Histoire et actualité du diagnostic en psychologie de l’enfant
Histoire et actualité du diagnostic en psychologie de l’enfant
Par Robert Voyazopoulos
Pour citer cet écrit :
Voyazopoulos R. (2019). De l’usage du mot diagnostic en psychologie de l’enfant. Bulletin de psychologie, 559, 1, 3-7.
Ce dossier, centré sur la question du diagnostic psychologique chez l’enfant, est une conjugaison de plusieurs textes, dont certains constituaient la base originale de travaux présentés à la journée d’études organisée par l’Association francophone de psychologie et psychopathologie de l’enfant et l’adolescent (APPEA) à Paris, en 2016.
L’argument initié pour cette journée partait d’une constatation : l’évaluation du développement et du fonctionnement psychologiques, de la toute petite enfance à l’adolescence, représente une des fonctions majeures du psychologue, mais cette fonction d’expertise clinique, complexe et sensible, dont la conduite repose généralement sur quelques grands principes de méthodologie, a aussi des applications variables ou hétérogènes selon les praticiens et selon le domaine institutionnel ou professionnel dans lequel elle s’exerce.
Par la publication et la diffusion de 32 recommandations (Voyazopoulos, Eynard, Vannetzel, 2011), la Conférence de consensus sur l’examen psychologique et l’utilisation des mesures en psychologie de l’enfant a tenté de contribuer à la professionnalisation et à l’amélioration des pratiques dans ce domaine.
Mener une évaluation psychologique, recueillir des données cliniques, resserrer peu à peu le champ des hypothèses et rendre compte de ce travail au cours d’un entretien et d’un écrit s’apparente à une démarche de découverte progressive et d’élaboration prudente : le terme de « diagnostic » psychologique, qui en serait l’aboutissement, est-il, pour autant, justifié ? Son utilisation même pose encore problème : l’évaluation psychologique a-t-elle comme objectif d’aboutir à une hypothèse diagnostique sur le développement et le fonctionnement de la personne ? De quelle légitimité (scientifique, professionnelle, sociale) le diagnostic psychologique peut-il être revendiqué ?
Le mot diagnostic, complété du qualificatif psychologique, n’a pas, à notre connaissance fait l’objet, jusqu’à aujourd’hui, d’une étude précise, même s’il a été mentionné dans différents textes et commentaires contemporains, sans pour autant être précisé, voire justifié. L’une des premières utilisations de ce terme, dans le domaine psychologique, peut être probablement attribuée à Binet et Simon en 1904 dans L’Année psychologique, avec leur célèbre article « Méthodes nouvelles pour le diagnostic du niveau intellectuel des anormaux ». Ils y exposent leurs travaux dans ce qu’ils désignent comme une intention de « diagnostic scientifique des états inférieurs de l’intelligence ». L’usage du mot diagnostic leur sera ensuite habituel et on le retrouvera dans plusieurs de leurs publications.
Le psychiatre suisse Hermann Rorschach publie en 1921, en langue allemande, son ouvrage, Psychodiagnostik dont la traduction française paraîtra en 1947 sous le titre Psychodiagnostic et aura le succès que l’on sait bien après le décès précoce de son auteur. L’élan donné à ce terme aura, sans doute, contribué à sa généralisation et l’un de nos premiers grands psychologues, André Rey, a travaillé et écrit sur le diagnostic mental (1935) ou le diagnostic psychologique (1947), sans que ces termes ne suscitent apparemment, à cette époque, la moindre réserve. Jusqu’à Jean Piaget, qui en usera volontiers dans ses publications scientifiques et psychologiques, par exemple, avec son associée Bärbel Inhelder (1943), qui titrera un de ses ouvrages, Le diagnostic du raisonnement chez les débiles mentaux. La méthode clinique et critique développée par le grand épistémologue et psychologue sera, tout au long de son parcours, marquée par une proximité avec la perspective diagnostique propre à la psychologie clinique.
Dans son exercice de définition de la psychologie clinique (L’unité de la psychologie, 1949), Daniel Lagache usera sans réserve des termes diagnostic psychologique, précisant même clairement que « Le diagnostic psychologique est préalable à tout projet de soin ou d’intervention » ; ce que renforce précisément l’historienne de la psychologie clinique Annick Ohayon (2006) à son propos : « Pour Daniel Lagache, l’acte caractéristique de la psychologie clinique est le diagnostic ».
Enfin, les indispensables références fondatrices de René Zazzo, en 1969, avec le Manuel pour l’examen psychologique de l’enfant et les nombreux travaux anglophones et francophones qui les ont précédés et poursuivis, ont, pour ainsi dire, donné au diagnostic psychologique chez l’enfant, sinon ses lettres de noblesse, du moins son cadre méthodologique et clinique. René Zazzo nommera diagnostic progressif ce cheminement lent et prudent vers la solution, en resserrant, peu à peu, le champ des hypothèses (Meljac, 1996).
Le Manuel du diagnostic psychologique, de Richard Meili (1964), traduction et actualisation d’un ouvrage écrit bien plus tôt dans la langue d’usage de l’auteur, témoigne également, à la même époque, de cette utilisation répandue et consensuelle du terme aujourd’hui discuté.
