapeutique des interventions.

Les réponses se doivent ainsi d’être diversifiées et de pouvoir cibler différents niveaux. On doit évidemment proposer des réponses éducatives, avec des protocoles comportementaux visant à contenir les comportements les plus violents et destructeurs. Dans les cas les plus problématiques, une sédation médicamenteuse peut éventuellement s’avérer nécessaire, aux doses les plus faibles et avec une réévaluation régulière de la prescription. Du côté de l’enfant, il faut évidemment soulager, apaiser, contenir, restaurer des enveloppes corporelles, mais aussi réaffirmer les limites et les interdits, sans rétorsion, et en évitant les contre-attitudes délétères. Le soutien aux familles et à l’équipe est toujours primordial, avec une mise en parole des éprouvés, de l’effroi et de l’angoisse. Enfin, il s’agira également d’essayer de faire émerger du sens, au-delà de la violence, et de réinscrire ces décharges agressives dans une dynamique émotionnelle et relationnelle, de leur donner crédit d’une part de subjectivité, d’intentionnalité et d’adresse. C’est ainsi que l’on pourra espérer désamorcer les récidives ; en signifiant, en changeant le regard et les positionnements, en restant vivants et réceptifs…

Pour chaque enfant, il conviendra en tout cas de proposer un projet thérapeutique singulier, ajusté à ses spécificités individuelles et familiales, et non à son « trouble » de façon mécanique. Dans cette logique, la pertinence des décisions thérapeutiques ne peut découler que du « transfert », c’est-à-dire, schématiquement, de la relation particulière qui s’établit entre un enfant, sa famille et l’équipe de pédopsychiatrie. Il est donc impossible de savoir à l’avance ce qui conviendra pour chaque enfant et chaque famille et aucune proposition ne peut être rejetée par principe. Néanmoins, il s’agira toujours de mettre en place un tissage complexe entre différents type d’interventions, visant à investir le lien, à développer un jeu intersubjectif et symbolique, à étoffer les capacités d’imitation, de communication et la compréhension des enjeux sociaux, à développer son langage et ses compétences cognitives ou sensori-motrices, à ajuster ses réactions comportementales, à mieux réguler ses mouvements émotionnels, à susciter sa motivation et son appétence, etc.

Dans le travail avec les enfants autistes, il est sans doute un peu arbitraire de vouloir séparer le thérapeutique, le pédagogique et l’éducatif, ces dimensions étant en permanence intriquées. De fait, chaque professionnel au sein de l’équipe possède à la fois ses spécificités, tout en s’articulant à une dynamique collective.

En termes de prise en charge spécifique, l’enfant peut évidemment bénéficier de rééducations en psychomotricité, ou en orthophonie. Mais tous les membres de l’équipe pourront également utiliser des outils de communication alternatifs type PECS (pictogrammes) et/ou Makaton (langage de signes), ou soutenir des explorations motrices et sensorielles. Par ailleurs, on peut évidemment proposer des prises en charge spécifiquement éducatives et comportementales, en individuel ou en groupe. Cependant, les interventions « éducatives » peuvent également intervenir dans des groupes à médiation (activités artistiques, musicothérapie, terre, relaxation, photolangage, etc.), ou lors de temps de socialisation plus informels. Le propre des dispositifs groupaux à médiation, c’est qu’ils offrent une « garantie de travail psychique, à la fois contenant et transformateur » (Vacheret et Duez). En effet, l’objet médiateur, qu’elle qu’en soit la nature, peut être investi sur un mode transitionnel, et contribue ainsi à étayer les fonctions représentationnelles à travers le lien. Les enfants autistes peuvent également bénéficier de groupes d’habiletés sociales : ce type de dispositif permet d’approfondir et accroître les compétences relationnelles et de communication. Il vise à aider l’enfant à être en lien et à interagir avec autrui à travers des jeux de coopération. On peut également proposer des remédiations sociales, qui, en s’appuyant sur des stratégies spécifiques, visent l’entraînement de la cognition sociale, ceci afin favoriser l’accès à ses propres affects, mais également aux intentions, désirs et émotions d’autrui. Au-delà de ses cadres particuliers, toutes les sollicitations des soignants, au quotidien, et dans des contextes différenciés, vont dans le sens de l’apprentissage des codes sociaux et de l’élargissement des relations interpersonnelles.

