Notes sur le burn out

Notes sur le burn out

 A partir des travaux de :

  1. Philippe Zawieja
    chercheur associé au Centre de recherche sur les risques et les crises (MINES ParisTech) et animateur de la cellule Recherche du groupe de santé européen ORPEA, il a écrit Le Burn-out dans la collection Que sais-je ? (PUF, 2015) et co-dirigé, avec Franck Guarnieri, Épuisement professionnel. Approches innovantes et pluridisciplinaires (Armand Colin, 2013) et Dictionnaire des risques psychosociaux (Seuil, 2014).

  2. Didier Truchot
    « Épuisement professionnel (burn-out) » in Philippe Zawieja et Franck Guarnieri (Dir.) Dictionnaire des risques psychosociaux (Seuil, 2014).


Existe-t-il une définition consensuelle du burn-out ?

La définition historique est celle qu’a proposée en 1976 la psychologue américaine Christina Maslach, de Berkeley : elle articule trois dimensions, celle de l’épuisement émotionnel, du désinvestissement des relations personnelles, voire du cynisme, et de la baisse du sentiment d’accomplissement personnel, tout cela dans le cadre professionnel. En 1998, une équipe hollandaise le définit comme « un état d’esprit durable, négatif et lié au travail, affectant des individus ‘‘normaux’’ », c’est-à-dire n’étant pas préalablement atteints de pathologies psychiatriques ou psychologiques. «  Il est d’abord marqué par l’épuisement, accompagné d’anxiété et de stress dépassé, d’un sentiment d’amoindrissement de l’efficacité, d’une chute de la motivation, et du développement de comportements dysfonctionnels au travail. » C’est un syndrome qui reste longtemps masqué, l’individu, pour faire face au stress en milieu professionnel, mettant d’abord en place des stratégies, par exemple d’hyperactivité, qui finissent par être contre-productives. La dimension temporelle est importante : il ne s’agit pas d’un effondrement brutal, d’une chute de la falaise, mais d’usure. D’autre part, cette « maladie » n’est pas celle des gens hyper engagés au travail. Je prends un contre-exemple avec le cas du bore-out, de l’anglais « ennui ». Dans les grosses structures très bureaucratiques où les gens n’ont pas assez de travail, ou en effectuent un totalement dénué d’intérêt, une des stratégies de lutte contre cette sensation d’ennui est l’hyperactivité, en se chargeant de tâches qui ne nous incombent pas, avec zèle. L’idéologie très simpliste et idéologiquement très marquée du burn-out du travailleur hyper engagé doit vraiment être interrogée. Elle n’est pas fausse, mais pas exhaustive. C’est un mythe, et qui perdure.

Qu’est-ce qui prime dans le burn-out ? La relation humaine, la qualité du travail, sa quantité, son sens ?

Difficile de hiérarchiser, mais la question du sens semble prioritaire, puisque le burn-out est un phénomène strictement subjectif. La nature humaine est ainsi faite que moins vous attribuez de sens à votre travail, plus vous allez estimer qu’on vous en donne, et sans intérêt, d’où un cercle vicieux. La qualité des relations est aussi importante, mais vient comme facteur aggravant dans la mesure où, face aux difficultés, le soutien social, horizontal ou vertical, se voit mis à mal. À l’augmentation perçue des exigences du travail répond une perte de soutien humain. En situation de difficulté, une partie des ressources traditionnelles s’effrite donc.

Mais il y a toujours eu des problèmes relationnels, de quantité ou de qualité de travail subjectivement perçues. Le burn-out a-t-il toujours existé ?

J’ai tendance à penser qu’il s’agit de ce qu’on appelle un syndrome culturel, c’est-à-dire spécifique à une civilisation à un moment donné. Elle s’inscrit dans un étiquetage médicalisant, mais pas médical, de phénomènes de fatigue et de malaise civilisationnel au gré des enjeux de chaque époque. La neurasthénie, syndrome de fatigue générale, autre syndrome culturel, avait beaucoup de points communs avec le burn-out. On parlait aussi d’ennui, de spleen chez les romantiques. La neurasthénie a fait fortune auprès de la bourgeoisie où elle est née, et puis, en se démocratisant, elle a perdu de son charme et a fini par disparaître en tant qu’entité clinique. De même qu’au XVIIIe siècle les courtisans souffraient de mélancolie face à la rigueur de l’étiquette de la cour, et que la mélancolie a disparu quand elle a commencé à atteindre la bourgeoisie. Aujourd’hui, puisque cette étiquette de burn-out est à disposition, il est possible que des gens atteints d’un malaise ou d’une dépression s’imprègnent de l’information disponible sur les grands symptômes pour entrer dans cette case. C’est une hypothèse qu’il ne faut pas écarter. D’autant que le burn-out permet de véhiculer des messages politiques et sociaux : si je développe de tels symptômes pour vous montrer que je suis en souffrance, c’est la faute du travail, ou du capitalisme, pas la mienne.

