Le concept de désir

Le concept de désir, approche philosophique

Par Federico Lauria, Université de Genève/Columbia University/New York University

Pour citer cet article :

Lauria, F. (2017), « Désir », version académique, dans M. Kristanek (dir.), l’Encyclopédie philosophique, URL :  http://encyclo-philo.fr/desir-a/

Résumé

Les désirs sont centraux pour agir et être heureux. Qu’est-ce qu’un désir ? En quoi les désirs sont-ils importants ? Dans cette entrée, nous tenterons de mettre les mots sur cette expérience si familière et pourtant négligée par la philosophie contemporaine. En guise de préliminaires, nous délimiterons notre objet d’étude à la lumière des principales distinctions entre les désirs et d’autres états mentaux tels que les croyances et intentions, ainsi qu’à l’aide des distinctions classiques parmi les désirs. Notre exploration débutera par l’exposé de diverses facettes du désir : les désirs s’accompagnent de l’apparence du bien; les désirs nous poussent à agir ; le monde doit se conformer à nos désirs (la direction d’ajustement monde-esprit); et les désirs portent sur ce que nous ne pensons pas être réel (le principe de la mort du désir). Dans la troisième partie, nous présenterons les principales conceptions du désir en philosophie contemporaine, particulièrement les deux approches classiques: désirer est faire l’expérience du bien (théorie évaluative) et désirer est être motivé à agir (théorie motivationnelle). Nous esquisserons aussi des théories alternatives: l’approche déontique et neuroscientifique. Après avoir tenté de délimiter le désir, nous examinerons son importance. Nous questionnerons trois types de désir qui occupent une place privilégiée dans nos vies: l’espoir, la curiosité et le désir sexuel. Nous explorerons les bienfaits du désir à travers les théories désidératives du bonheur, des raisons d’agir et de la personnalité. Nous conclurons en discutant les vicissitudes épistémiques du désir ou leur pouvoir de nous faire baigner dans l’illusion (l’auto-duperie).

Table des matières

Introduction : L’essence du désir et son importance

Les psychanalystes en parlent sans cesse. Les romanciers et cinéastes le décrivent si bien. Pas un jour ne s’écoule sans que l’on y pense : le désir. Roméo rêve de l’amour fou. Juliette se languit de l’absence de Roméo. Sam désire vivre à New York. Maria souhaite être immortelle. Roger veut gagner la coupe. Emma a envie de tiramisu. Les désirs occupent une place importante dans notre vie. Nos projets et actions sont guidés par eux. Leur satisfaction nous rend heureux. A notre grand dam, leur frustration nous afflige et nous fait sombrer dans le désespoir. Des désirs sont plus forts que d’autres. Certains nous obsèdent. D’autres nous vivifient. D’aucuns ruinent des vies. Qu’est-ce qu’un désir ? En quoi les désirs sont-ils cruciaux ?

Malgré son importance, l’histoire de la philosophie a longtemps diabolisé le désir. Bien que les philosophes classiques aient reconnu son bien-fondé, l’emphase sur ses potentielles vicissitudes a prévalu (Schapiro 2013, Daoul et al. 2015). Ainsi, chez Platon, le désir est symbolisé par un cheval noir borné, obsédé par le plaisir (particulièrement sexuel) et qui nous dévie du droit chemin. Le désir apparaît ainsi comme le grand perturbateur de la rationalité. A l’époque moderne, nous assistons à une revalorisation du désir. Selon Thomas Hobbes (1994) et David Hume (2000), le désir est le seul moteur de l’action. Cette conception est si influente qu’elle constitue le dogme principal de la philosophie contemporaine du désir : les désirs sont notre impulsion à agir. Est-ce vrai ? Malgré le fait que le désir figure dans de nombreux débats, en particulier en philosophie de l’action et en éthique, les investigations détaillées du désir n’en sont qu’au stade de balbutiement (Schroeder 2004, Arpaly & Schroeder 2013, Sinhababu 2017, Lauria & Deonna 2017). Bien que la psychanalyse ait mis le désir sexuel au cœur de ses préoccupations, celui-ci n’est qu’un type de désirs parmi d’autres, aussi important soit-il. Seule une enquête sur l’essence du désir en sondera l’énigme. Il est désormais reconnu que l’affect joue un rôle primordial et est indispensable à la compréhension du monde, à l’action et au bonheur. Qu’en est-il du désir en particulier ?

Imaginez un monde habité par des créatures qui, à notre image, ont des croyances, des doutes, des souvenirs, mais n’éprouvent aucun désir. Aucune impulsion, aucune tentation, aucune aspiration, aucun souhait ni aucun espoir ne traverse leur cœur. Quelle est la différence entre ces créatures privées de désirs et nous-mêmes ? Que perd-on lorsque l’on perd le désir ?

Intuitivement, une vie dénuée de désir semble peu enviable. Comment ces créatures agiraient-elles sans l’impulsion du désir ? Leur existence semble dénuée de sens en l’absence d’idéaux et projets que nous fournissent nos désirs. Peut-on être heureux lorsque le monde nous laisse indifférents ? Peut-on aimer ? J’invite l’amateur de science-fiction à explorer davantage ce monde des désirs absents afin d’éclairer le désir et son importance. Pour le lecteur plus prosaïque, il est intéressant d’observer que des cas cliniques sont à l’image de ces créatures. Ainsi, à un stade avancé de la maladie de Parkinson, certains patients souffrent de déficits de dopamine, le neurotransmetteur associé au désir (Schroeder 2004). Ces personnes apathiques ne parviennent même plus à se mouvoir. Une grande tristesse les caractérise. De même, suite à de fortes déceptions, certains souffrent d’ennui chronique : plus rien ne les anime ni ne les intéresse (Eastwood et al. 2007). Ces personnes ont perdu les désirs qui donnent sens à nos vies. L’imaginaire et la science concordent donc à propos de l’importance du désir. Il vaut dès lors la peine de l’interroger.

Dans cette entrée, je propose un aperçu des principales questions philosophiques entourant le désir. En guise de préliminaires, nous exposerons les distinctions classiques entre le désir et d’autres états mentaux tels que les croyances ou les intentions, ainsi que les distinctions communes au sein des désirs. Une fois notre objet d’étude délimité, nous débuterons notre exploration par la présentation de quatre facettes du désir qui constituent autant de dogmes : (i) les désirs s’accompagnent de l’apparence du bien; (ii) les désirs nous poussent à agir ; (iii) le monde doit se conformer à nos désirs (direction d’ajustement monde-esprit); et (iv) les désirs portent sur ce que nous ne pensons pas être réel (principe de la mort du désir). La troisième partie sera dédiée aux principales théories du désir dans la littérature contemporaine, en particulier la théorie évaluative (le désir comme évaluation positive) et la conception motivationnelle (le désir comme motivation à agir). Après avoir tenté de sonder le désir, nous investiguerons son importance. Dans la quatrième partie, nous explorerons trois types de désirs qui jouent un rôle primordial dans nos vies : l’espoir, la curiosité et le désir sexuel. La cinquième partie est consacrée à la question du rôle du désir dans la vie heureuse, particulièrement les théories désidératives du bonheur, des raisons pratiques et de la personnalité. Nous conclurons en abordant les vicissitudes épistémiques du désir ou leur pouvoir de nous faire baigner dans l’illusion (auto-duperie).

Avant de procéder, une remarque terminologique est de mise. Le terme « désir » est utilisé de façon ambigüe dans la littérature contemporaine. Les philosophes utilisent souvent le terme pour faire référence à ce qui nous motive à agir : les « pro-attitudes » (Davidson 2001). Dans cette catégorie tombent les désirs, besoins, préférences, croyances normatives, émotions, valeurs, principes et conventions sociales. Ce sens technique du terme « désir » diffère du sens étroit, selon lequel les désirs se distinguent des autres pro-attitudes mentionnées (Schueler 1995). L’exemple paradigmatique en est le désir de boire un café, de voter pour Hillary ou de voir Mexico. Cette entrée se concentre sur le désir au sens étroit.

  1. Préliminaires : Délimiter le désir

Quelle place occupe le désir dans notre esprit ? L’enjeu de cette section est de délimiter l’objet de notre investigation en présentant les distinctions pertinentes entourant le désir.

  1. Cartographier l’esprit

Regardez à l’intérieur de vous-mêmes. Vous y verrez des croyances, sensations, perceptions, angoisses, chagrins, plaisirs, amours, haines et désirs. Comment dessiner une « carte » de l’esprit afin de « localiser » le désir ?

  1. Cognitions et conations

La plupart des philosophes concordent à l’idée qu’il existe deux grandes familles de représentations mentales (Searle 1985). D’une part, la croyance, la perception, le souvenir, l’imagination et peut-être d’autres représentations sont des états cognitifs. Leur rôle est de représenter le monde, à l’instar des photographies ou assertions (« L’otarie s’amuse »). Par exemple, lorsque je crois qu’il pleut aujourd’hui à Brest, je vise à me représenter l’état réel du monde. Il en va autrement des désirs. Mon désir de me rendre à Montréal n’a pas pour fonction de dépeindre le monde tel qu’il est, mais de le modifier : mon désir me pousse à agir. Il s’agit d’une « conation » à l’instar des besoins, espoirs, souhaits, intentions ou préférences.

Bien que Platon et Aristote aient reconnu au désir son pouvoir de nous motiver à agir, le contraste entre désir et croyance est au cœur des enquêtes de Hobbes et Hume. Selon ce dernier, la raison nous révèle les faits et aboutit à la formation de croyances. Or, les croyances sont inertes. Seuls les désirs ou passions peuvent initier l’action : « la raison est et doit être l’esclave des passions » (Hume 2000). Cette conception de l’esprit est très influente. Elle est au cœur de l’approche fonctionnaliste de l’esprit et de la direction d’ajustement des représentations mentales (§2.2.-2.3). Le contraste entre cognition et conation est aussi à la base de la conception traditionnelle de l’action intentionnelle (Davidson 2001) et des modèles économiques de la prise de décision. Une action intentionnelle est un événement causé par un désir et une croyance instrumentale. Mon action de me rendre au café est causée par mon désir de café et ma croyance qu’ils servent du café à ce lieu.

Bien que dominante, cette conception huméenne de l’esprit est débattue. Certains pensent que nos croyances normatives (par exemple, ma croyance qu’il faut être végétarien) suffisent à nous faire agir (Nagel 1978, McDowell 1998, Dancy 2000). Pour d’autres, les désirs sont un type de cognitions (§3.1.2, 3.3). Cependant, le désir est majoritairement considéré comme la conation par excellence.

  1. Types de conations

Les intentions, besoins et préférences figurent aussi communément dans la partie conative de nous-mêmes. S’agit-il de types de désirs ou les désirs se distinguent-ils de ces conations ? (Pour les souhaits et espoirs, voire §2.2, 4.1.)

Désirs et besoins

Les désirs et les besoins sont intimement liés. Néanmoins, ils semblent distincts. Il est possible de désirer aller au cinéma sans en éprouver le besoin. Intuitivement, les besoins semblent plus importants et urgents que nos désirs : ils sont prioritaires (Frankfurt 1984). Satisfaire un besoin semble être une obligation morale et un droit, contrairement à la satisfaction d’un désir. Qu’est-ce à dire ?

Selon la conception standard aristotélicienne, les besoins portent sur ce qui est nécessaire à la survie d’un organisme ou de l’espèce (Reader & Brock 2004). Ainsi en va-t-il des besoins biologiques tels que la faim, la soif, le désir sexuel et d’autres. Or, certains besoins tels que les besoins psychologiques de contact ou d’amour ne sont pas nécessaires à la survie. Il est ainsi commun de considérer que les besoins portent sur ce qui est nécessaire au bien-être plutôt qu’à la survie de l’organisme (Thomson 1987, Wiggins 1987). En d’autres termes, la frustration d’un besoin s’accompagne nécessairement d’une souffrance significative et inévitable, voire de la mort.

La satisfaction des désirs est importante pour notre bien-être (§5.1). Ceci dit, la frustration d’un désir ne s’accompagne pas nécessairement d’une souffrance significative (plutôt que de déception ou tristesse passagère, par exemple). Mais qu’en est-il des désirs forts que nous éprouvons ? La frustration de tels désirs n’engendre-t-elle pas une souffrance considérable ? En réponse à cette question, certains ont proposé que la frustration des besoins est plus grave que celle de nos désirs car elle compromet notre autonomie (Doyal & Gough 1991).

