Autisme. Faire converger les champs théoriques
Autismes. Une tentative pour faire converger les champs de recherche
Par Catherine Gintz
Pour citer cet article :
Gintz, C. (2016). Les autismes : des pistes pour un abord pluriel ? Autisme et mélatonine. Cahiers de PréAut, 13, 1, 67-84.
Ce travail résulte d’un questionnement, qui a pour fil conducteur les difficultés d’un enfant dit « autiste » selon les critères actuels. Il est alimenté par ma culture médicale et mon travail de psychanalyste. Dans un contexte social de guerre et de rivalités portant sur les différents abords théoriques voire idéologiques, il me semble important d’interroger chacun dans ce qu’il peut apporter à la compréhension du phénomène autistique, et dans ce qu’il peut proposer pour soulager quelque peu les personnes qui en souffrent.
L’autisme, ou plutôt les autismes – tant les tableaux et les étiologies sont variés – ont suscité de nombreuses recherches dans différents domaines, sans que soit isolé jusqu’ici, un modèle étiologique, un marqueur biologique ou clinique qui permette de caractériser véritablement ce syndrome. Si des rapprochements statistiques ont été faits avec de nombreuses mutations génétiques, aucun mécanisme d’action allant du gène au tableau clinique n’a pu être identifié.
Les hypothèses étiologiques, génétiques, neuro-développementales ou toxiques sont souvent mises en avant pour discréditer l’approche psychogénétique de l’autisme, et les tenants du « tout organique » s’opposent violemment aux défenseurs d’une causalité qui serait enracinée dans les premiers liens affectifs de l’enfant. Ce face-à-face entrave sérieusement les progrès de la recherche et malmène les parents qui cherchent avant tout à comprendre et à aider leur enfant en difficulté.
La clinique de l’autisme indique assez clairement un problème dans le nouage du langage au corps, non pas comme c’est le cas dans les aphasies, du fait d’une atteinte des aires cérébrales dédiées au langage, mais plutôt dans la manière dont parler affecte le corps. Les difficultés à lire les émotions chez l’autre, les difficultés à imiter les gestes, la parole énoncée sur un ton monocorde, les difficultés à dire « je », les problèmes avec les limites corporelles et l’image du corps, etc., en sont quelques expressions cliniques.
Un travail de Sylvie Tordjman sur « mélatonine et autisme » me semble particulièrement intéressant dans la mesure où il ne se ferme pas sur une position idéologique, et interroge différentes dimensions des découvertes biologiques, en lien avec la clinique : il a été publié dans la revue anglophone International Journal of Molecular Sciences en 2013 [1] 1.S. Tordjman et coll., « Advances in research of melatonin in autism spectrum disorders : Literatur review and new perspectives », International Journal of Moledular Sciences, 2013., puis approfondi dans la revue Frontiers in Pediatrics en 2015 [2] 2.S. Tordjman et coll., « Autism as a disorder of biological and behavorial rhythms toward new therapeutic perspectives », Frontiers in Pediatrics, 2015..
Elle y présente une revue de la littérature internationale sur la question, en y ajoutant les résultats de ses recherches personnelles. Je vous indique succinctement les grandes lignes de ce travail, avant d’évoquer les questionnements qu’il a suscités chez moi.
La mélatonine est une neurohormone bien connue pour sa régulation du cycle veille-sommeil. Dans les conditions physiologiques, son taux sanguin suit un rythme circadien avec des bas niveaux diurnes et de hauts niveaux nocturnes. Au-delà de ses effets sur le sommeil, elle a un large spectre d’effets, et joue un rôle synchronisateur de plusieurs rythmes circadiens, influençant en particulier le cycle du cortisol. Elle est très impliquée dans le développement précoce de l’enfant, par des effets directs ou par l’intermédiaire du placenta, agissant sur le développement des neurones et des cellules gliales.