L’association avec d’autres qualificatifs (on peut ainsi mentionner, en psychologie, le diagnostic psychopathologique, le diagnostic différentiel ou encore le diagnostic fonctionnel, etc.) laisserait entendre que le concept même de diagnostic serait implicitement accepté. Il en va de même pour la forme adjective rencontrée dans les textes cliniques : on y expose ainsi, pour les psychologues, la démarche et la description diagnostiques, la recherche des critères diagnostiques et l’appellation de diagnosticien attribué au psychologue clinicien sera même proposée par Jean Guillaumin (1965), psychologue pourtant bien ancré dans la culture psychanalytique.
On ne s’étonnera donc pas de lire, quelques années plus tard, sous la plume de Colette Chiland (1985), dans l’article consacré à l’examen psychologique de l’enfant, que celui-ci est une contribution au diagnostic du développement et du fonctionnement mental, rejoignant ainsi Roger Perron et Michèle Perron-Borelli, auteurs de l’indispensable L’examen psychologique de l’enfant (1970), une alliance de sensibilité clinique, de rigueur méthodologique et de données scientifiques, la référence majeure des étudiants et des psychologues pendant un demi-siècle, et toujours fondamentale, où ils y définissent la démarche d’examen psychologique comme une démarche de diagnostic.
Nous voudrions, ici, n’oublier personne, d’Hervé Benony à Annick Weil-Barais, de Jean Dumas à Jacques Grégoire, de Didier Anzieu à Anne Andronikof, tant leurs contributions à la méthodologie de l’évaluation psychologique et à la défense d’une méthode clinique, reposant sur l’objectivité scientifique, le cadre contenant et bienveillant, et une éthique de la relation ont été essentielles : pour chacun d’eux et tous ceux que nous ne pouvons citer, le diagnostic est très clairement et logiquement l’aboutissement de l’examen psychologique.
Néanmoins, il ne serait pas le simple aboutissement d’une succession de moments, qui irait du premier entretien et de techniques d’investigation à la synthèse de l’ensemble des données cliniques recueillies. Le choix d’un examen psychologique, comme moyen approprié de répondre avec pertinence aux attentes qui lui sont exprimées, n’est pas anodin pour le psychologue. Sa conduite répond à des choix et des actes professionnels multiples : l’analyse de la demande, le contexte de la consultation, l’expression symptomatique de l’enfant, le déroulement des moments de rencontre, de même que les modèles théoriques de référence sont le résultat d’une démarche qui se veut réfléchie et contrôlée. Pour autant, de nombreuses influences s’y expriment et les moments d’évaluation clinique et psychométrique sont entachés de biais méthodologiques, qui fragilisent et élargissent le cadre interprétatif initialement conçu. Parfois remis en cause, contesté dans son usage même, écarté pour ses risques éventuels de stigmatisation et d’utilisation excessive des normes et des classifications, pour ses possibles tendances à la simplification ou une prédictivité aliénante, le diagnostic psychologique est un des points de rencontre parfois polémiques, où s’expriment les pratiques actuelles des psychologues et les enjeux professionnels de demain. Le diagnostic psychologique (2004) est le titre audacieux, au regard de ceux qui doutent, mais éloquent, du travail contemporain de Serge Sultan à propos du cadre complexe d’exercice des professionnels dans ce champ clinique.
C’est dans ce contexte d’actualités professionnelles que plusieurs textes sont réunis dans le présent dossier thématique : chacun d’eux vise à montrer le dynamisme et la créativité qui marque aujourd’hui un espace de pratiques vis-à-vis desquelles les citoyens sont de plus en plus sensibles et exigeants.
Dans le premier texte, Serge Sultan et Marie-Julie Béliveau, « Le diagnostic psychologique de l’enfant : de nos principes scientifiques à nos pratiques professionnelles », invitent à considérer le concept de diagnostic psychologique comme une description valide du fonctionnement psychologique, appuyée sur une démarche méthodologique raisonnée, mais trois défis attendent le psychologue de l’enfance et de l’adolescence sur ce parcours : celui de la période de développement psychologique important et les changements qu’il implique chez le jeune sujet, le jeu différent du social selon les âges, la place du langage. Ils s’interrogent principalement sur les biais de l’évaluation isolée de l’enfant, sur la validité de jugement du psychologue et sur la limite des tests : une possibilité d’y échapper consisterait à adopter la démarche de stratégie de recueil multi-informants et d’y associer la richesse de l’examen multi-méthodes, décrite comme une « évaluation collaborative », reposant également sur des capacités « autoréflexives ». Cette perspective se révèle prometteuse pour la clinique et le diagnostic psychologique.
Pour aller plus loin : Sultan, S. & Béliveau, M. (2019). Le diagnostic psychologique de l’enfant : de nos principes scientifiques à nos pratiques professionnelles. Bulletin de psychologie, 559, 1, 9-18.