D’autres critères de démarcation entre besoin et désir ont été proposés, tels que l’idée que les besoins s’accompagnent de manques (Wollheim 1974) ou qu’ils ne sont pas critiquables (Thomson 1987), contrairement aux désirs. La controverse la plus vive concerne la question pratique de savoir si et comment les besoins sont la base d’obligations morales et de droits (Brock & Hassoun 2013).

Désirs et intentions

Les désirs et les intentions sont les deux représentations qui semblent vouées à l’action par excellence. Etant donné ce lien étroit, certains estiment que les intentions sont un type de désir : le désir dominant (Ridge 1998, Sinhababu 2013). Avoir l’intention de faire quelque chose est le désir d’entreprendre cette action, un désir qui est parvenu à vaincre sur d’autres.

Toutefois, cette réduction des intentions au désir a été critiquée. Selon Bratman (1987), les intentions jouent un rôle indispensable dans la coordination personnelle et sociale à travers la planification. Lorsque nous formons une intention, nous nous engageons à agir d’une certaine façon. Or, cela n’est pas le cas d’un désir. Quand bien même je désire me rendre au musée ce soir, je ne suis pas nécessairement engagé à agir de la sorte ; je pourrais encore hésiter le moment venu. Une fois une intention formée, la question de savoir quoi faire est close, du moins momentanément. En mettant fin à la délibération, les intentions nous permettent de sortir de l’impasse que constituent nos multiples désirs. De plus, les intentions sont sujettes à des normes de cohérence distinctes de celles des désirs. Il est courant de désirer des états de choses incompatibles. Antigone désire sauver son frère et être loyale, deux désirs qui ne peuvent être satisfaits simultanément. La question de savoir en quoi les conflits de désirs sont problématiques est débattue (Marino 2009). L’intuition de Bratman est que les désirs incohérents ne sont pas irrationnels, contrairement aux intentions. Avoir l’intention d’aller à Paris et avoir l’intention d’aller à Bordeaux en même temps est clairement irrationnel, tandis que désirer ces deux états de choses est compréhensible. Malgré l’influence de la conception bratmanienne, certains soutiennent que les intentions sont un type de désir (Sinhababu 2013).

D’autres distinctions entre intention et désir ont été proposées. Par exemple, certains estiment que l’intention implique de croire que nous réaliserons l’action, contrairement au désir (Davis 1984, Velleman 1989).

Désirs et préférences

Les préférences sont constituées par la valeur comparative du meilleur : l’on préfère une chose à une autre (Yansson & Grüne-Yanoff 2011). Or, les désirs semblent différents. Nous désirons des états de choses. Cela ne semble faire appel à aucune valeur comparative et suggère que les désirs sont distincts des préférences.

Cependant, il se pourrait qu’il ne s’agisse là que d’une distinction apparente. Pour certains, les préférences sont les degrés de désirs (Pettit 1998) : préférer x à y est désirer davantage x que y. Pour d’autres, les désirs sont des préférences : désirer p est préférer p à non p (Broome 1999). En plus de la question de la réduction, se pose la question de la priorité entre désir et préférence (Pollock 2006). Les désirs sont-ils explicables par les préférences ou est-ce l’inverse ? Ceci dit, de nombreux auteurs utilisent les termes « désir » et « préférence » de façon interchangeable, notamment dans la théorie de la décision.

  1. Variétés du désir

Dans le langage courant, nous utilisons le terme « désir » avant tout pour faire référence à un désir conscient, qui dure peu de temps et est souvent d’ordre sexuel. Or, l’usage du terme dans la littérature philosophique est bien plus large, comme en témoignent les principales distinctions au sein du désir.

  1. Désirs occurrents et dispositionnels

J’ai envie d’une glace. Ce désir s’accompagne d’un certain effet. Il occupe mon attention. Il n’est que passager. Il s’agit d’un exemple classique de désir épisodique ou occurrent. Tout désir n’est pas ainsi. Roméo désire que Juliette soit heureuse. Parfois, ce désir lui traverse l’esprit et lui fait de l’effet. Mais ce désir persiste même lorsque Roméo ne pense pas à Juliette et ne ressent rien, par exemple lorsqu’il dort. Ce désir peut même l’accompagner toute sa vie. Il s’agit d’un désir dispositionnel. Autrement dit, les désirs occurrents tendent à occuper notre attention, être conscients et éphémères, alors que les désirs dispositionnels sont inconscients, n’occupent pas notre attention et durent typiquement plus longtemps (Döring & Eker 2017).

Un désir dispositionnel a tendance à se manifester en désirs occurrents. En tant que dispositions, ces désirs latents peuvent se réveiller tantôt. Le désir pour le bien-être de Juliette se manifeste par le désir épisodique qu’elle se remette de son entorse. Les désirs dispositionnels sont souvent causés par un désir occurrent. Lorsque Roméo s’est aperçu qu’il tenait à Juliette, il a éprouvé le désir qu’elle se porte bien, un désir qui est devenu dispositionnel. Toutefois, il se peut que certains désirs dispositionnels (pour le plaisir, par exemple) soient innés et ne soient précédés d’aucun désir occurrent (Schroeder 2004).

  1. Désirs conscients et inconscients

La distinction précédente a révélé que certains désirs sont inconscients. Ce que nous entendons par « inconscient » n’est pas nécessairement lié à la conception psychanalytique selon laquelle nous réprimons certains désirs. L’on peut distinguer au moins trois sens de désir inconscient (voire la discussion à propos des émotions chez Deonna & Teroni 2012).

    Les désirs dispositionnels sont inconscients au sens où ils sont phénoménologiquement silencieux et n’occupent pas notre attention, bien que l’on tende à les ressentir et à y prêter attention dans un contexte donné, à l’instar du désir de Roméo pour le bien-être de Juliette.

    Certains désirs sont inconscients au sens où nous ne savons pas que nous avons de tels désirs. Il nous arrive de réaliser que nous désirons une certaine chose. Malgré notre accès privilégié à nos désirs, nous ne sommes pas infaillibles à leur propos. Cela touche à la question de la connaissance de nos désirs (Byrne 2012, Ashwell 2013).

    Parfois nous ne nous avouons pas un certain désir parce que cela serait trop douloureux. Il s’agit là d’un possible troisième type de désir inconscient qui se rapproche du sens psychanalytique de l’inconscient comme espace de nos désirs, souvenirs et affects refoulés. Il arrive ainsi que nous nous mentions à nous-mêmes à propos de nos désirs (§6).

    Existe-t-il des désirs inconscients au sens où ces désirs ne se manifestent jamais à notre conscience ni n’orientent notre attention ? L’impact du désir sur l’attention que révèle la littérature empirique nous invite à en douter (§3.4).

iii. Désirs intrinsèques et extrinsèques

Un désir intrinsèque porte sur un état de choses pour sa valeur intrinsèque, c’est-à-dire la valeur de l’état de choses en lui-même. Par exemple, lorsque je désire que Marie soit heureuse, je désire cet état de choses pour lui-même. Mais lorsque je désire prendre un vol pour Naples, mon désir s’explique par un autre désir, par exemple le désir d’être à Naples. Certains désirs sont instrumentaux : ils portent sur un moyen de réaliser un autre désir. La distinction entre fins ou biens recherchés en eux-mêmes et fins ou biens instrumentaux remonte au moins à Aristote. Nos désirs intrinsèques engendrent des désirs instrumentaux par le biais de croyances instrumentales. Mon désir d’offrir des fleurs à Marie s’explique par mon désir pour son bien-être et ma croyance que cela lui procurera du plaisir. Certains désirs sont à la fois intrinsèques et instrumentaux. Par exemple, je peux désirer que mon équipe favorite gagne le championnat de façon intrinsèque, mais aussi parce que je pense que cela est un moyen de séduire Maria (Arpaly & Schroeder 2013). Certains estiment que seul le désir pour le plaisir est intrinsèque (Pollock 2006), à l’instar de John Stuart Mill. Mais il est naturel de penser que les désirs peuvent porter sur d’autres biens intrinsèques tels que la justice, le savoir, la beauté, etc. Les désirs instrumentaux sont un type de désir extrinsèque, la désirabilité de l’objet dépendant d’autre chose que de lui-même. Mais il existe des désirs extrinsèques non instrumentaux (Chang 2004). Puisque les désirs sont étroitement liés aux valeurs, il n’est pas étonnant qu’ils admettent d’une telle variété.

  1. Objets de désir

En tant que représentations mentales, les désirs se caractérisent par l’intentionnalité (Searle 1985). Nos désirs portent toujours sur quelque chose, leur objet ou contenu. Désirer manger un tiramisu est à propos du tiramisu; désirer que Juliette vienne au bal porte sur l’état du monde dans lequel Juliette vient au bal.

Ontologiquement parlant, nous désirons toute une série de choses, telles que des actions (nager), des événements (que Roger gagne le championnat), des substances (un espresso), ou des états (rester à New York). Les expressions linguistiques de l’objet de nos désirs en verbes, clauses propositionnelles ou substantifs sont le miroir de cette variété. Existe-t-il un objet privilégié de désir ?

Il est courant de penser que les désirs portent sur des états de choses. Ainsi, les désirs pour des actions, événements ou substances peuvent être reformulés en termes d’états de choses : mon désir de nager est le désir à propos de l’état de choses dans lequel je nage, etc. (Humberstone 1990).

Certains en concluent que les désirs ont nécessairement un contenu propositionnel, comme les croyances. Considérons mon désir d’aller à la plage demain. La modification adverbiale (« demain ») porte sur le contenu de mon désir. Ce que je désire est de me rendre à la plage demain – un désir que j’éprouve maintenant. Or, si le contenu des désirs admet une modification adverbiale, le contenu du désir doit être d’ordre propositionnel (Searle 1985). Cette idée a longtemps prévalu étant donné l’emphase sur les désirs et croyances comme base du comportement.

Toutefois, certains s’opposent à cette thèse (Ben-Yami 1997). Les attitudes propositionnelles requièrent la maîtrise de concepts (Thagard 2006). Afin de croire qu’il pleut, l’on doit posséder le concept de pluie. Or, de nombreuses créatures telles que des animaux non-humains ou les nouveau-nés ont des désirs sans pour autant maîtriser les concepts pertinents. Lorsque mon chien a soif, déploie-t-il le concept de boisson ? Les désirs ne sont donc pas nécessairement des attitudes propositionnelles et peuvent avoir un contenu non-conceptuel, à l’instar de ce qu’il est commun de penser de la perception.

Une réponse possible à cette objection fait appel à l’idée que les créatures mentionnées éprouvent des besoins ou instincts qui sont des états distincts du désir (Gregory 2017). Si l’on veut préserver l’intuition que ces créatures ont des désirs, l’on pourrait faire appel à une conception plus primitive des concepts (Schroeder 2006), selon laquelle ces créatures maîtrisent des concepts. La question de savoir si les désirs se distinguent en désirs propositionnels et non propositionnels demeure donc débattue (Lycan 2012, Sinhababu 2015).

Notre objet d’étude est désormais délimité. Il est temps d’en entamer l’exploration.

  1. Les dogmes du désir

Roméo désire retrouver Juliette. Il pense que la revoir serait une bonne chose. Il ferait tout pour cela. Idéalement, le monde devrait se conformer à son désir afin que celui-ci soit satisfait. Lorsqu’il l’aura retrouvée, son désir laissera place à la joie et s’évanouira. De prime abord, il s’agit là de l’histoire commune d’un désir. Dans cette section, nous examinerons chaque facette décrite et correspondant à autant de dogmes du désir: (1) l’apparence du bien, (2) la motivation, (3) l’idée que le monde doive correspondre à nos désirs (direction d’ajustement), et (4) l’intuition que nous désirons ce que nous ne pensons pas être réalisé.