Cette étude, qui prend également en compte les résultats d’autres études du même type, semble montrer que les taux de mélatonine sanguins sont souvent bas chez les personnes autistes, en particulier concernant la sécrétion nocturne. Ces premiers résultats ne sont pas spécifiques de l’autisme, et se retrouvent dans d’autres affections. Néanmoins un taux de mélatonine nocturne abaissé dans l’autisme est corrélé avec la sévérité des difficultés verbales et de communication.
Plus intéressants sont les résultats portant sur l’étude du cycle de la mélatonine chez les personnes autistes : dans un nombre de cas significatif, il n’y a pas la régularité qu’on trouve habituellement : les taux ont des variations anarchiques sur le nycthémère.
La démarche habituelle des scientifiques serait de rechercher en priorité une anomalie génétique portant sur la synthèse de la mélatonine, ou sur celle de ses récepteurs. Naturellement Sylvie Tordjman l’a fait, mais ce qui nous intéresse, c’est qu’elle va plus loin. Voici son interprétation : S’appuyant sur les propos de Winnicott « The main problem for a typically developing child is to be able to create a continuum out of discontinuity », elle fait la proposition suivante : la continuité de l’existence se met en route dès l’époque fœtale, à travers la répétition de séquences identiques de discontinuités qui s’isolent sur fond de continuité, les rythmes circadiens étant importants dès ce niveau. Elle constate que beaucoup d’enfants autistes ont besoin de créer des discontinuités qui manquent à leur développement physiologique : les stéréotypies en seraient une possibilité.
Elle évoque également un patient de René Diatkine qui dessine des figures géométriques à angles réguliers, puis qui augmente le nombre d’angles jusqu’à arriver au cercle, et là, surgit l’angoisse devant ce changement de paradigme que constitue le passage d’éléments discrets à la continuité du cercle. Nous pouvons voir cela dans le film René Diatkine, une pensée en mouvement [3] 3.Documentaire, René Diatkine, une pensée en mouvement, dvd 3, L’évolution d’un cas d’autisme à l’âge adulte, L’aube de la vie..
Les difficultés à supporter le changement, si fréquentes chez les personnes autistes, semblent plus importantes lorsque le rythme biologique est absent.
En somme, Sylvie Tordjman suggère que les rythmes biologiques, réglés sous le primat de la mélatonine, sont ressentis par l’enfant comme un retour du même, et que cette répétition d’une discontinuité, dans sa régularité, permettrait à l’enfant de ressentir une continuité de son existence. Nous pourrions interpréter cela de la manière suivante : dans une suite de ruptures de continuité que constitue l’alternance veille/sommeil, dépendante du cycle de la mélatonine (une suite de 0 et de 1), l’enfant perçoit l’équivalent d’une loi organisatrice qui lui permet de s’attendre à ce qui va venir et d’en ressentir une continuité de son existence. Nous passons de l’organique au symbolique. Que signifie « s’attendre à ce qui va venir » ? N’est-ce pas déjà une anticipation du plaisir procuré par ce retour ?
Il faut noter par ailleurs, que ce cycle de la mélatonine n’est pas mis en place d’emblée chez le bébé. Ce n’est que vers l’âge de 3 mois qu’il acquiert un rythme bio-logique propre. Dans l’utérus, ainsi qu’au début de sa vie, il est soumis à celui de sa mère.
Ce qui est intéressant pour nous, c’est que ce temps des trois premiers mois de la vie est celui où les présences/absences de la mère vont se régler au début sur la physiologie (en effet les repas sont ce qui impose le plus fortement une régularité) : on se lève la nuit pour nourrir le nouveau-né. Nous pouvons dire que le réel des besoins corporels commande sur toute autre exigence sociale, en somme, que le réel prime sur le symbolique. Ce n’est que progressivement que ces alternances vont se régler sur un ordre symbolique social et sur ce qui relève du désir de la mère, désir qui la porte ailleurs que vers son enfant. L’attente du retour de la mère et de la satisfaction qui va bien au-delà de la sensation de satiété, va donc s’articuler selon ces scansions où se nouent le biologique et les rythmes sociaux par l’intermédiaire de la jouissance des échanges avec la mère.
