Placebo et nocébo

Notes sur les effets placebo et nocebo

Placebo (par Jean-François Marion, 2009)

Comment diable lutter contre la constipation des dames de cour ? Le médecin de Napoléon trouva la solution avec la redoutable Mica panis, qui soulagea la panse des malheureuses. Comme les latinistes l’auront remarqué, il s’agissait pourtant là, littéralement, d’un traitement à la mie de pain qui n’était pas censé soigner quoi que ce soit. Du coup, la Mica panis pullula dans les officines des apothicaires jusqu’au début du XXe siècle, dispensée non plus pour les déboires intestinaux mais pour les tracas de santé pas vraiment pris au sérieux, hormis par le malade lui-même, suspecté de trop s’écouter.

Nous touchons là l’essence du fameux placebo, un pseudo traitement qui n’a rien pour être efficace, mais qui déjoue les pronostics parce qu’il produit autant d’effet qu’un vrai. Tout peut faire office de placebo, depuis le verre d’eau jusqu’à l’imposition des mains, pourvu que le patient pense avoir affaire à une vraie prise en charge. La fameuse mie de pain est un placebo « pur », qui peut fonctionner alors qu’aucune de ses propriétés n’a de vertu curative. Mais il existe aussi des placebos « impurs » : par exemple, les antibiotiques combattent les infections bactériennes, mais n’ont pas de raison de marcher contre la grippe (un virus) en l’absence de surinfection. Ils sont pourtant fréquemment prescrits dans ce cas, et peuvent contribuer au rétablissement. Alors, le placebo n’aide-t-il que les hypocondriaques se croyant à l’agonie au moindre éternuement, et ne demandant qu’à être rassurés ? En réalité, pas du tout : des études montrent qu’il soulage des personnes anormalement anxieuses ou non, des deux sexes, de toutes conditions sociales et de tous âges (les enfants y semblent encore plus réceptifs)… Et surtout, présentant toutes sortes d’authentiques symptômes, psychiques ou organiques, aigus ou chroniques. Le placebo a d’abord marqué les esprits pour son influence sur la douleur : plus de 80 % des sujets, selon les études, sentent la douleur refluer ou disparaître. Mais il atténue aussi les attaques de panique (chez 31 à 51 % des patients), les angines de poitrine (80 %), l’hypertension (50 %), l’asthme chronique (37 %), l’arthrite (80 %), les douleurs postopératoires (jusqu’à 70 %)… Il peut modifier rythme cardiaque et tension artérielle, augmenter la concentration en globules blancs, faciliter la cicatrisation, pulvériser les verrues, et mater l’insomnie… Il arrive que des patients, ouverts par le chirurgien mais aussitôt refermés devant les difficultés rencontrées, se réveillent guéris, ignorant que le praticien n’est pas intervenu. Il existe même des IVG placebos pour grossesse nerveuse : la patiente est endormie, mais à son insu sans intervention, ce qui suffit parfois à faire disparaître les symptômes.

Un placebo fonctionne encore mieux s’il est nanti d’un nom compliqué (pour un somnifère, sans doute « Paracylxeromytynxol-C2 » portera-t-il davantage ses fruits que « Dodo ronflette »). De même, son administration s’avère primordiale : il agit davantage en injection qu’en gélule. Chez les anxieux, plusieurs prises sont plus efficaces qu’une seule, même par petites doses. Et que dire de son aspect ? Un médicament excitant doit être rouge, un somnifère, bleu, un analgésique, blanc, et un laxatif, marron (allez savoir pourquoi !). Il lui faut un goût amer, et non sucré. Et tant qu’à faire, qu’il coûte cher : on espère davantage d’un produit à 40 euros non remboursés, qu’à 1,50 euro pris en charge. Est-ce pour cela que les génériques suscitent si peu d’engouement ? L’économiste Dan Ariely se demande même si l’envoi de médicaments bon marché dans les opérations humanitaires ne serait pas préjudiciable à certains malades… L’industrie pharmacologique a en tout cas pleinement intégré l’effet placebo dans la commercialisation de ses produits, dont les détails ne sont pas laissés au hasard.