  1. L’apparence du bien

Lorsqu’Emma désire manger un tiramisu, cet état de choses lui apparaît sous un jour positif: il lui semble bon, par exemple agréable. Certes, les apparences sont parfois trompeuses et il se peut que manger ce tiramisu ne soit pas une bonne idée. Mais tant qu’elle éprouve ce désir, elle ne peut s’empêcher d’y « voir » quelque chose de bon. Le sens pertinent du terme « bon » n’est pas nécessairement moral et recouvre toute valeur positive (plaisant, moralement bon, juste, etc.).

De Platon à Aristote, en passant par Thomas d’Aquin, Hobbes et d’autres, les philosophes ont observé que l’on ne peut désirer quelque chose sans le concevoir comme bon d’une certaine façon. La scolastique médiévale en a fait un slogan : rien n’est désiré si ce n’est à la lumière du bien (« nihil appetimus, nisi sub ratione boni »). Comment Roger pourrait-il désirer gagner le championnat sans y « voir » un certain bien ? En d’autres termes, les désirs impliquent une évaluation positive de leur objet (Raz 2010, Tenenbaum 2013).

Imaginez que je désire un clou ou un pot de boue (Anscombe 1963). « Pourquoi désire-je cela ? », vous demanderez-vous. Est-ce pour bricoler ou gagner un pari ? En posant de telles questions, nous sommes à la quête d’une caractérisation de la désirabilité ou valeur positive de l’objet de désir. Il semble donc que les désirs ne soient compréhensibles qu’à travers une caractérisation positive de leur objet. D’autres cas de désirs énigmatiques sont le désir de compter les brins d’herbe ou d’un café pour l’amour de Sophocle.

Continuons le catalogue des bizarreries. Monsieur Radio (Radioman de son nom originel) ne peut s’empêcher d’enclencher la radio dès qu’il en croise une (Quinn 1993). Il ne fait pas cela afin d’écouter la radio ni parce que cela lui procure du plaisir. Il ne voit aucun bien dans cette action. Désire-t-il allumer chaque radio qu’il rencontre ? Intuitivement, la réponse semble négative. Il s’agit là plutôt d’un trouble compulsif, semblable au syndrome de La Tourette. Bien que cet état mental joue le rôle fonctionnel du désir, à savoir nous motive à agir, il n’est pas à même de rationaliser l’action. Les désirs rationalisent le comportement à condition qu’ils s’accompagnent d’une évaluation (Quinn 1993, voire cependant Döring & Eker 2017).

Le principe de l’apparence du bien semble plausible. Retirez l’évaluation positive et vous en perdrez le désir, son intelligibilité et son pouvoir rationnel. L’intuition résiste-t-elle à l’analyse ?

  1. La faiblesse du désir

Serge sait que fumer est une mauvaise idée. Pourtant il désire cette cigarette. N’est-ce pas un contre-exemple à l’idée que le désir s’accompagne de l’apparence du bien ? Seuls les désirs rationnels s’accompagnent-ils d’une évaluation positive ? Au moins deux réponses à ce contre-exemple viennent à l’esprit. Premièrement, il se peut qu’il s’agisse d’un conflit de croyances/jugements. Serge croit que fumer serait plaisant tout en croyant que fumer serait néfaste. Nos jugements évaluatifs peuvent être partiels en tant qu’ils se concentrent sur un critère d’évaluation (pro tanto) plutôt que sur tous les critères pertinents (pro toto). Le désir de fumer pourrait donc s’expliquer par un jugement évaluatif partiel en conflit avec l’évaluation négative globale. Deuxièmement, le principe de l’apparence du bien ne nécessite pas que l’évaluation positive prenne la forme d’un jugement plutôt que d’une apparence de bien (§3.1). Tout comme je peux avoir l’impression qu’un bâton flottant est cassé tout en sachant qu’il ne l’est pas, il arrive que nous ayons l’impression qu’une chose soit bonne en sachant qu’elle ne l’est pas (Oddie 2005). Il n’est pas clair que de tels cas constituent des contre-exemples au principe.

  1. Les désirs sataniques

Satan désire le mal. Augustin avoua que son désir de voler une poire était motivé uniquement par l’interdit. De même, les personnes dépressives éprouvent parfois des désirs destructeurs pour l’amour du mal (Stocker 1979). Tantôt nous désirons flirter avec le mal en tant que mal (Velleman 1992)! Toutefois, le partisan de l’apparence du bien sera enclin à rétorquer que les désirs sataniques s’accompagnent tout de même d’une apparence de bien (Oddie 2005). Satan a l’impression que le mal est une bonne chose, bien qu’il en juge peut-être autrement. Cette impression ne retire rien de la nature diabolique d’un tel attachement ou des actions lucifériennes.

  1. Le dogme de la motivation

Juliette désire quitter Vérone. Peut-être ne sait-elle pas comment réaliser ce désir. Peut-être a-t-elle peur de le satisfaire. Peut-être doute-t-elle. Mais il semble indéniable qu’elle soit disposée à le réaliser. Le désir – la pro-attitude ou conation par excellence – nous pousse à agir. Il s’agit du dogme principal concernant les désirs. Comme le disait Anscombe (1963), le signe le plus primitif d’un désir est la tentative de le réaliser.

L’idée que les désirs entretiennent un lien essentiel avec l’action remonte à Platon et Aristote. Selon ce dernier, les désirs sont ce qui permet le mouvement animal. Mais l’idée a surtout été rendue populaire par David Hume et sa dichotomie de l’esprit selon laquelle seuls les désirs nous motivent à agir (§1.1.1). Cette facette est en parfait écho avec le fonctionnalisme. Selon cette approche très populaire, les représentations mentales se caractérisent par leur rôle fonctionnel (Armstrong 1968, Stalnaker 1984). Une croyance  est le type de représentation qui a pour fonction de représenter le monde. Puisque la fonction des désirs semble être de nous motiver à agir, il s’agit là de leur essence. Mais n’y a-t-il pas des exceptions à cette facette motivationnelle, à savoir des désirs inertes ?

  1. Souhaits et espoirs

Je souhaite l’immortalité. Cependant, je ne suis pas motivé à la réaliser. En effet, nos sommes motivés à réaliser les états de choses que nous considérons être en notre pouvoir. Or, les souhaits et dans une certaine mesure les espoirs ont pour objet des états qui dépassent notre pouvoir, tel que l’immortalité. Ces désirs ne s’accompagnent donc pas nécessairement de motivation. Certains en ont conclu que les souhaits et espoirs sont des états distincts du désir (Anscombe 1963) ou sont des désirs dysfonctionnels (Millikan 2005). Mais cela semble contre-intuitif (Mele 2003). A vrai dire, il semble que les espoirs et souhaits s’accompagnent de dispositions à agir (Armstrong 1968). Si j’en venais à croire que je pouvais réaliser mon souhait (par exemple, on m’offre la pilule de l’immortalité), je le ferais. Les souhaits et espoirs sont donc compatibles avec la force motivationnelle du désir.

  1. Désirs excluant l’action

Certains désirs semblent logiquement exclure l’action. Par exemple, lorsque Sam désire gagner le concours sans interférer avec le comité, son désir est passif par définition (Schroeder 2004). Mais il semble que même dans ce cas, le désir nous dispose à agir (Wall 2009). En désirant que le comité me choisisse sans que j’interfère, je suis disposé à éviter d’influencer le processus de décision. De tels désirs ne sont pas aussi passifs qu’ils le paraissent.

iii. Les contemplateurs du ciel

Imaginez des créatures désirant qu’il fasse beau, mais complètement inertes, car leur système d’agentivité est anéanti (les « Weather Watchers », Strawson 2009). Ce scénario suggère que l’on peut concevoir des créatures désirantes sans aucune disposition à agir et que le lien entre désir et action est plus ténu que ce que l’on pourrait penser. Cet exercice imaginatif trouve à vrai dire des échos dans des cas cliniques. A un stade avancé de la maladie de Parkinson, les patients sont incapables d’agir. Or, ils ne semblent pas avoir perdu leurs désirs pour autant (Schroeder 2004). Ces personnes demeurent-elles disposées à agir ? Si elles pouvaient le faire, elles agiraient pour satisfaire leurs désirs (Smith 1998). Toutefois, cela semble faire fi de la possibilité que leur système d’agentivité soit complètement corrompu.

  1. La direction d’ajustement

Comme indiqué, il est courant de diviser l’esprit entre états cognitifs et motivationnels (§1.1.1). Ce contraste est au cœur de la métaphore de la direction d’ajustement des représentations.

Considérez la phrase « Il pleut à Londres ». Il s’agit d’une assertion, à savoir l’acte de langage qui a pour fonction de représenter le monde. Imaginez qu’en réalité il ne pleut pas à Londres. Il y a un fossé entre la représentation linguistique et le monde. Il est évident que la phrase doit être modifiée – et non le monde ! Les mots doivent s’ajuster au monde (direction d’ajustement mot-monde). Considérez maintenant la phrase suivante : « Passe-moi le poivre ! ». Tant que l’on ne me passe pas le poivre, il y a un fossé entre la phrase et le monde. Mais cette fois-ci le monde doit changer – non la phrase. Il s’agit là de la fonction des actes de langage tels que les ordres, prières, demandes et promesses. Ces représentations ont la direction monde-mot : le monde doit s’ajuster à nos dires (Searle 1985). Cette distinction s’étend à d’autres types de représentations. Considérez la liste de mots : « poivre, pâtes, basilic, pignons ». Il peut s’agir d’une liste de courses, auquel cas le monde doit s’y ajuster. Mais elle peut aussi constituer le rapport d’un détective répertoriant les achats d’un suspect, auquel cas la liste doit correspondre au monde (Anscombe 1963).

Ce même contraste caractérise l’esprit (Searle 1985). Sam croit qu’il pleut, alors qu’il ne pleut pas. Sa croyance est fausse et c’est à elle de changer – non au monde. Les croyances et plus généralement les cognitions (la perception, le souvenir, etc.) ont la direction d’ajustement esprit-monde : l’esprit doit se conformer au monde. Mais lorsque Maria désire qu’il pleuve alors qu’il ne pleut pas, rien ne cloche avec son désir. Modifier son désir parce que celui-ci est frustré serait inapproprié, un cas de mauvaise foi, ressentiment ou imposture. Dans ce cas, c’est au monde de se conformer à son désir. Les désirs et conations comme les intentions, besoins, espoirs et autres ont la direction d’ajustement monde-esprit : le monde doit y correspondre.

La direction d’ajustement monde-esprit est considérée comme une propriété essentielle du désir. Comment comprendre cette idée exactement ? Le débat concerne l’interprétation correcte de la métaphore ainsi que son bien-fondé. Vu les difficultés d’interprétation, certains ont conclu que cette métaphore est vide de sens.

  1. L’interprétation fonctionnaliste

D’après l’interprétation standard, les directions d’ajustement correspondent aux rôles fonctionnels (Searle 1985, Smith 1994). Les croyances et affirmations ont pour fonction de représenter le monde. Dès lors, c’est à elles de changer en cas d’erreur. Par contraste, les désirs et actes de langage qui les expriment (ordres, demandes ou prières) ont pour fonction de modifier le monde. En cas de fossé entre le désir et le monde, le désir ne doit pas être modifié : le sujet doit agir afin d’atteindre la satisfaction. L’interprétation classique s’aligne donc sur l’idée que les désirs sont des états motivationnels.

Cette interprétation est compatible avec la possibilité que certaines représentations aient deux directions d’ajustement. Ainsi, les danses des abeilles indiquent la localisation du nectar, mais aussi exhortent les abeilles à s’y rendre. Ces représentations – les Pushmi-Pullyu ou « croisirs » – sont cognitives et directives à la fois (Millikan 1995). Pour certains, les déclarations (Searle 1995), l’espoir (Schueler 1991) et les sensations d’agentivité (Bayne 2010) ont les deux directions d’ajustement. Certains estiment même que cela est vrai des désirs (Oddie 2005, Railton 2017) : ils ont pour fonction de nous motiver à agir (monde-esprit) et de nous présenter ce qui est désirable (esprit-monde).