Ces trois premiers mois de la vie sont aussi ceux où apparaissent des particularités propres à certains bébés susceptibles de devenir autistes. Des études américaines sur l’attention aux yeux montrent que c’est vers 3 mois que l’enfant qui deviendra autiste détourne son attention des yeux pour la porter sur d’autres zones du visage. Marie-Christine Laznik et l’équipe Préaut détectent vers l’âge de 4 mois les premiers signes cliniques de risque autistique.
Nous avons là une articulation du symbolique au corps, quelque chose d’une incarnation du premier degré du symbolique que représentent ces rythmes, dont émerge la sensation, pour le bébé, de quelque chose qui les organise, et qui semble se tisser avec le rythme des allées et venues de sa mère. Ces scansions se décalent progressivement du biologique vers le symbolique. Nous pourrions supposer que l’enfant acquiert son rythme biologique propre en s’appuyant sur les présences/absences de la mère dont l’attente et le retour régulier s’accompagne de jouissance, et que lorsque le désir de la mère se porte ailleurs, intervient un élément tiers qui va découper autrement cette suite de 0 et de 1, qui va y introduire un autre ordre, une loi.
Mon hypothèse est que ce serait une étape préliminaire nécessaire pour amener la possibilité pour l’enfant d’accéder au « stade du miroir [4] 4.J. Lacan, « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je », Écrits, Paris, Le Seuil, p. 93-100.» tel que Lacan le décrit : « La sensation d’une continuité temporelle serait un des préalables nécessaires à l’unification des perceptions corporelles dans l’image du miroir, et ensuite à la possibilité de lâcher l’image pour se retourner vers la mère qui porte l’enfant, en somme au nouage de l’image du corps au symbolique porté par le langage.
Marie-Christine Laznik travaille actuellement sur un tressage entre les registres du réel, du symbolique et de l’imaginaire qui se constituerait en six temps logiques [5] 5.J. Lacan, « Temps logique », dans Écrits, Paris, Le Seuil, coll. « Le champ freudien », 1966. pour former une tresse. Celle-ci à un moment donné, se refermerait sur elle-même brin à brin, constituant le nœud borroméen de la structure du sujet (élaboré par J. Lacan), qui permet que tiennent ensemble ces trois registres de manière à constituer un rapport à la réalité ayant une certaine consistance et une certaine stabilité (voir annexes). Cette formalisation que propose Marie-Christine Laznik a très fortement retenu mon intérêt, car elle permettrait de situer les différences structurelles entre autisme et psychose infantile, et ainsi de guider la clinique. Elle peut également servir de base à l’élaboration d’hypothèses théoriques fécondes pour la compréhension du phénomène autistique.
La clinique de l’autisme pourrait se lire comme un tressage qui laisserait libre la corde de l’imaginaire. En somme, il y aurait eu des ratées dans ce tressage : l’imaginaire (dont l’image du corps est le prototype), ne serait pas noué au réel et au symbolique, comme le laissent supposer les difficultés dont nous font part les personnes autistes. Les croisements impliquant le fil de l’imaginaire ne se feraient pas correctement pour constituer une tresse, ce qui correspond à l’impossibilité de franchir les étapes du stade du miroir où le petit enfant s’identifie à son image inversée dans le miroir, pour parvenir à lâcher l’image et se retourner vers l’adulte qui le porte.
Mais pour que l’imaginaire ne soit pas noué, la topologie du nœud borroméen impose qu’il y ait eu un ratage préalable à celui du stade du miroir, un ratage du premier temps du tressage, temps que Marie-Christine Laznik nous décrit comme celui où le réel doit surmonter le symbolique. Laissons-nous donc porter par la logique topologique, et interrogeons-nous sur ce qui aurait pu rater avant le stade du miroir. En effet, toute la question de l’autisme se trouve là : comment se fait-il que ces bébés n’accèdent pas à cette étape fondamentale de la subjectivation?