Et maintenant, de plus en plus fort : un placebo fonctionne dans 70 % des cas s’il est vanté par un docteur, a fortiori réputé, mais dans seulement 25 % des cas par une « simple » infirmière, perçue comme détenant une moindre autorité médicale. La fameuse « écriture de médecin », illisible sauf par le pharmacien initié, pourrait même participer à l’effet placebo. Mieux vaut apparemment considérer que le prescripteur n’est pas le premier venu, et sait ce qu’il fait. Ce qui rejoint le « phénomène de la blouse blanche » : la seule présence du toubib peut augmenter la tension qu’il vient mesurer… Mais alors, tout se passerait dans la tête du patient ? Oui… mais du médecin aussi ! La mésaventure de l’américain Stewart Wolf est restée célèbre : il était chargé, dans le cadre d’une étude, de prescrire tantôt un verum (un « vrai » médicament), tantôt un placebo. Dans le premier cas, ses patients se portaient mieux, dans le deuxième, ils allaient moins bien. Or sans le savoir, il n’avait donné que des placebos ! Mais des indices (verbaux ou non) à peine perceptibles avaient dû renseigner les malades sur l’efficacité qu’il attribuait, en son for intérieur, aux différents traitements. Quand il prenait lui-même le placebo pour un verum, ses patients se portaient mieux. Le phénomène a même été repéré chez les vétérinaires, qui soignent parfois très bien un animal avec un produit qu’ils ignorent être un placebo. Il ne suffit donc pas que le patient croie en son médecin, encore faut-il que ce dernier croie en son traitement, en ses chances de réussite, et en la fiabilité de son diagnostic. Comme on le sait désormais en psychothérapie, le soignant fait partie intégrante de la prise en charge, et de l’effet placebo.

Puisque la science ne peut l’ignorer, elle fait avec : l’effet placebo appartient tellement au paysage qu’il est pris en compte dans les protocoles de recherche de nouveaux médicaments, depuis les années 1960 aux Etats-Unis, plus tardivement en Europe. Pour faire la preuve de son efficacité supérieure à toute autre prise en charge, un nouveau produit sera comparé soit à un traitement antérieur, soit, en l’absence de celui-ci, à un placebo. Les prescriptions sont effectuées en double aveugle, c’est-à-dire que ni les sujets ni les médecins ne connaissent la nature exacte du produit prescrit. Mais certains observateurs jugent de telles précautions insuffisantes : une controverse de la fin des années 1990 dans la revue scientifique Prevention and Treatment soulignait que 75 % des améliorations dues aux antidépresseurs relevaient peut-être uniquement de l’effet placebo.

On le voit, le placebo rend service à la médecine (après tout, il soigne) tout en l’encombrant. C’est qu’il est imprévisible, donc difficile à étudier : il marche par exemple dans plus de 30 % des cas de douleur chronique, mais seulement dans dix fois moins des douleurs déclenchées dans un cadre expérimental. En outre, la même personne n’y sera pas toujours réceptive, ni pour les mêmes symptômes. Avec des manifestations si capricieuses, aucune explication satisfaisante ne peut faire l’unanimité. Il pourrait par exemple résulter d’une coïncidence : le patient bénéficie d’une amélioration spontanée, qu’il attribue au traitement pris au même moment. Du coup, s’il le reprend, il en attendra des résultats identiques et se placera lui-même dans un état d’esprit favorable pour se sentir mieux. En clair, il se conditionne. Et automatiquement, il n’a pas même à « croire » consciemment au remède. Peut-être… mais l’effet placebo peut se manifester dès la toute première observation du traitement. Depuis un article retentissant de John Levine et ses collaborateurs sorti en 1978, on s’intéresse plutôt à la piste (non exclusive de la précédente) de substances endogènes, c’est-à-dire produites par notre propre corps : les endorphines. Hormones analogues à la morphine et sécrétées par le cerveau, elles seraient par exemple sur-fabriquées grâce aux espoirs placés dans une prise d’antalgique fictive. Or nous savons aujourd’hui que de nombreux produits (morphiniques, antidépresseurs…) activent les mêmes régions cérébrales que leur placebo. Et après tout, notre humeur, notre moral, notre anxiété modifient notre système immunitaire ou endocrinien… Aussi bien pour l’atténuation de la douleur que la disparition d’une verrue, le placebo servirait d’accélérateur à des processus de guérison spécifiques gérés par le cerveau, qui produit naturellement, mais en quantité moindre, les éléments nécessaires à notre rétablissement (antalgiques, antibiotiques…). En tout état de cause, difficile de dépasser le stade des hypothèses.