Aujourd’hui, s’agit-il justement d’un phénomène propre à notre société, au libéralisme peut-être, épargnant d’autres modes de vie ?

Je ne suis pas certain que les peuplades agro-pastorales d’Afrique qui travaillent infiniment plus que nous, qui n’ont pas toujours à manger et dont l’état de santé est bien moindre que le nôtre, souffrent de burn-out… Le problème ne se pose pas en ces termes, pour elles. Notre bien-être et notre état de santé ont tellement augmenté que le burn-out me semble une « maladie » propre à une société vivant en moyenne dans l’opulence : le besoin de reconnaissance professionnelle se situe assez haut dans la hiérarchie des besoins. Au XIXe et au début du XXe siècle, on avait plutôt des problèmes de santé physique au travail. Les mineurs par exemple, n’étaient pas confrontés à l’inconfort, mais aux risques de mort ou de handicap lourd. Le burn-out n’est pas propre au libéralisme mais aux sociétés occidentales, dont il se trouve qu’elles ont un système économique libéral, capitaliste en tout cas. Le néo-libéralisme a induit des facteurs de risque ou aggravants : la privatisation de secteurs d’activité, qui a attaqué le prestige de certaines professions et entraîné la modification du comportement et des attentes des usagers ; des systèmes d’évaluation du personnel, qui induiraient une forme de concurrence et non de soutien ou d’émulation entre collègues ; un accroissement de la mondialisation de l’économie, ce qui conduit à des recherches de gains de productivité par la réduction des coûts, des salaires et des effectifs. Tout cela entraîne un vécu d’intensification et de surcharge du travail, et de perte de sens. C’est une causalité multifactorielle, ce qui fait la richesse et le problème du burn-out.

Le terme peut donc être employé abusivement ?

Très clairement, oui. De même que la moindre parole de travers au travail pouvait être qualifiée de harcèlement moral lorsque le concept est apparu dans la loi française, la moindre situation de malaise en entreprise peut être désormais qualifiée de burn-out. Le harcèlement est maintenant mieux discerné, mais le burn-out est encore jeté en pâture à tort et à travers. Certains marchands du temple ont d’ailleurs intérêt à faire monter la sauce en raison d’intérêts matériels.

C’est d’autant plus gênant que la question de faire du burn-out une maladie professionnelle est dans l’air…

Quelques réglementations reconnaissent le burn-out comme maladie professionnelle, comme en Belgique ou aux Pays-Bas, et il en est sporadiquement question en France, notamment dans le milieu parlementaire, mais ça ne me semble pas opportun. Une maladie doit être en effet marquée par des causes clairement définies et des hypothèses étiologiques cohérentes bien étayées par la littérature, ainsi que par une installation et une évolution des symptômes relativement homogènes d’un individu à l’autre. Or il existe une multiplicité de causes possibles au burn-out, dont on ne sait pas lesquelles sont premières ou secondes, amplificatrices ou pas. On est par ailleurs capable de dresser une liste de 130 manifestations possibles du burn-out, qui n’apparaissent pas systématiquement, ni dans le même ordre, ni avec la même intensité chez tous les individus. On ne dispose pas non plus de traitement, mais de solutions palliatives. Pour couronner le tout, on se situe bien dans une dimension subjective des choses qui ne suffit pas du tout à définir une maladie. Il n’empêche que les gens souffrent. En schématisant, l’organisation de travail est-elle responsable, doit-elle payer, ou la faute revient-elle à l’individu qui ne parvient pas à gérer son stress, engageant sa responsabilité morale et financière ? C’est là qu’entrent en jeu des options politiques.

Cinq choses à savoir

1) Voilà 40 ans qu’on en parle.

Le psychologue Herbert Freudenberger, en 1974, a écrit le premier article sur le sujet. Mais c’est en 1981 qu’une recherche de Christina Maslach et Susan Jackson obtient un certain retentissement.

2) Le burn-out n’est ni un stress, ni une dépression.

Le stress, c’est l’adaptation à une situation perçue comme menaçante, avec des symptômes physiques et psychologiques en guise de dommages collatéraux. Le burn-out constitue une réaction possible au stress professionnel, avec des comportements, comme l’agressivité ou le retrait, pouvant différer de ceux du stress. Quant à la dépression, ses symptômes se font sentir dans tous les domaines. Dans le cas du burn-out, ils sont générés par le contexte professionnel et y restent prioritairement associés, même s’ils finissent par contaminer le reste du quotidien.

3) À l’origine, il n’était évoqué que pour les professions aidantes

comme les travailleurs sociaux, puis les soignants, les enseignants. On l’évoque désormais pour toutes les professions, et même pour les personnes qui n’ont pas de statut professionnel officiel, comme les mères au foyer, les étudiants, les chômeurs.