Ce premier temps est celui où le réel passe au-dessus, prime sur le symbolique. Cela signifie que pour le nouveau-né, le réel de son corps doit être pris en compte, même s’il bouleverse l’organisation symbolique familiale et sociale. La mère, le nebenmensch pour reprendre le terme de Freud, se doit d’apaiser les tensions qui le mettent dans la détresse (hilflosigkeit de Freud). Il est nécessaire de se lever la nuit pour le nourrir, le soigner si besoin, le rassurer… Chez les bébés qui vont devenir autistes, quelque chose fait que ce réel du corps ne parvient pas à être pris en compte à hauteur de ses nécessités. Dire cela ne désigne aucune étiologie particulière : cela peut être parce que ce bébé est en proie à une douleur trop forte, à des excitations trop importantes, parce qu’il n’est pas en mesure d’être apaisé par les soins qui lui sont donnés. Cela peut être également par carence maternelle, comme le démontrent les troubles des enfants élevés en orphelinat sans référent maternel suffisamment stable et engagé par rapport à eux.
N’avons-nous pas là, avec cet abord par les rythmes, les scansions, et leur articulation au corps à travers le cycle de la mélatonine, des éléments pour comprendre ce ratage du premier temps de la tresse qui s’impose en logique pour rendre compte de ce nœud de l’autisme et des flips sur les temps imaginaires ? (Il s’agit ici de l’imaginaire tel qu’il est défini par Lacan comme ce qui a trait à l’image, et au départ à l’image du corps)
Pour aller plus loin, ce premier degré du symbolique (où une loi se dégage d’une suite de présences/absences qui peut sembler aléatoire) renvoie aux chaînes de Markov (présentées par Lacan à la fin de son séminaire sur « La lettre volée » [6] 6.J. Lacan, « La lettre volée », dans Écrits, op. cit. ; M. Darmon, Essais sur la topologie lacanienne, Paris, Éditions de l’Association freudienne, 2004, p. 121-145. et à la construction, par l’introduction de différents niveaux d’organisation et de codages, d’un système formel, porteur d’une mémoire, mais également d’ambiguïtés, et dont l’ordonnancement des éléments détermine la venue des suivants : le langage n’est-il pas un système formel de ce type, certes plus complexe ? Ce repérage par le bébé, que les retours du même ne reviennent pas au hasard, pourrait constituer ce premier niveau de la chaîne de Markov, puis le désir de la mère vers d’autres buts (pour le père en particulier) pourrait constituer un second niveau ; les lois sociales vont introduire un élément tiers dans ces scansions, un niveau supérieur d’organisation, indispensable à la construction des suivants. Ainsi, nous pouvons supposer qu’il est un temps préalable nécessaire à l’avènement du langage, et en particulier du nouage du langage au corps. En somme, il constituerait la matrice symbolique sur laquelle pourrait s’élaborer le langage.
Ces patients autistes Asperger qui sont des calculateurs prodiges, ne sont-ils pas à la recherche obstinée de cette loi qui viendrait ordonner la continuité dans laquelle ils sont pris et où ils se perdent ? Leurs interrogations sur la limite ne viennent-elles pas de l’absence d’ancrage dans le corps de cette loi organisatrice ? Le patient de Diatkine en serait un exemple.