Ainsi la littérature sur le sujet souligne-t-elle sans relâche l’importance du contexte de prescription, ainsi que des croyances du médecin et du malade, pour donner un coup de pouce aux soins que notre corps tente de s’administrer spontanément, selon des modalités qui nous restent à saisir. Hippocrate considérait déjà que la guérison reposait dans la confiance éprouvée envers le médecin. Et l’Evangile selon Matthieu (13, 53-58) explique que, sans vouloir ramener ses dons de thaumaturge à de la simple suggestion, Jésus accomplit peu de miracles à Nazareth parce que, dans cette ville qui l’avait vu grandir, les gens ne croyaient pas en son pouvoir divin. Aujourd’hui, 80 % des problèmes cardiaques seraient partiellement améliorés par la simple passation de tests : avoir la preuve que l’on va s’occuper de nous avec des garanties d’efficacité nous donnerait le feu vert pour assurer une grande part du travail nous-mêmes.

La croyance est un levier puissant expliquant peut-être que le placebo ne semble fonctionner que chez les patients conscients et lucides. Placebo et suggestion seraient-ils synonymes ? Au sens strict, non, car le placebo suppose l’administration d’un traitement. Mais le psychiatre Patrick Lemoine qualifie le médicament d’objet transitionnel entre médecin et patient : il aurait en somme le même statut que le doudou entre la mère et l’enfant, rassurant avant tout selon la psychanalyse. Pour certains auteurs comme Philippe Pignarre, fin connaisseur de l’industrie pharmaceutique, le placebo n’est qu’une fumisterie et relève, chez les spécialistes de la question, de la paresse intellectuelle masquant nos capacités sous-estimées de rémission spontanée.

Et qui disposait lui aussi, dans sa pharmacie, d’un bocal de Mica panis, le fameux traitement à la mie de pain, Emile Coué, l’inventeur de la méthode d’autosuggestion positive qui lui valut la gloire… Dans La Maîtrise de soi-même par l’autosuggestion consciente (1922), il estimait d’ailleurs que si, étant malades, nous nous mettons dans l’esprit l’idée de guérison, alors « celle-ci devient une réalité dans le domaine de la possibilité, c’est-à-dire que, si elle est possible, elle se produit ; si elle ne l’est pas, naturellement elle ne se produira pas ; mais, dans ce dernier cas, on obtiendra toute l’amélioration qu’il est humainement possible d’obtenir, ce qui est déjà fort appréciable quand elle est considérée comme improbable. » Ainsi l’obscur placebo illustre-t-il la capacité de l’être humain à croire aux belles histoires qu’il se raconte ou se laisse raconter, quelquefois pour son plus grand bien.