Smith (1994) a proposé de caractériser ces rôles fonctionnels à l’aide de contrefactuels. Lorsque le sujet perçoit que non p, il tend à modifier sa croyance que p. Quant au désir, percevoir que non p ne s’accompagne pas d’une telle tendance, mais de la tendance à agir de sorte à réaliser p. Cette caractérisation a toutefois été critiquée (Sobel & Copp 2001). Par exemple, les sujets bornés continuent de croire certaines choses malgré l’évidence du contraire. De même, un supporter de Milan pourrait cesser de désirer que son équipe gagne aussitôt qu’il s’aperçoit qu’une défaite s’annonce. L’on pourrait rétorquer que ces cas sont irrationnels et que les tendances en question concernent la fonction des représentations, comme le veut l’interprétation classique.

  1. Problèmes et alternatives

Or, certains états mentaux résistent à celle-ci. L’imagination semble être un état cognitif. Or, imaginer un état de choses qui n’est pas réel (tel qu’un éléphant dans cette pièce) n’est pas problématique contrairement aux croyances (Velleman 1992). Le fossé entre l’esprit et le monde n’implique pas que la représentation imaginative doive être modifiée. De même, l’espoir semble être un type de conation. Or, sa direction d’ajustement ne peut être interprétée en termes de fonction d’agir car les objets d’espoir ne sont pas en notre pouvoir (Schueler 1991). Certains ont conclu que la métaphore de la direction d’ajustement était vide (Sobel & Copp 2001, Milliken 2008, Frost 2014).

Néanmoins, plusieurs tentatives de sauver la métaphore ont été proposées. (1) Pour d’aucuns, la direction d’ajustement concerne les relations de justification. Les croyances sont justifiées par d’autres cognitions, telles que la perception, alors que le désir justifie les intentions et actions (Zangwill 1998, Gregory 2012), la croyance visant le vrai alors que le désir vise le bien (Tenenbaum 2006). (2) Une alternative plus influente fait appel à l’idée que certaines représentations obéissent à des principes régulateurs ou intentions implicites (Humberstone 1992). Les croyances sont constituées par la norme de croire le vrai. Par contraste, les désirs obéissent au principe régulateur selon lequel le sujet doit agir lorsque son désir est frustré. Récemment, certains ont proposé que la direction d’ajustement concerne la façon dont les états mentaux représentent leur contenu (le mode intentionnel). (3) Désirer un état de choses est se le représenter comme un impératif (Archer 2015), un mode analysé par le rôle inférentiel du désir dans la rationalité pratique. (4) Selon Meinong (1972), les désirs sont des représentations d’états de choses comme devant être, ce mode capturant la façon dont nous nous représentons le monde à la première personne (Lauria 2016, 2017). Puisque les normes sont telles que le monde doit y correspondre, le monde doit eo ipso se conformer à nos désirs. En l’absence d’une conception claire de la métaphore, un voile sceptique plane sur sa valeur.

  1. Le principe de la mort du désir

Roméo désire retrouver Juliette. Les voilà enfin réunis. Soudain Roméo murmure à Juliette qu’il désire la retrouver. Cela laisse Juliette perplexe. Pourquoi désire-t-il les retrouvailles qui viennent de se produire ? Peut-être désire-t-il la revoir encore, un désir qui semble différent du simple désir de l’avoir retrouvée. Mais son désir de retrouvailles appartient désormais au passé.

De Platon à René Descartes, Hobbes, John Locke, Jean-Paul Sartre et la théorie de la décision, les philosophes ont souvent observé que l’on ne peut désirer ce qui est réel (Kenny 1963). Les désirs portent sur les absences ou ce qui n’est pas réalisé. Une nuance est de mise. Jeanne désire gagner le concours quand bien même elle l’a gagné (à son insu). L’on peut donc désirer un état réel. Il semble plutôt impossible de désirer ce que l’on se représente comme réel (perçoit ou croit être réel), du moins à partir d’un certain degré de croyance (Boghossian 2003, Oddie 2005). Appelons cela le « principe de la mort du désir » (Lauria 2016). Un désir meurt lorsqu’on se représente que son contenu est réalisé ou, ce qui revient au même, lorsqu’on se représente que le désir est satisfait. Désire-t-on uniquement des états représentés comme non actuels ?

  1. Le présent

Il pleut et je désire que ma voiture soit au sec. Or, je crois que ma voiture est au sec. Je désire donc ce que je crois être réel (Heathwood 2007, Oddie 2017). Toutefois, l’on pourrait observer que ces apparences sont trompeuses. Ce désir porte sur la persistance du présent dans le futur. Je désire que ma voiture reste (dans le futur) là où elle est (maintenant). Or, je ne crois pas que cet état de choses futur est déjà réalisé (Lauria 2014 ; sur la spécificité du contenu du désir, voire Fara 2013).

  1. Etats de choses généraux

Je crois que je respecte les personnes. Or, cela ne m’empêche pas de désirer les respecter. Ceci dit, une fois encore, il est plausible de considérer que je crois respecter les personnes jusqu’à cet instant, alors que je désire continuer à respecter les personnes dans le futur. Or, ce désir porte sur des états de choses que je me représente comme n’étant pas encore réalisés.

iii. L’explication du principe

Si ce principe était vrai, que révèlerait-t-il des désirs ?

(1) Il ne peut s’expliquer par l’idée que les désirs portent nécessairement sur le futur (Sumner 2000). En effet, il est possible de désirer des états de choses passés, tel que mon désir ou souhait que Maria soit bien arrivée. Or, ces désirs aussi s’éteignent aussitôt que nous croyons que l’état de choses passé s’est réalisé.

(2) L’explication la plus courante du principe est d’obédience motivationnelle-fonctionnaliste. Si les désirs ont pour fonction de nous motiver à agir, il n’est pas étonnant que se représenter un désir satisfait éteigne le désir, puisque le désir a alors perdu sa raison d’être (Dretske 1988).

(3) Plus récemment, l’explication meinongienne du principe a été ravivée (Lauria 2016). Selon Meinong, désirer est se représenter un état de choses comme devant être. Or, les normes portent nécessairement sur ce qui n’est pas encore réalisé. Si je dois aller à Paris, c’est que je n’y suis pas encore. Par conséquent, les désirs portent sur ce que nous ne croyons pas être réel en vertu de la norme qui caractérise leur mode intentionnel.

(4) Enfin, Schopenhauer a tiré du principe la conclusion dramatique que les désirs rendent malheureux. Puisque nos désirs portent sur ce qui n’est pas réel, ils s’accompagnent de déplaisir et nous éloignent de la félicité (Billon 2016).

  1. Qu’est-ce qu’un désir ?

Dans la tradition philosophique occidentale, il existe deux conceptions classiques du désir. L’une fait appel à la dimension évaluative du désir (§3.1), alors que la seconde exploite la facette motivationnelle (§3.2). Dans cette section, je présente ces conceptions, ainsi que deux alternatives proposées récemment (§3.3-3.4).

  1. Désir et bien : la conception évaluative

Comme indiqué (§2.1), il semble impossible de désirer une chose sans y voir un grain de bonté. Selon la conception évaluative, il s’agit là de l’essence du désir : un désir est une évaluation positive de son objet. Par exemple, désirer boire un espresso est se représenter l’état dans lequel l’on boit un espresso comme bon (par exemple, plaisant).

Cette conception ancienne – Aristote semblait y souscrire (Moss 2012) – fait du désir une dimension primordiale de nos vies en tant qu’expérience du bien. En ce sens, cette approche s’aligne avec la conception classique des émotions : les émotions sont des représentations des valeurs telles que le juste, l’injuste, le beau, le laid, le dangereux, etc. (Tappolet 2000). Par exemple, être effrayé est faire l’expérience d’un danger ; être transporté par une pièce musicale consiste en en éprouver la beauté. Désirs et émotions sont centraux en tant que cognitions des valeurs, c’est-à-dire de ce qui importe. Comment comprendre l’idée que les désirs sont des cognitions du bien?

L’on peut distinguer au moins quatre variantes de la conception évaluative : la thèse hédoniste (§3.1.1), doxastique (§3.1.2), le modèle perceptuel (§3.1.3) et la théorie du mode (§3.1.4).

  1. La thèse hédoniste

Selon la variante hédoniste, désirer un état de choses est se le représenter comme plaisant. Il semble en effet difficile de désirer une chose sans en attendre un certain plaisir, aussi éphémère ou infondé soit-il (Sinhababu 2017). D’ailleurs, la satisfaction de nos désirs tend à nous procurer du plaisir. Mill définit même le désir comme la disposition à éprouver du plaisir (Strawson 2009).

Un désir est-il pour autant l’anticipation d’un plaisir ? G. E. Moore (1903) en a douté. Lorsque nous désirons des choses, nous ne nous représentons pas nécessairement le plaisir qu’elles nous procureraient. Quand bien même les désirs tendraient au plaisir, le plaisir ne fait pas nécessairement partie de leur objet et ne pourrait être qu’un effet typique de la satisfaction du désir. De plus, certains neuroscientifiques suggèrent que les désirs ne mènent pas nécessairement au plaisir ni ne s’accompagnent nécessairement d’une telle anticipation (Berridge & Robinson 1998). Plutôt que d’expliquer le désir par le plaisir, l’on pourrait analyser le plaisir en termes de désir : nous éprouvons du plaisir lorsque nous nous représentons un désir satisfait (Schroeder 2004). Quoi qu’il en soit des relations entre plaisir et désir, l’approche dominante est de considérer les désirs comme des évaluations positives qui concernent tout type de bien, du plaisant au sublime, juste, intéressant, comique, etc.

  1. La thèse doxastique

Une seconde variante conçoit les désirs comme des jugements ou croyances évaluatifs (Davidson 2001, Quinn 1993). Désirer voir Hamlet est croire/juger que voir Hamlet est une bonne chose. Cette thèse d’esprit stoïcien est en général rejetée sur la base de trois problèmes.

Intellectualisation

Les jugements/croyances sont des représentations sophistiquées au sens où elles portent sur des propositions et nécessitent de déployer des concepts. Croire qu’il pleut implique de déployer le concept de pluie. Or, certains animaux non-humains et les nouveau-nés ont des désirs sans maîtriser de concepts (Friedrich 2017). Cet argument peut être rejeté en montrant que ces créatures maîtrisent des concepts ou en estimant qu’elles éprouvent des instincts plutôt que des désirs (§1.5).

Le conflit entre désir et jugement évaluatif

Il est commun de désirer des choses que l’on juge/croit être mauvais, par exemple en cas d’addiction. Selon la conception doxastique, ce conflit naît de la présence de deux jugements évaluatifs opposés : je juge que fumer est mauvais (par exemple, dangereux) tout en jugeant que fumer est bon (par exemple, plaisant). Mais n’est-ce pas une description rendant le conflit impossible ou, du moins, trop spectaculaire (voire Tappolet 2000 pour la variante émotionnelle du même débat)? D’ailleurs, il nous arrive de juger qu’une chose est bonne sans en éprouver le désir, comme lorsque je juge qu’il serait bon d’aller faire du sport sans en avoir aucune envie (Ashwell 2017).

Bayesianisme

Selon le modèle principal de la prise de décision, notre comportement est déterminé par nos croyances et par le désir ou utilité. Ainsi, nous régulons nos désirs et croyances de façon dynamique sur la base de diverses représentations de probabilités. Si les désirs sont des croyances évaluatives, ils devraient être régulés de la même façon que celles-ci. Or, David Lewis a défendu que cela n’est pas le cas : une telle régulation mène à des contradictions notamment lorsqu’il s’agit de réguler nos désirs suite à leur satisfaction (Lewis 1988, 1996, Engel 2015). Puisque le bayesianisme est le modèle principal de l’action, la faute en incombe à la conception doxastique (voire cependant Price 1989, Byrne & Hájek 1997).

iii. Le modèle perceptuel

Selon la variante la plus populaire, les désirs sont analogues à des perceptions de valeurs. Désirer un mojito est percevoir ou avoir l’impression que ce cocktail est bon (Stampe 1987, Oddie 2005, 2017, Tenenbaum 2007). Puisque ce modèle fait appel à la perception, il peut facilement accommoder les désirs de créatures ne maîtrisant pas de concepts. Tout comme la perception visuelle nous donne accès aux formes et aux couleurs, le désir nous fait découvrir le bien. Cela leur procure une valeur épistémique importante. Si l’on file l’analogie, les désirs fondent et justifient nos jugements évaluatifs (Oddie 2005, Tenenbaum 2007), à l’instar de la perception justifiant nos jugements perceptuels. Certes, nous sommes parfois victimes d’illusions: tout comme il nous arrive d’avoir de fausses impressions perceptuelles, nos désirs ou apparences du bien sont parfois erronés. Ces illusions permettent d’ailleurs de rendre compte du conflit entre nos désirs et nos jugements évaluatifs (Stampe 1987). Enfin, la perception est fondamentalement une affaire de perspective : le monde nous apparaît d’après un point de vue. De façon analogue, les désirs sont autant de perspectives axiologiques : le monde nous apparaît désirable selon nos valeurs (Oddie 2005, Tenenbaum 2009). Toutefois, l’analogie avec la perception est discutable.