Il me semble que développer les choses de cette manière permet de repérer les différentes possibilités d’étiologies susceptibles de faire rater ce premier temps de la tresse de Marie-Christine Laznik, et de mener à un syndrome autistique :
– il est clair qu’il faut un Autre primordial qui vienne, par l’érotisation du lien à l’enfant, lui permettre ce nouage au corps des rythmes de présence/absence par l’attente et la jouissance ;
– la mélodie de la voix maternelle pourrait s’inscrire sur fond de ces rythmes ;
– nous pouvons supposer que des enfants qui souffrent de violentes douleurs pourraient ne pas ressentir ces rythmes et se retrouver dans une continuité angoissante entraînant un repli autistique ;
– nous pouvons supposer aussi qu’un enfant qui serait soumis, pendant ses trois premiers mois, moment où les cycles se mettent en place, à des crises d’épilepsie itératives, serait ainsi l’objet de discontinuités de la perception de son existence, dont il ne pourrait repérer aucune loi organisatrice ;
– peut-on imaginer que ces situations empêchent la mise en place du cycle de la mélatonine – qui pourrait être l’un des représentants dans le corps de la loi organisatrice de cette chaîne de discontinuités ? Les allées et venues de la mère seraient alors plus problématiques à interpréter par l’enfant dans le sens d’une intention qui le concerne en propre ;
– enfin, il peut y avoir d’autres raisons à l’impossibilité de la mise en route de ces rythmes : les anomalies génétiques sur la chaîne de synthèse de la mélatonine et de ses récepteurs, ou des anomalies concernant d’autres molécules ou d’autres gènes pourraient entraver ou remanier cette construction symbolique étagée primordiale à partir de laquelle émerge le langage. L’absence d’installation des cycles nycthéméraux en serait-elle une manifestation ? Nous ne pouvons dire, actuellement, si ces perturbations sont cause ou simple effet d’un dérèglement qui se situe ailleurs, dans le corps ou pourquoi pas, psychogène, chaque «autisme» étant un cas particulier.
Une question demeure : certains enfants autistes parviennent à guérir de leurs symptômes autistiques, et c’est très heureux. Peut-on rendre compte de cela à partir de la tresse entre les trois registres réel, symbolique et imaginaire?
Deux hypothèses pourraient en donner une idée :
– comme Lacan l’illustre à travers l’étude du cas de Joyce, des suppléances permettant à l’imaginaire de s’articuler aux autres registres sont envisageables ;
– on pourrait concevoir aussi que dans l’autisme, la tresse n’est pas totalement suturée en un nœud borroméen, laissant des possibilités de réarrangement des croisements en reprenant par certaines approches, les étapes précoces qui n’ont pas eu lieu.
Conclusion
La mélatonine, par son cycle et par la synchronisation des différents cycles physiologiques qu’elle entraîne, pourrait être envisagée comme un élément intéressant de l’articulation du symbolique au corps, étape préalable nécessaire à l’unification des sensations corporelles du bébé dans son image au miroir, et étape également indispensable à l’acquisition d’un langage articulé à la fois au réel et à l’imaginaire du corps.
Les chaînes de Markov également peuvent être une piste de recherche intéressante : Jacques Lacan, dans son séminaire sur « La lettre volée », propose par là une modélisation élémentaire de la chaîne signifiante qui en présente les propriétés fondamentales : une mémoration particulière, une chaîne où la différence des traits prime sur les traits eux-mêmes (comme c’est le cas pour le signifiant), où l’ambiguïté du symbole rejoue celle du signifiant, où la dissymétrie devient prépondérante. Cette chaîne, comme la chaîne signifiante, est orientée et rétroactive, de la même manière que le sens de la phrase ne se boucle qu’avec le point final. Marc Darmon l’explicite de manière plus déployée dans son livre sur la topologie lacanienne.
Peut-on supposer que les personnes autistes, dont certaines ont un maniement du symbolique si brillant, mais si particulier, établiraient leur langage sur un autre type de chaîne symbolique ? Il est intéressant de lire les textes de certaines personnes, par exemple Josef Schovanec, car leur appréhension du langage est différente de l’appréhension commune, avec d’un côté des facilités hors du commun, et d’un autre côté des impossibilités qui nous étonnent, en particulier dans l’accès à la métaphore ou dans sa difficulté à supporter l’ambiguïté propre au fonctionnement du signifiant.
Tout cela est un fil de lecture et de recherche, tiré à partir d’éléments cliniques d’une part, des recherches sur « mélatonine et autisme » de Sylvie Tordjman d’autre part, et enfin d’élaborations psychanalytiques autour de la fonction de la parole et du langage, du rapport à l’image du corps, et des questions que nous posent les difficultés des personnes autistes.