Placebo (Par Aline Mercan, 2007)

Mais le placebo, au-delà du biologique et de la question de la transposabilité des résultats d’études cliniques à la pratique médicale courante, pose avec acuité le rôle majeur du contexte de prescription. Ainsi une information de qualité ou une bonne observance associées au placebo, le rendent plus efficace qu’une molécule « active » dispensée sans information ou faisant l’objet d’une mauvaise observance. L’Evidence based medicine vient par ailleurs rappeler que le premier « médicament » est le médecin et que l’on « ne connaît pas sa pharmacologie ». Ainsi, ce qui soigne n’est pas seulement le médicament, mais l’ensemble du contexte thérapeutique. On présente alors le « modèle biopsychosocial » qui ressemble encore à une boîte noire dans laquelle auraient lieu les effets thérapeutiques. Pourtant, à en juger par les discussions de la journée, la nouvelle preuve scientifique de ce constat semble encore difficilement acceptable. D’ailleurs, une tendance de la recherche consiste à neutraliser toujours plus le contexte en recourant à des administrations de produit à l’insu des patients, à la recherche d’une activité biologique toujours plus « pure » et affranchie de tout contexte… pour y découvrir que l’effet placebo y existe encore ! Au mieux les thérapeutes admettent exercer une influence – qu’ils qualifient encore de « mise en scène » – sur l’efficacité de leur prescription. On commence à imaginer le trio médecin-malade-remède, mais on a du mal à voir au-delà.

Pour certains historiens de la médecine, toute l’histoire de la thérapeutique jusqu’au 16e siècle se confondrait avec celle de l’effet placebo. Cette interprétation postule implicitement que la médecine moderne s’en serait affranchie, outre que toute thérapeutique antérieure n’aurait été d’aucun effet biologique. On est dans le ton de l’ambivalence de la biomédecine vis-à-vis de l’effet placebo : elle le rejette comme un signe d’archaïsme et de tromperie, tout en ne cessant de s’y mesurer dans ses évaluations cliniques.

Pourtant les techniques d’imagerie type pet-scan permettent d’objectiver des manifestations biologiques de l’effet placebo, en particulier dans la douleur, la dépression et la maladie de Parkinson. Elles montrent l’activation de circuits nerveux semblables, sans être toujours exactement superposables, à ceux mobilisés par le produit « actif ». Les théories explicatives restent celle de l’attente/suggestion ou du conditionnement/apprentissage. Le fait que les douleurs naturelles répondent beaucoup mieux au placebo que les douleurs expérimentales illustre la différence entre les patients s’inscrivant dans une démarche thérapeutique centrée sur l’amélioration ou la guérison, et les volontaires sans attentes particulières.

Plusieurs interventions ont permis de déconstruire un certain nombre d’idées simplistes sur le placebo : un tiers d’effet placebo dans toute étude, effet de courte durée, profil particulier des placebo-répondeurs, surexpression de l’effet placebo dans les troubles fonctionnels, carence éthique du médecin qui laisserait souffrir son patient etc… On tente actuellement la modélisation mathématique de l’effet placebo, de l’effet placebo du produit actif, de l’effet placebo du placebo. On a également discuté les biais des études randomisées contre placebo, en particulier l’échec fréquent du double aveugle.

On voit ainsi se dégager deux grandes tendances opposées. D’une part un scientisme pour lequel les dimensions relationnelles relèvent de la « manipulation », dimension symbolique d’une « gangue mystique » dont la biomédecine s’est enfin dégagée. Dans cette tendance, le biomédecin est le technicien d’un corps réduit à sa composante biologique qui cherche à évacuer tout facteur parasite d’une action pharmacologiquement pure. Utiliser un placebo, pur ou impur, devient une tromperie consciente et non éthique. Toute thérapeutique alternative dans l’impossibilité de prouver son efficacité à l’aune de l’étude randomisée en double aveugle est assimilée à un placebo et disqualifiée à ce titre. De fait la biomédecine laisse le champ libre à d’autres thérapeutiques qui peuvent prétendre au holisme, utiliser l’effet placebo (qu’un intervenant assimile à la capacité du corps à guérir, notion elle-même ignorée par la biomédecine qui pathologise volontiers le normal) et offrir une autre lecture du corps (que les patients font fort bien cohabiter avec celle du corps biologique décontextualisé de la biomédecine).