L’inconscient

De nombreux désirs sont inconscients, par exemple les désirs dispositionnels. Comment une impression de valeurs peut-elle être inconsciente (Oddie 2005, Döring & Eker 2017) ?

Le présent

La perception porte sur le présent. Or, comme nous l’avons soulevé, nous désirons ce que nous ne croyons pas être réel. Le modèle perceptuel ne semble donc pas être à même de saisir le principe de la mort du désir (Lauria 2014, 2017 ; voire cependant Oddie 2017).

Rationalité

Nous régulons nos désirs en répondant aux raisons. Or, les impressions ne sont pas sensibles aux raisons. La conception perceptuelle ne capture pas le contrôle sur nos désirs (Gregory 2017).

Contenu

Malgré le lien entre désir et bien, les objets de désir semblent être des états de choses tels que manger un risotto, courir dans les prés, embrasser Juliette, etc. – et non le bien, comme l’analogie perceptuelle le suggère (Schroeder 2008; Deonna & Teroni 2012 pour la version émotionnelle du problème).

  1. Le mode évaluatif

Il est naturel de penser que les types de représentations mentales sont autant de façons de représenter le monde. Croire qu’il pleut ou désirer qu’il pleuve sont des façons différentes de représenter le même état de choses. Appelons cette façon un « mode intentionnel ». Selon Friedrich (2012), les désirs sont des représentations d’états de choses comme bons, où la valeur positive caractérise leur mode intentionnel. Ce mode consiste en l’expérience d’un besoin. Désirer un limoncello est faire l’expérience d’un besoin pour cette boisson. Cette caractérisation n’est-elle pas trop forte étant donné la distinction entre désirs et besoins (§1.1.2.1) ?

  1. La conception évaluative et les facettes du désir

Certains problèmes concernant la conception évaluative, quelle qu’en soit la variante, peuvent être soulevés. Puisqu’il s’agit là d’un débat très récent, contentons-nous de mentionner les critiques brièvement. Toute variante de la conception évaluative sera problématique si certains désirs ne s’accompagnent pas d’évaluation positive (§2.1, Döring & Eker 2017). De plus, il n’est pas évident que la conception évaluative saisisse la direction d’ajustement du désir (Lauria 2017). Pourquoi le monde devrait-il se conformer à nos évaluations ? De même, nous pouvons évaluer la réalité comme bonne. Pourquoi serait-il impossible de désirer ce qui nous semble réel (Lauria 2016) ? Enfin, certains doutent que la conception évaluative capture la phénoménologie du désir (Ashwell 2017) et soit compatible avec les résultats neuroscientifiques (Schroeder 2017) et l’explication des désirs par les évaluations (Lauria 2017). Concernant la plupart de ces facettes, la conception motivationnelle semble plus prometteuse.

  1. Désir et action : la conception motivationnelle

Comme souligné (§2.2), il est intuitif de penser que les désirs nous poussent à agir. Selon la conception motivationnelle, il s’agit là de leur facette essentielle. Les désirs importent en tant qu’impulsions à l’action. Sans eux, nous serions apathiques et incapables de réaliser nos buts. Cette conception s’aligne sur l’approche fonctionnaliste de l’esprit (§2.2). Puisque la fonction du désir est de nous motiver à agir, il s’ensuit que le désir est essentiellement un état motivationnel (Millikan 2005, Papineau 1984). Désirer est être disposé à agir de sorte à réaliser le désir, du moins d’après nos croyances (Armstrong 1968, Stalnaker 1984, Smith 1994).

De prime abord, cette conception semble illuminer divers aspects du désir. Elle est partie intégrante de la conception classique de l’action et de la direction d’ajustement du désir (§2.3). Comme soulevé, elle semble offrir une explication du principe de la mort du désir (§2.4) : nous sommes motivés à réaliser des états de choses que nous ne croyons pas être réels. De plus, elle est compatible avec le principe de l’apparence du bien. Il suffit de concevoir les désirs comme des dispositions à agir fondées sur des évaluations, une morale plausible du scénario de l’Homme Radio. Par ailleurs, la thèse motivationnelle offre une description intuitive de la phénoménologie du désir : désirer s’accompagne de la sensation d’être incliné à agir d’une certaine façon. Enfin, l’approche motivationnelle est l’interprétation la plus classique des résultats empiriques : la psychologie et les neurosciences du désir sont premièrement l’étude de la motivation (§3.3).

Malgré sa popularité, des défis importants peuvent être soulevés contre cette conception.

  1. Désirs inertes

Si certains désirs ne nous poussent pas à agir (§2.2), la conception motivationnelle est stricto sensu fausse : la motivation n’est pas nécessaire au désir. Au mieux capture-t-elle une dimension typique du désir.

  1. Dispositions comportementales

Certaines dispositions à agir telles que le syndrome de La Tourette ne sont pas des désirs (Schroeder 2004). De même, ma croyance que je vais bégayer m’incline à bégayer sans pour autant être un désir (Stampe 1986). En dehors de tels cas dysfonctionnels, les habitudes nous disposent à agir. Mais il est contre-intuitif de les considérer comme des désirs (Schroeder 2004). Cette objection peut être écartée en identifiant les désirs avec un type de disposition à agir. Par exemple, les désirs pourraient être la disposition à agir canalisée par nos croyances évaluatives, contrairement aux troubles compulsifs et habitudes (Pettit 1998).

Mais cette réponse soulève une difficulté. Selon certains, les croyances normatives sont motivantes (§1.1.1). Croire que l’avortement est juste me dispose à agir d’une certaine façon. Mais il n’est pas clair que les désirs s’identifient à de telles croyances. L’on pourrait rétorquer que ces croyances nous motivent parce qu’elles causent un désir, auquel cas seul le désir serait essentiellement motivationnel. Mais n’est-ce pas décupler les sources de motivation de façon superflue ? En réponse, Smith (1994) fait appel à l’idée que seuls nos désirs nous fournissent des buts et sont à même de nous motiver à agir étant donné leur direction d’ajustement.

iii. La dépendance de la motivation

Il est plausible d’expliquer nos motivations par nos désirs (Marks 1986). Sally est motivée à aller à Liège parce qu’elle le désire, son désir causant sa motivation. Puisque rien ne se cause soi-même, le désir n’est pas une motivation (Lauria 2016). Cette intuition semble corroborée par l’évidence empirique. Les motivations pourraient être régulées par nos désirs plutôt que constituées par ceux-ci (Schroeder 2004). La motivation semble ainsi dépendre des désirs.

  1. La satisfaction

Selon la téléosémantique, les désirs sont satisfaits lorsque le sujet agit de sorte à les réaliser puisqu’en cela réside leur fonction (Millikan 2005, Papineau 1984). Si les désirs sont essentiellement motivationnels, il n’est pas étonnant que leurs conditions de satisfaction consistent en l’action. Le problème est que nos désirs sont parfois satisfaits sans que nous ayons agi. Lorsque je désire qu’il pleuve, mon désir est satisfait lorsqu’il pleut, sans aucune action de ma part. Pourquoi tant d’emphase sur l’action (Lauria 2016)? Si la conception motivationnelle ne délivre pas les bonnes conditions de satisfaction, elle ne sera pas à même d’illuminer les facettes du désir impliquant la satisfaction telles que la direction d’ajustement et la mort du désir (Lauria 2016).

Jusqu’à présent, nous nous sommes concentrés sur les conceptions classiques. Deux nouvelles approches du désir ont émergé récemment.

  1. L’approche déontique

Il existe deux familles de concepts normatifs : les concepts axiologiques ou monde des valeurs (telles que le bien) et les concepts « déontiques » ou monde des raisons, normes ou obligations (Ogien & Tappolet 2009). Tous deux se distinguent des concepts descriptifs tels que le boson de Higgs.

(1) Selon Scanlon (2000), les désirs au sens large d’états motivationnels sont des jugements portant sur les raisons d’agir. Désirer nager est juger que l’on a une raison de nager. Ce sens large diffère du sens étroit du terme. Le contraste apparaît lorsque nous jugeons que nous avons une raison d’agir (par exemple, d’aller à la salle de sport) sans en avoir envie. Au sens étroit (l’envie ici), les désirs mobilisent notre attention sur les raisons d’agir. Lorsque je désire m’acheter un ordinateur, je ne peux m’empêcher de penser à divers modèles, au plaisir que me procurerait un nouvel ordinateur – autant d’aspects qui constituent les raisons d’acheter un ordinateur. (2) Selon Gregory (2017), les désirs au sens étroit sont des croyances sur les raisons pratiques. Il est important de noter que toute conception faisant appel aux raisons d’agir constitue une alternative à la thèse évaluative pour autant que les raisons d’agir se distinguent des valeurs.

Récemment, certains auteurs ont fait appel aux normes pour saisir le désir. (3) Meinong a défendu que désirer est représenter un état de choses comme ce qui devrait être (Lauria 2016, 2017). Les désirs sont constitués d’un mode déontique capturant la façon dont nous nous représentons leur contenu à la première personne. (4) D’autres suggèrent que désirer est représenter un état de choses comme ce qui doit être fait (Velleman 1992). (5) Pour certains, ce mode s’analyse par le rôle inférentiel du désir dans la rationalité pratique (Schafer 2013, Archer 2015). Enfin, certains ont proposé que les normes sont l’objet formel du désir : (6) Mulligan (2007) suggère que les conditions de correction du désir est le devoir-faire, tandis que le devoir-être rend nos souhaits corrects; (7) Massin (2017) propose que les désirs s’accompagnent d’une apparence du devoir.

  1. Approche neuroscientifique

De nombreuses études neuroscientifiques offrent aujourd’hui une conception unifiée du désir qu’un philosophe averti ne peut négliger. Les désirs sont intimement liés au neurotransmetteur qu’est la dopamine et font partie intégrante du système de la récompense. Par récompense, nous entendons tout objet de désir, qui est souvent opérationnalisé par du sucre, de la cocaïne ou autres stimuli plaisants. L’histoire des neurosciences révèle comment le système de la récompense a été peu à peu dissocié du plaisir (Schultz 1997). Certaines études révèlent que les rats éprouvent du plaisir malgré un système de la récompense endommagé (Schroeder 2004). Il semble plutôt que les créatures anticipent le plaisir que leur procurera la satisfaction des désirs, du moins dans des cas non pathologiques (§3.1.1). Le système de la récompense est central pour agir. Les patients souffrant de la maladie de Parkinson et dont le système de la récompense est endommagé sont littéralement immobiles. Plus fondamentalement, le système de la récompense joue un rôle central dans l’apprentissage pratique. Notre attention est modulée autour des récompenses, parfois de façon inconsciente. Lorsqu’une créature désire quelque chose, elle anticipe une certaine récompense. Cela la motive à agir. Si l’expérience de la satisfaction s’avère positive, le désir et comportement qui s’ensuivent sont renforcés : la probabilité d’agir de la même façon augmente. Mais nos anticipations sont parfois erronées. Un signal d’erreur nous indique que la satisfaction du désir n’est pas la récompense attendue. Si tout va bien, le désir et le comportement engendré sont abandonnés. Au fil de la vie, les créatures régulent ainsi leurs désirs, à travers l’expérience de la satisfaction et l’anticipation. Il s’agit là d’un résumé très grossier de nombreuses expériences fines. Qu’est-ce que cela nous révèle ?