Car, les finalités à plus long terme sont évidemment de soutenir l’autonomisation et de favoriser l’intégration sociale, au-delà des lieux de soin. Ceci suppose donc une articulation étroite avec l’extérieur au sens large, qu’il s’agisse du domicile, des espaces partenaires de la prise en charge (école, professionnels), des lieux de socialisation, mais aussi des temps plus informels (transports). Au fond, les perspectives à plus long terme doivent toujours être présentes, ne serait-ce qu’à l’état d’ébauche, pour éviter le repli dans l’immuabilité d’un hors-temps sans cesse renouvelé. Il faut donc penser l’après, diversifier, imaginer en partenariat des projets de formation, etc. Dès lors, « le « soin institutionnel » se réfère de manière panoramique à tous les opérateurs d’un service qui sont, à l’instar des parents, aptes à « prendre soin » des personnes plus faibles qui leur sont confiées, et à rester vigilants quant aux effets pervers de leur propre organisation » (Moïse Assouline). https://blogs.mediapart.fr/edition/contes-de-la-folie-ordinaire/article/240714/autisme-23-y-t-il-un-imperialisme-du-soin-dans-les-services

Comme le souligne le témoignage de Pascale Brizio, mère d’un enfant autiste http://www.psynem.org/Hebergement/Cippa/Association/Actualites/Societe/678 , le soin est un enjeu citoyen et humain majeur, qui revient à « agir pour que l’autisme devienne vivable dès la petite enfance et tout au long de la vie, agir avec ouverture d’esprit sans céder à aucun sectarisme ou mercantilisme, agir pour que les parcours d’exception tels que celui de mon fils deviennent une norme de prise en charge et d’inclusion ».

A ce titre, l’implication et l’accompagnement des familles sont absolument décisifs, tant du point de vue éthique que de l’efficience thérapeutique. Les parents doivent pouvoir exprimer leur désarroi, leurs douleurs, leurs incompréhensions et leurs larmes ; leur colère, leur rancœur et leurs deuils ; mais aussi leurs espoirs et leurs joies, leurs combats et leurs rires…Retrouver du plaisir à partager, sans culpabilité ni résignation…Apprécier les mains tendus, la parole qui redonne forme aux émotions douloureuses et la présence confiante…Et pour cela, il faut évidemment pouvoir respecter leurs sidérations passagères, leurs silence et leurs résistances…Accepter leur refus et leurs contradictions….Comprendre, autant que faire se peut, ces tourments suspendus et les séquelles des dévastations passées… Car il faudra revenir, dans les meilleurs des cas, sur les achoppements précoces, sur la façon dont ils ont pu être éprouvés et désorganisés dès la première année de vie de leur bébé ; puisque l’autisme constitue véritablement un « travail de destruction de ces parents » (M.-C. Laznik).

En conséquence, les parents ont besoin de reprendre leur souffle, à leur rythme, sans se sentir accablés ; sans être pointés du doigt parce qu’ils n’en feraient pas assez pour inclure leur enfant à tout prix, au détriment de leur propre existence, en utilisant toutes les méthodes « efficaces », quitte à se retrouver endettés dans un sacrifice sans fin…

Avant de conclure, il faudra tout de même évoquer le travail psychothérapeutique d’inspiration psychanalytique avec les enfants autistes. Contrairement à ce que véhiculent certaines caricatures, il ne s’agit évidemment pas d’allonger sur le divan des enfants non oralisés pour interpréter leur fantasme…Par ailleurs, il va de soi que, dans le cas de la prise en charge des troubles autistiques, une psychothérapie ne pourra en aucun être isolée, sans articulation avec d’autres interventions éducatives et thérapeutiques au sein d’un dispositif institutionnel. Ceci étant précisé, comment se déploie ce type de soins ? Il s’agit avant tout de proposer à l’enfant d’investir, pas à pas, un lien privilégié, avec une personne bienveillante, impliquée, et ouverte à ses activités spontanées, sans intrusion. L’objectif étant déjà de faire sentir à l’enfant qu’un autre existe, et qu’il ne constitue pas une menace dont il faut se protéger. Ainsi, le psychothérapeute offre à l’enfant sa présence attentive, en mettant à disposition toute sorte de matériel ludique, d’expériences sensorielles, qu’ils vont pouvoir explorer tous les deux, en tissant une continuité et une mémoire noués d’affects, à travers la régularité des séances. A l’évidence, le travail psychothérapeutique suppose d’abord que l’on reconnaisse chez l’enfant autiste une intention, aussi ténue soit-elle, de communiquer et de partager son vécu intime, ses éprouvés et ses bouleversements affectifs. Par identification, imitation, et à travers les ressentis que l’enfant peut lui faire ressentir, au niveau psychique, émotionnel, corporel, le thérapeute va petit à petit essayer de mettre en forme ce qui se déploie dans le lien, et d’en renvoyer quelque chose à l’enfant. Ses interventions auront alors comme finalité de proposer un sens aux figurations corporelles que l’enfant met en scène, de l’aider à rassembler des expériences morcelées, de stabiliser l’édification de son moi corporel, de s’ouvrir à l’intersubjectivité et au plaisir du jeu communicatif, d’ « accepter de substituer des flux relationnels à ses flux sensoriels emprisonnants » (Bernard Golse). A travers l’investissement du lien, une représentation de l’autre va pouvoir se construire, avec la possibilité du manque, mais aussi de la symbolisation. Pour cela, il faut évidemment que le thérapeute reste un partenaire vivant, incarné, sensible, relançant avec mesure les sollicitations interactives, sans intrusion ni forçage, introduisant délicatement de petites différences ; il faut résister à la capacité de l’enfant à ignorer l’autre, à néantiser la relation, à évacuer les affects, à s’enfermer dans des répétitions mortifères ou des autostimulations en boucle. La complexification progressive des séquences interactives peut alors ouvrir tout un champ d’expérimentation en termes de cognition sociale et de réciprocité émotionnelle ; et l’enfant va pouvoir s’appuyer sur la compréhension de son thérapeute pour s’extraire de ses défenses autistiques et investir un autre type de représentation de ses éprouvés corporels, de ses mouvements affectifs, et des enjeux intersubjectifs.