Pour l’autre tendance, l’effet placebo révèle la part du contexte, de la relation, du rituel, du symbolique, qui se traduisent par de réels effets biologiques. L’anthropologue plaide alors pour la prise en compte d’un système complexe qui va au-delà du triangle médecin/patient/médicament, et ne se réduit certainement pas aux seules propriétés pharmacologiques d’une molécule. Le placebo pourrait alors idéalement être compris, assumé et réintégré à une pratique dont il a été artificiellement évacué bien qu’il ne l’ait en réalité jamais déserté, tapi dans l’effet placebo du produit actif, ou dans le discours scientiste, lui-même porteur de représentations symboliques fortes. Pour l’anthropologue, l’effet placebo est le symptôme d’une certaine impuissance méthodologique et théorique de la science à réduire le corps malade et ses mystères à un pur corps biologique. Jussieu dénonçait déjà, dans les premières expériences sur le magnétisme animal contre placebo, l’évacuation de la problématique observée : « On ne sait pas plus ce qu’est l’imagination (le placebo) que le magnétisme (le traitement) ».

L’effet nocebo (A partir de propos de Patrick Lemoine)

Le terme de nocebo, étymologiquement « je nuirai », fut employé pour la première fois en 1961 par le médecin Walter Kennedy. Un patient sur quatre en ferait l’objet. Il s’agit en quelque sorte d’un placebo qui a mal tourné, puisque celui-ci, comme tout verum, peut intoxiquer, provoquer des effets secondaires (vertiges, maux de tête, diarrhées, allergies, douleurs menstruelles…) et même une accoutumance : on peut devenir « accro » à un produit totalement neutre. L’anxiété lui serait propice : faire tester un produit neutre à des patients sans leur préciser de quoi il s’agit, ni quels effets il peut produire, déclencherait des symptômes ex nihilo dans plus de 80 % des cas. Selon une recherche italienne, entendre un discours désobligeant ou menaçant augmente ainsi le taux de cholécystokinine, hormone impliquée dans la perception de la douleur. Et pour une étude cette fois florentine, un médicament pour la prostate provoque l’impuissance chez 31 % des hommes auxquels on a exposé les désagréments possibles sur leur libido, mais chez 9,6 % chez ceux qui ne sont pas avertis…

L’effet nocebo peut prendre des proportions tout à fait inattendues. En temps normal, les patients parkinsoniens voient leurs tremblements cesser instantanément après l’implantation d’électrodes dans une partie motrice de leur cerveau. Mais si on leur dit que l’installation est défaillante, ils peuvent retrouver certaines difficultés à bouger, simplement parce qu’ils croient leur mobilité compromise. Le cas suivant a même été rapporté : un prêtre était appelé dans un hôpital pour administrer l’extrême-onction à un patient mourant. Mais il se trompa de chambre. Le malade vu par erreur, qui à l’origine ne se portait pas si mal que cela, crut sa dernière heure arrivée… et décéda en un quart d’heure. Le véritable agonisant survécut quelques jours.

L’effet nocébo est le revers de la médaille de l’effet placebo : il s’agit d’un effet négatif qui va annuler ou réduire, voire annuler les effets pharmacologiques d’une substance. L’effet nocebo, comme l’effet placebo, n’est pas lié au médicament pris, mais principalement à l’attente du patient, découlant elle-même de l’attente du médecin vis-à-vis du traitement qu’il prescrit. De même que l’effet placebo est le reflet de la bonne relation thérapeutique, on présuppose que l’effet nocebo est lié à une mauvaise relation entre médecin et patient autour d’une croyance partagée quant à l’efficacité de la prise en charge. Il n’y a donc pas de bon ou de mauvais thérapeute, ni de bon ou mauvais patient, mais une bonne ou une mauvaise relation thérapeutique. Ceci dit, nous touchons là un domaine encore marginal qui, malgré quelques études, intéresse encore peu la médecine.