4) Il n’existe pas de modèle unique pour le décrire.

Voici les trois principaux :

– Publié en 1981, à propos des professions aidantes, le modèle tridimensionnel de Maslach et Jackson se caractérise par un épuisement émotionnel (le sujet se sent complètement exténué), puis par une dépersonnalisation (la démotivation se traduit par de l’indifférence ou du cynisme vis-à-vis d’autrui en milieu professionnel), enfin (mais ce troisième volet est critiqué) par une réduction de l’accomplissement personnel (baisse d’efficacité, dévalorisation de sa tâche comme de soi-même). Les échelles du MBI-GS (Malasch Burnout Inventory – General Survey) évaluent le burn-out en conformité avec ce modèle.

Le modèle exigences-ressources, proposé par l’équipe de la psychologue du travail Evangelia Demerouti en 2001, et sur lequel repose le test d’évaluation OLBI (Oldenburg Burnout Inventory), est applicable à toutes les professions : le stress lié aux exigences démesurées de la vie professionnelle finit par épuiser les ressources (physiologiques, psychologiques, organisationnelles, sociales, qui facilitent le travail mais aussi le bien-être professionnel et personnel), ce qui conduit notamment au retrait psychologique.

La théorie de la préservation des ressources. Ce modèle, établi par le psychologue Arie Shirom, postule que la perte continue et irrémédiable de ressources mène à l’épuisement émotionnel et donc au burn-out, celles-ci étant entendues cette fois au sens plus large, incluant par exemple les biens matériels. Ce modèle sous-tend le questionnaire SMBS (Shirom-Melamed Burnout Measure).

5) Il existe des facteurs de risque.

Bien qu’ils soient éminemment variables suivant les professions et les sujets concernés, sept semblent incontournables : Surcharge de travail ; Conflit et ambiguïté de rôles (demandes contradictoires, tâches mal définies, frontières floues entre vie professionnelle et privée); Manque de contrôle (pas assez d’autonomie, de choix dans sa méthode de travail ou ses priorités…) ; Récompenses insuffisantes (en termes de reconnaissance, de bénéfices matériels…) ; Absence de soutien social (y compris et surtout venant des supérieurs) ; Absence d’équité ; Conflits de valeurs (entre celles du sujet et celles de l’organisation).

Les femmes d’abord ! Plus nombreuses à exercer les professions d’aide les plus exposées au burn-out, elles restent aussi sensiblement moins bien payées que les hommes à travail égal et prennent toujours en charge l’essentiel des tâches ménagères. L’analyse du burn-out des femmes, plus fréquent que celui des hommes, pourrait s’arrêter là. Mais elle serait nettement insuffisante car elle tendrait à conclure que le burn-out résulte uniquement d’un trop-plein ou d’un trop peu, bref, de paramètres quantifiables. Or, le burn-out résulte d’une multitude de facteurs. S’interroger sur le burn-out des femmes, c’est s’interroger aussi sur leurs idéaux, l’image qu’elles ont d’elles-mêmes, celle que leur renvoie la société, leur relation avec les hommes, leur place dans la famille et plus largement leur rapport au monde. L’écrivain anglais Joseph Conrad écrit, dans Fortune, qu’être femme « est terriblement malaisé puisque cela consiste surtout à avoir affaire aux hommes ». Le philosophe Pascal Chabot rappelle dans son ouvrage Global Burn-out qu’à la base, « le monde du travail a été façonné par des hommes et pour eux », ce qui contraint les femmes à redoubler d’énergie pour être reconnues dans leurs compétences professionnelles. Autre réalité : les femmes sont souvent celles qui s’investissent le plus dans la vie familiale, cumulant des exigences de perfectionnisme en tant que femmes actives et en tant que mères, accumulant deux plein-temps dans une même journée. Elles sont aussi sensiblement plus nombreuses dans les métiers liés à l’humain, difficiles à exercer en raison de ce que Freud appelait le « succès toujours insuffisant », autrement dit l’impossibilité de la perfection. La pensée commune tend à croire que les femmes sont plus enclines à la compassion, de façon naturelle. Il n’en est rien. Quand elles sont médecins, infirmières, professeurs, métiers très exposés au burn-out, elles souffrent autant que les hommes. Et il se trouve que la fonction publique hospitalière compte 75 % de femmes et que les enseignants sont aux deux tiers des femmes. Des femmes qui ont parfois « embrassé ce métier pour avoir du temps pour leurs enfants mais s’aperçoivent qu’elles n’en ont pas et culpabilisent de ne pas suffisamment s’investir et comme mères et comme professeurs », précise Rémi Boyer, président d’une association dédiée aux secondes carrières des enseignants.

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Pour aller plus loin :

Violaine Guéricault,

La Fatigue émotionnelle et physique des mères, Odile Jacob, 2004.

Stéphanie Allenou,

Mère épuisée, Éditions Les Liens qui Libèrent, 2011.