A l’évidence, tout ce qui se joue ainsi dans le lien thérapeutique va également s’inscrire au niveau des connexions synaptiques et des réseaux neuronaux, et on pourrait tout à fait en rendre compte en des termes de réaménagements cérébraux.

Un dernier commentaire sur une pratique extrêmement décriée, à savoir le « Packing ». En deux mots, il s’agit d’une méthode dont les indications restent très limitées, à savoir des situations cliniques dans lesquelles des enfants ou adolescents autistes ont recours à des automutilations particulièrement préoccupantes, à des états d’angoisse et d’agitation très difficile à contenir, avec une nécessité de sédation médicamenteuse importante. Dans ces cas très circonscrits, on peut proposer des séances de packing, afin d’éviter le recours à une surenchère délétère en termes de médication et de contention. Le déroulement de cette méthode est très protocolisé, avec un accompagnement systématique de plusieurs soignants, qui viennent à la fois rassurer, accompagner, tout en proposant un bain de langage et des mises en forme verbales de ce qui peut être éprouvé par le patient. Celui-ci est initialement entouré de linges froids, serrés contre son corps, de façon à induire une sorte de choc thermique, de saisissement, et de ressenti intense de ses enveloppes corporelles. Peu à peu, les linges vont se réchauffer, à partir de la chaleur diffusée par le corps du patient, permettant un vécu de rassemblement sensoriel, et un effet d’apaisement. Dans certaines situations, les effets de ce traitement sont assez spectaculaires, avec une régression significative des comportements auto-agressifs et une diminution conséquente des doses nécessaires de traitement sédatif. Evidemment, il s’agit là d’expériences cliniques, qui ne peuvent à elles seules suffire pour valider scientifiquement ce type de pratiques. Actuellement, des protocoles de recherche essaient d’ailleurs d’évaluer l’efficacité de cette méthode.

Quels que soient les résultats de ces études, il convient d’une part de souligner que le packing n’est pas un dispositif psychanalytique en soi, même si certaines théorisations peuvent contribuer à mettre en sens ce qui peut se jouer lors des séances. Et d’autre part, qu’il ne s’agit en aucun cas d’une pratique barbare proche de la torture, infligée sans fondement, à part le sadisme des équipes…

Je rappellerais juste, avec un brin de malice, que les dénonciateurs virulents de ce type de soins soutiennent souvent des méthodes comportementalistes type ABA, qui revendiquent ouvertement l’utilisation de stimuli aversifs à type de décharges électriques pour éteindre certaines comportement indésirables…Mais nous n’en diront pas plus car, « le barbare, c’est celui qui croit à la barbarie » (Claude Levi-Strauss).

Voilà donc une présentation très sommaire du soin institutionnel dans le champ de l’autisme. Evidemment, il s’agit là d’une présentation trop univoque et réductrice, qui ne prend pas en compte les multiples déclinaisons, les particularités et la richesse des expérimentations. J’espère en tout cas avoir suffisamment insisté sur la dimension collective et complémentaire du soin, sur la prise en compte de la singularité irréductible de chaque enfant ainsi que sur les finalités de la prise en charge : il ne s’agit pas de traiter, de réduire, mais de soutenir toutes les possibilités d’émergence d’une parole subjectivée, toutes les manifestations d’un désir propre ; de porter un plaisir à partager des histoires communes, à même de relancer la capacité à se raconter et à revendiquer ses propres aspirations, par-delà les murs…

L’objectif de toute institutionnalisation n’est pas de répéter une ségrégation, mais de viser à une désinstitutionalisation ; de donner, autant que faire se peut, l’opportunité à un sujet de pouvoir s’auto-instituer…