(…) L’effet nocebo peut jouer comme un accélérateur de mécanismes pathologiques. L’effet placebo favorise la sécrétion par l’organisme de substances thérapeutiques qui vont des anti-inflammatoires aux antinicotiniques en passant par les antidépresseurs et les antibiotiques, et même des amphétamines, des morphiniques et toutes les drogues de la création ! Exactement en miroir, si le patient estime que son médecin ne conçoit aucun espoir pour lui, beaucoup de mécanismes liés au stress comme le taux de noradrénaline ou de cortisol, la tachycardie, l’hypertension… peuvent expliquer des complications « nocebologiques ».

Dans les études en double aveugle, l’effet nocebo est pris en compte puisque, dans les groupes placebos, les patients développent les mêmes effets secondaires qu’avec le vrai produit : dans le cas des antidépresseurs, il peut s’agir d’une insomnie, de la bouche sèche, de constipation, de nausées et de maux de tête… Quant à imaginer que l’effet nocebo puisse entraîner non pas des effets secondaires mais l’annulation pure des effets de l’antidépresseur, j’en suis persuadé, même s’il n’existe pas d’études à ce sujet. En Grande-Bretagne, un médecin a mené une expérience avec les patients présentant des symptômes fonctionnels de type fatigue, maux de tête… Après tirage au sort, à certains il a donné un diagnostic scientifique en affirmant que le traitement les guérirait dans la semaine. Aux autres, il a prétendu qu’il ignorait ce dont ils souffraient et leur a prescrit un médicament usuel. En réalité, à tous il donnait du placebo. Evidemment, le premier groupe s’est mieux rétabli. On pourrait imaginer une expérience analogue, placebo versus placebo, pour mettre en évidence un effet nocebo lié au discours du médecin et à son enthousiasme. L’optimisme déclencherait le placebo, et le pessimisme, le nocebo.

 (…)

Concernant les personnes dites « électrosensibles »., certaines d’entre elles peuvent relever d’un effet nocebo. J’ai réalisé une expérimentation avec une jeune universitaire qui disait ne plus pouvoir vivre dans ce monde bourré de rayonnements, au point de vouloir s’installer sur une île pour échapper à ses maux de tête, ses vertiges, sa fatigue et ses insomnies. J’ai voulu que l’on vérifie ensemble que ses symptômes étaient bien liés, par exemple, à son téléphone portable. Pour ses vacances, un complice ingénieur a bricolé son téléphone pour qu’il soit alternativement, durant des périodes définies par tirage au sort, éteint ou en veille. Ses parents devaient l’appeler toutes les deux heures. Comme il n’y avait ni sonnerie ni vibreur, elle ne pouvait savoir s’il était actif. A la fin de chaque période, selon ses effets secondaires, elle devait parier si l’appareil avait été en activité ou non. Au vu des résultats, elle qui était une scientifique a tout de suite compris de quoi il en retournait, à la fois vexée et rassurée de pouvoir vivre dans ce monde rempli d’ondes… Je pense donc vraiment que l’électrosensibilité fonctionnelle est un pur effet nocebo, secondaire à la campagne médiatique et aux juges insuffisamment informés qui ont instruit dans de tels procès et donné raison aux plaignants. En revanche, je ne me prononce pas sur les tumeurs et les processus longs. Là, personne n’en sait rien.

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Références

Aulas J.-J. (2003). Placebo. Chronique d’une mise sur le marché. Editions Science Infuse.

Fecteau D. (2005).  L’Effet placebo. Le pouvoir de guérir. Editions de l’Homme.

Godfroid I.-O. (2003). L’Effet placebo. Un voyage à la frontière du corps et de l’esprit. Socrate Editions Promarex.

Lemoine P. (1996). Le Mystère du placebo. Editions O. Jacob.