Schroeder (2004, 2017) en a conclu que ces résultats vont à l’encontre de la thèse hédonique, évaluative et motivationnelle des désirs. Schroeder justifie cela par des expériences montrant comment le désir est dissociable du plaisir, de l’action et de la signature neuronale des cognitions. Par exemple, les études sur l’apathie suggèrent que les désirs peuvent être inertes. Certes, les désirs entretiennent un lien étroit avec le plaisir, l’action et les évaluations. Mais il s’agit de facettes secondaires qui s’expliquent par son essence même : comme le proposait Dretske (1988), les désirs sont des représentations de récompenses. Ce type de représentation peut être inconscient, puisque  le cœur du concept de récompense a affaire avec l’apprentissage (voire Schroeder 2006 et Goldman 2017 pour des critiques).

Comment traduire les résultats neuroscientifiques dans le langage de la psychologie ordinaire ? Sur ce point, Railton (2012, 2017) estime que les désirs sont des états complexes consistant en une évaluation modulant une motivation. L’expérience de la satisfaction qui s’ensuit de l’action régule à son tour l’évaluation et anticipation. Cette thèse est une tentative de concilier les résultats empiriques avec l’approche classique s’inspirant de la psychologie ordinaire.

Toutefois, certains doutent du bien-fondé de la psychologie ordinaire. Ainsi, Thagard (2006) a proposé d’interpréter la conception schroederienne du désir à travers un modèle neurocomputationnel du comportement : « GAGE » (Wagar and Thagard 2004). Le nom s’inspire de Phineas Gage, un patient souffrant de déficits émotionnels et peinant à prendre des décisions. Selon ce modèle, la prise de décision implique l’interaction de zones cérébrales dédiées à la représentation du monde et à la valeur émotionnelle des choses. Emotions, désirs et croyances forment un ensemble de structures neuronales interdépendantes, contrairement à ce que la psychologie ordinaire nous laisse croire.

  1. Cartographier les désirs

Souhaits, espoirs, impulsions, tentations, désir sexuel, caprices, curiosité et autres semblent être des types de désirs. A ce jour, il n’existe pas de cartographie détaillée des désirs (Lauria 2014). Dans cette section, je me concentre sur trois types de désir qui ont particulièrement intéressés les philosophes et qui jouent un rôle central dans nos vies.

  1. L’espoir

Sans espoir, nous serions littéralement désespérés. L’entrée de l’Enfer de Dante nous le rappelle: « toi qui entre ici abandonne toute espérance ». Les dires de Martin Luther King, Nelson Mandela ou Barack Obama révèlent aussi le rôle central que joue l’espoir en politique. Qu’est-ce que l’espoir ?

  1. La thèse classique : désir et probabilité

La philosophie analytique contemporaine a longtemps négligé cette question, en contraste avec l’histoire de la philosophie. La plupart des grandes figures occidentales ont analysé l’espoir. De plus, un consensus a émergé. L’espoir comporte deux dimensions : un aspect désidératif et un aspect estimatif. Espérer est désirer un état de choses et se le représenter comme probable. Le sens de « probabilité » à l’œuvre diffère du sens ordinaire du terme selon lequel un état probable a davantage de chances de se réaliser que de ne pas se réaliser. Ce sens ordinaire est trop restrictif : nous pouvons espérer ce que nous croyons être improbable ou avoir peu de chances de se réaliser. Sam espère que Pénélope guérira en sachant que les chances de guérison sont infimes. Le sens de probabilité en question est donc à comprendre comme l’incertain ou la probabilité se situant entre les extrêmes 1 (certitude) et 0 (impossibilité). Espérer est donc désirer ce que nous croyons être incertain (Downie 1963, Day 1969, 1970). Cette thèse est au cœur de la conception médiévale et moderne (Thomas d’Aquin, Hobbes, Hume). Selon Hume, l’espoir se distingue de la peur qui est l’aversion ou désir négatif sur un état incertain. L’espoir contraste avec la joie ou l’émotion ressentie lorsque nous représentons un état de choses désiré comme certain. Enfin, il est l’opposé parfait du désespoir ou aversion sur ce qui est certain. Les espoirs diffèrent aussi des souhaits, ces derniers pouvant porter sur ce que nous croyons être impossible selon les lois de la nature (tel que l’immortalité).

La thèse classique capture les degrés d’espoir : un espoir peut être vivace au sens où nous pensons que l’état de choses désiré est très probable ou au sens où l’état est fortement désiré. Elle permet aussi de distinguer entre espoirs appropriés et inappropriés. Un espoir est infondé si son objet est impossible ou indésirable. Puisque nous tendons au désirable tout en baignant dans l’incertitude, l’espoir est fondamental et colore notre vie d’optimisme.

  1. Problèmes et alternatives

Toutefois, un nouveau consensus a émergé récemment. La conception traditionnelle est erronée et ne fournit pas de conditions suffisantes pour l’espoir (Bovens 1999, Meirav 2009). Un scénario de Stephen King nous en persuadera. Malgré son innocence, Red a été condamné à la prison à vie. Là-bas, il sympathise avec Andy. La probabilité qu’ils s’échappent est infime. Andy est optimiste. Il espère s’échapper et s’imagine à la plage au Mexique. Mais Red est désespéré. Il pense que l’espoir est insensé. Nos deux prisonniers partagent le désir de s’échapper. Tous deux s’accordent sur le fait que la probabilité est faible. Si l’espoir était un désir sur ce que l’on croit être probable, nos prisonniers ne devraient pas différer dans leurs espoirs. Or, ils diffèrent. L’espoir n’est donc pas un désir sur ce que nous croyons être probable. Un ingrédient supplémentaire doit être ajouté.

Bovens (1999) propose de faire appel à l’imagination : lorsque l’on espère, nous portons notre attention sur l’état de choses espéré (voire cependant Meirav 2009, Martin 2014). Meirav (2009) soutient que l’espoir s’accompagne d’une attitude optimiste : en espérant, l’on « voit » les facteurs dépassant notre pouvoir comme étant favorables (voire cependant Martin 2014). Récemment, Martin (2014) estime que l’espoir est une attitude complexe constituée par le jugement que nous avons des raisons d’agir, de rêvasser et d’éprouver des émotions à la façon propre de l’espoir. Lorsque j’espère que Juliette se remette, je juge que j’ai des raisons d’agir en faveur de cet état de choses, de l’imaginer et de m’en réjouir. Enfin, Pettit 2004 suggère que la fonction de l’espoir consiste à être disposé à agir comme si notre espoir sera satisfait. En étant prudent, nous agissons comme si le pire allait se produire ; en espérant, nous agissons comme si le meilleur allait arriver (voire cependant Martin 2014).

D’autres débats concernent la valeur de l’espoir (Bovens 1999) et la question de savoir si l’espoir est une vertu intellectuelle (Snow 2013).

  1. La curiosité

La tradition occidentale s’est acharnée contre la curiosité. Selon l’adage, la curiosité est un vilain défaut ; en anglais, on dit qu’elle a tué le chat ! Or, sans curiosité, la vie ne vaudrait pas la peine d’être vécue. Une absence de curiosité est l’un des symptômes d’un épisode dépressif et souffrir d’ennui chronique est pathologique. Qu’est-ce que la curiosité ?

  1. La thèse classique : le désir de savoir

Dans la tradition philosophique, il est courant de considérer la curiosité comme un désir épistémique : le désir de savoir (Hobbes 1994, Williamson 2000). En tant que désir qui nous motive à atteindre la connaissance, la curiosité est la source des enquêtes et de la science. Déjà Platon et Aristote considéraient que la philosophie et, de façon générale, l’investigation avaient pour origine un phénomène appelé « thaumazein » : un mélange de surprise, doute, émerveillement et curiosité. Récemment, les philosophes se sont penchés sur l’importance de l’affect dans la régulation du savoir. La curiosité, la surprise, le doute, la confusion et d’autres émotions ou sensations épistémiques sont autant de phénomènes qui nous indiquent ce qui est épistémiquement pertinent (Thagard 2002, Brun et al. 2008, Dokic 2012, Arango-Muñoz & Michaelian 2014). Le doute est l’expérience d’un obstacle épistémique et motive ainsi l’enquête (Peirce 1984-1986, Hookway 1998). A l’opposé, les sensations de certitude et de compréhension – aha ! eurêka ! – nous signalent qu’une enquête peut être close (Hookway 2002, 2003). En tant que désir de savoir, la curiosité joue le rôle primordial de l’impulsion à investiguer et explorer.

  1. Problèmes et alternatives

Toutefois, la plupart des philosophes estiment aujourd’hui que la curiosité n’est pas le désir de savoir. Selon eux, un tel désir implique de maîtriser le concept de savoir. Or, les nouveau-nés et certains animaux non-humains sont curieux et explorent le monde sans pour autant maîtriser un tel concept (Kvanvig 2003). Ces créatures manifestent-elles le comportement de la curiosité sans pour autant être curieuses (Inan 2012) ? Cela semble contre-intuitif. De plus, si la curiosité était un désir de savoir, elle devrait être satisfaite lorsque nous atteignons le savoir. Mais il y a des raisons d’en douter : par exemple, la formation d’une croyance vraie ne constituant pas un savoir éteindre notre curiosité (Kvanvig 2003 ; voire cependant Whitcomb 2010).

Des conceptions alternatives de la curiosité ont ainsi émergé. La curiosité est un désir de déterminer si une certaine proposition est vraie (Kvanvig 2003) ou la conscience de notre ignorance concernant la référence d’un terme couplée à un intérêt (Inan 2012), à moins qu’elle soit un désir à propos d’une question (Whitcomb 2010).

iii. Curiosité et épistémologie normative

Ce débat a des ramifications importantes en épistémologie normative, particulièrement concernant la question de la valeur des états épistémiques. Intuitivement, le savoir est une bonne chose : il est meilleur que l’ignorance et que les croyances vraies. De même, la vérité semble bonne (meilleure que la fausseté). Certes, tout savoir ou vérité ne sont pas bons. Par exemple, connaître le nombre de grains de sable au Mexique semble insignifiant. Et si le savoir et la vérité étaient bons en vertu de notre curiosité ? Les connaissances ou vérités auraient de la valeur parce qu’elles satisfont notre curiosité (voire cependant Kvanvig 2003). Enfin, il se peut que la curiosité soit centrale pour la vertu épistémique (Zagzebski 1996). Si le savoir et la justification dépendent de la vertu épistémique, comme certains le pensent, il s’ensuit que les notions centrales de l’épistémologie impliquent la curiosité.

  1. Le désir sexuel

Le désir sexuel est fondamental pour notre bien-être et la survie de l’espèce. Malgré ses divers visages, en quoi consiste-t-il ?

  1. L’essence du désir sexuel

Vous penserez qu’il s’agit du désir portant sur une activité sexuelle. Mais comment définir cette dernière (Soble 2008) ? (1) Une activité sexuelle n’est pas seulement le contact physique avec les parties génitales. Le corps tout entier et même un regard peuvent être érotiques. De plus, un rendez-vous chez le gynécologue implique du contact avec les parties génitales sans être une activité sexuelle ! (2) Peut-être qu’une activité sexuelle vise au plaisir, particulièrement physique. Mais cela rate la dimension proprement sexuelle de l’activité, puisque d’autres activités (le sport ou prendre un bain) visent au plaisir corporel. (3) Les activités sexuelles sont-elles définies par le plaisir sexuel, par exemple l’orgasme (Goldman 1977, Gray 1997)? L’activité sexuelle semble y tendre, malgré certaines activités sexuelles (ratées) ne menant pas au plaisir (Soble 2008). Mais en quoi un plaisir est-il sexuel ? (4) Même si l’on parvient à définir l’activité ou plaisir sexuels, il n’est pas clair que le désir sexuel soit un désir portant sur le sexuel. Les prostitués peuvent désirer une activité sexuelle sans pour autant éprouver de désir sexuel. Un désir sexuel est-il un désir pour une activité sexuelle en elle-même ? Silvio a perdu sa libido. Il désire plus que tout une activité sexuelle et le plaisir qui s’ensuit. Il désire cela intrinsèquement. Mais il a perdu le désir. Le désir sexuel n’est donc pas simplement un désir sur le sexuel. Ce problème se pose pour toute impulsion. Par exemple, la faim n’est pas seulement le désir de manger : je peux avoir ce désir sans avoir faim, par exemple par pure gourmandise.