Ce travail ouvre plus de questions qu’il n’en résout, mais celles-ci peuvent constituer des pistes de recherche, et surtout, ces questions s’adressent aux différents spécialistes susceptibles de s’intéresser à l’autisme :
– aux psychiatres chercheurs : ces troubles du cycle de la mélatonine sont-ils un signe suffisamment représentatif des pathologies autistiques ?
– aux endocrinologues qui peuvent peut-être nous éclairer sur les différents effets de cette neuro hormone.
– aux psychanalystes spécialistes de la petite enfance ainsi qu’aux linguistes et aux mathématiciens : les chaînes de Markov sont-elles un bon repère pour comprendre les prérequis nécessaires à l’entrée dans le langage ?
– dans « l’Esquisse », Freud évoque la recherche de répétition d’une première expérience de plaisir. Toute sa théorie se fonde sur le fait que ce qui revient est imparfait, toujours marqué d’un défaut, d’un manque par rapport à cette expérience première, manque qui entretient la quête. Les rythmes sont-ils de cet ordre, ou plutôt viennent-ils s’articuler à cette recherche de plaisir ?
– aux neurologues : les enfants présentant des crises d’épilepsie itératives durant les trois premiers mois de la vie deviennent-ils fréquemment autistes ? Si c’est le cas, est-ce du fait de leur maladie épileptique, ou du fait de l’effet des crises, et selon quel mécanisme ? A-t-on déjà étudié le cycle de la mélatonine chez les personnes qui ont été secouées par de nombreuses crises d’épilepsie dans leurs premiers mois de vie ? Peut-on le corréler à une évolution autistique ?
– aux généticiens afin qu’ils puissent nous éclairer sur le chemin du gène aux symptômes, mais aussi et surtout pour qu’ils nous disent les limites du déterminisme génétique.
– à tous les praticiens : comment peut-on aider certains bébés exposés au risque d’un devenir autiste, à franchir cette étape cruciale ? Comment peut-on aider ceux qui n’ont pas pu la franchir, à faire tenir ensemble réel, symbolique et imaginaire ?
Les différentes approches ne sont pas exclusives l’une de l’autre, mais viennent s’articuler sur le fil de la vie d’un enfant qui peut naître avec une anomalie génétique, cause d’une épilepsie sévère et précoce, laquelle va entraîner des perturbations à la fois biochimiques, électriques, etc., mais aussi des perturbations dans sa perception de lui-même, tant dans la continuité temporelle que dans son identification à son image dans le miroir. Les relations à ses parents, comme les relations de ses parents vers lui en sont nécessairement, profondément troublées.
Cette recherche sur la mélatonine est importante par les questions qu’elle ouvre qui pourraient nous faire avancer dans la compréhension du phénomène autistique. Elle est intéressante car, à une recherche dans la tradition des publications scientifiques internationales, Sylvie Tordjman ajoute une dimension qui féconde cette recherche et ouvre des horizons nouveaux d’investigations, et suggère également des pistes thérapeutiques intéressantes, associant les psychothérapies prenant en compte les rythmes, les interactions subjectives, et un traitement médicamenteux à la mélatonine.
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Notes
- [1]↑– S. Tordjman et coll., « Advances in research of melatonin in autism spectrum disorders : Literatur review and new perspectives », International Journal of Moledular Sciences, 2013.
- [2]↑– S. Tordjman et coll., « Autism as a disorder of biological and behavorial rhythms toward new therapeutic perspectives », Frontiers in Pediatrics, 2015.
- [3]↑– Documentaire, René Diatkine, une pensée en mouvement, dvd 3, L’évolution d’un cas d’autisme à l’âge adulte, L’aube de la vie.
- [4]↑– J. Lacan, « Le stade du miroir comme formateur de la fonction du Je », Écrits, Paris, Le Seuil, p. 93-100.
- [5]↑– J. Lacan, « Temps logique », dans Écrits, Paris, Le Seuil, coll. « Le champ freudien », 1966.
- [6]↑– J. Lacan, « La lettre volée », dans Écrits, op. cit. ; M. Darmon, Essais sur la topologie lacanienne, Paris, Éditions de l’Association freudienne, 2004, p. 121-145.