L’évaluation psychologique, selon Lionel Chudzik, dans la lignée des travaux de Stephen Finn, s’appuie également sur une approche collaborative de l’évaluation, en affichant des intentions thérapeutiques et en proposant de faire, du bilan psychologique, une intervention familiale brève. Le potentiel thérapeutique du bilan psychologique chez l’enfant ou l’adolescent est mis en valeur par la prise en compte de la dynamique familiale et la contribution des parents, par la place et le rôle des interactions familiales. Le dispositif proposé présente l’avantage d’éloigner en partie les risques de la normalisation, de la classification psychométrique et de la stigmatisation potentiellement portés par le diagnostic nosologique. Il s’agit donc, pour les auteurs, d’un véritable changement de paradigme pour le bilan psychologique et d’une opportunité exceptionnelle pour les psychologues. Un cas clinique témoigne de l’importance de la dynamique familiale dans la démarche d’évaluation, qui développe conjointement un véritable processus de changement.
Pour aller plus loin : Chudzik, L., Frackowiak, M. & Finn, S. (2019). Évaluation thérapeutique et dépression de l’enfant : faire du bilan psychologique une intervention familiale brève. Bulletin de psychologie, 559, 1, 9-27.
Pour Myrna Gannagé, la démarche diagnostique permet de structurer et de clarifier la pensée du psychologue engagé dans l’évaluation du développement et du fonctionnement psychologique de l’enfant. S’appuyant sur la clinique du traumatisme chez l’enfant de la guerre, elle pose la question de la causalité en psychopathologie et du rôle du traumatisme dans l’étiologie des troubles psychologiques. La présentation des conclusions d’une recherche menée au Liban, en suite de bombardements de villages, montre que les différences d’incidence des événements traumatiques chez les enfants ne sont pas dues uniquement au niveau d’exposition au stress, mais qu’elles relèvent surtout de la qualité des soins maternels au cours de la première enfance. Elle conclut que la notion de diagnostic psychologique est importante mais insuffisante pour rendre compte d’un processus dynamique, modifiable et variable dans le temps.
Pour aller plus loin : Gannagé, M. (2019). La clinique du traumatisme chez l’enfant de la guerre s’accorde-t-elle avec la notion de diagnostic ? Bulletin de psychologie, 559, 1, 29-36.
L’articulation pluridimensionnelle, avancée par Olivier Halimi, enrichit la collaboration pédopsychiatre-psychologue dans la démarche diagnostique, par une perspective multidirectionnelle et processuelle. Si cette démarche conjointe paraît évidente pour le psychologue clinicien et le pédopsychiatre, elle doit compter avec l’éclairage du bilan psychologique « approfondi », comme aimait le définir Rosine Debray (2000) : échelle de développement intellectuel et épreuves projectives s’enrichiront mutuellement pour instaurer une clinique diachronique utile à l’exercice conjoint des professionnels de santé et pour le plus grand profit du jeune sujet lui-même. La présentation d’une étude de cas d’un jeune adolescent instable témoigne d’une double orientation psychanalytique et développementale, que promeut une grande partie des cliniciens français sans toujours bien l’argumenter.
Pour aller plus loin : Halimi, O. (2019). Apports du bilan psychologique à la démarche diagnostique : le cas de Ben. Bulletin de psychologie, 559, 1, 37-45.
Le texte d’Anne Andronikof est un point de vue engagé en forme de plaidoyer pour le diagnostic psychologique : il y a, pour l’auteur, danger à ne pas poser un diagnostic psychologique à l’issue d’une évaluation et même « faute professionnelle ». S’affranchir de ce diagnostic, sous le prétexte d’échapper au risque de l’enfermement nosologique ou de la stigmatisation, repose sur un malentendu à propos des objectifs de l’évaluation. Le psychodiagnostic a pour but de mettre en évidence les particularités et les potentialités du fonctionnement psychologique au sein de la dynamique de développement et du contexte de vie de la personne. L’objectivation et la désubjectivation du problème exprimé par le sujet peut avoir un effet libérateur et déculpabilisant pour lui-même et sa famille. Il s’agit de décrire un trouble et le processus complexe qui en est à l’origine, de comprendre la symptomatologie comme manifestation d’un trouble de l’ajustement réciproque entre la personne et son environnement, et pas de la figer dans une structure psychique contraire à la réalité de la dynamique développementale inhérente au temps de l’enfance et de l’adolescence.
Pour aller plus loin : Andronikof, A. (2019). Diagnostic et perspective clinique sont-ils compatibles ? Bulletin de psychologie, 559, 1, 47-52.
Ces textes croisés ouvrent de nouveaux espaces de réflexion pour l’exercice de l’évaluation psychologique confrontée aujourd’hui aux impératifs de justification des actes professionnels et de fondements des pratiques sur des données probantes. L’Evidence-Based Mental Health tend progressivement à s’imposer dans les champs de la santé mentale, et les associations d’usagers et de patients approuvent majoritairement les nouveaux modèles et critères d’évaluation des personnes exigés au niveau international.
Les questionnements éthiques devront, à l’avenir, davantage accompagner ces pratiques cliniques de l’évaluation et du diagnostic psychologiques, notamment dans leurs aspects de communication et de partage des informations.
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Références
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