  1. La perversion sexuelle

Les philosophes se sont davantage penchés sur la perversion sexuelle. Les désirs pédophiles, nécrophiles, zoophiles, voyeurs, exhibitionnistes, sado-masochistes ou fétichistes semblent pervers. En quoi le sont-ils ? Cette question se distingue de questions morales, car toute perversion sexuelle ne semble pas immorale (Soble 2008). Par exemple, le fétichisme – par opposition à la pédophilie – ne porte pas nécessairement atteinte à des personnes. Pourquoi serait-il immoral ?

Une réponse classique à l’énigme de la perversion fait appel à l’intersubjectivité. Un désir sexuel vertueux est un désir qui porte sur un échange tel que la reconnaissance réflexive et mutuelle du désir sexuel (Nagel 1969), un dialogue ou communication (Solomon 1975, Scruton 2006). Les perversions sexuelles font fi de cette dimension intersubjective. Mais qu’en est-il de la masturbation ? Faut-il en conclure qu’il s’agit d’un monologue pervers ? Cela semble fort de café. Plus généralement, la communication semble être l’idéal sexuel, mais en faire le critère de démarcation de la perversion semble trop fort (Goldman 1977).

Une seconde approche populaire fait appel à la notion de fonction biologique (Priest 1997). Les fonctions établissent des standards de correction. Si la fonction du cœur est de faire circuler le sang, cela nous permet de distinguer les bons cœurs des mauvais cœurs. Déterminer la fonction du désir sexuel nous permet ainsi de distinguer entre désirs sexuels fonctionnels et dysfonctionnels. Malheureusement, la question de la fonction du désir sexuel est débattue. Celle-ci ne peut se réduire à la reproduction. Cela aurait pour conséquence que la masturbation, les désirs sexuels pour des activités différentes que le coït et les désirs homosexuels sont des perversions, ce qui est contre-intuitif. Le plaisir sexuel est-il la fonction du désir sexuel ? Il demeure que de nombreuses perversions sexuelles s’accompagnent de plaisir. La fonction du désir sexuel est peut-être de consolider les liens sociaux. Mais n’est-ce pas l’apanage de l’amour ? Certains en concluent que la perversion sexuelle est inanalysable (Priest 1997).

  1. Désir et éthique

Les désirs semblent nécessaires à la vie heureuse. Peut-on en dire plus ? Dans cette section, je me concentre sur la théorie désidérative du bonheur (§5.1), des raisons pratiques (§5.2) et de la personnalité (§5.3).

  1. Les désirs font-ils le bonheur ?

Il est intuitif de penser que le plaisir est la clé du bonheur. Selon l’hédonisme, une vie heureuse est une vie où les plaisirs dominent. Cette thèse est problématique pour au moins deux raisons. Le plaisir semble être un bien parmi d’autres, tels que l’amour, le savoir ou l’amitié. Pourquoi tant d’emphase sur le plaisir ? De plus, cette thèse a été critiquée sur la base d’une fameuse expérience de pensée : la machine à expérience (Nozick 1974). En entrant dans cette machine, les personnes éprouvent tous les plaisirs de la vie, tel que celui d’écrire un roman, les joies de l’amour fou ou du voyage, sans se douter qu’elles sont dans la machine. Entrerez-vous dans cette machine? Intuitivement, la réponse semble négative : la vie dans la machine est faite de plaisirs illusoires. Ce que nous désirons n’est pas simplement les plaisirs de l’amour ou de la découverte du monde ; nous voulons réellement vivre ces expériences. De même, peu d’entre nous pensent qu’une vie végétative uniquement composée de plaisir soit désirable.

Peut-être la machine à expérience et la vie végétative ne nous procurent pas le bonheur car nos désirs y demeurent frustrés. Selon la théorie désidérative, le bonheur ou bien-être est l’état dans lequel nos désirs sont satisfaits (Rawls 1971, Heathwood 2016). Cette théorie remonte au moins à Hobbes et est au cœur des modèles économiques du bien-être. Elle est d’esprit naturaliste : la notion normative de bonheur est analysée en termes descriptifs (l’expérience commune du désir). Est-elle vraie ?

  1. Désirs intrinsèques

Les désirs instrumentaux tels que mon désir de réserver un vol ne semblent pas contribuer au bonheur de façon significative. Il est donc commun de considérer que le bonheur est l’état dans lequel mes désirs intrinsèques (tel que mon désir de savoir, d’amour, etc.) sont satisfaits (Sidgwick 1907).

  1. L’ignorance

Je désire boire le café qui se trouve sur ma table. Or, à mon insu, celui-ci est empoisonné. Selon la théorie désidérative, satisfaire ce désir me rendrait heureux. Mais ceci est absurde : satisfaire ce désir me tuera ! Ces scénarios sont fréquents étant donné nos nombreuses croyances fausses. Une solution standard fait appel à l’idéalisation : le bonheur est la satisfaction des désirs que nous aurions en ayant toutes les informations pertinentes (Rawls 1971) ou les désirs qu’un agent idéal nous conseillerait (Railton 1986). Il s’agit là de la formulation canonique de la théorie désidérative. Toutefois, de nombreux défis peuvent être soulevés à l’encontre de cette thèse.

iii. Idéaux non désirables

Je n’aime pas le caviar. Selon un conseiller idéal, le caviar fait partie des plus grands plaisirs de la vie. Manger du caviar devrait donc contribuer à mon bonheur. Or, cela est contre-intuitif puisque cette expérience sera déplaisante. De tels exemples peuvent se généraliser à toute une série de biens raffinés tels que le jazz, la musique contemporaine, la logique de haut niveau, etc. Une réponse intuitive à de tels cas consiste à reformuler la thèse en se concentrant sur nos désirs actuels : le bonheur est la satisfaction de mes désirs actuels en ayant toutes les informations pertinentes ou ce qu’un agent idéal me conseillerait étant donné mes désirs (Heathwood 2016). Mais n’est-ce pas condamner notre bonheur à une vie inexpérimentée et potentiellement prisonnière de mauvais goût ?

  1. Désirs sataniques et futiles

Imaginez qu’un scientifique désire compter les brins d’herbe de son jardin à Harvard (Rawls 1971) ou que Vladimir désire violenter des innocents sans raison. La satisfaction de ces désirs ne peut dessiner les contours d’une vie réussie. La réponse canonique à de tels cas fait à nouveau appel à l’idéalisation : si ces personnes avaient toutes les informations pertinentes, leurs désirs s’évanouiraient. Mais il est tout à fait concevable qu’une personne perverse continue à désirer des choses atroces en toute connaissance de cause. De plus, un verdict intuitif saute aux yeux. Ces désirs portent sur des états de choses mauvais ou qui n’ont pas de valeur. Une vie réussie est donc une vie remplie de biens tels que l’amour, le savoir ou l’amitié indépendamment de nos désirs. Il s’agit là de la théorie aristotélicienne des biens objectifs. Or, cette approche diffère fondamentalement de la théorie désidérative puisqu’elle conçoit le bonheur objectivement, indépendamment de nos désirs.

  1. La satisfaction incognito

Un désir pour un état de choses (p) est satisfait lorsque son contenu est réalisé (p). L’expérience de la satisfaction d’un désir est différente : elle implique de croire que le désir est satisfait. Puisque nos croyances sont parfois fausses, la satisfaction de nos désirs peut se produire à notre insu, sans que nous en fassions l’expérience. Imaginez que Pierre désire qu’Héloïse l’aime. En réalité, son vœu est exaucé, mais il ne le saura jamais. Faut-il en conclure que Pierre au cœur meurtri est heureux ? Cela semble contre-intuitif (Parfit 1984). Une morale vient à l’esprit : le bonheur requiert l’expérience de la satisfaction d’un désir. Puisque cette expérience s’accompagne souvent de plaisir, nous avons basculé dans la conception hédoniste du bonheur. Toutefois, les personnes semblent lésées lorsqu’un malheur leur arrive même si elles ne s’en aperçoivent pas (Nagel 1986). Il serait mauvais pour Roméo que Juliette le trompe en cachette, quand bien même il ne le découvrira jamais. Si certaines choses peuvent être mauvaises pour nous sans que nous en fassions l’expérience, pourquoi en irait-il autrement pour le bien ? D’ailleurs, certains pensent que des choses bonnes pour nous peuvent se produire après le blanc expérientiel qu’est la mort.

  1. Les désirs changeants

J’ai longtemps désiré escalader le Cervin le jour de mes quarante ans. Mais le jour de mon quarantième anniversaire, cela ne m’intéresse plus. Mon bonheur consiste-t-il en cette escapade que je n’aurai aucun plaisir à faire ? Cela semble absurde (Brandt 1982). Faut-il se concentrer sur les désirs présents ? Cela exclut la possibilité que la satisfaction d’un désir passé contribue à notre bonheur, comme lorsqu’un événement est bon pour nous de façon posthume.

Etant donné les difficultés de l’hédonisme et de la théorie désidérative, il est peut-être préférable d’adopter une approche objectiviste. Le plaisir et la satisfaction des désirs sont pertinents pour le bonheur, mais simplement parce qu’ils nous mettent en contact avec les vrais biens de la vie. Est-on prêt à supporter le poids métaphysique de cette idée ?

  1. Les raisons d’agir

Pourquoi as-tu fait cela ? Répondre à cette question est central pour comprendre, anticiper et évaluer les actions. Parfois, cette question revient à demander la raison à la lumière de laquelle le sujet a agit. Par exemple, Marie a insulté Sam parce qu’elle croyait (faussement) qu’il lui avait manqué de respect. Les raisons motivantes expliquent l’action. Mais elles ne la justifient pas. Puisque Sam n’a pas manqué de respect à Marie, le comportement de Marie est injustifié. Lorsque nous voulons savoir si une action est justifiée, nous sommes en quête d’une raison normative. Les désirs sont-ils des raisons motivantes, la lumière à laquelle expliquer notre comportement ? Sont-ils l’aune à laquelle les actions sont justifiées ? Ce débat très prolixe utilise la notion de désir de façon peu définie (Schueler 1995). Je me contenterai donc d’esquisser les intuitions principales concernant le désir.

  1. Raisons motivantes

Sam va prendre une bière dans le réfrigérateur. Il semble évident que la raison en est qu’il désire boire une bière et croit qu’il y en a dans le réfrigérateur. Selon la conception huméenne des raisons motivantes, les raisons motivantes sont fournies par les désirs (Smith 1992, Davidson 2001). Cependant, cette thèse est controversée.

Comme indiqué (§2.2, 3.2), certains pensent que les croyances normatives telles la croyance qu’il faut être végétarien sont à même de motiver nos actions. De plus, certains désirs sont motivés par des raisons. Mon désir de bière est motivé par le plaisir que me procurerait une bière (Nagel 1978, Scanlon 2000). Or, si les désirs sont des réponses aux raisons, ils ne constituent pas de telles raisons. Celles-ci sont ce qui parle en faveur du désir, par exemple le plaisir, voire des faits indépendants de notre esprit (Dancy 2000). Néanmoins, la conception huméenne des raisons motivantes a toujours ses adeptes (Neilhababbu 2017).

  1. Raisons normatives

Nos désirs justifient-ils l’action ? La plupart des auteurs contemporains tendent à répondre par la négative. A nouveau, leur argument classique concerne le fait que les désirs sont des réponses aux raisons, ces raisons – les valeurs ou faits – étant ce qui justifie l’action (Scanlon 2000, Dancy 2000). Une personne qui n’aurait aucun désir d’être moral n’en aurait pas moins des raisons d’agir moralement (Parfit 1984, 2011). D’ailleurs, notre pratique du blâme et notre façon d’exprimer nos raisons font appel aux faits plutôt qu’à nos désirs et la structure de la délibération est bien plus complexe que la considération de nos désirs (Scanlon 2000).

Mais comment des faits indépendants de notre esprit pourraient justifier et motiver notre comportement ? Les raisons pratiques doivent être capables de nous motiver. Si elles dépendent de nos désirs, elles seront ainsi à même de nous motiver, sans avoir besoin de postuler l’existence d’entités mystérieuses. Il s’agit là du cœur de l’argument célèbre de Bernard Williams (1981). De plus, il semble que les désirs nous donnent des raisons normatives d’agir dans certains cas. Je désire danser. Mais mon ami Hector a horreur de danser. N’ai-je pas une bonne raison de danser contrairement à Hector (Schroeder 2007) ? De même, lorsque deux options ont la même valeur (par exemple, manger une pomme ou une poire), le fait que j’aie davantage envie d’une option plutôt que de l’autre semble me fournir une raison de choisir l’une plutôt que l’autre (Chang 2004). Or, si les désirs justifient nos actions dans certains cas, pourquoi ne le feraient-ils pas toujours ? Ainsi, certains ont défendu des théories désidératives des raisons normatives. Les raisons d’agir sont fournies par nos désirs actuels ou idéaux (Smith 1992, Schroeder 2007, Goldman 2009), par exemple ceux qui résistent à la délibération (Williams 1981).

  1. Désir et personnalité

Certains désirs sont si importants qu’ils semblent dessiner le contour de notre personnalité. Roméo ne serait Roméo sans le désir de vivre avec Juliette. Au contraire, certains désirs semblent aller à l’encontre de qui nous sommes. Considérez un toxicomane désirant de la cocaïne, mais souhaitant cesser sa consommation. Son désir de cocaïne ne semble pas le définir. De même, il nous arrive d’éprouver des désirs soudains qui ne nous ressemblent pas, tel que le désir d’insulter un ami par jalousie. Comment comprendre cette idée ?

  1. Désirs de second-ordre

Frankfurt (1971) a proposé un modèle influent faisant appel à la hiérarchie des désirs et aux désirs de second-ordre : les désirs portant sur un désir. Ces derniers peuvent être en conflit avec les désirs de premier ordre. Ainsi un toxicomane peut désirer de la cocaïne (premier ordre) tout en désirant ne pas la désirer (second ordre). L’idée est que les désirs de second-ordre, en particulier lorsqu’ils constituent la base de notre volonté, sont centraux. Ils sont ce qui caractérise les personnes. Ils sont la base de notre autonomie et liberté. Ils constituent les désirs qui nous définissent véritablement. Les désirs de second-ordre dessinent-ils les contours de notre personnalité ?

Certains en doutent (Watson 1975). En quoi un désir de second-ordre aurait davantage d’autorité qu’un désir de premier ordre ? Après tout, un désir de second-ordre n’est qu’un désir. Il est ainsi possible qu’un toxicomane désire désirer de prendre la cocaïne sans que cela caractérise qui il est vraiment. Faire appel aux désirs de troisième ordre semble nous faire sombrer dans une régression à l’infini.

  1. Identification

En réponse à ce problème, Frankfurt (1992) a fait appel à l’idée selon laquelle les désirs qui nous caractérisent vraiment sont ceux auxquels l’on s’identifie. Ces désirs nous satisfont, nous n’éprouvons pas d’aversion à leur égard ni ne voulons les changer. Mais n’est-ce pas confondre notre moi idéal avec le moi actuel que nous sommes (Velleman 2006) ? Après tout, nous sommes enclins à l’auto-duperie, particulièrement lorsqu’il s’agit de nous-mêmes (§6). De plus, certains désirs auxquels nous ne nous identifions pas, tel que les désirs que nous éprouvons lorsque nous perdons le contrôle, semblent révéler qui nous sommes (Schechtman 2004). Au fond, les désirs du toxicomane caractérisent qui il est, bien que son idéal diffère (Smith & Sayre-McCord 2014).

iii. Alternatives

A la lumière de ces difficultés, d’autres modèles de désirs centraux à notre personnalité ont été proposés. Watson (1975) suggère que seuls les désirs s’alignant sur nos jugements évaluatifs nous caractérisent réellement. Bratman (2003) estime que l’intention de traiter certains désirs comme nous donnant des raisons d’agir délimite les désirs qui sont les nôtres des désirs « externes » à nous-mêmes. Enfin, certains ont détrôné les désirs en offrant des conceptions de la personnalité qui englobent d’autres attitudes, telles que les croyances et désirs stables (Smith & Sayre-McCord 2014), les projets (Korsgaard 1996), le fait de tenir à certaines choses (Jaworska 2007) ou les sentiments conçus comme attachements aux valeurs (Deonna & Teroni 2009).

Pour d’autres questions éthiques entourant le désir, voire les débats sur l’amour (Arpaly & Schroeder 2013), la vertu (Arpaly & Schroeder 2013), le plaisir (Heathwood 2007) et la délibération (Schueler 2017).

  1. Les méfaits épistémiques du désir

Comme mentionné, la tradition philosophique a longtemps insisté sur les méfaits du désir. Notre discussion a déjà révélé comment de nombreux désirs peuvent être mauvais, voire pervers et sataniques. Dans cette section, je me concentre sur l’effet vicieux de nos désirs sur nos croyances.

  1. La cognition motivée

Certaines vérités sont difficiles à accepter. Le bonheur et la vérité ne font pas bon ménage. Afin d’éviter de souffrir, nous tendons à écarter les faits malheureux et à former des croyances plus douces. Nous prenons nos désirs pour la réalité. Il s’agit là de la cognition motivée ou illusions positives, c’est-à-dire la formation d’états cognitifs tels que les croyances sur la base de nos désirs. Nos désirs ainsi biaisent nos cognitions. Le négationnisme et autres dénis en sont des exemples. De nos jours, il se peut que les climato-sceptiques niant le réchauffement climatique soient en proie à un tel phénomène. En réalité, les illusions positives sont très communes. La plupart d’entre nous pensons être bien plus intelligents et attirants que nous le sommes. Les personnes fumeuses sont souvent convaincues qu’elles ne mourront pas d’un cancer lié au tabagisme, malgré l’évidence du contraire. La plupart des professeurs pensent figurer dans les 10% de la crème de leur département, défiant les lois de la statistique (Mele 2001). Par contraste, les personnes dépressives ne témoignent pas d’un tel biais positif (le « réalisme dépressif » ; Surbey 2011).

L’on peut distinguer au moins quatre types de cognition motivée. (1) Le biais d’optimisme consiste à former des croyances allant dans le sens de nos désirs sans avoir l’évidence du contraire. (2) Parfois, nous évitons les sources d’information qui vont à l’encontre de nos désirs et sommes biaisés dans notre recherche de l’information. (3) L’auto-duperie est distincte. Lorsque nous nous mentons à nous-mêmes, l’évidence malheureuse nous est présente, parfois même de façon très saillante. Sam persiste à croire que Marie est fidèle malgré le suçon très visible sur le cou de Marie ! (4) Enfin, le ressentiment consiste en la formation biaisée de jugements évaluatifs (Elster 1983). L’exemple classique s’inspire d’une fable de La Fontaine. Un jour, un renard aperçut des raisins murs et goûteux. Il fut aussitôt charmé par ceux-ci. Or, il ne put les atteindre. Le renard s’exclama alors : « De toute manière, ils étaient verts ». En d’autres termes, il dévalorise l’objet de son désir parce que son désir a été frustré. Pour Nietzsche, cette distorsion de nos jugements évaluatifs par nos désirs est le nerf du christianisme et de son éloge de la faiblesse. Dans ce qui suit, je me concentre sur l’auto-duperie, puisqu’il s’agit du débat le plus vigoureux. Cela est probablement dû au caractère phénoménal de l’auto-duperie. Comment peut-on prendre nos désirs pour la réalité lorsque les évidences malheureuses parlent d’elles-mêmes ?

  1. Le modèle classique de l’auto-duperie

Selon le modèle classique (Davidson 1982, 1985), l’auto-duperie est un type de tromperie. Lorsque l’on ment, nous avons l’intention d’induire en autrui une croyance que nous n’avons pas. Si le mensonge réussit, la personne trompée forme la croyance que le menteur n’a pas. La tromperie implique donc (i) la coexistence de deux croyances au contenu contradictoire et (ii) l’intention de tromper. Celle-ci doit être cachée à la personne trompée afin que la magie opère ; Pinocchio ne parvient jamais à nous berner. Si l’auto-duperie n’est rien d’autre que se tromper soi-même, elle aura la même structure. L’auto-duperie consiste dès lors en deux croyances conflictuelles et l’intention de se tromper (Davidson 1982, 1985). La seule différence avec la tromperie interpersonnelle est que le trompeur est le trompé. Mais comment entretenir deux croyances au contenu contradictoire ? Intuitivement, cela semble impossible. De même, il semble impossible de se tromper soi-même intentionnellement. Or, loin d’être impossible, l’auto-duperie est courante. Cette approche mène donc à deux paradoxes: le paradoxe statique (à propos des deux croyances) et dynamique (à propos de l’intention). La réponse traditionnelle à ces paradoxes se résume en une idée: l’inconscient (Davidson 1982, 1985). Il est impossible d’entretenir deux croyances au contenu contradictoire pour autant que ces croyances soient conscientes. Ainsi, je ne peux croire que je suis à Central Park en ce moment et simultanément croire que je n’y suis pas. Mais l’impossibilité s’évanouit aussitôt que l’une de mes croyances est inconsciente. De même, l’on ne peut intentionnellement se mentir à soi-même en toute conscience. Mais dès que cette intention nous est masquée, cela est possible.

  1. Détrôner l’inconscient

Cette conception traditionnelle fait donc clairement appel à l’inconscient. L’idée est que notre esprit, loin d’être unifié, est divisé. De nombreuses activités telles que nos actions automatiques sont inconscientes. Mais pour de nombreux philosophes, faire appel à l’inconscient afin de résoudre les paradoxes de l’auto-duperie a semblé être une solution ad hoc et non réellement motivée. Ainsi, divers auteurs ont tenté de résoudre les paradoxes sans faire appel à l’inconscient.

(1) Bach (1981) a proposé que les personnes qui s’auto-dupent évitent simplement de penser aux choses malheureuses. (2) Mele (2001) va même jusqu’à défendre qu’elles n’ont aucune croyance concernant l’état de choses malheureux. Les personnes s’auto-dupent à tel point qu’elles ne forment que la croyance qui s’aligne sur leurs désirs, une thèse compatible avec l’évidence empirique. (3) Ou peut-être ne font-elles que prétendre que tout va bien (Gendler 2007). La croyance inconsciente semble donc superflue. Ceci dit, pourquoi les personnes auto-dupées agissent parfois comme si elles savaient la vérité ? Pourquoi demeurent-elles souvent anxieuses au sujet de l’objet de leur duperie ? Cela suggère que les personnes sont en un sens conscientes que les choses tournent mal (Lauria, Preissmann & Clément 2016).

Les personnes auto-dupées ont-elles l’intention inconsciente de se tromper ? L’auto-duperie est un biais parmi d’autres. Or, les biais tels que le racisme, sexisme ou autres préjudices ne s’accompagnent pas nécessairement d’intentions. Mele (2001) a ainsi défendu une conception non-intentionnelle de l’auto-duperie. Cependant, comment expliquer que seuls certains désirs mènent à l’auto-duperie ? Faire appel aux intentions permet de répondre à cette question (Bermudez 2000, voire cependant Mele 2001).

Il semble évident que l’auto-duperie est motivée par un désir d’éviter la souffrance. Dès lors, une approche affective de l’auto-duperie a été proposée récemment (Sahdra & Thagard 2003 ; Lauria, Preissmann & Clément 2016). La question de savoir si l’auto-duperie rend vraiment heureux est débattue. Certains en doutent (van Leeuwen 2009).

Conclusion

Éprouver un désir est une expérience si familière que nous avons tendance à croire que nous savons de quoi il s’agit. Cependant, notre exploration a révélé que capturer le désir est abyssal. Désire-t-on ce qui nous semble bon ? Désirer est-il sentir le bien ? Tout désir nous motive-t-il ? S’agit-il d’une impulsion à agir ? Pourquoi le monde doit-il se conformer à nos désirs ? Désire-t-on ce que nous ne nous représentons pas comme actuel ? Que révèlent les études empiriques ? Sonder le désir est important. Notre bonheur en dépend, du moins en partie. Pour certains, nos actions ne sont compréhensibles et justifiables qu’en vertu de nos désirs. Peut-être les contours de notre personnalité épousent ceux de nos désirs. Il se peut que le bien, la vertu, l’amour et le plaisir n’existent qu’à travers le désir. Y a-t-il un grain de vérité dans ces intuitions ? Penser le désir est vital pour une myriade de questions existentielles, excitantes et vertigineuses.

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